Les liens entre servitudes et bornage
Les servitudes sont un pan du droit immobilier qui engendre de nombreux contentieux.
Leur complexité nécessite une intention particulière de la part des professionnels y étant confrontés, c’est le cas, notamment, des géomètres-experts lors d’une procédure de bornage (Cf. I).
Pourtant, les servitudes peuvent être nécessaires pour l’usage de certains fonds dont la situation foncière n’est pas favorable. Inversement, l’aménagement des limites foncières peut être une alternative efficace pour simplifier l’exercice d’une servitude (Cf. II).
Le géomètre-expert doit donc arriver à concilier bornage et servitude dans le but d’améliorer les relations de voisinage. La réalisation d’une procédure de bornage peut alors être l’opportunité de régulariser une situation rencontrée en conseillant les parties ou en prenan part à la rédaction de documents ayant pour but d’assurer la sérénité des relations entre les parties (Cf. III.).
Toutefois, le géomètre-expert n’est pas le seul professionnel à pouvoir établir une servitude entre deux fonds. Certains problèmes vont alors naître des imprécisions cadastrales lorsque des servitudes sont créées selon une situation foncière observée sur des plans et non suivant la réalité. En outre, la disposition des lieux au regard des limites, peut justifier une servitude. Or, le géomètre-expert, garant de la délimitation foncière, pourrait proposer une révision des limites foncières dans le but d’éviter une situation d’assujettissement entre les parcelles concernées (Cf. IV).
Les difficultés liées à la notion de servitudes
De nombreux contentieux subviennent, entre voisins, lorsque l’un des propriétaires entreprend la démarche de faire délimiter son fonds au moyen d’un bornage. L’opération, pourtant amiable, peut créer des tensions entre les parties concernées à partir du moment où le géomètre-expert (seul praticien à être habilité fixer la limite d’un fonds) matérialise une limite foncière différente de la possession de chacun. Cette différence engendre alors des litiges principalement à l’égard de l’effet du bornage qui n’est pas de définir le droit de propriété mais seulement de fixé l’assiette d’un fonds (Cf. I.1).
Cela est d’autant plus accentué en présence de servitude, lorsqu’il est question de prescription acquisitive. Toutefois, la prescription d’une servitude se révèle parfois ambigüe (Cf. I.2).
Enfin, malgré les dispositions réglementaires et jurisprudentielles, les conventions restent une des principales sources de servitudes et également de contentieux en particulier lorsque ces charges sont établies sans que les limites foncières aient été préalablement matérialisées (Cf. I.3).
Les incidences d’une délicate distinction entre les limites de fonds, de propriété et de possession sur le bornage
En matière immobilière, les modes d’acquisition de la propriété sont relativement restreints. On trouve, parmi eux, l’acquisition par convention (vente, donation,…), l’accession et enfin l’usucapion. Les notions de possesseur et de propriétaire interviennent alors et sont au cœur même de la problématique du fonds et de la propriété.
En effet, bien que l’assiette de la propriété doive être fixée par des actes (juridiques), la possession, quant à elle, correspond à l’usage fait par une personne d’un fonds et s’étend donc selon la volonté de chacun. La propriété est définie comme « le droit de jouir d’une chose de la manière la plus absolue […]» alors que la possession est le fait de jouir d’une chose . On saisit alors la nuance qu’a voulu instaurer le législateur et qui permet d’avoir éventuellement, sur le même fonds, un propriétaire et un possesseur différents. Néanmoins cela peut n’être que temporaire car la loi prévoit que le droit de propriété puisse naître de la possession. Cela est effectivement possible si celle-ci est utile (conforme à l’article 2261 du C. civ. ) et qu’elle répond à une exigence de durée . Toutefois le simple fait de posséder la chose ne suffit pas à en acquérir la propriété. Le possesseur doit faire reconnaître le droit qu’il convoite sur une assiette précise. Or, le bornage est la seule voie ayant pour but de matérialiser les limites d’un fonds.
