Traitement et gestion des archives et des bibliothèques
DU MERCHANDISING EN BIBLIOTHEQUE
Définition et application sur le champ de la librairie
Selon la bible du marketing en France, le Mercator , le merchandising se définit comme l’ensemble des méthodes et techniques d’implantation et de produits dans les magasins, en vue d’accroître les ventes et/ou la rentabilité de ces produits. A première vue, on voit difficilement cette définition s’appliquer aux produits culturels, et encore moins en bibliothèque !
En librairie pourtant, tout le monde le pratique, les grandes chaînes comme les indépendants. Il s’agit en clair de fabriquer une vitrine, des tables attrayantes et d’utiliser des présentoirs au bon endroit à bon escient, afin de mettre en valeur les nouveautés, les coups de cœur, ou autres sélections liées ou non à l’actualité. En vitrine, à l’avant des magasins, en « zone chaude », on trouve communément les mêmes valeurs sûres pourvoyeuses du chiffre d’affaires indispensable. Et il n’est pas dans l’intérêt du libraire de les cacher au fond du magasin ou sous une table, aussi le minimum est-il de savoir les mettre en scène. La différence va se faire sur tous les autres titres moins ou peu médiatisés. Ils auront peut-être eu un article dans Le Monde, hélas la presse écrite est moins influente aujourd’hui que la télévision ou les réseaux sociaux. S’ils sont rangés dès leur parution à l’unité dans le rayon, voire sous la table, ils ont peu de chance de se vendre. Mais si le libraire croit à l’un de ces titres, en a commandé plus d’un exemplaire, sait en parler et le montre au bon endroit, la probabilité de vente est multipliée. Il faut évidemment bien connaitre les zones chaudes et froides du magasin, étudier le sens de circulation du client, pour faire en sorte que chaque endroit soit visité par le client. En librairie, les fonds spécialisés, qui correspondent à un besoin sont fréquemment disposés au fonds du magasin en zone froide. La zone chaude constitue un appel.
L’Institut National de Formation de la Librairie (INFL) dispense une formation une formation sur la mise en valeur des assortiments13 et donne ainsi des grands principes :
– Mettre en avant la nouveauté, en suivant l’actualité éditoriale, et le fonds pour mettre en évidence le projet commercial.
– Suivre la saisonnalité : suivre les saisons, les évènements pour être en phase avec les centres d’intérêts des clients : saison du jardinage, vacances, rentrée scolaire, Tour de France…
– Donner du sens aux présentations : prévoir une signalétique, donner un titre à la sélection, qui indique un message.
– Varier les éditeurs, les publics, les supports, les rayons.
– Choisir un emplacement : en vitrine, au comptoir de vente, dans le rayon, à l’entrée.
– Utiliser des techniques de mise en scène : podium, table, étagère, illustration, affiche… et s’assurer que la luminosité est suffisante.
– Evaluer l’efficacité, l’attractivité, en remettant en cause si besoin les critères précédemment cités.
Enfin, l’attention doit être portée sur le choix du mobilier de présentation. Il doit allier pour l’essentiel la simplicité, l’ergonomie, la mobilité pour permettre des modifications d’agencement.
Marketing et merchandising en bibliothèque
Dans l’ouvrage « Créer des services innovants. Stratégies et répertoires d’actions pour les bibliothèques » , si le marketing est un état d’esprit tourné vers la notion de profit, c’est aussi « un ensemble de techniques dont un usage neutre peut apporter aux équipements culturels une série de clés de compréhension et de décision, susceptibles de l’aider à mieux répondre aux attentes des populations. » Corinne Matheron, l’auteure du chapitre, conseille d’appliquer les outils du marketing comme la segmentation des publics, pour une connaissance toujours plus fine des publics ou des non-publics. En s’adressant de façon différenciée à ces publics, il sera plus aisé de mieux adapter ses services aux attentes des types de publics. On parle donc plus globalement d’amélioration de la performance. Tous les chiffres communiqués aux tutelles dans les rapports d’activités en sont des indicateurs.
Mais nous allons nous attacher à une technique pour laquelle le bibliothécaire peut s’inspirer du travail du libraire : la mise en valeur des collections, qui est une médiation indirecte. Nous avons vu avec l’expérience de Saint-Etienne que la présentation faciale des bestsellers remportait un grand succès. Les bibliothèques récentes misent sur une connexion plus immédiate avec l’usager. Les rayonnages sont moins hauts, ainsi peut-on appréhender rapidement l’organisation des collections. Il y a davantage de présentations de face dans les rayonnages, sur des tables et des présentoirs. Yves Aubin15, ancien directeur de la bibliothèque de Saint-Herblain, décrit ce dispositif de présentation des collections et cette réflexion sur la visibilité : les possibilités de présentation y sont nombreuses dans les rayonnages, et le bibliothécaire doit renouveler en permanence cette part visible du fonds.
