Géomorphologie glaciaire et nucléides cosmogéniques : qu’est-ce que l’on date ?

Contexte générale de l’étude

    La dynamique érosion/transport d’un glacier et son impact sur le paysage sont très difficiles à quantifier. Un glacier est capable de modeler des paysages en rabotant le substrat rocheux, mais en même temps, il peut préserver des dépôts meubles du dernier interglaciaire. L’action érosive d’un glacier est donc imprévisible. Ces derniers peuvent également laisser des traces de leur passage sous forme de dépôts : (i) les blocs erratiques sont des blocs de plusieurs tonnes transportés par le glacier, lors de la fonte de la glace, ces blocs sont abandonnés sur place, (ii) les moraines qui sont constituées d’un amas de débris rocheux que le glacier a transporté. Il existe plusieurs types de moraines, les moraines frontales qui sont formées à l’avant du glacier quand le glacier s’écoule, les moraines latérales qui sont constituées de roches arrachées par le glacier et les moraines de fond, principalement constitué de tills, qui peuvent avoir un action très abrasive sur le substratum ou au contraire le protéger. Une des marques de l’érosion glaciaire est le poli glaciaire. C’est le substrat rocheux qui a été aplani et lissé par le passage du glacier, nous pouvons ainsi retrouver des stries glaciaires, trace de son érosion. Il est cependant difficile de savoir si une surface a été englacée/déglacée sans être érodée, le pouvoir abrasif local étant très difficile à quantifier. C’est un aspect important à connaître dans les bilans érosifs à l’échelle d’un bassin versant, voir d’une chaîne de montagne. La datation par nucléides cosmogéniques dans le contexte glaciaire pourrait permettre de quantifier les événements érosifs et connaître l’histoire d’exposition de la zone (simple ou complexe)(Stone et al., 2003; Golledge et al., 2007; White et al., 2011). La datation par nucléides cosmogéniques in situ permet de connaître la durée d’exposition de la roche aux rayons cosmiques (Lal, 1991; Gosse and Phillips, 2001). Les nucléides cosmogéniques sont produits par des réactions de spallations soit dans la haute atmosphère (production atmosphérique) soit à l’intérieur du minéral cible (production in situ) (Gosse and Phillips, 2001). Cette méthode de datation est largement utilisée pour dater des âges d’exposition de surface en contexte fluviatile (Repka et al., 1997; Ritz et al., 2006; Bierman, 1994; Anderson et al., 1996) et en contexte glaciaire (Valla et al., 2009; Stone et al., 2003; Golledge et al., 2007; White et al., 2011). En contexte fluviatile, la datation des terrasses abandonnées et des blocs, grâce à une stratégie d’échantillonnage adaptée, peut permettre de connaître l’évolution de l’exhumation des clastes et des vitesses de transport anté-dépôt (Vassallo et al., 2011). La datation par les nucléides 10Be et 26Al est utilisé pour connaître l’histoire d’exposition et d’enfouissement de chaque échantillon (Repka et al., 1997; Matsushi et al., 2006), et ainsi, mieux contraindre le facteur héritage sur les blocs. Schmidt et al. (2011) ont daté plusieurs terrasses grâce à des galets, du sable et des blocs dans la Cordillère des Andes. Les blocs ont un âge plus vieux que les autres morphologies, ils en concluent donc qu’ils contiennent de l’héritage c’est-à-dire la composante de nucléides acquise avant le dépôt final. En contexte glaciaire, la datation des blocs erratiques par nucléides cosmogéniques est devenue la principale méthode pour dater le retrait des glaces (Stone et al., 2003; Golledge et al., 2007; White et al., 2011). La datation des blocs permet de dater l’abandon de ces blocs par la glace, et de connaître ainsi l’âge d’exposition aux rayons cosmiques (White et al., 2011). Selon Briner (2009), l’âge d’exposition des blocs morainiques trouvés dans les moraines latérales ou frontales permet de dater l’extension de la dernière glaciation. Cette méthode permet donc de connaître directement le début du retrait des glaces. Cependant, il faut faire attention à deux facteurs qui ont une influence importante sur l’âge d’exposition de la roche en surface. Les facteurs post-dépôts, comme l’érosion et l’altération vont avoir tendance à sous estimer les âges d’expositions (Ivy-Ochs et al., 2007). En revanche, l’héritage va avoir tendance à sur-estimer les âges d’expositions. L’érosion et l’altération sont potentiellement observables, mais le facteur héritage est impossible à