Pourtant, cette action ne fixe pas la limite de possession mais la limite « cadastrale ».
L’action en revendication et l’action en bornage vont alors avoir du mal à se distinguer l’une de l’autre dans certaines situations. La procédure amiable étant préférable au judiciaire, le possesseur tente parfois de faire entériner un droit de propriété au moyen de la délimitation du fonds. La difficulté pour le géomètre-expert est alors d’identifier si le litige concernant la limite tient seulement dans l’imprécision de sa définition ou dans l’acquisition d’une bande de terrain au-delà de ce qui est défini dans l’acte. En outre, la complexité de la chose repose sur le fait de faire accepter aux parties que le bornage matérialise la limite d’une parcelle (celle acquise par titre) ce qui n’empêche en rien de prescrire au-delà des repères alors positionnés.
En effet, la jurisprudence le rappelle à de maintes reprises, le bornage n’opère en rien un transfert de propriété. Il permet simplement de matérialiser le périmètre de la parcelle. Le bornage est une action qui concerne l’objet du droit et pas le droit lui-même ce qui est d’autant plus marqué par le fait qu’il n’entre pas dans le cadre du décret de 4 janvier 1955 (article 28), relatif à la publicité foncière, visant à publier les actes translatifs de propriété.
Toutefois il convient de rappeler que même s’il n’opère aucun transfert de propriété, le procès-verbal de bornage constitue un acte matérialisant l’entente des propriétaires riverains sur une limite qu’ils considèrent comme étant celle de leurs propriétés respectives. Par conséquent si une mutation de propriété venait à être effectuée, le fonds cédé aurait pour assiette les limites auparavant bornées. Le refus de l’une des partie concernées de signer le procès-verbal de bornage n’empêche donc en rien une éventuelle usucapion sur une partie du fonds voisin. Toutefois, en l’absence d’action en revendication (la seule pouvant permettre de statuer sur les droits de propriété respectifs), les bornes posées matérialisent la limite du fonds et donc également celle de la propriété présumée. Le fonds (ou héritage ) est donc délimité , au moyen d’un bornage. C’est ainsi l’objet du droit de propriété qui est fixé. Ce droit, quant à lui, ne va pouvoir trouver une réelle définition que dans un acte authentique ou après une action en revendication. Le tribunal de grande instance est alors le seul compétent pour reconnaître le droit de propriété d’une personne sur un fonds.
L’application du code civil (Cf. art. 637 du C. civ. relatif à la définition des servitudes) nous amène donc, à instaurer certaines servitudes à la limite des fonds, qui est donc la limite cadastrale (celle matérialisées par un bornage). Néanmoins le fait que ladite limite puisse ne pas représenter la propriété peut créer une situation ambigüe. En effet, la complexité de la situation foncière est peut être génératrice de contentieux. Atitre d’exemple, comment est-il possible de créer une charge entre deux fonds sans connaître exactement la limite de propriété de ceux-ci ?
Et inversement, pourquoi existerait-il une charge entre deux fonds alors que la disposition des lieux et des limites ne la justifierait pas ?
L’évolution foncière peut conduire à la création ouà la suppression de certaines charges entre deux fonds, ce qui concerne directement le géomètre-expert, tant dans son devoir de conseil que dans la régularisation des situations conflictuelles. Par ailleurs, la possession joue également un rôle important vis-à-vis des servitudes.
La prescription d’une servitude
La prescription d’une servitude est complexifiée parles dispositions réglementaires en vigueur. Même si la plupart des praticiens connaissent la double condition nécessaire à la prescription d’une servitude (Cf. art. 690 du C. civ. ) il arrive que la jurisprudence déroge de cette règle . De plus, une limite de propriété entre deux fonds doit nécessairement être définie ou à défaut reconnue par les propriétaires voisins , pour qu’il soit possible d’établir une charge (entre leur fonds) de manière cohérente. En effet, bien que des servitudes soient expressément prévues par la loi, il paraît invraisemblable de les mettre en place, ou de les exercer sans avoir préalablement fixé les limites foncières ; mais c’est pourtant ce qui se passe souvent en pratique.
