L’INTERACTION ENSEIGNANT-ELEVE
MÉTHODOLOGIE
La démarche de cette recherche consiste en une triangulation des méthodes qui ont chacune leur utilité et leur apport :
a) La méthode clinico-critique de Jean Piaget (Ducret, 2016) b) La méthode « Prédire, agir et observer » (Giglio & Perret-Clermont, 2012) c) L’autoconfrontation croisée (Clot, 2001) La première méthode utilisée a servi à une partie de la recherche qui était exploratoire et préalable à la récolte de données qui devaient être utilisées pour ce mémoire. Toutefois, il a été décidé d’utiliser également les matériaux récoltés de façon exploratoire. Avant de 23 réellement lancer cette recherche, j’ai fait le choix de saisir l’opportunité d’être enseignant pour observer dans ma pratique mes comportements avec mes élèves et de tenir compte de certains principes théoriques que Monteil (1997) a recensés concernant le thème de l’échec scolaire et l’impact des croyances négatives sur soi (ex : je suis mauvais en math) et sur autrui ( ex : un enseignant pense qu’un de ses élèves est mauvais en math). Si un élève pense être mauvais dans une discipline, différents mécanismes cognitifs vont l’amener à réussir moins bien (Monteil, 2008). Mais que se passerait-il si certains élèves qui ont potentiellement ce type de croyance négative sur eux-mêmes commencent leur année avec un nouvel enseignant et un test réussi avec succès ?
J’ai donc cherché à étudier des élèves en difficulté scolaire, c’est à dire des élèves en difficulté dans plusieurs matières. Pour me faire une idée des élèves en difficulté, j’ai pu parfois discuter avec leurs enseignants de l’année précédente (qui étaient parfois également leurs enseignants de classe cette année). J’ai tâché d’être attentif aux élèves en difficulté concernant leur préparation à la première épreuve. Pour ce faire, j’ai veillé à ce qu’une révision soit faite en classe afin qu’ils comprennent au mieux la matière. Dans un deuxième temps, pendant l’épreuve, j’ai fait en sorte de soutenir particulièrement ces élèves-là de afin que certains d’entre eux aient une note suffisante qu’ils n’auraient pas forcément obtenue sans mon aide. Le but était ainsi de développer leur sentiment d’efficacité personnelle ou d’auto-efficacité, deux concepts développés par Albert Bandura (2003). Il est toutefois vrai que le modèle de Bandura est à nuancer, car la construction du signifié des élèves lors d’évènements n’est que peu prise en considération.
A travers cette démarche, je souhaitais injecter un élément qui pourrait influencer positivement la trajectoire scolaire d’élèves en difficulté et plus particulièrement étudier si le fait que des élèves en difficulté scolaire réussissent leur première épreuve de géographie modifiait leur comportement en cours de géographie. Mon but était aussi d’être attentif à l’évolution de leur parcours. Une fois le résultat suffisant acquis, se comportaient-ils
différemment? Se concentraient-ils mieux ? Arrivaient-ils mieux à réussir lors des épreuves suivantes sans une aide aussi poussée ? Tels sont les types de questions auxquelles je cherchais à répondre. Au même titre que l’étude quantitative menée par Fabien Fenouillet et Alain Lieury (1996) visait à mesurer les effets des renforcements positifs et négatifs sur les élèves en géographie, mon but était d’estimer qualitativement les effets d’un renforcement positif sur les élèves dans cette même discipline. Mon objectif était aussi, en tant qu’enseignant, que les 24 élèves, en ayant la moyenne, se sentent capables de réussir et puissent, si possible, entrer dans
un cercle vertueux.
Cette partie de la recherche s’est inspirée de la méthode clinico-critique de Jean Piaget (Ducret, 2016) et consistait à observer ce qui se passe en injectant un élément dans le système qui modifiait en quelque sorte les règles du jeu. Comme je l’ai dit, j’ai visé à faire en sorte que les élèves en difficulté aient une note suffisante dans leur premier test (sans intervention de ma part, il est probable que peu des élèves en difficulté auraient pu avoir une note suffisante par leurs propres moyens). L’aide fournie ne consistait pas à donner les réponses, mais à effectuer parfois un guidage très poussé qui permettait à certains élèves de deviner certaines réponses, ce qui leur permettait d’avoir ensuite suffisamment de points. L’utilisation de la méthode clinicocritique dans le cadre de cette étude était toutefois originale dans le sujet comme dans la forme.
