Qu’elle soit considérée comme un « signe » invitant à l’interprétation ou tenue pour une « chose » imperméable à l’explication, l’œuvre d’art, parce qu’elle réalise par osmose ou par effraction, une condensation particulière d’un moment de culture, à l’échelle de l’individu ou de la société, sollicite constamment l’attention de disciplines diverses, qui l’instituent dès lors en objet de connaissance. Au centre ou au détour de nombreuses problématiques, l’œuvre d’art est amenée à revêtir dans ce mouvement, même transitoirement, un statut documentaire. Convoquée à des fins de démonstration historique ou de commentaire critique, décrite, présentée, cataloguée, reproduite, consignée sur des supports divers, dès qu’elle se ramifie dans un intervalle qui ne lui appartient pas en propre, l’œuvre est prise dans les mailles d’une information secondaire qu’il revient, en partie, à la documentation de traduire et de retransmettre. Or, René BERGER le rappelle : « […] l’objet de connaissance se constitue dans des conditions sociales, techniques, culturelles et politiques déterminées, mais aussi, on l’oublie trop souvent, avec et par les moyens de communication qui ont cours » . L’œuvre plastique n’y échappe pas. On l’appréhende et on l’approche à travers la masse informative dont elle est l’objet. La reproduction, en particulier, a progressivement « épaissi » les modes d’apparition de l’œuvre pour clairement s’imposer à « l’ère de la reproductibilité », selon les termes de Walter BENJAMIN . Ce dernier signait ainsi, dès les années 1930, l’introduction de l’œuvre d’art dans le champ, encore en germe, des sciences de l’information et de la communication, quand la question des moyens et des supports de médiation par la multiplication photomécanique devenait particulièrement sensible.
La reproduction, sous ses aspects divers, fait maintenant partie intégrante de nos moyens de connaissance. Au delà de l' »image souvenir » et de l’illustration d’accompagnement, elle est devenue un véritable document de travail, sans que la documentation, cependant, en ait tiré toutes les conséquences qui s’imposaient, notamment dans le signalement bibliographique . Mais avant l’avènement de ce « musée en images », l’Histoire de l’art a toujours eu partie liée avec l’information et la documentation sous leurs formes écrites. Il n’est pas incongru de penser qu’un VASARI, dès les débuts de cette discipline, a utilisé une forme archaïque de traitement documentaire pour rédiger ses biographies , en collectant, puis en sélectionnant des informations puisées aux sources orales et dans les bibliothèques. L’allusion est sans doute forcée, elle permet, néanmoins, de situer la place primordiale qui revient à la documentation dans toute élaboration historique . C’est sa qualité, en dernière analyse, qui, en dehors des compétences particulières des auteurs, déterminera, pour une part, la valeur d’une recherche. Un aspect qui n’a échappé ni à la communauté scientifique, ni au corps social en son entier, lesquels se sont dotés, avec services spécialisés, archives, bibliothèques, centres de documentation, banques de données, et banques d’images, d’outils indispensables pour rassembler et traiter une information secondaire dont la fonction de mémoire ne doit pas oblitérer celle de ressource .
Après René BERGER, dont les travaux ont tracé clairement le cadre interdisciplinaire d’une étude de l’art non plus commandée par l’illusion du « donné » mais par l’interrogation du « construit » , on peut dire que l’Histoire de l’art, et plus généralement les Sciences de l’art , sont en effet confrontées aux systèmes d’enregistrement, de traduction et de transformation qui gouvernent les processus d’échange et de transmission des données. Non seulement ces systèmes influencent la conduite des recherches mais, dans certains cas, ils la conditionnent. Ils peuvent taire et déformer des informations, mais au bout du compte, il y a tout ce qu’ils apportent. Leur genèse, leur rôle, leur action demandent à être étudiés et critiqués car ils sont à la base de renseignements d’autant moins observables qu’ils restent implicites, n’apparaissant plus dans les sources et les bibliographies des travaux qui les utilisent. Ils posent, de manière cruciale, le problème de la référence (référence bibliographique, référence indexatoire, référence textuelle sur l’image, référence iconique à l’original) qui est au cœur de toute recherche d’information. La référence traverse, côtoie et prolonge les documents à tous les niveaux : dans le texte, le paratexte, l’appareil documentaire, l’illustration, la notice. Elle peut être interne au document, dans la bibliographie « cachée », la légende, l’index, ou externe, dans le cas des notices catalographiques, des fichiers matières et des documents secondaires. Elle fait partie de ces clefs, de ces tables d’orientation et parfois de ces filtres plus ou moins appropriés qui s’intercalent, avec le document lui-même, entre l’œuvre et le chercheur. C’est à la fois sur son potentiel et sur ses manques que nous avons construit une hypothèse de travail.
Si on devait la situer du point de vue des inductions majeures qui l’ont produite, notre étude se placerait à un carrefour où convergent l’Histoire de l’art contemporain et les sciences de l’information. Mais pour aussi commode soit-elle, l’image de la convergence a ceci de trompeur qu’elle semble se référer à un schéma pré-établi, qu’il suffirait d’orienter en fonction de chaque problématique située à l’intersection de deux domaines. Or ce n’est pas en suivant une convergence programmée mais dans les mélanges et les remous d’une confluence déjà réalisée, où l’on rencontre de l’art, de l’image, du texte, de l’Histoire, de la communication, de l’information et de la documentation, que cette étude a tenté de trouver un cap. Et ce, à partir d’une question issue de la pratique documentaire ; une question « sans gêne », banale en apparence, qui déjoue les catégories classificatoires et les pré-supposés esthétiques ou philosophiques sur l’existence ou non d’une dimension communicationnelle de l’œuvre d’art : que pouvons-nous retrouver du sujet des œuvres plastiques contemporaines dans la documentation écrite et iconographique publiée ?