Une telle charge étant définie par rapport aux limites foncières, sa légitimité impose nécessairement de les avoir au préalable définies. Dans le cas contraire, comment être sur que la servitude est bien justifiée puisque la disposition des lieux ne rentre peut être pas dans le cadre des dispositions légales en vigueur (Ex : Arti. 671 et 678 du C. civ. relatifs aux distances des plantations ou des vues et jours par rapport à la limite séparative). Il en est de même pour la prescription des servitudes puisqu’une personne ne risque pas de faire reconnaître un droit éventuellement acquis, sur la propriété d’autrui, sila définition des limites entre les deux fonds est telle qu’elle ne permette pas d’identifier une servitude. En matière de prescription, la possession est d’ailleurs à l’origine de certains troubles du voisinage , à propos de la définition des limites foncières (celles-ci étant souvent différentes de la limite de possession).
Le législateur a imposé que seules les servitudes continues et apparentes puissent être prescrites par trente ans. De plus, la prescription d’une servitude doit répondre aux conditions d’une possession utile . L’aspect public est entre autre le plus important puisque c’est ce critère qui va conférer à la possession sa contradiction au sens ou le propriétaire du futur fonds servant aura eu connaissance de la gêne occasionnée.On rappelle à cet effet que posséder dans la clandestinité ne permet pas de pouvoir solliciter l’acquisition d’un quelconque droit sur la propriété d’autrui. Par exemple, citons le cas de la création d’une vues dans un toit donnant sur un autre toit voisin où la prescription d’une servitude n’est pas possible car le propriétaire du futur fonds servant ne peut pas voir les ouvertures créées, ce qui parallèlement a confirmé le caractère licite de la vue.
Diviser un terrain suivant l’emprise d’une servitude
Nous l’avons vu, la notion de servitude est définie dans le Code Civil comme un assujettissement d’un fonds au profit d’un autre dans un but d’utilité pour le premier fonds. Toutefois la complexité des servitudes va parfois amener les professionnels, tels que les géomètres-experts, à envisager une relation entre les fonds, au-delà de l’assujettissement, où les limites foncières seraient un atout dans la définition de la servitude plutôt qu’un détail . En effet, pour restreindre les contentieux au sujet de l’établissement et de l’exercice des servitudes les géomètres-experts ont la possibilité d’aménager le foncier de sorte à éliminer toute ambigüité à l’égard des limites de l’assiette même d’une servitude. Au lieu de définir l’assiette de la servitude sur une partie de parcelle (avec des côtes, des repères,…), celle-ci serait prévue sur une parcelle entière. Pour cela le géomètre-expert doit diviser le fonds servant suivant l’emprise de la servitude. La nouvelle parcelle, issue de la division serait, de plus, délimitée par un bornage (ou d’une reconnaissance de limite) afin de fixer précisément l’étendue de la charge. Cette méthode présente un certain nombre d’avantages tant pour les relations de voisinage que pour l’évolution future du foncier. L’exemple d’une servitude de passage sera étudié pour illustrer plus concrètement cette alternative, d’autant plus qu’elle est la charge pour laquelle ces aménagements fonciers présentent le plus d’intérêt. Néanmoins, de tels aménagements peuvent parfaitement s’appliquer à des servitudes de vue, de canalisation, de tour d’échelle, de surplomb,… Toutes les servitudes s’appliquant sur une emprise foncière sont « compatibles » avec cette méthode, ce qui est intéressant pour les professionnels puisque celleci possède un champ d’application relativement étendu.