déterminer sur le terrain. Actuellement, les géochronologistes tendent à négliger l’héritage, en supposant que l’âge des populations de blocs les plus jeunes correspondrait au véritable âge d’exposition (Stone et al., 2003). Ce raisonnement se base sur deux hypothèses : premièrement, cela suppose que les facteurs post dépôts n’ont pas affecté les échantillons et deuxièmement, on suppose que les échantillons les plus jeunes n’ont pas enregistré d’héritage (White et al., 2011). Dans les Alpes, en contexte glaciaire, il y a eu des datations par nucléides cosmogéniques mais très peu dans les alpes Nord Ouest Française. Dans la zone du Chablais, entre la Suisse et la France des blocs erratiques ont été daté (Perret et al., 2012). Les blocs échantillonnés donnent des âges assez différents entre 20 ka et 9 ka. Les auteurs concluent que les âges sont trop jeunes pour la région, la datation des blocs a pu être influencée par les facteurs post dépot. Ivy-Ochs et al. (2007) ont échantillonné des blocs morainiques au col du Julier, à Kromer (Autriche) et à Gschnitz , et un poli en surface à Nägelisgrätli. Les âges des blocs (11,300 ka à 15,400 ka) sont plus vieux que les âges du poli (10,760-11,720 ka),sauf pour le site Kromer (8,400ka). Ils ont voulu mettre en évidence les variations glaciaires Holocène. Ils concluent que les polis dans les Alpes n’ont pas acquis d’héritage. Cependant, les blocs ne se trouvent pas sur le même site que les échantillons de polis, les échantillons n’ont donc pas tous la même histoire d’exposition. Dans la vallée de la Maurienne, la datation d’un arc morainique sur quatre blocs erratiques par la méthode des nucléides cosmogéniques (10Be) donne un âge moyen de 10,379 ± 0,424 ka (Nicoud et al., 2009). Ces âges pourront être comparés à nos âges en Maurienne. Houmark-Nielsen et al. (2012) ont daté au Danemark des échantillons de blocs erratiques et de polis glaciaire (en surface) avec du 10Be et du 36Cl. Les âges apparents sont similaires pour les blocs et les polis, ils concluent donc que ces âges montrent un scénario d’exposition simple. Deux autres scénarios sont possibles. On peut trouver des blocs erratiques avec des âges apparents relativement vieux qui sont posés sur des polis glaciaires plus jeunes (Delmas, 2009). Cela signifie que les blocs ont acquis de l’héritage de transport ou que le poli a été recouvert ou érodé postérieurement. Cependant, il se peut que l’âge d’exposition du bloc soit plus jeune que l’âge d’exposition du poli glaciaire. Ceci peut s’expliquer par un scénario d’exposition complexe. La comparaison de l’âge apparent du poli et du bloc, va nous permettre de connaître l’histoire d’exposition de la zone. La connaissance de l’histoire anté et post-glaciaire est donc importante pour les interprétations des datations. Le massif du Mont-Blanc fait partie des massifs cristallins externes des Alpes. C’est un des plus haut massif d’Europe, avec des altitudes pouvant aller jusqu’a 4810m (sommet du Mont-Blanc). Aujourd’hui, ce massif est encore occupé par de nombreux glaciers. Cependant, au Quaternaire, les glaciers descendaient beaucoup plus bas dans la région, et occupaient toute la vallée. Nous avons échantillonné sur plusieurs sites. A Vaudagne, nous avons échantillonné un poli glaciaire sur plusieurs mètres de pro5 fondeur dans le but d’avoir un profil de distribution des concentrations en profondeur et un autre en surface avec deux blocs erratiques posés sur chaque poli . Au glacier des Bossons, nous avons échantillonné un bloc qui se trouvait en front de glacier. Le contexte au glacier des Bossons est sub-actuel, puisque le glacier est encore présent aujourd’hui. Le granite (Granite du Mont-Blanc) et le gneiss sont les principales roches qui constituent ce massif. La vallée de la Maurienne est l’une des grandes vallées transversales des Alpes. Nous avons échantillonné sur deux sites : Montsapey et Aussois (Figure 1). Le poli de Montsapey se trouve sur une crête, il est assez plat. Le poli s’est probablement formé lors de la période glaciaire würmienne (100ka à 20ka). En datant deux morphologies glaciaires nous voulons comparer les âges d’expositions, pour savoir si (i) les blocs ont acquis de l’héritage pendant transport et si (ii) le glacier a assez érodé le poli pour remettre à zéro sa concentration en nucléides cosmogéniques. Les profils dans les polis jusqu’a trois mètres vont nous permettre de connaître les concentrations en profondeur.

