MOREL DANS LA LITTERATURE PROFESSIONNELLE

MOREL DANS LA LITTERATURE PROFESSIONNELLE

Morel de 1935 à nos jours46

Nous avons vu la présence de Morel à son époque ; quelles revues publiaient ses articles et à quelles fréquences ; comment on parle de lui, de ses œuvres, et comment ses contemporains considèrent son action et la portée de celle-ci. Nous avons observé que Morel n’est pas si présent dans la littérature professionnelle qu’on pourrait le penser ; que son livre n’a pas soulevé le scandale qu’on imagine aujourd’hui ; qu’il devient célèbre à son époque plutôt pour ses conférences que ses pamphlets, et ce après la première guerre, au moment où le CARD en reprend la formule ; qu’on se souvient de lui, enfin, plutôt comme un expert en questions techniques que comme un militant actif pour la lecture publique.
Cette vision de l’homme et de son œuvre a-t-elle évolué au cours des années qui ont suivi son décès ? Que peut-on dire de sa présence dans les écrits professionnels actuels47 et comment se le représente-t-on aujourd’hui ?

1935-1976 : un oubli relatif

Si on ne peut guère, aujourd’hui, ouvrir un numéro du Bulletin des bibliothèques de France sans tomber sur son nom, Morel semble pourtant avoir été, dans les années qui ont suivi sa mort, très vite oublié. Jusqu’en 1950, on ne parle tout simplement pas de lui. Jean-Pierre Seguin signale dans son ouvrage48 que le tome dix-huit de L’encyclopédie française dirigé en 1939 par Julien Cain et consacré à la civilisation écrite mentionne très rapidement Morel, mais s’attarde davantage sur d’autres personnages de la lecture publique. C’est la seule référence à Morel que nous ayons trouvée dans les années directement après sa mort ; les trois décades qui suivent ne lui seront pas beaucoup plus favorables, en dépit tout de même de quelques tentatives dignes d’intérêt pour lui donner une place dans l’histoire des bibliothèques.
Trois enthousiastes dans les années 50-60 En 1950 paraît un article de Henri Frédéric Raux, conservateur à la Bibliothèque Nationale, dans une monographie de langue allemande, Festschrift Eugen Strollreither. Nous n’avons d’autres renseignements que le titre de l’article : « Un initiateur de la lecture publique en France : Eugène Morel (1869-1934) ». C’est la première fois qu’un article sur Morel apparaît depuis 1934, et bien que nous n’ayons pas pu le trouver, le titre nous permet tout de même de tirer certaines conclusions : l’auteur relie explicitement Morel à la lecture publique et le voit comme l’un de ceux qui auraient lancé le mouvement, un précurseur en ce domaine. Pourtant, l’article paraît dans une revue étrangère et nous n’en avons pas trouvé trace dans la presse française, preuve sans doute que Morel n’occupe pas une grande place dans le monde des bibliothèques de l’époque. A partir de 1950 cependant, on voit apparaître Morel de temps en temps dans la presse professionnelle ou ailleurs. Ces apparitions sont majoritairement le fait de trois enthousiastes qui semblent se rappeler de Morel à un moment où tout le monde l’a oublié : Joseph Michel, Marguerite Gruny et Jean Hassenforder. Les deux derniers en particulier, vont tenter dans les années 60 une réhabilitation de Morel et de son rôle dans la lecture publique. Marguerite Gruny avait de bonnes raisons de bien connaître notre homme et son œuvre : elle est en effet la nièce d’Eugène Morel. En sa qualité de bibliothécaire à l’Heure Joyeuse, elle rédige, pour le compte du bulletin de l’ABF de 195449, la notice nécrologique d’Ernest Coyecque « pionnier des bibliothèques », homme « des temps héroïques de la lecture publique en France ». Or, Marguerite Gruny va faire bien plus dans cet article que rappeler la carrière d’Ernest Coyecque ; elle va établir un historique des premiers pas de la lecture publique et de la modernisation des bibliothèques dans l’avant et l’entre deux guerres. A l’origine, il y a, selon elle, la rencontre entre deux personnages, Ernest Coyecque et Eugène Morel, « l’homme d’action et l’écrivain ». Morel est vu comme le théoricien, Coyecque comme celui qui va essayer de mettre en œuvre ses idées – des idées qu’il aurait puisées pas tant dans Bibliothèques que dans La Librairie publique « extrait remanié » du premier ouvrage. Marguerite Gruny décrit le contenu de ce livre – qui rappelons-le, n’avait fait l’objet d’aucun article dans la presse professionnelle à sa sortie :
c’était une présentation de la Bibliothèque telle que la conçoivent les Anglo-Saxons, la « Free Public Library » […]« La Librairie Publique » se terminait par une critique mordante de nos « Populaires », un examen des possibilités françaises et la conclusion – c’était le but de l’ouvrage – que notre pays, n’ayant aucune raison de rester en arrière, se devait d’imiter les Anglo-Saxons.