L’établissement d’une servitude sur une parcelle entièrement définie (celle issue de la division) exclut toute possibilité de litige concernant l’assiette du droit réel accessoire créé. En effet, contrairement à la manière dont sont habituellement établies les servitudes, l’assiette ne sera pas fixée ici uniquement sur un acte mais aussi physiquement sur le terrain (les bornes) et administrativement sur le cadastre (limite fiscale). De plus à la différence d’un piquetage, le bornage apporte une sécurité juridique à la limite créée puisque celle-ci est consentie par le propriétaire du fonds qui va en informer l’usager. Ainsi, la désignation des fonds concernés lors de la rédaction d’une convention de servitude sera faite sans ambigüité de même que la définition de l’assiette (celle-ci étant bornée).
En outre, l’intervention d’un géomètre-expert qui divise suivant l’assiette d’une servitude, va largement faciliter et simplifier les relations de voisinage de manière durable dans un contexte traditionnellement propice au litige. La gêne qu’occasionne une servitude est d’ailleurs qualifiée de « trouble normal du voisinage» dès lors que celle-ci répond à une utilisation normale du fonds et au sens où elle est une charge imposée à un autre fonds. En effet, les servitudes sont souvent source de conflitsnotamment lors de la transmission des droits de propriété. Or, dans l’hypothèse où une servitude serait présente et établie sur une parcelle entière (comme nous l’avons vu, précédemment), alors la mutation du droit de propriété pourrait en même temps permettre l’extinction de laservitude. En effet, la parcelle issue de la division et supportant la servitude, peut être cédée dans le but d’éteindre la servitude par confusion (le fonds dominant devenant autonome grâce à la nouvelle unité foncière, la servitude n’a plus de raison d’exister). De plus, un tel agencement des limites cadastrales va inciter les professionnels du foncier, intervenant par la suite,à supposer l’existence d’une servitude malgré les dires des parties en présence. Cela pourra notamment se vérifier au moyen de la publicité foncière (les servitudes devant être publiées pour être opposable aux tiers).
Le bornage de la parcelle supportant l’assiette de la servitude va, de plus, apporter en pratique la possibilité pour le propriétaire du fonds servant de se clore ce qui peut être contraignant (pour lui) en présence d’une servitude de passage. De nombreux contentieux naissent à partir de la volonté du propriétaire du fonds servant de se clore même s’il n’a pas pour intention de rendre plus incommode l’utilisation du passage. L’appréciation de la gêne occasionnée est exclusivement réservée aux juges qui la qualifient ou non d’aggravation de la servitude. On a notamment pour exemple le cas où une barrière (avec digicode) a été installée, laquelle a été considérée comme diminuant l’usage de la servitude . En effet, le fait que chaque visiteur doive contacter un gardien avant de pouvoir la franchir a été qualifié de gêne excessive.
A l’inverse la simple installation d’une barrière (de type portail) ne peut être reprochée au propriétaire du fonds servant et s’impose au bénéficiaire de la servitude à partir du moment où il possède le moyen de l’ouvrir (clé, code, badge,…) . La liberté offerte à chacun de se clore sur sa propriété peut donc être soumise à des ambigüités et causer des problèmes en présence de servitude sans évoquer les éventuels problèmes que la possession peut elle aussi engendrer . La création d’une parcelle exclusivement réservée à l’usage de la servitude va donc permettre au propriétaire, la subissant, de clore librement sa propriété sur le surplus de terrain, indifférent à cette charge. Cette possibilité n’est alors pas anodine puisque dans cette hypothèse, le détachement de l’assiette de la servitude va apporter un avantage pour le propriétaire du fonds servant en augmentant la protection de son droit de propriété sur le surplus de son terrain (la partie close). En effet, en facilitant la possibilité pour lui de se clore, le bornage va lui permettre de limiter physiquement le bénéficiaire de la servitude et l’empêcher d’outrepasser son droit tiré de la servitude. Le risque de voir naître une quelconque usucapion est donc limité à l’assiette de la servitude qu’il convient d’entretenir pour rester à la fois titulaire du droit réel et possesseur.
