Les cellules souches cancéreuses
Les thérapies classiques (chimiothérapie et radiothérapie) ciblent le plus grand nombre possible de cellules cancéreuses en division jusqu’à la disparition de la masse tumorale. Ces thérapies permettent d’éliminer la plupart des cellules différenciées mais ne touchent pas la sous-population cellulaire en dehors du cycle, en phase de quiescence. En dépit de la destruction des cellules cancéreuses, cette sous-population est responsable de la récidive du cancer. Au sein de la tumeur, cette population est la source de l’hétérogénéité fonctionnelle. L’existence de cette hétérogénéité a conduit à la création d’au moins deux modèles: les cellules souches cancéreuses (CSC) et la théorie de l’évolution clonale (Lobo NA et al., 2007).
Les cellules souches normales adultes ont la capacité de s’auto-renouveler et de se différencier en différents types cellulaires et présentent un potentiel de prolifération élevé. Elles se divisent rarement et restent en phase de quiescence et indifférenciées.
Les cellules souches cancéreuses sont des cellules qui cumulent deux identités : ce sont à la fois des cellules cancéreuses et des cellules souches. Elles partagent plusieurs caractéristiques avec les cellules souches normales. En effet, elles ont la capacité de s’autorenouveler et de se différencier. Les CSCs ont la faculté de se diviser de façon asymétrique pour donner naissance à une nouvelle cellule souche cancéreuse identique à la cellule mère et de générer des progéniteurs cellulaires, qui eux-mêmes, seront à l’origine des lignées cellulaires différenciées. Les cellules filles vont ensuite proliférer et former la masse tumorale. Les CSCs se situent dans un microenvironnement cellulaire complexe, appelé «niche». Cette niche est vascularisée et composée de cellules stromales telles que des myofibroblastes, des cellules immunitaires, des cellules mésenchymateuses, des molécules de la matrice extracellulaire ainsi que des cellules nerveuses. Selon leur microenvironnement, les CSC possèdent des caractéristiques et expriment des molécules spécifiques permettant leur isolement.
Dans le cancer du sein, les cellules souches ont été caractérisées par des marqueurs cellulaires, la présence de CD44 et l’absence de CD24. Bien que la fonction de ces marqueurs dans ce contexte ne soit pas claire, la xénogreffe de ces cellules CD44+ /CD24-/faible chez la souris possède une capacité tumorale 10 à 50 fois supérieures à la xénogreffe d’une autre tumeur (Kai K et al., 2010). Les deux marqueurs de surfaces CD24 et CD44 sont exprimées par les cellules différenciées et « progénitrice-like », respectivement (Fillimore C et Kuperwasser C, 2007). La surexpression de l’enzyme ALDH+ (aldéhyde déshydrogénase) est corrélée avec une diminution de la survie des patients. La quantification de l’expression de ces trois protéines pourrait servir comme un meilleur marqueur de pronostique pour ce cancer (Velasco-Velazquez MA et al., 2012). Dans le cancer de la prostate, une fraction de la population épithéliale (approximativement 1 %) exprime les marqueurs CD133+ et α2β1 intégrine. Le phénotype α2β1 élevé/CD133+ /CD44+ confère aux cellules un grand potentiel prolifératif et une habilité à reconstruire des acini « prostatique-like » dans des souris mâles immunodéficientes (Collins AT et al., 2005). Dans le cancer des ovaires, l’isolement des CSC dans l’ovaire se fait suite à l’identification des marqueurs CD117 (c-kit) et CD44. D’autres marqueurs sont communs au cancer du sein, ce sont l’ALDH et le CD133. La carcinogénèse ovarienne étant toujours actuellement débattue, l’origine de ce cancer se traduit par une multiplication des marqueurs proposés pour identifier une CSC ovarienne. Il n’existe actuellement pas de consensus concernant les marqueurs à utiliser (Zhang S et al., 2008).
Les cellules souches adultes peuvent être étudiées en utilisant leur capacité à générer des sphères. Cette capacité est utilisée pour enrichir les populations de cellules souches normales ou pour caractériser les cellules souches tumorales. La compréhension des processus de résistances de ces cellules est primordiale pour essayer de trouver une thérapie ciblée plus efficace que celle utilisée à l’heure actuelle. L’élimination ciblée des CSC devrait assurer une guérison à long terme.