Si Jean Piaget effectuait des micro-génèses à l’aide sa méthode, autrement dit étudiait des courtes séquences (Inhelder & de Caprona, 1992), j’ai utilisé cette méthode de manière plus large en étudiant l’évolution du comportement de certains élèves sur plusieurs leçons de géographie. Si cette démarche de recherche revêt un aspect exploratoire et ressemble à une expérience du point de vue du sens commun, elle ne peut pas être qualifiée de méthode expérimentale, car elle n’est pas à assimiler avec les méthodes expérimentales scientifiques classiques (Cadario, Butori & Parguel, 2017) utilisée dans des recherches quantitatives en psychologie. En effet, dans cette recherche, il n’y a pas de condition contrôle permettant statistiquement de déterminer si c’est le fait de donner aux élèves une première note suffisante qui a une influence, en comparant cela avec une autre observation dans une classe où aucun effort particulier n’est fait pour aider les élèves à avoir la moyenne lors de leur premier test.
D’ailleurs, pour qu’il soit possible de parler de méthode expérimentale, il aurait fallu avoir un échantillon d’élèves bien plus large et veiller à ce que les échantillons choisis soient représentatifs d’une population d’élèves normale.
Dans l’analyse de mes auto-observations en tant qu’enseignant auprès des élèves en difficulté, un effort particulier sera fait pour montrer les évolutions de tous les élèves qui ont été aidés afin d’avoir la moyenne, mais également pour les deux élèves qui sont passés entre les mailles du filet et n’ont pas eu la moyenne lors de leur premier test (l’un d’eux était un élève en difficulté). Cette méthode a surtout l’originalité qu’elle vise à tester l’application des savoirs scientifiques recensés par Monteil (2008) dans le domaine de la réussite et l’échec scolaire. En effet, les croyances des élèves par rapport à leurs compétences conditionnent énormément leurs comportements et leur réussite future (Monteil, 2008). De manière plus générale, plus un élève s’habitue à être en échec, plus il lui est difficile d’évoluer vers la réussite car plusieurs facteurs tendent à favoriser le statut quo (Monteil, 2008). Dans cette partie exploratoire, la sous-question de recherche qui la sous-tend pourrait être celle-ci : Que se passe-t-il lorsque des élèves en difficulté commencent une nouvelle année scolaire avec une notesuffisante ?
Cette auto-observation sera donc utilisée lors de l’analyse des données. En effet, une dizaine de pages seront consacrées aux résultats parfois étonnants obtenus suite à cette expérimentation.
Ces éléments ne représentaient toutefois que le début du travail. La suite du travail, plus ambitieuse, visait à étudier comment un enseignant fait évoluer sa propre pratique auprès d’élèves de différents niveaux. Afin de pouvoir répondre à la question de recherche, il était important de pouvoir obtenir des données sur les thèmes suivants : a. Des données concernant les croyances et idéaux des enseignants participant à l’enquête. b. Des données concrètes d’activités en classe permettant de se baser non pas seulement sur le récit des enseignants, mais également sur des faits observés et donc plus objectifs.
c. La récolte de données devait se faire sur plus d’un cycle d’enseignement et permettre d’observer comment un enseignant fait évoluer sa propre pratique. Le choix a donc été fait de faire porter la suite de l’étude sur une seule enseignante et sa classe, pour pouvoir effectuer une récolte de données longitudinales. Afin d’avoir une activité à la fois complexe, mais qui ne laisse pas de place à la subjectivité (ce qui ne serait pas intéressant pour cette étude), il a été choisi, en accord avec l’enseignante, que l’observation allait porter sur des activités de français et plus particulièrement sur des phrases où il manquait le verbe. En fonction des autres mots dans la phrase, des indicateurs temporels, du déterminant et d’autres éléments, les élèves devaient déterminer quel était le temps du verbe adapté à la phrase.
Ils devaient dans un deuxième temps le conjugue. Le choix de cette activité est toutefois plus complexe qu’il n’y paraît. Concernant l’activité qui allait être observée en classe, il était essentiel que celle-ci se situe dans la zone de développement proximale (Vygotsky, 1978) des élèves, c’est à dire que les élèves aient la capacité d’acquérir et de mobiliser les compétences requises de l’activité (ce 26 qui ne serait pas le cas si on demandait à un élève qui apprend à lire de faire une dissertation).