La prescription ne pourra pas non plus s’appliquer pour étendre l’assiette du passage celle-ci étant physiquement limitée par la clôture.
Bornage et servitude, une conciliation complexe pour les géomètres experts
La matérialisation des limites lors d’un bornage peut mettre en évidence une servitude entre les fonds concernés par l’opération de délimitation foncière. Le devoir de conseil du géomètre-expert prend alors une importance considérable à l’égard des relations entre les parties présentes (III.1).
Dans l’hypothèse où il déciderait de régulariser la situation dans le but d’anticiper un conflit, le procès verbal de bornage pourrait servir de convention de servitude. Or, les modalités relatives aux procès-verbaux de bornage diffèrent de celles des actes générateurs de droit réel.
Par conséquent, la validité des accords passés entre les parties et actés dans le procès verbal de bornage, dépend entièrement des formalités qui vont être accomplies selon les conseils du géomètre (III.2).
Enfin, certaines situations nécessitent une régularisation plus conséquente que la simple réalisation d’un acte entre les parties, c’est notamment le cas en présence de possession. Les pouvoirs du géomètre issus de sa délégation de service public, instituée par la loi du 7 mai 1946, trouvent alors une limite. En effet, l’établissement ou l’extinction de droits réels acquis par prescription nécessite l’intervention d’un magistrat(III.3).
L’importance du devoir de conseil du géomètre expert dans un bornage
« La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres» cet adage bien connu, tiré de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen , n’est pas toujours valable en réalité. La rencontre de deux droits de propriété dont les titulaires sont différents est une source inépuisable de potentiels contentieux. La limite commune entre deux fonds est à la fois, la référence spatiale où se restreignent les droits et obligations de chacun mais aussi le lieu où naissent les conflits. En effet, bien que le géomètre-expert soit le garant de la délimitation foncière , il ne peut trancher les questions de propriété (par exemple, en cas de possession ).
Néanmoins, il va, dans la mesure du possible, essayer lors d’un bornage de faire coïncider la limite de propriété avec celle de possession. Les relations de voisinage sont totalement tributaires de sa prestation et c’est pourquoi son rôle, outre le fait d’être un professionnel de la mesure, est de tenter d’accorder deux parties sur leurslimites de propriété respectives bien qu’il ne puisse pas en réalité définir la propriété (le procès-verbal de bornage n’est pas un acte translatif de propriété ).Toutefois, le bornage d’une propriété va avoir d’autres incidences liées directement au fait de définir la limite du fonds concerné
Un géomètre a-t-il le pouvoir de régulariser durablement une situation de prescription (acquisitive ou extinctive) ?
Tout droit réel peut s’acquérir par prescription décennale ou trentenaire, suivant les cas.
Les servitudes, quant à elles, sont soumises à un régime de prescription strict, imposant une durée de trente ans . A cela s’ajoutent des conditions propres à la possession elle-même (continue et apparente). Ces conditions indispensables à la prescription, sont difficiles à réunir en présence du titulaire du droit de propriété subissant la possession, qui peut se protéger s’il a conscience des enjeux. De plus, bien que la situation des lieux découle du fait de l’homme, il est difficile d’apporter la preuve exacte de la durée de possession. En effet, les propriétaires titulaires de la « potentielle » servitude n’ont que très rarement envisagés de devoir justifier un état de fait vieux de trois décennies. Toutefois, aussi rare soient-elles, ces circonstances se rencontrent parfois lors des opérations de définition de limite d’une propriété (la définition des limites étant une condition sine qua non à la reconnaissance corrélative d’une servitude). Par conséquent, le géomètre-expert est le professionnel le plus à même de se trouver face à cette situation, bien qu’il ne puisse pas la résoudre seul.
