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Connaissances sémantiques générales
La dénomination d’images ou d’objets, très fréquemment utilisée, permet d’évaluer l’évocation d’un nom à partir d’une entrée visuelle. Elle fait appel aux compétences de reconnaissance de l’objet, aux connaissances sémantiques et à la récupération du nom au sein du lexique phonologique de sortie. La production de paraphasies sémantiques est le signe d’une altération du système sémantique.
Les épreuves de catégorisation sémantique permettent d’évaluer plus spécifiquement l’intégrité du réseau de connaissances sémantiques, en explorant les différents niveaux de la structure du système sémantique (niveaux superordonné, de base et subordonné). La réussite de catégorisation du niveau subordonné implique la préservation d’informations sémantiques plus précises que celle du niveau superordonné. L’utilisation de mots est préférable car elle permet de ne pas s’appuyer sur le traitement visuel des objets.
Les épreuves d’appariement catégoriel ou fonctionnel consistent à sélectionner parmi plusieurs items (mots ou images) ceux qui entretiennent un lien sémantique.
Ces épreuves sont fréquemment utilisées en clinique et permettent d’évaluer les connaissances sémantiques générales (animaux, végétaux, objets, outils, etc.) mais ne permettent pas de faire la distinction entre un trouble d’accès et une perte des connaissances sémantiques. De plus, plusieurs d’entre elles nécessitent de bonnes capacités de production. Ces épreuves évaluant les connaissances sémantiques générales peuvent être complétées par une épreuve évaluant les connaissances liées aux personnes. Connaissances sémantiques liées aux personnes
Les batteries évaluant les capacités de dénomination, et pour certaines, les capacités d’identification de personnes sont, actuellement, moins connues mais aussi répandues à plus basse échelle puisqu’elles dépendent de la culture propre à un pays.
La batterie TOP 30 (Thomas-Antérion et Puel, 2006) permet d’évaluer les connaissances sémantiques associées à 30 personnes célèbres, sur la base des visages. Le patient est amené à évoquer les professions de ces personnes. S’il n’y parvient pas, on lui propose de reconnaître la profession parmi trois propositions. L’évocation du nom est ensuite demandée. En cas d’échec, une reconnaissance du nom est proposée : ce nom s’accompagne de deux distracteurs (de même profession, génération et physiquement proches). Cette batterie s’intéresse également aux informations plus spécifiques, le patient est invité à répondre à des questions ouvertes. Enfin, le sujet doit situer, sur une frise chronologique, quelle décennie a été marquée par cette personnalité. « Cette épreuve mobilise de façon importante les capacités de verbalisation du sujet, elle est de ce fait difficilement réalisée par des patients présentant des troubles du langage et/ou des capacités d’incitation verbale. » (Laisney et al., 2009). Une version abrégée (TOP10) existe également.
La batterie CELEB (Busigny et al., 2014) permet d’évaluer la reconnaissance des visages et l’anomie des noms propres. Cet outil informatisé calcule le score de reconnaissance visuelle et le score de dénomination, indépendants l’un de l’autre. Il prend en compte le temps de réponse des participants. Il comprend quatre subtests : dénomination, description sémantique, désignation parmi 5 noms (dont un distracteur sémantique, un distracteur visuel et un distracteur visuo-sémantique), et une question de connaissance pour chacune des 60 personnalités. Trois scores sont ainsi obtenus : un score de dénomination, un score de reconnaissance et un score de connaissance. Ces scores permettent de calculer deux indices : l’indice de reconnaissance faciale (dont la valeur reflète les difficultés gnosiques pour la reconnaissance des visages) et l’indice d’accès aux noms propres. Enfin, le temps de dénomination est comptabilisé et constitue un troisième critère diagnostique puisqu’un ralentissement significatif indique des difficultés d’accès aux noms propres.
La batterie d’évaluation de la mémoire sémantique relative aux personnes célèbres SemPer (Laisney, Eustache et Desgranges, 2009) évalue la reconnaissance et l’identification de personnes célèbres et nécessite peu de verbalisation de la part du patient. Trois types d’épreuves sont proposés. La familiarité des visages et des noms écrits est évaluée par une épreuve de classement selon que le patient connaît ou non les noms et les visages. 16 visages inconnus sont mélangés à 16 visages de personnes célèbres, 16 noms de personnes célèbres sont mélangés à 16 noms inventés. La dénomination des visages est évaluée à partir des visages classés comme connus. Enfin, des appariements sémantiques pour les visages et les noms écrits constituent le dernier type d’épreuves. Chaque personnalité cible est présentée avec deux autres personnalités, le patient doit déterminer quelle personnalité entretient un lien sémantique avec la personne cible. Deux niveaux de connaissances sémantiques sont évalués : un niveau superordonné (la profession) et un niveau subordonné en lien avec des caractéristiques plus fines avec cette profession. Les personnalités cibles sont les mêmes dans toutes les épreuves. Elles sont réparties équitablement selon quatre domaines : politique, chanson, cinéma et télévision. La présentation des mêmes items sous deux formats permet de distinguer un déficit d’accès d’un déficit central de la mémoire sémantique.
Le déficit central de la mémoire sémantique est la principale caractéristique de la démence sémantique.
Démence sémantique
La démence sémantique (DS) est une pathologie dégénérative résultant d’une atrophie focale asymétrique dégénérescente des lobes temporaux (Snowden, Goulding et Neary, 1989, Hodges, Patterson, Oxbury et Funnell, 1992). Ce trouble est caractérisé par une anomie sévère, des erreurs sémantiques, une compréhension de mots perturbée (Snowden, Thompson et Neary, 2004) ainsi qu’une perte de la signification des concepts et des objets.
La DS est considérée par certains comme la variante temporale des démences fronto-temporales (Hodges et Miller, 2001), comme la variante sémantique des aphasies primaires progressives (Mesulam, 2013 ; Gorno-Tempini, 2011), comme aphasie progressive fluente avec trouble de la compréhension (Adlam et al., 2006). Pour clarifier et faciliter le diagnostic de ces patients, un groupe de travail français a établi un consensus français sur le diagnostic et la prise en charge des patients atteints de DS (Moreaud et al., 2008).
Caractérisée par une atteinte relativement pure de la mémoire sémantique, la DS est une pathologie dont l’étude permet d’améliorer nos connaissances sur le fonctionnement cérébral du système sémantique. En effet, seule la mémoire sémantique est altérée : les patients atteints de démence sémantique conservent pendant plusieurs années de bonnes performances en mémoire épisodique, en mémoire à court terme, de bonnes capacités visuo-spatiales ainsi que des fonctions exécutives préservées. Moreaud et al. (2008) ont déterminé les critères de diagnostic de la DS, adaptés de Neary et al., (1998), et ont établi la distinction entre DS typique et DS atypique. Dans la DS typique, l’atteinte est multimodale alors que dans la DS atypique, le trouble sémantique est unimodal (verbal ou visuel).
En plus du manque du mot pour les objets et/ou personnes, les patients présentent soit un trouble de la compréhension des mêmes mots, soit un déficit de l’identification des mêmes objets et/ou personnes. S’ils restent « discrets et au second plan », d’autres troubles cognitifs (autres que sémantiques) et/ou neurologiques peuvent être associés.
La DS typique est définie comme une perte insidieuse et progressive des connaissances sémantiques. Elle se manifeste par un manque du mot pour les objets et/ou les personnes, un trouble de la compréhension des mots, un déficit de l’identification des objets et/ou personnes. Des modifications de la personnalité et du comportement, des paraphasies sémantiques, ainsi qu’une réduction de la fluence catégorielle peuvent être observées. (Moreaud et al., 2008). Le déficit n’est pas limité au domaine verbal : « les patients peuvent rencontrer des difficultés à reconnaître les visages, les objets, les odeurs, les goûts et les sons environnementaux non verbaux » (Snowden, Thompson et Neary, 2004, d’après, Snowden et al, 1996 ; Bozeat et al, 2000). Cette atteinte plurimodale montre l’atteinte centrale de la mémoire sémantique. Les mémoires épisodique et autobiographique sont préservées bien que Graham et Hodges (1997) et Piolino et al. (2003) parle de gradient temporel inversé.