Selon Marguerite Gruny, Coyecque et Morel vont immédiatement s’entendre : « leur vaste intelligence leur permettait à tous deux de pénétrer l’avenir » : ce sont des visionnaires. Marguerite Gruny insiste sur l’idée que Coyecque n’aurait pas entrepris autant sans l’élément déclencheur qu’aurait été la lecture de La Librairie publique : « sa rencontre avec Eugène Morel renforce les convictions d’Ernest Coyecque, lui permet de tracer ses plans avec plus d’ampleur et de clarté ». Néanmoins, les idées et l’action Coyecque ne pourront trouver de véritable application qu’avec les crédits américains du CARD, que Coyecque a aidé dans ses démarches administratives : dans l’après-guerre, c’est sous la forme d’un couple inséparable, les « deux pionniers français » que Marguerite Gruny représente les deux hommes. L’auteur esquisse ainsi l’histoire de l’installation des premières bibliothèques modernes en France : écriture par Morel de La Librairie publique ; essai d’application par Coyecque mais avec les crédits limités du gouvernement français ; véritable application grâce au CARD. Morel aurait donc été l’origine, et la nécrologie de Coyecque finit par parler presque autant de lui que de l’auteur de Bibliothèques. Vérité historique ou admiration d’une nièce pour son oncle ? Quoi qu’il en soit, Marguerite Gruny en 1954 est la première à donner à Morel un rôle dans la modernisation des bibliothèques au cours des années 20. En 1956, dans l’article « Les bibliothèques pour enfants en France »50 et surtout en 1969 dans « Eugène Morel et les bibliothèques pour enfants »51, elle va aussi relier plus précisément Morel à l’apparition des premières bibliothèques enfantines en France : dans le premier, elle écrit par exemple que c’est « à la prière d’Eugène Morel, auteur de La Librairie publique, et d’Ernest Coyecque, alors inspecteur des bibliothèques de la Ville de Paris » que l’Heure Joyeuse verra le jour. En 1960, Joseph Michel écrit, pour le bulletin de l’ABF, un article52 dans lequel il met en parallèle l’action de Gabriel Naudé, depuis longtemps reconnu comme un grand personnage dans l’histoire des bibliothèques, et celle d’Eugène Morel. Après avoir rappelé brièvement le rôle de Naudé, il affirme que « pareillement pour notre époque, il semble juste d’accorder un mérite exceptionnel à l’activité et à l’efficacité d’un « grand bibliothécaire français », Eugène Morel (1869-1934) » ; l’expression entre guillemets provient probablement du titre de la nécrologie de Morel écrite par Coyecque pour La Revue du livre. Pour lui, Morel mérite d’être reconnu car « plus que tout autre, il a fait expressément campagne et vigoureusement bataillé pour réaliser en France la véritable bibliothèque publique », en s’inspirant du modèle anglais comme Naudé avait pris exemple en son temps sur la bibliothèque d’Oxford. Les deux premiers ouvrages de Morel peuvent être considérés pour lui comme un « manifeste », et il cite une de ses réalisations concrètes : « le dépôt légal devenu grâce à lui très complet ». Joseph Michel est aussi l’un des premiers, dans cet article, à faire de Morel le bibliothécaire de la démocratie, promoteur d’un « esprit nouveau, spécifiquement démocratique ou plutôt universel ». En établissant un lien entre un personnage historique connu et admiré dans le monde des bibliothécaires, et un professionnel semble-t-il plus méconnu mais non moins intéressant, Joseph Michel tente pour la première fois depuis la mort de Morel de le faire entrer dans l’histoire de la modernisation des bibliothèques françaises. En 1964 et 1967, Jean Hassenforder (documentaliste de profession, membre de l’ABF et chercheur à l’Institut National Pédagogique) fait paraître deux articles, l’un dans Education et bibliothèques, l’autre dans Lectures et bibliothèques53, articles qui, selon Jean-Pierre Seguin, évoquent Morel. Le titre du second, « Un pionnier des bibliothèques publiques », est encore une fois évocateur de la manière dont l’auteur considère notre homme : il est le premier, avec Marguerite Gruny, à lui appliquer ce terme de « pionnier » qui sera si souvent repris par la suite. Surtout, Hassenforder va écrire en 1967 Développement comparé des bibliothèques publiques en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XIX siècle, 1850-1914, l’un des premiers essais de récapitulation des évolutions de la bibliothèque à la fin du XIXe et au début du XXe ; en tout cas le premier qui accorde à Morel une place importante dans l’histoire des bibliothèques au début du siècle, et le reconnaît comme principal importateur du modèle anglo-saxon. Hassenforder y donne une courte biographie de Morel et évoque rapidement ses conférences à l’Ecole des hautes études sociales et sa réorganisation de la bibliothèque de Levallois-Perret. Ce qui l’intéresse surtout, ce sont ses critiques du retard français dans Bibliothèques et La Librairie publique, qu’il cite à plusieurs reprises et prend comme témoignages historiques de la situation des établissements français de l’époque. Morel n’est pas le seul professionnel du début du XXe siècle à être évoqué, au contraire : Hassenforder ne le voit pas comme une voix discordante dans le monde des bibliothèques de l’époque, mais considère ses œuvres comme l’apogée de l’inspiration anglo-saxonne : « les réformateurs français feront souvent appel à l’exemple anglo-saxon et cette tendance atteint son maximum au début du XXe siècle avec Eugène Morel54 ». Bien qu’il évoque peu son action concrète, qui selon lui n’a pas pu être très développée en raison des résistances très fortes qu’il a rencontrées, il fait tout de même de Morel l’équivalent français des réformateurs Melvil Dewey pour les Etats-Unis et Edward Edwards pour l’Angleterre.