Ainsi, il n’a pas été proposé à l’enseignante étudiée de réaliser une activité qui sort du cadre, mais au contraire de l’étudier lors d’une tâche dite complexe qui fait partie du cadre de l’enseignement. Le choix de l’activité posait aussi une seconde question stratégique : Fallait-il choisir une activité créative ou une activité davantage cadrée? Avoir une activité créative peut stimuler les élèves et potentiellement faire ressortir les biais de l’enseignante et ses attentes implicites quant à la tâche. Toutefois ces thèmes ne sont pas directement ceux qui sont étudiés dans le cadre de ce mémoire. Ajouter « une déviation minime » au sens de Schumacher, Coen et Steiner (2010, p.119) aurait l’inconvénient de créer une situation de base asymétrique. En effet, si l’on imagine une activité où les élèves doivent créer une poésie avec tant de vers et syllabes, ils disposeraient d’une marge de manœuvre. En revanche, dans cette étude, il apparaissait plus pertinent d’étudier une tâche complexe, c’est à dire une tâche qui mobilise plusieurs compétences à la suite, mais qui requiert une seule réponse exacte.
La méthodologie « prédire, agir et observer » (Giglio & Perret-Clermont, 2012) paraissait pertinente pour capter l’expertise du professeur et ses prévisions avant l’activité : « Par sa formation, par son expérience, par ses essais passés à résoudre toutes sortes de difficultés, il a déjà acquis des savoirs et des savoir-faire qu’il peut être invité à partager avec nous. Par exemple, un enseignant prépare une leçon. Mais, avant de la réaliser, il va nous expliquer ses choix, les raisons de ses choix et comment il imagine que l’activité qu’il va mettre en place dans sa classe se passera. » (Giglio & Perret-Clermont 2012, p.7) « Il tente notamment, de prédire les réactions des élèves, le type de performances qu’il pourra observer et les difficultés qui l’attendent avec le plus de précision possible […] Et ceci pour chaque moment de la leçon planifiée. » (Giglio & Perret-Clermont 2012, p.9) Lorsque l’enseignant prédira ce qui se passera, il sera notamment important de comprendre les interactions prévues entre les items suivants : Les outils, l’enseignant, les élèves, la division des rôles et du travail (Giglio, 2010; PerretClermont & Giglio, 2009 ; Giglio & Perret-Clermont, à paraître).
Par ailleurs, cette méthode, au même titre que l’autoconfrontation croisée d’Yves Clot, s’intéresse également au regard après coup de l’enseignant sur l’activité. Dès lors, une autoconfrontation allait conclure chaque observation de terrain. Dans cette recherche, l’enseignante n’allait toutefois pas être confronté à des images d’elle en action, mais à des récits de ce que le chercheur a observé. Il ne s’agit pas de dire à l’enseignante ce qu’elle a bien fait ou mal fait, 27 mais de pouvoir voir l’évolution entre les prédictions, la réalisation et les réflexions de l’enseignante après coup sur la manière dont elle a vécu l’activité et sa préparation. En effet, « la tâche relève de la prescription […]. A l’opposé, l’activité est ce qui se fait. (Clot, p.18 in Leplat & Hoc, 1983) » « Le réel de l’activité, c’est aussi ce qui ne se fait pas, ce que l’on cherche à faire sans y parvenir. » (Clot, 2001) « L’activité retirée, occultée ou repliée n’est pas absente pour autant. Elle pèse de tout son poids dans l’activité présente. » (Clot, 2001) Par contre, il est vrai que la méthodologie prédire, agir et observer est traditionnellement utilisée lorsqu’un enseignant réalise une tâche à laquelle il n’est pas habitué. Dans la présente étude, l’enseignante réalisera une tâche qui peut, certes, être nouvelle pour elle au sens où elle n’a pas forcément déjà réalisé précisément cette activité. En revanche, comme cette activité fera partie de son programme et qu’elle a probablement choisi une activité qu’elle maîtrise et dans laquelle elle se sent à l’aise, l’enseignante se trouvera plutôt en terrain connu. Toutefois, il y a des pans d’inconnu concernant le comportement et la réaction des élèves. Comme la recherche porte sur la manière dont l’enseignante définit sa pratique professionnelle avec des élèves de différents niveaux, le fait qu’elle se trouve en terrain plutôt connu concernant l’activité faite en classe avec les élèves ne pose aucun problème.