En effet, « le Tribunal de Grande Instance est traditionnellement le gardien de la propriété immobilière privée » . Cette juridiction est en principe, la seule compétente pour toutes les actions immobilières pétitoires (et anciennement, possessoires ). La reconnaissance d’une servitude, qui pourrait être acquise par prescription, doit être faite au moyen d’une action confessoire, celle-ci, semblable à une action en revendication, est une action pétitoire . La constitution ou la disparition d’un droit réel immobilier par prescription acquisitive est donc du ressort du T.G.I. qui va statuer sur la possession dans le but d’approuver ou non, la création ou l’extinction d’une servitude. Le géomètre-expert consulté en ces circonstances doit donc conseiller les intéressés au sujet de la procédure à engager et de son aboutissement probable.
Les dires des parties et les pièces qu’elles fournissent pour attester ou non de leur prescription doivent être traitées avec la plus grande circonspection. Tout d’abord il n’est pas nécessaire de justifier d’acte concernant directement la servitude pour admettre l’existence de celle-ci. En effet, des témoignages peuvent être utilisés pour révéler la durée trentenaire d’une situation . De même, des commencements de preuve par écrit tel qu’un procès-verbal de bornage relatant l’existence d’une charge entre deux fonds et signés de tous les intéressés peut permettre de démontrer l’acquisition d’une servitude de manière judiciaire. De plus, l’interprétation de la loi, par les juges, peut différer des règles habituellement connues des professionnels. Par exemple, un arrêt de la Cour de cassation, admet possible que la non publication d’un acte puisse tout de même le rendre opposable à un acquéreur et par conséquent pérennise l’existence de la servitude , à condition toutefois que ce dernier ait eu connaissance de la présence de ce droit réel.
Un domaine également concerné par les revirements jurisprudentiels est celui des édifications (souterraines et hors sol), plus particulièrement la frontière entre empiètement et surplombs. En effet, un empiétement constitue une construction « à cheval » sur deux limites séparatives (dont les propriétaires sont différents) privant le propriétaire voisin de la jouissance d’une partie de son bien contre son gré. Or « une servitude ne peut conférer une jouissance exclusive sur le fonds servant » .Toutefois, une situation d’empiétement peut être difficile à reconnaître notamment si on considère l’article 552 du Code civil qui définit la propriété du sol comme emportant celle du dessus et du dessous. Cette définition nous amène à envisager la propriété selon un volume conique et non comme une assiette plane (au niveau du sol).L’empiètement deviendrait alors impossible puisque même si le sol était occupé le propriétaire possèderait toujours la jouissance du dessous comme du dessus . La caractérisation d’un empiétement serait donc davantage liée à la gêne qu’il occasionne, (celle-ci pouvant faire l’objet d’une gradation) qu’à la privation de jouissance totale . La régularisation d’une telle situation constitue donc une difficulté certaine pour les géomètres-experts qui se trouvent face à une notion juridique parfois confuse : un empiètement est-il l’occupation d’un partie du sol du fonds voisin ou la privation de l’usage d’un volume important du cône de propriété ?
Comment régulariser une servitude avant, pendant, ou après une opération foncière ?
L’établissement d’une servitude devrait imposer la délimitation des fonds concernés de manière contradictoire et sur le terrain en raison de l’importance du droit réel créé. Pourtant la disposition cadastrale des lieux suffit à certains professionnels. Néanmoins, compte tenu des erreurs qu’il comporte, cela est risqué. En outre, il est difficile d’éteindre une servitude, même inutile, sans avoir recours au tribunal. Le géomètre-expert a donc une place privilégiée pour établir une servitude puisqu’il est, à la fois, un professionnel du droit immobilier et le garant de la délimitation foncière (Cf. IV.1).
En outre, son champ de compétence lui permet de pouvoir aménager les limites d’un fonds, avec l’accord contradictoire des parties, afin d’éviter la création d’une servitude lors d’un bornage (Cf. IV.2).