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Table des matières

HISTORIOGRAPHIE : MOREL DANS LA LITTERATURE PROFESSIONNELLE
1 Morel en son temps

1.1. Les écrits d’Eugène Morel
1.1.1. Le bibliothécaire et l’homme de lettres
1.1.2. La presse généraliste et littéraire
1.1.3. La presse professionnelle
1.1.4. Les publications indépendantes
1.2. Morel vu par ses contemporains
1.2.1. 1909-1910 : les critiques de Bibliothèques
1.2.2. 1910-1924 : quasi-absence de Morel dans les écrits professionnels
1.2.3. 1924-1930 : une présence discrète mais saluée par les professionnels
1.2.4. 1930-1933 : Morel entré dans l’histoire
1.2.5. 1934 : nécrologies
2 Morel de 1935 à nos jours
2.1. 1935-1976 : un oubli relatif
2.1.1. Trois enthousiastes dans les années 50-60
2.1.2. Une présence néanmoins exceptionnelle dans la presse professionnelle
2.1.3. Un écrit à part : la thèse de Gaetan Benoit ou le périple de l’unique biographie de Morel
2.2. 1977-1983 : l’élément déclencheur : les premières synthèses sur la lecture publique
2.2.1. Une série d’articles signée Noë Richter
2.2.2. Renée Lemaître, Marguerite Gruny et les autres
2.3. 1984-2005 : consécration du « bibliothécaire de la démocratie », référence et figure d’autorité dans la littérature professionnelle
2.3.1. La référence à Morel, outil de la rhétorique professionnelle
2.3.2. Un personnage désormais incontournable de l’histoire des bibliothèques françaises
2.3.3. « Toujours d’actualité » ? Des points de vue opposés
2.4. Depuis 2006 : l’heure du bilan
BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES MOREL ET LA LECTURE PUBLIQUE
1 Textes et idées
1.1. La théorie : les idéaux de Morel
1.1.1. La Nationale, une grande bibliothèque populaire
1.1.2. L’ambition démocratique ? La bibliothèque-outil
1.1.3. Faire entrer la science, la technique, l’industrie, le commerce, l’actuel dans les bibliothèques
1.1.4. Le retard de la France et l’inspiration étrangère
1.2. La pratique : éléments concrets de la bibliothèque libre
1.2.1. La composition d’une bibliothèque idéale inspirée des free public libraries
1.2.2. Le catalogage
1.2.3. Comparaison avec le manuel de Crozet, version retenue par l’ABF
2 Application concrète des idées de Morel
2.1. L’action de Morel
2.1.1. La formation professionnelle : les conférences à l’Ecole des hautes études sociales
Anne-Laure Lacour | Eugène Morel, légende bibliothéconomique – L’oeuvre de Morel et la création du mythe 3
2.1.2. Le catalogue de Levallois-Perret
2.1.3. Le rôle de Morel dans le CARD
2.1.4. Le Dépôt légal
2.2. Morel et les autres : influence(s) dans la profession
2.2.1. Présence dans les associations et les congrès internationaux
2.2.2. Morel et les autres : précurseurs et disciples
2.3. Angers : un contre-exemple de l’influence de Morel
2.3.1. Fonctionnement de la bibliothèque municipale d’Angers : bâtiments, horaires, règlements, catalogue
2.3.2. Le personnel
2.3.3. Les acquisitions
2.3.4. Une ouverture limitée au monde des bibliothèques CONCLUSION ANNEXES

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