Purification du Quartz

     Après le tri mécanique, entre 150 et 200g de sables sont prélevés et conditionnés dans une bouteille Nalgène préalablement pesée. Le pesage de la bouteille doit être précis à 10−4 g près, puisque la masse de quartz doit être connue avec la même précision. Un premier ajout d’acide chlorhydrique (HCl) (Figure 5B) va permettre de dissoudre les éventuels carbonates. Les échantillons sont ensuite soumis à une succession de bains de HCl et d’acide hexafluorosilicique (H2SiF6) afin de dissoudre tout les minéraux sauf le quartz. Les proportions sont d’environ 1/3 de HCl et 2/3 de H2SiF6. Les échantillons sont agités pendant 24h puis les acides sont changés (Figure 5 A). Une fois que les échantillons ne contiennent plus que du quartz, ils peuvent être rincés et séchés dans une étuve. Ces cycles de dissolution durent entre 15 à 20 jours. Une fois que les échantillons sont rincés et séchés, les grains sont observés sous une lampe binoculaire pour vérifier que l’échantillon est constitué de quartz pur. S’il y a d’autres minéraux présents dans l’échantillon (micas, feldspath..), ce dernier est à nouveau passé au séparateur magnétique, ou recommence un cycle de dissolution (HCl et de H2SiF6). Une fois que la pureté du quartz est acquise, les échantillons sont pesés afin de connaître la masse de quartz total de l’échantillon. A partir de cette masse, la quantité d’acide fluorhydrique (HF) pour enlever la production atmosphérique du 10Be dans l’échantillon est calculée. Cette production météorique a un taux de production mille fois plus grand que le taux de production in situ (Gosse and Phillips, 2001). Les échantillons sont donc soumis à une série de dissolutions séquentielles à l’acide fluorhydrique afin d’obtenir un quartz décontaminé (de la production atmosphérique de 10Be) et purifié. Ils sont ensuite rincés et séchés dans l’étuve, puis pesés. Environ 20g de quartz décontaminés sont gardés pour la suite de l’extraction. On ajoute environ 300 µl de solution entraineur 9Be, dont la masse exacte est connue ainsi que sa concentration ( 10−3 g/g). Cet entraineur va permettre de mesurer ultérieurement le rapport 9Be/10Be par le spectromètre de masse par accélérateur. Un volume calculé d’HF est ensuite ajouté à l’échantillon, afin de dissoudre totalement le quartz. Parallèlement, un échantillon « blanc » est créé, avec 500 µl de solution entraineur et environ 60 ml d’HF. Ce blanc va subir le même protocole que les autres échantillons. Son résultat nous permettra de savoir s’il y a eu d’éventuelles pollutions pendant les manipulations. Les échantillons sont agités entre 3 et 4 jours pour dissoudre totalement le quartz.

Blocs versus Polis : Qu’est-ce que l’on date ?