Ainsi, pour résumer, en plus des données récoltées lors de l’auto-observation, il y aura trois types de données : a. Les interviews effectuées avec l’enseignante pour prédire l’activité. b. Les notes liées à l’observation de l’activité. c. L’auto-confrontation avec l’enseignante après l’activité. Le fait que cette démarche soit réalisée à deux reprises permet également d’étudier la façon dont l’enseignante va faire évoluer sa pratique en fonction de ses propres prises de conscience suite aux retours effectués par le chercheur. En effet, la première auto-confrontation va permettre à l’enseignante de prendre connaissance des décalages entre ce qu’elle pense faire et ce qui se passe réellement en classe. Cela va donner lieu à des adaptations qui seront discutées lors de la prédiction de la deuxième activité et il sera aussi possible de voir lors de cette deuxième activité observée ce qui a changé ou non.
Le désavantage de cette méthodologie est qu’elle s’effectue sur une seule enseignante. On ne peut donc pas légitimement considérer que les mécanismes qui en découlent sont généralisables. En revanche, le fait d’étudier la même enseignante sur plus d’un cycle permet clairement d’étudier l’évolution de sa pratique et la manière dont elle s’adapte à des élèves de différents niveaux et c’est bien là le but de cette étude.
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Table des matières
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS
RESUME
INTRODUCTION
L’ORIGINE DE MES QUESTIONNEMENTS
ÉTAT DE LA LITTÉRATURE
UN RAPPEL DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE SUR L’EVALUATION
L’EVALUATION, UNE DEMARCHE CULTURELLE
ÉVALUATION ET « INTELLIGENCE
LES DIFFERENTS CODES LANGAGIERS, FACTEURS DE REUSSITE OU D’ECHEC SCOLAIRE
DES SITUATIONS D’APPRENTISSAGE CONFUSES
ET LA PROBLEMATIQUE DU GENRE DANS TOUT CA ?
LES EFFETS D’UN ENSEIGNEMENT DIFFERENCIE SUR DES ELEVES DE DIFFERENTS
NIVEAUX
L’INTERACTION ENSEIGNANT-ELEVE
PROBLÉMATIQUE
QUESTION DE RECHERCHE
MÉTHODOLOGIE
LA METHOLOGIE EN DETAIL
CONCEPTS UTILISES DANS CE TRAVAIL
AUTO-OBSERVATIONS, EXPERIMENTATIONS ET EMERGENCE DES
HYPOTHESES
REACTION DES ELEVES AUX EVALUATIONS SOMMATIVES ET FORMATIVES :
JOSEPHINE ET MARGHARITA, LES DEUX ELEVES DE
EME ANNEE
FANNY ET PENNY, LA CONFUSION INVOLONTAIRE
RAISSA, LOUVE ET MAGDALENA, LES TROIS ELEVES DE EME ANNEE
JACQUES ET KYLIAN, LES DEUX ELEVES DE
EME QUI RATENT LA PREMIERE EPREUVE
ANALYSE ET LIMITES DE L’AUTO-OBSERVATION
ENTRE REGLEMENTS RIGIDES ET TRAVAIL SOUPLE, UN CONFLIT D’INTERET INCONCILIABLE?
LES CONTRADICTIONS ENTRE IDEAUX ET PRATIQUE
DES ELEVES QUI RECOIVENT UNE ATTENTION DIFFERENCIEE
DES ELEVES EN DIFFICULTE INDUMENT VALORISES, UNE STRATEGIE REELEMENT EFFICACE?
L’INCONTOURNABLE GENRE, FACTEUR DE PREFERENCES
L’ELEVE, A LA RECHERCHE D’UN EQUILIBRE COMPLEXE
L’ENSEIGNANT, UN INDIVIDU AVEC SES CARACTERISTIQUES PROPRES
UN PORTRAIT DE L’ENSEIGNANT IDEAL
L’EVALUATION, UN OUTIL APPROXIMATIF
L’EVALUATION BINAIRE, UN OUTIL DISCUTABLE
L’ETHIQUE DANS CE TRAVAIL
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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