Enfin, les mutations foncières peuvent permettre de simplifier les relations de voisinage en éteignant les servitudes par un mode spécifique appelé confusion. Toutefois, ce mode d’extinction peut masquer quelques particularités parfois contraignantes (Cf. IV.3).
L‘établissement d’une servitude en fonction de la limite cadastrale
La loi du 15 septembre 1807 a institué et centralisé le cadastre en France sous Napoléon (le 1 er Empire). Le système fiscal ayant pour base la superficie de l’assiette de la propriété foncière existait avant cette date mais les documents graphiques permettant de s’y reporter furent les premiers dressés par des géomètres du cadastre. Selon les attentes de Napoléon, il devait avoir, à l’époque, une valeur fiscale et juridique (pour éviter les procès) bien que cette dernière soit, depuis, tombée en désuétude . Le cadastre est malgré tout un outil graphique largement utilisé par toutes les professions liées au foncier, en particulier par les géomètres experts. Depuis sa création il a largement évolué de même que les méthodes permettant de l’établir. Toutefois sa précision est relative, selon les mises à jour effectuées. Le géomètre expert est le seul professionnel en France à pouvoir « officialiser » les limites figurées aux plans cadastraux, pour que celles-ci marquent l’assiette de la propriété. Pourtant lorsqu’il n’y a pas de modification du foncier son intervention n’est pas requise. Par conséquent l’établissement d’une servitude peut être fait dans une étude notariale directement sur un plan cadastral. Les modalités d’exercice (notamment l’assiette) et même, parfois le bien-fondé du droit réel alors créé sont parfois inadaptés à la situation présente en raison d’erreurs cadastrales.
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Table des matières
Introduction
Partie I. Les liens entre servitudes et bornage
I.1 Les difficultés liées à la notion de servitudes
I.1.1 Distinction et confusion entre les limites de fonds, de propriété et de possession
I.1.2 La prescription d’une servitude
I.1.3 L’imprécision des servitudes conventionnelles, une source de conflit
I.2 Servitudes et aménagements fonciers, des notions complémentaires
I.2.1 Diviser un terrain suivant l’emprise d’une servitude
I.2.2 Diviser des lots en « drapeau » en utilisant une servitude réciproque
I.3 Bornage et servitude, une conciliation complexe pour les géomètres-experts
I.3.1 L’importance du devoir de conseil du géomètre-expert dans un bornage
I.3.2 Incorporation d’une servitude dans un procès-verbal de bornage
I.3.3 Un géomètre a-t-il le pouvoir de régulariser durablement une situation de prescription (acquisitive ou extinctive) ?
I.4 Comment régulariser une servitude avant, pendant, ou après une opération foncière ?
I.4.1 L‘établissement d’une servitude en fonction de la limite cadastrale
I.4.2 Le redressement d’une limite pour éviter la servitude
I.4.3 Comment régulariser une servitude devenue inutile après une opération foncière ou née postérieurement à celle-ci ?
Partie II Les limites des rapports entre bornage et servitudes
II.1 Une nature juridique différente empêchant intrinsèquement un rapprochement ou toute concordance
II.1.1 Le champ d’application du bornage, plus restreint que celui des servitudes
II.1.2 La qualification juridique des actes impacte l’étendue des pouvoirs de chacun
II.1.3 Servitudes et bornage : obligations différentes en matière de publicité
II.2 Le rôle du géomètre diffère selon la procédure de bornage (amiable ou judiciaire)
II.2.1 La conciliation n’est pas toujours permiseau géomètre
II.2.2 La portée d’un procès verbal de bornage amiable dans un bornage judiciaire
II.2.3 L’intervention du juge en matière de servitude, lors d’un bornage judiciaire
II.3 Les limites des servitudes au-delà du bornage
II.3.1 Servitude ou tolérance aux abords du domaine public ?
II.3.2 Mise en évidence d’un empiétement lors d’un bornage
II.3.3 Prescrire une charge au-delà de ses limites
Conclusion
Bibliographie
Table des annexes
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