Les patients sont conscients de leurs difficultés de production mais moins de leurs défauts de compréhension. Ils utilisent excessivement des termes de substitution tels que « truc », « machin » à la place d’items spécifiques. Les mots courants sont de moins en moins compris. Le manque du mot est important et l’ébauche orale n’est pas facilitatrice. Les difficultés sont majeures en dénomination, quelle que soit la modalité de présentation du stimulus : elles se manifestent par un manque du mot et des paraphasies sémantiques (le patient donne un co-hyponyme, « cheval » pour « zèbre » ou un hyperonyme « un animal ».) Le patient peut parfois donner la catégorie à laquelle appartient l’item mais ne peut parvenir à en donner les attributs caractéristiques. Ces erreurs suggèrent une dégradation des connaissances fines, des caractéristiques des concepts avec une préservation des connaissances superordonnées. On note aussi une réduction des performances dans des épreuves de fluence verbale avec cependant, de meilleurs résultats pour les épreuves utilisant un critère orthographique par rapport aux épreuves utilisant un critère catégoriel (Laisney, et al., 2009), caractéristique d’un déficit sémantique. Démence sémantique et reconnaissance de personnes célèbres
Chez les patients atteints de DS, la capacité à reconnaître et identifier les noms de personnes familières est meilleure que pour les noms célèbres (Snowden et al, 1994 ; Graham et al, 1997). Les connaissances conceptuelles seraient représentées à différents niveaux d’abstraction : le niveau le moins abstrait est celui où les informations sont ancrées dans des contextes spécifiques liés à l’expérience personnelle, le niveau le plus abstrait comprend les informations décontextualisées. Dans la DS, les niveaux de connaissances les plus abstraits seraient compromis, c’est pourquoi les patients s’appuieraient de plus en plus sur la signification basée sur l’expérience quotidienne personnelle (Julien, Thompson, Neary et Snowden, 2008).
Contrairement à l’étude de Snowden et al. (1994), celle de Graham et al. (1997) a montré que l’identification des noms familiers était très perturbée chez les patients atteints de DS. De plus, Graham et al. (1997) ont fait l’hypothèse que la fréquence d’exposition (plus haute pour les noms de personnes familières que pour les noms de personnes célèbres) et la récence des expériences autobiographiques pouvaient expliquer l’impact des connaissances personnelles directes lors des tâches de reconnaissance. Les auteurs ont conclu que « les productions des patients atteints de DS ne correspondent pas à d’authentiques connaissances sémantiques mais plutôt à des connaissances basées sur la mémoire épisodique ou sur des processus automatiques ou répétés » (Péron et al., 2015). Péron et al. ont montré que chez les patients DS, la reconnaissance des noms de personnes familières et la récupération d’informations les concernant sont meilleures que celles des noms de personnes célèbres, à l’inverse du groupe contrôle. Cette différence pourrait être due à la charge émotionnelle. Evaluer les connaissances liées aux personnes célèbres permet donc d’éviter ce biais, l’effet de la charge émotionnelle étant moins marqué.
Une étude de Gefen et al. (2013) montre que les patients atteints de démence sémantique rencontrent des difficultés majeures à dénommer des personnes célèbres à partir de visages, et des troubles de la reconnaissance de ces personnes, quoique moins importants. Alors que les sujets contrôles frôlent l’effet plafond, les patients DS ne peuvent quasiment pas nommer les personnes célèbres, bien qu’ils en reconnaissent près de la moitié.
Aphasie primaire progressive
Les premiers cas d’aphasie progressive (APP) ont été décrits à la fin du XXème siècle, certains patients présentaient conjointement des troubles progressifs du langage, de la mémoire ou du comportement. Une étude menée par Mesulam (1982) de 6 patients présentant des troubles relativement isolés et très progressifs du langage a fait apparaître le terme d’aphasie primaire progressive et a permis d’établir les premiers critères de diagnostic. Les cas d’APP étaient alors catégorisés comme des patients atteints de démence sémantique ou bien d’aphasie progressive non fluente. Cette classification binaire ne permettant pas de classifier un certain nombre de cas d’APP, Mesulam et Weintraub (1992) ont proposé le terme « logopénique » pour désigner les patients chez qui la grammaire et la compréhension étaient préservées mais qui présentaient des hésitations sur les mots et une anomie.
Selon Mesulam (2013), trois critères sont nécessaires pour retenir le diagnostic d’APP. Le patient doit avoir un trouble aphasique progressif d’apparition récente se manifestant par des distorsions de plus en plus importantes des mots ou de la compréhension qui ne peuvent être imputés à des déficits moteurs élémentaires ou à des déficits perceptifs. Le trouble du langage doit constituer le déficit neurocomportemental le plus prégnant et l’obstacle principal à la poursuite des activités de la vie quotidienne, pendant les phases initiales de la maladie. Enfin, l’imagerie et les autres tests de diagnostic neurologique doivent montrer qu’il s’agit d’une pathologie dégénérative.
Chez certains patients, les principaux signes et symptômes restent confinés au domaine du langage pendant 10 à 14 ans. Chez d’autres, d’autres fonctions cognitives peuvent être perturbées après quelques années mais le trouble du langage reste la caractéristique principale, et celui qui se détériore le plus rapidement (Weintraub, Rubin, Mesulam, 1990).
Dans la dernière classification de 2013, Mesulam distingue 5 sous-types d’APP : la variante sémantique et les variantes agrammatique, logopénique, anomique, et mixte. L’APP sémantique correspond à la démence sémantique alors que les APP agrammatique et logopénique sont connues sous le nom d’aphasies progressives non fluentes. Dans l’APP agrammatique, la structure grammaticale est perturbée à l’oral ou à l’écrit, en l’absence d’un trouble significatif de la compréhension des mots. L’expression est généralement peu fluente sans forcément relever de la dysarthrie ou de l’apraxie. La forme logopénique est caractérisée par une préservation de la grammaire et de la compréhension des mots. Le discours comprend de nombreuses hésitations sur les mots et des paraphasies phonémiques. La dénomination d’objets peut être perturbée et peut constituer le seul élément significatif de l’examen neuropsychologique.
L’APP est due à une atrophie asymétrique de l’hémisphère langagier dominant. La variante agrammatique serait associée à une atrophie postérieure du lobe frontal, et la variante logopénique relèverait d’une atrophie temporo-pariétale du réseau langagier (Mesulam et al., 2012 ; Sapolsky et al., 2010). La neuropathologie et les biomarqueurs retrouvent une maladie d’Alzheimer dans 50 à 100 % des cas des APP logopéniques. Cette variante se classe donc hors du cadre des dégénérescences lobaires fronto-temporales, contrairement aux APP agrammatique et sémantique (Magnin et al., 2015). Aphasie primaire progressive et reconnaissance de personnes célèbres
Peu d’études évaluent les difficultés de reconnaissances des personnes dans l’APP. Une étude de Gefen et al. (2013) montre que les APP logopéniques ont d’importants troubles de la dénomination de visages de personnes célèbres, mais pas de troubles de la reconnaissance de ces personnes. Les APP agrammatiques n’ont pas non plus de troubles de la reconnaissance des visages mais des troubles modérés de la dénomination de visages. Par ailleurs, cette étude montre que les déficits d’identification sont corrélés au degré d’atrophie du lobe temporal antérieur droit alors que les troubles de la reconnaissance faciale sont associés à une atrophie bilatérale des lobes temporo-antérieurs. La dénomination de visages serait donc dépendante de l’intégrité du réseau langagier de l’hémisphère gauche tandis que la reconnaissance des visages serait dépendante de l’intégrité du réseau bilatéral, ou en majorité à droite.
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Table des matières
Introduction
Partie théorique
1. La mémoire sémantique
Système sémantique unique amodal vs système sémantique multiple
Organisation des connaissances sémantiques
2. Modèles de reconnaissance des personnes
Le modèle séquentiel de Bruce et Young (1986)
Le modèle connexionniste IAC (Interactive Activation and Competition)
Le modèle de Gainotti (2014)
3. Evaluation des connaissances sémantiques
Connaissances sémantiques générales
Connaissances sémantiques liées aux personnes
4. Démence sémantique
Démence sémantique et reconnaissance de personnes célèbres
5. Aphasie primaire progressive
Aphasie primaire progressive et reconnaissance de personnes célèbres
6. La maladie d’Alzheimer
Maladie d’Alzheimer et reconnaissance de personnes célèbres
Partie expérimentale
1. Problématique, objectifs et hypothèses théoriques
Problématique
Objectifs et hypothèses théoriques
2. Méthodes et matériel
Description de la population
Description des tests utilisés
3. Etude de cas uniques multiples dans la MA, l’APP et la DS
Résultats des patients à la batterie SemPer
Résultats des épreuves langagières et neuropsychologiques
Discussion
Conclusion
Références
Annexes
Annexe 1 : Modèle de reconnaissance des personnes (Gainotti, 2014)
Annexe 2 : Résultats des patients aux épreuves langagières et neuropsychologiques complémentaires
Annexe 3 : Performances des patients aux épreuves de familiarité de visages et de noms,
d’appariements de visages et de noms, et de dénomination de visages.
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