Les cancers hormono-dépendants
Certains tissus (tels que la glande mammaire, l’endomètre, la prostate et les ovaires) sont particulièrement sensibles aux effets des hormones sur la survie, la croissance ou la différenciation cellulaire. Les cancers dérivés de ces tissus peuvent garder tout ou partie de cette « hormono-dépendance ». Les hormones en cause dans les cancers hormono-dépendants sont essentiellement des stéroïdes (œstrogènes, androgènes), plus rarement des hormones polypeptidiques (hormone de stimulation thyroïdienne TSH, somatostatine). Ces cancers expriment des récepteurs hormonaux qui peuvent rester fonctionnels et sont détectables par des techniques immunohistochimiques permettant une évaluation semi-quantitative de leur degré d’expression, ou dosables par des techniques biochimiques. Leur présence et leur niveau d’expression sont des paramètres importants de prédiction de la réponse à un traitement hormonal. Par exemple, dans les cancers hormono-dépendants du sein et de l’ovaire (ou de la prostate), la survie et la prolifération cellulaire sont soutenues par les œstrogènes (ou respectivement par les androgènes) ; la privation de cette influence hormonale peut inhiber la prolifération et/ou entraîner la mort des cellules cancéreuses et permettre des effets anti-tumoraux durables (Henderson BE et Feigelson HS, 2000).
Le cancer du sein
Le cancer du sein est une tumeur maligne de la glande mammaire. C’est le plus fréquent des cancers féminins. De nombreux facteurs peuvent être impliqués dans le déclenchement de ce cancer, parmi lesquels le sexe, l’âge, la durée de la vie génitale, la nulliparité, la première grossesse après 30 ans, l’histoire familiale, l’antécédent personnel de cancer du sein, les facteurs hormonaux et les facteurs environnementaux. Parmi ces facteurs, on détaillera seulement l’implication du facteur hormonal dans la cancérogenèse du sein. Une observation directe de la prise d’œstrogène chez la femme post ménopausée augmente le risque de cancer du sein. Ainsi, le traitement hormonal de substitution (THS) augmente ce risque d’une manière significative (risque relatif estimé à 1,5) (Claus EB et al., 2003) .
D’autre part, des études in vitro supportent l’action carcinogène des œstrogènes sur les cellules mammaires. En effet, des cellules épithéliales humaines du sein, MCF 10F, traitées avec l’œstradiol (E2), forment des colonies au bout de 21 jours. L’E2 provoque de nombreuses modifications cellulaires dont une croissance indépendante de la fixation des cellules au support, une absence de canulogénèse dans le collagène et une invasion cellulaire du matrigel. L’induction de la transformation complète des cellules MCF-10F confirme la carcinogénèse d’E2 et montre que cette hormone peut être à l’origine de cancer du sein chez les femmes (Russo J et al., 2006). Les tumeurs du sein peuvent se différencier par la présence ou l’absence de récepteurs aux œstrogènes (RE+/-) et de la progestérone (RP+/-). Les tumeurs RE+/RP+ représentent les tumeurs les plus communes. La présence de ces récepteurs est dépendante de nombreux facteurs, ainsi, le nombre de tumeurs contenant les récepteurs aux œstrogènes varie avec l’âge et l’utilisation d’hormone après la ménopause alors que la présence du récepteur de la progestérone varie avec le poids corporel et l’historique de la grossesse (Colditz G et Rosner B, 2004). Les deux isotypes de REs sont co-exprimés dans le tissu mammaire. En effet, le récepteur REα est exprimé dans les tumeurs malignes augmentant leur division cellulaire tandis que la présence de REβ peut complémenter ou s’opposer à l’effet de REα (Palmieri C et al., 2002). Le niveau d’expression de REα est associé à un pronostic favorable du cancer (tumeurs différenciées) et, malgré le rôle contradictoire de REβ, les études menées sur son niveau d’expression suggèrent qu’il est aussi un indicateur de pronostic favorable (Herynk MH et Fuqua SA, 2004).