Une demande de référence, en définitive, dont la plupart des termes pourraient s’appliquer à tout autre recherche dans une bibliothèque ou un centre de documentation, mais qui vise ici le lien particulier entre œuvre plastique et thématique. Une question qui nous invite par ricochet à interroger la relation établie entre œuvre plastique et documentation. Nous mettrons de côté un premier aspect de cette relation qui laisserait entendre que l’œuvre est, en ellemême, un document. Cette conception soulève une question esthétique extérieure à notre propos, mais il apparaît toutefois difficile, quelle que soit la position philosophique ou esthétique prise in fine à son endroit, d’échapper à la composante documentaire de l’œuvre, dès qu’on la pose comme objet de connaissance. Un deuxième aspect, qui concerne les pratiques muséographiques pour lesquelles l’œuvre est un objet matériel, un document, susceptible d’être référencé et décrit, sera envisagé mais de manière annexe ou périphérique. Le troisième aspect, que nous retiendrons, est relatif à l’inscription et la transposition de l’œuvre sur un document. Il oblige l’observation à se déporter, se décentrer de l’œuvre réelle, pour aborder ce qui est généré à son sujet. Il en appelle un quatrième qui trace les contours de cette étude et en désigne le projet : le document sur l’œuvre d’art en tant qu’objet de la documentologie et des techniques documentaires. Le modèle qui motivait les réflexions de Michel SERRES, il y a plus de vingt ans, n’est recevable, aujourd’hui, qu’en partie : « …on observe l’importance croissante, dans l’ars inveniendi, du documentaliste, de celui qui rassemble aveuglément, dans un parcours rapide, les renseignements exhaustifs sur une question, de celui qui fait la revue des renvois ou intercepte les données à ce jour. Son parcours est inconscient, mais il tente d’être complet au regard du problème » . Si le rassemblement et la rapidité restent toujours à l’ordre du jour, exhaustivité des données et cécité de l’intercepteur sont de moins en moins vérifiables. Pour être nuançable, son modèle n’en donne pas moins le rôle fondamental du documentaliste, telle que l’épistémologie veut le voir : messager. Si l’on prend garde d’ajouter que ce rôle intéresse autant la traduction que la transmission.
Pour qui tenterait d’étudier l’art en France depuis 1960, par exemple, ni les listes onomastiques, ni les titres, ni les listes d’expositions, ne manqueront au moment de l’interrogation documentaire, mais pour ce qui concerne le contenu de ce qui fut effectivement créé, on restera sur la crête des mouvements : une grande partie des thèmes étant actuellement « dissimulés » (problème de l’indexation des documents primaires individuels), voire perdus dès la source bibliographique (problème des critères d’indexation retenus dans les documents secondaires). Or si l’on veut, à la fois favoriser les accès par sujet pour la recherche documentaire courante, et au delà, apporter des références à une Histoire culturelle attentive aux thèmes et aux contenus des arts plastiques, il faut réévaluer les moyens d’y parvenir. L’indexation documentaire en est un, important, parce qu’il occupe une position stratégique. Notre étude vise à mettre ses enjeux en évidence.
Point par point, nous progresserons dans l’analyse d’un problème qui n’a pas, selon nous, trouvé de solution satisfaisante pour l’art du 20e siècle. Les trois parties qui structurent ce travail définiront : 1) en quoi le projet de la documentologie peut-il éclairer l’investigation thématique des sciences de l’art ; 2) l’état des outils de recherche documentaire sur les thèmes pour les arts plastiques contemporains ; 3) les possibilités des techniques documentaires appliquées à la recherche thématique sur les textes et les reproductions.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE QUESTIONS PRÉLIMINAIRES SUR LA DOCUMENTOLOGIE ET LA DOCUMENTATION THÉMATIQUE EN ART CONTEMPORAIN
1. DOCUMENTATION, DOCUMENTOLOGIE ET SCIENCES DE L’INFORMATION
2. LA DOCUMENTATION AU SERVICE DE L’HISTOIRE DES ARTS PLASTIQUES CONTEMPORAINS
DEUXIÈME PARTIE L’INDEXATION THÉMATIQUE DANS LES SOURCES DOCUMENTAIRES SUR L’ART CONTEMPORAIN : ANALYSE DES OUTILS
1. INDEXATION MATIÈRE ET THÉMATIQUE ARTISTIQUE
2. L’INDEX THEMATIQUE DANS LES DOCUMENTS PRIMAIRES : LES LIVRES SUR L’ART
3. INDEXATION THÉMATIQUE ET CATALOGUES D’EXPOSITIONS
4. LES INDEX THÉMATIQUES DANS LES REVUES D’ART CONTEMPORAIN
5. L’INDEXATION DANS LES DOCUMENTS SECONDAIRES
6. L’INDEXATION DANS L’INFORMATIQUE DOCUMENTAIRE APPLIQUEE AUX OEUVRES CONTEMPORAINES
TROISIÈME PARTIE DE LA THEMATIQUE DES OEUVRES A L’INDEXATION THÉMATIQUE : ETUDES ET APPLICATIONS AU TEXTE ET A L’IMAGE
1. DESTINATION
2. PRÉALABLES A L’INDEXATION THÉMATIQUE DU TEXTE ET DE L’IMAGE
3. L’INDEXATION THEMATIQUE APPLIQUÉE AUX TEXTES SUR L’ART CONTEMPORAIN
4. LA REPRODUCTION DES ŒUVRES D’ART : QUESTIONS GENERALES
5. ANALYSE ET INDEXATION DES REPRODUCTIONS
6. INDEXATION THÉMATIQUE APPLIQUÉE A L’IMAGE
CONCLUSION