L’objectif déclaré est de multiplier les possibilités de rencontre entre un document et les usagers potentiels emprunteurs ; cela répond donc à un enjeu professionnel fort. Le défaut principal est que cela correspond davantage au lecteur butineur qu’à celui qui recherche quelque chose de précis. L’avantage est que cela permet clairement d’accroitre la rotation des collections, une gestion plus dynamique des collections.
Silvère Mercier, dans son billet16 du 22 mars 2016, relaie l’étude réalisée par une chercheuse, Clémence Thierry17, qui analyse les emprunts de livres de fiction effectués dans les bibliothèques municipales de la Ville de Paris, entre janvier et avril 2012. Le résultat de cette étude indique que « les recommandations issues des bibliothécaires semblent avoir un impact plus important sur le nombre de fois où un titre va être emprunté, que les recommandations issues des experts [experts extérieurs à la bibliothèque]. En comparant les coefficients, on observe qu’un titre sélectionné et mis en avant sur un présentoir dédié par un bibliothécaire, sera emprunté 17 fois plus qu’un titre ne bénéficiant pas d’une telle visibilité, contre 11 fois plus pour un titre récompensé par des experts. » Ce dernier fait n’est pas négligeable puisque l’étude montrait qu’il existe un rapport très étroit entre l’achat et l’emprunt des livres récompensés par des prix. Pour finir sur les coups de cœur des bibliothécaires, 27 sur 50 d’entre d’eux sur cette période, faisaient partie des 10% des titres les plus empruntés. Même si la composition sociologique de la population parisienne n’est pas transférable en province, ces chiffres n’en sont pas moins intéressants. Malgré le flot continu de recommandations culturelles (médias traditionnels, réseaux sociaux) que peut recevoir un usager lambda, il continue à attendre de sa bibliothèque qu’elle le guide, et qu’elle l’aide à faire le tri parmi la quantité exponentielle de titres disponibles.
Comment mettre en place cette médiation silencieuse, plus ou moins anonyme selon la taille de la bibliothèque ? Cécile Rabot, sociologue et spécialiste des bibliothèques et du livre, s’est penchée sur l’usage et la fonction du présentoir en bibliothèque18. Le présentoir induisant une présentation en facing, est devenu une évidence dans la plupart de bibliothèques. Le travail d’achalandage n’est pas enseigné, il repose sur le bons sens, l’expérience, et encore une fois sur la bonne connaissance des publics. La localisation du présentoir est importante : situé dans une zone chaude en entrée, il ne permettra pas forcément une station longue, il sera idéal pour les ouvrages d’actualité ou des nouveautés médiatisées dans l’esprit d’achat d’impulsion organisé dans les grands magasins. Il aura alors un rôle d’appel, à destination du grand public, et joue le rôle de la vitrine du libraire. Véritable vitrine de l’institution selon les mots de Cécile Rabot, il devra être composé avec grand soin de manière à traduire un certain dynamisme. Une présentation bricolée, mal éclairée ne sert pas l’objectif. Ailleurs dans la bibliothèque, le présentoir met en valeur les fonds, des ouvrages plus anciens mais non défraichis que le dispositif légitimera d’autant plus qu’il y a là une prise de recul : des coups de cœur, des thématiques, des mises en avant d’auteurs, d’un genre… Il est ainsi l’occasion de dépasser l’opposition entre l’offre et la demande. La zone d’appel suit la demande, les autres zones la suscitent. Toute sélection s’attache à produire de la valeur. Et si la sélection est sans risque économique, contrairement au libraire qui en attend des ventes, elle n’est pas personnelle pour autant. Les coups de cœur ne coïncident pas nécessairement avec les goûts des bibliothécaires19. Ils peuvent parfois ne pas s’autoriser à mettre en avant leurs propres goûts, s’ils les jugent illégitimes dans la bibliothèque, ou qu’ils ne correspondent pas à leur public. Conscients de leur responsabilité, ils s’attachent davantage à proposer une offre en accord avec l’image souhaitée de la bibliothèque comme institution. Le travail d’achalandage suppose donc une sélection, mais aussi un investissement physique. En effet, la présentation faciale étant unitaire, chaque emprunt laisse un vide qu’il faut remplir. La médiathèque de Saint-Etienne a parfaitement anticipé cela en prévoyant un nombre minimal d’ouvrages pour faire fonctionner un rayonnage sans vides. Le recours au chariot de retour, donc avec des livres qui « sortent » est un recours classique, mais qui a ses limites. Enfin Cécile Rabot donne de l’importance au travail de mise en discours, qui donne une information de contenu et éveille la curiosité. Cela peut prendre la forme d’une brochure avec une présentation détaillée. Plus le type d’ouvrage sera considéré d’un niveau exigeant, plus il demandera un temps long « d’apprivoisement », et une forme d’accompagnement particulièrement étudiée.
Concrètement, la présentation peut prendre plusieurs formes et est dépendante du mobilier, et de la mise en espace dans la bibliothèque. Un présentoir, un chevalet en plexiglas posé sur une rambarde, au-dessus d’un rayonnage lorsque celui n’a pas été pensé trop haut, sont des possibilités largement intégrées dans les médiathèques récentes. C’est le cas à la médiathèque Anita Conti de Beaucouzé. Une rambarde séparant deux espaces, les hauts de rayonnages du secteur jeunesse sont garnis de chevalets en plastique. Un fournisseur de mobilier pour bibliothèques comme DEMCO, indique sur son site des prix de chevalets acryliques entre 2.96€ et 5.60€ H.T. Côté formation des bibliothécaires, si la valorisation des fonds patrimoniaux est présente dans les catalogues de formation20, le merchandising ou l’achalandage, ne l’est pas. La découverte d’un site proposant une « formation visuel merchandising » en bibliothèque (site Merchandisingmedia.co) semblait prometteuse, mais il ne semble plus en activité ! La motivation du bibliothécaire est donc la seule clef de voûte possible.
Conclusion
La valorisation des collections, véritable outil de la performance, est une forme de médiation qui demande une certaine expérience professionnelle, une double connaissance de son fonds et de ses publics, voire de son public potentiel : les non-inscrits qui fréquentent la bibliothèque, et un public potentiel que le bouche-à-oreille pourrait amener. Montrer une image dynamique de la bibliothèque avec des présentations en prise avec l’actualité, qui se renouvellent suffisamment pour susciter la curiosité et l’envie, est aujourd’hui indispensable.
Pour cela, plusieurs présentoirs permanents et renouvelés vont créer une habitude chez l’usager de venir, avec la posture de découverte. Exposer les documents du fonds est aussi important, pour que la bibliothèque ne soit pas une accumulation de documents avant désherbage, en un mot pour la rendre vivante. C’est le fonds « rendu vivant par l’usage » dont parlait Bertrand Calenge . A cette fin, les possibilités sont sans limites, et la transdisciplinarité est un outil formidable. Rassembler sur un même thème, un pays par exemple, des ouvrages de fiction, documentaires, des documents musicaux et cinématographiques, est simple. On peut rebondir sur une exposition, un évènement d’actualité de toute sorte, un anniversaire, une animation de la bibliothèque. On peut aussi mettre en avant un genre, une époque, avec bandes dessinées, films, romans, documentaires empruntés à l’histoire, la photographie… La créativité, dont font montre de nombreux libraires est un modèle inspirant. Beaucoup de bibliothécaires montrent de la créativité dans la proposition d’animation. La valorisation des collections devrait progresser.
DE L’IMPORTANCE DU CHOIX D’UN CLASSEMENT
L’organisation des collections et leur mise en espace est conditionnée par le type de classement choisi. Un bon classement rend les documents plus accessibles aux usagers, facilite la rencontre entre le document et l’usager. La classification décimale de Dewey est un outil de travail quotidien du bibliothécaire. Mais elle reste bien souvent opaque pour le public. Depuis les années 1980, des bibliothèques organisent leurs collections par centres d’intérêt, ou selon un plan de classement thématique, afin de rendre les bibliothèques plus familières au public. Existe-t-il un classement idéal ?
Le classement par la classification décimale de Dewey
Pratique de la CDD dans les bibliothèques publiques aujourd’hui
Le système Dewey date du 19ième siècle, mais il est adapté aux bibliothèques françaises et régulièrement mis à jour par les Editions du Cercle de la Librairie dans une version abrégée.
La classification de Dewey sert à donner une place au document parmi l’ensemble des savoirs. Et elle sert de base au classement la plupart du temps. Plus la bibliothèque est grande, plus les fonds sont fournis et spécialisés, plus la classification des documents est fine et donne des indices longs. Les petites et moyennes bibliothèques adoptent une table formalisée à leur usage, adaptée à des fonds peu spécialisés et n’utilisant pas tous les développements prévus par la CDD. Elles mettent en place un ensemble de cotes validées.
Les bibliothèques de lecture publique ont aussi extrait des ensembles de la CDD, comme la fiction, les bandes dessinées, les fonds locaux. J’ai pu observer également à la médiathèque de Beaucouzé, qu’un fonds spécialisé à l’origine d’un projet de création de bibliothèque, les ouvrages de photographie en l’occurrence, peut être valorisé à part. Une classification utilisée pour le traitement intellectuel du document n’engage pas pour autant la mise en espace des rayonnages. Le classement par centre d’intérêt utilisé par exemple dans les bibliothèques du Mans ou de Lyon, n’empêche pas le recours aux indices Dewey pour leurs cotes. Ceci montre bien qu’il conserve encore au 21ième siècle un grand intérêt.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ASSOUPLIR LA POLITIQUE D’ACQUISITION
I Des achats en librairie
II Politiques d’acquisitions des bibliothèques
III Séduire les usagers à quel prix ?
DEUXIEME PARTIE : DU MERCHANDISING EN BIBLIOTHEQUE
I Définition et application sur le champ de la librairie
II Marketing et merchandising en bibliothèque
III Conclusion
TROISIEME PARTIE : DE L’IMPORTANCE DU CHOIX D’UN
CLASSEMENT
I Le classement par la classification décimale de Dewey
II Des alternatives au classement par la classification décimale de Dewey
III Classification et classement, conclusion
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES
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