    Pour le site d’Aussois, l’âge minimum d’exposition du poli glaciaire est de 10,776 ± 1,520 ka tandis que les blocs ont un âge moyen de 13,757 ± 0,675 10Be ka. L’âge minimum d’exposition du poli est donc plus jeune que l’âge des blocs d’environ 3 ka. Pour le site de Montsapey, l’âge minimum d’exposition du poli glaciaire est de 11,589 ± 0,182 10Be ka. Les deux blocs échantillonnés ont des âges très différents. L’échantillon MSAP 8 à un âge de 7,398 ± 1,090 10Be ka alors que l’échantillon MSAP 9 à un âge de 14,227 ± 1,720 10Be ka. Sur le profil en long (Figure 11), Aussois se trouve à une altitude plus élevée et à une position sur le profil plus haute que Montsapey. Le poli de Montsapey s’est donc désenglacé avant le poli d’Aussois. Le poli d’Aussois a bien un âge d’exposition plus jeune que le poli de Montsapey. Il faut donc que les blocs d’Aussois aient un âge plus jeune que les blocs de Montsapey. Nous pouvons donc en déduire que l’âge du bloc MSAP 8 n’est pas compatible avec les données de terrain. Comme le montre la figure 8, les deux blocs sont bien enfouis dans le sol, ils doivent donc provenir de la moraine. Si MSAP 8 a eu une exhumation beaucoup plus lente que MSAP 9, cela peut expliquer la différence d’âges. Si nous prenons en compte seulement l’âge du bloc de MSAP 9 (14,227 ± 1,720 10Be ka), il est bien plus vieux que l’âge moyen des blocs d’Aussois (13,757 ± 0,675 10Be ka). On a donc la même conclusion qu’à Aussois, l’âge du poli glaciaire est plus jeune que l’âge des blocs. En restant en Maurienne, Villaron de Bessans se trouve au point le plus haut de notre profil en long (Figure 11). Il présente un arc morainique frontal produit par une ré-avancé du glacier forcement postérieur au désenglacement de nos polis d’Aussois et de Montsapey. Cet arc morainique a été daté à 10,379 ± 0,424 ka (Nicoud et al., 2009). En terme de chronologie relative, cet âge est cohérent à la fois avec les âges apparents de nos blocs et de nos polis. Deux scénarios sont donc possibles pour nos échantillons : soit les blocs ont acquis de l’héritage, ils sont donc trop concentrés en 10Be, soit les polis ont connu des phases de recouvrement (neige), ils sont donc pas assez concentrés en 10Be. Pour quantifier l’héritage dans les blocs, nous pouvons faire la différence entre la concentration en 10Be du poli et des blocs. L’héritage moyen pour les blocs de Aussois est de 31 922 at.g−1 et l’héritage du bloc de Montsapey (MSAP 9) est de 22 044 at.g−1 . Cette différence peut être de l’héritage acquis lors de l’exhumation du substratum rocheux ou lors de leur transport jusqu’au poli. Nous considérons dans ce scénario que l’âge du poli est bon. Cependant, si l’on compare nos âges de polis avec les données de Nicoud et al. (2009) sur les blocs erratiques, ils sont relativement jeunes. De plus des données de Carbone 14 à Pontmaphrey sur du bois donnent un âge de 12 870 ans calibré BP (communication personnelle : C.Crouzet). Le poli a donc pu subir un recouvrement par la neige. En considèrant que le poli n’était pas à l’air libre, le temps pour avoir la même concentration en 10Be en surface va s’accroitre. En effet, la neige implique une atténuation de la production. Cette atténuation va dépendre de la densité de la neige (0,3 g.cm−3), de l’épaisseur du manteau neigeux (cm) et de son temps de résidence (mois/an). J’ai extrapolé l’enneigement actuel à l’Holocène, avec un maximum de deux mètres de neige répartis sur 6 mois. Si l’on recalcule la production pour le site de Aussois et Montsapey en tenant compte de la neige, la production va diminuer et le temps d’exposition va augmenter jusqu’à un âge de 12,452 ka et 14,111 ka (respectivement pour Aussois et Montsapey). Les âges sont représentés dans le tableau 3. En tenant compte d’un possible recouvrement par la neige, on obtient des âges maximaux d’exposition pour les polis glaciaires. En prenant compte d’un recouvrement neigeux actuel de 150 cm sur 5 mois, les temps d’expositions d’Aussois et de Montsapey sont respectivement de 11,698 ka et 13,258 ka. Ces âges sont les plus probables. Un recouvrement temporaire par une moraine est possible, mais nous n’avons pas observé un tel marqueur sur le terrain pour le certifier. En comparant les âges des polis en tenant compte de la neige, et les âges des blocs, on remarque que les blocs sont toujours plus vieux. Ceci nous permet donc de conclure que les âges des blocs contiennent bien de l’héritage de transport, mais qu’il est difficile de le quantifier. Pour confirmer notre hypothèse, nous pouvons prendre l’exemple du bloc erratique sur le glacier des Bossons, qui est un contexte actuel (Figure 9B). Les âges sur ce bloc plurimétrique diffèrent en fonction de la zone d’échantillonnage : BOSS 1 et 2 ont un âge moyen de 0,712 ±0.217 ka alors que BOSS 3 a un âge de 1,505 ± 0,257 ka. Le bloc a donc forcement un héritage différentiel sur css différents cotés. Nous pouvons donc conclure que les âges apparents des blocs erratiques contiennent de l’héritage et donc qu’ils ne sont pas représentatifs des âges de retrait des glaces. Les âges apparents des polis nous donnent un âge minium alors que les âges apparents des blocs nous donnent un âge maximum.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela clepfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
1 Contexte générale de l’étude 
2 Méthodes 
2.1 Rayons Cosmiques
2.2 Taux de production et facteurs d’échelles
2.2.1 Variabilité spatiale
2.2.2 Ecrantage topographique
2.3 Stratégie d’échantillonnage
2.4 Préparation des échantillons
2.4.1 Préparation et tri mécanique
2.4.2 Purification du Quartz
2.4.3 Substitution de l’Hf en acide nitrique (HNO3)
2.4.4 Extraction du béryllium et de l’aluminium
2.4.5 Analyse et mesure par spectrométrie de masse par accélérateur
3 Résultats 
3.1 Calculs des concentrations en 10Be et en 26Al
3.2 Calculs des incertitudes
3.3 Estimations de l’âge d’exposition et du taux d’érosion
3.3.1 Résultats analytiques pour les polis glaciaires
3.3.2 Résultats analytiques pour les blocs
4 Discussion 
4.1 Blocs versus Polis : Qu’est-ce que l’on date ?
4.2 Héritage possible dans les polis ?
Conclusion

Télécharger le rapport complet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *