L’histoire des souches de Acinetobacter est marquée par une évolution impressionnante de la résistance aux antibiotiques en termes de rapidité et de diversité des mécanismes et des supports génétiques mis en jeu [41]. Longtemps considérée comme un contaminant des prélèvements bactériologiques, cette bactérie est plutôt un agent responsable d’infections. Le genre actuel comprend une trentaine d’espèces parmi lesquelles Acinetobacter baumannii est la plus représentée en bactériologie clinique. Petit à petit, la résistance aux antibiotiques de cette espèce évoluant très rapidement, A. baumannii a commencé à intéresser bactériologistes et cliniciens, et surtout a commencé à les inquiéter [9, 17, 41, 107]. Cette espèce est un germe pathogène d’infections opportunistes chez l’Homme [126]. La gravité et l’évolution souvent fatale de ces infections sont dues à la conjonction d’un terrain immunodéprimé et à une bactérie ayant une capacité d’acquérir et d’accumuler des facteurs de résistance à de nombreux antibiotiques. Ces caractéristiques en font un agent d’infections nosocomiales de prédilection particulièrement chez les sujets fragilisés, hospitalisés en soins intensifs ou en chirurgie [107]. L’espèce de A. baumannii est le plus souvent responsable de pneumopathies liées à la ventilation mécanique, d’infections de la peau et des tissus mous, d’infections du tractus urinaire, de bactériémies et de méningites postopératoires [10, 43, 72, 83, 111]. Ces infections nosocomiales sont liées à des facteurs de risque comme des antécédents de chirurgie, les séjours en unité de soins intensifs, des antécédents d’antibiothérapie et la présence de procédures invasives (ventilation mécanique, sonde urinaire, cathéters intravasculaires) [11, 72, 82, 107]. Cette bactérie est également responsable d’infections communautaires, notamment de pneumopathies communautaires [29]. Ces dernières sont souvent rapportées chez des patients présentant des comorbidités : vieillesse, tabagisme, diabète, bronchopneumopathies chroniques obstructives, maladies rénales [51].
En effet des souches épidémiogènes de plus en plus résistantes ont été à l’origine de bouffées épidémiques [9, 17, 107]. La situation épidémiologique hospitalière est variable suivant les régions, avec des épidémies de plus ou moins à grande ampleur sur un fond endémique faible en Europe de l’Ouest, et une situation plutôt hyper endémique ou d’épidémie permanente en zones intertropicales [44, 82, 97, 131]. L’incidence de ces infections a considérablement augmenté durant ces dernières années. Cette bactérie occupe actuellement une place importante en pathologie hospitalière à l’échelle mondiale, avec une morbidité et un taux de mortalité élevé surtout chez les patients immunodéprimés allant de 26,5 % à 91% [112, 127]. Dans une étude internationale de la prévalence des infections dans les unités de soins intensifs, Acinetobacter représentait 8,8% des souches isolées avec de grandes variations entre les continents [133].
Généralité sur Acinetobacter spp
Historique
La découverte du genre Acinetobacter remonte au début du XXème siècle, en 1911 quand Beijernick, un microbiologiste allemand avait décrit un micro-organisme du sol qu’il avait nommé Micrococcus calcoaceticus en le cultivant dans un milieu enrichi en calcium-acétate [8]. Plusieurs espèces bactériennes similaires ont été découvertes par différents scientifiques durant les quatre décennies qui ont suivi et avaient donné au même organisme différents noms et l’avaient attribué à au moins 15 genres et espèces[18]. L’appellation actuelle du genre, Acinetobacter [Du grec ακινɛτοσ [akinetos], i.e., immobile] fut proposée pour inclure toutes les espèces immobiles appartenant à Achromobacter par Brisou et Prévot [21]. Avec les études biochimiques comparatives approfondies menées par Baumann et al., le genre Acinetobacter a été finalement retenu et reconnu par le comité de la nomenclature des bactéries dans la taxonomie de Moraxella et bactéries alliées en 1971 [6, 87]. En 1986, Acinetobacter baumannii a été reconnu suite à l’étude de Bouvet et Grimont qui a identifié 12 espèces de Acinetobacter dont A. baumannii qu’ils ont nommé en l’honneur des biologistes américain Paul and Linda Baumann .
Définition
L’espèce A. baumannii est une bactérie pathogène opportuniste à Gram négatif, immobile, glucose-non fermentant et oxydase négative. Elle peut survivre sur des surfaces sèches pendant 5 mois, grâce à :
– la simplicité des besoins nutritionnels,
– la capacité à se développer en présence de températures et de pH variables,
– le degré élevé de la résistance aux désinfectants et aux antiseptiques,
– la capacité à former un biofilm sur les substrats abiotiques (les surfaces environnementales ou les dispositifs médicaux, tels que les cathéters ou les équipements) ainsi que les surfaces [59].
Classification
Actuellement, le genre Acinetobacter englobe 25 espèces auxquelles un nom officiel a été donné et d’autres sont reconnues sans attribution d’un nom officiellement [97]. Les espèces ayant un nom officiel sont comme suit : A. baumannii, A. baylyi, A. beijerinckii, A. bereziniae, A. bouvetii, A. calcoaceticus, A. gerneri, A. grimontii, A. guillouiae, A. gyllenbergii, A. haemolyticus, A. johnsonii, A. junii, A. lwoffii, A. nosocomialis, A. parvus, A. pittii, A. radioresistens, A. schindleri, A. soli, A. tandoii, A. tjernbergiae, A. towneri, A. ursingii et A. venetianus [97]. Certaines espèces sont très proches les unes des autres et il est difficile de les distinguer phénotypiquement. En raison de leur haute ressemblance, le terme de complexe A. calcoaceticus baumannii [Abc] a été créé par Gerner-Smidt et al., pour regrouper ces quatre espèces : A. calcoaceticus, A. baumannii, A. pittii, et A. nosocomialis [73].
Caractères bactériologiques
Caractères morphologiques
A. baumannii est un coccobacille à Gram négatif mesurant 1 à 1,5 μm de large et de 1,5 à 2,5 μm de long et parfois difficilement décolorable, immobile, glucosenon fermentaire, aérobie stricte, catalase positive et oxydase négative avec un contenu en guanine + cytosine de 39-47% (figure 1) [117]. Ils possèdent une nitrate réductase mais ne les réduisent pas en milieu complexe [73].
Caractères culturaux
La plupart des espèces de Acinetobacter sont métaboliquement polymorphes et peuvent pousser facilement dans des milieux de culture usuels avec une température optimale entre 33 à 35 °C, formant des colonies convexes, circulaires et lisses de moins de 2 mm de diamètre [73, 107]. Certaines colonies sont pigmentées d’un jaune pâle au gris et peuvent apparaître muqueuses si la souche est encapsulée (Figure 2). Ce sont des bactéries sporulées mais peuvent posséder une capsule dans certains prélèvements pathologiques [73].
Caractères biochimiques
C’est une bactérie aérobie stricte non fermentaire, catalase positive, oxydase négative [ce qui la différencie des Neisseriae]. Les tests classiques sont le plus souvent négatifs :
➤ Absence de décarboxylase pour la lysine [LDC [-]], l’ornithine [ODC [-]] et l’arginine [ADH [-]].
➤ Absence de désaminase pour la phénylalanine et le tryptophane.
➤ Absence de thiosulfate réductase [H2S [-]], de tryptophanase [IND [-]], de désoxyribonucléase et de bêta-galactosidase [ONPG [-]].
➤ Absence de gélatinase [GEL [-]].
➤ Absence de nitrate réductase [NIT [-]]
➤ Acidification sans production de gaz du glucose [GLU [+]], arabinose [ARA [+]] et mélibiose [MEL [+]] [69].
Caractères antigéniques
Facteurs de virulences
Récemment des analyses concernant le séquençage du génome, des manipulations génétiques et des applications sur un modèle animal ont permis d’élargir les connaissances actuelles concernant les facteurs de virulences. Parmi les déterminants de la virulence responsables de la pathogénicité chez A. baumannii, on peut y mentionner : les lipopolysaccharides (LPS), les capsules polysaccharides (CPS), la protéine A de la membrane externe chez A. baumannii (ou Acinetobacter baumannii outer membrane protein A (AbOmpa)), les vésicules de la membrane externe (outer membrane vesicules (OMV), la phospholipase D (PLD) et les biofilms [92].
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Table des matières
INTRODUCTION
I. GENERALITE SUR ACINETOBACTER SPP
I.1 HISTORIQUE
I.2. DEFINITION
I.3. CLASSIFICATION
I.4. CARACTERES BACTERIOLOGIQUES
I.4.1. Caractères morphologiques
I.4.2. Caractères culturaux
I.4.3. Caractères biochimiques
I.4.4. Caractères antigéniques
I.4.4.1. Facteurs de virulences
I.4.4.1.1. Les lipopolysaccharides (LPS)
I.4.4.1.2. Les polysaccharides capsulaires (CPS)
I.4.4.1.3. La protéine A de la membrane externe (AbOmpA)
I.4.4.1.4. Les vésicules de la membrane externe (OMV)
I.4.4.1.5. La phospholipase D
I.4.4.1.6. Les biofilms
I.5. ÉPIDEMIOLOGIE
I.5.1. Habitat
I.5.2. Mode de transmission
I.5.3. Persistance dans le milieu hospitalier
I.5.3.1. Survie sur les surfaces sèches
I.5.3.2. Adhésion aux cellules épithéliales humaines
I.5.3.3. Croissance dans des conditions limitées en fer
I.5.4. Facteurs de risque d’acquisition d’un Acinetobacter baumannii multirésistant (AbMR)
I.6. POUVOIR PATHOGENE
I.6.1 Physiopathologie
I.6.2. Manifestation clinique des infections à Acinetobacter baumannii
I.6.2.1. Les pneumopathies
I.6.2.1.1. Pneumopathies nosocomiales
I.6.2.1.2. Pneumopathies communautaires
I.6.2.2. Bactériémies
I.6.2.3. Infections de la peau et des tissus mous
I.6.2.4. Les infections du tractus urinaires
I.6.2.5. Méningites post chirurgicale
I.7. DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE DE ACINETOBACTER BAUMANNII
I.8. ÉLEMENTS DE THERAPIES
II. Β-LACTAMINES, CLASSIFICATION ET MODES D’ACTION
II.1. DEFINITION
II.2. CLASSIFICATION ET MODE D’ACTION
II.2.1. Les pénames
II.2.2. Céphèmes
II.2.3. Carbapénèmes, oxapénames et monobactames
II.2.3.1. Chimie des carbapénèmes
II.2.3.2. Mode d’action
II.2.3.3. Activité antibactérienne
III. RESISTANCES AUX Β-LACTAMINES
III.1. DEFINITIONS GENERALES
III.1.1. La colonisation bactérienne
III.1.2. Infection bactérienne
III.1.3. Résistance clinique
III.1.4. La pression de sélection
III.2. MULTI-RESISTANCE BACTERIENNE
III.2.1. Bactérie multi-résistante
III.2.1.1. Définition
III.2.2. Émergence des souches de Acinetobacter baumannii multirésistantes
III.2.2.1. Problèmes liés à l’émergence des souches multi-résistantes
III.2.2.2. Lien entre mésusages des antibiotiques et bactéries multirésistantes
III.3. MECANISMES DE RESISTANCES AUX BETA-LACTAMINES
III.3.1. Les phénotypes de résistance
III.3.2. Mécanismes de résistance naturelle
III.3.2.1. Définition
III.3.2.2. Mécanismes de résistance
III.3.2.2.1. Mécanismes enzymatiques
III.3.2.2.2. Mécanismes non enzymatiques
CONCLUSION