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Table des matières
Introduction générale
I Etude bibliographique
I.1 Cancérogénèse
I.1.1 Les cellules souches cancéreuses
I.1.2 Les cancers hormono-dépendants
I.1.3 Les hormones stéroïdes
I.1.4 Les récepteurs aux œstrogènes nucléaires : REα et REβ
I.1.5 La signalisation des REs
I.1.6 Traitement : l’hormonothérapie
I.1.7 Effets secondaires et limitations de l’hormonothérapie
I.2 Produit naturel comme traitement alternatif : la férutinine
I.2.1 Classification botanique de la plante d’intérêt
I.2.2 Activités biologiques
I.2.3 Structure chimique de la férutinine et de composés apparentés
I.2.4 Relations structures-activités
II Définition d’un filtre in silico pour la sélection d’antagonistes potentiels des récepteurs aux œstrogènes
II.1 Outils et formats de données
II.2 Les récepteurs aux œstrogènes nucléaires : REα et REβ
II.2.1 Relations structure-fonction
II.3 Analyse structurale
II.3.1 Méthodologie
II.3.2 Interprétations générales du système
II.4 Introduction à l’arrimage moléculaire (docking)
II.4.1 Le processus d’arrimage
II.4.2 Scoring
II.4.3 Sélection des poses (efficacité-conformité)
II.4.4 Docking 4D
II.5 Définition d’un filtre in silico
II.5.1 Site de liaison
II.5.2 Flexibilité et plasticité
II.5.3 Choix des paramètres de calcul
II.5.4 Profils pharmacophoriques
II.5.5 Validation du filtre
II.6 Cas de la férutinine
II.6.1 Cas du REα
II.6.2 Cas du REβ
II.7 Conclusions et perspectives
III Hémisynthèse et docking des analogues de la férutinine
III.1 Analogues de la férutinine
III.2 Synthèse chimique
III.2.1 Optimisation de la production de férutinine
III.2.2 Synthèse de la série d’analogues de la férutinine
III.3 Application du filtre in silico aux analogues de la férutinine
III.3.1 Méthodologie d’analyse
III.3.2 Cas du récepteur REα
III.3.3 Cas du récepteur REβ
III.4 Conclusions et perspectives
IV Etude biologique de la férutinine et de ses analogues sur la prolifération des lignées cellulaires cancéreuses du sein
IV.1 La férutinine est un inhibiteur potentiel de la prolifération des lignées cellulaires cancéreuses du sein in vitro
IV.2 La férutinine induit une accumulation des cellules au niveau de la phase pré G0/G1 du cycle cellulaire
IV.3 La férutinine induit la mort cellulaire par apoptose
IV.4 La signalisation de la férutinine se fait en partie par le biais des récepteurs aux œstrogènes
IV.5 La férutinine inhibe la formation des cellules souches/progénitrices dans la lignée MDA-MB-231 alors qu’elle enrichie cette population dans les cellules MCF-7
IV.6 La férutinine est légèrement sélective vis-à-vis des lignées cellulaires cancéreuses
IV.7 Les analogues 3c’ et 2c’ sont des candidats potentiels dans traitement du cancer du sein
IV.8 Conclusions
V Etude biologique de la férutinine et de ses analogues sur la prolifération des lignées cellulaires cancéreuses de la prostate et des ovaires
V.1 Effet de la férutinine et de ses analogues sur le cancer de la prostate
V.1.1 La férutinine est un inhibiteur potentiel de la prolifération des lignées cellulaires cancéreuses de la prostate in vitro
V.1.2 La férutinine est relativement sélective vis-à-vis des cellules cancéreuses prostatiques
V.1.3 La férutinine induit une accumulation des cellules au niveau de la phase pré G0/G1 du cycle cellulaire
V.1.4 La férutinine retarde la migration et l’invasion cellulaire
V.1.5 La férutinine cible la population enrichie de cellules souches/progénitrices des cellules cancéreuses prostatiques
V.1.6 L’analogue 2c’ est le candidat potentiel pour le traitement du cancer prostatique
V.2 Effet de la ferutinine et de ses analogues sur le cancer des ovaires
V.2.1 La férutinine est un inhibiteur potentiel de la prolifération des lignées cellulaires cancéreuses ovariennes in vitro
V.2.2 La férutinine induit une accumulation des cellules au niveau de la phase pré G0/G1 du cycle cellulaire
V.2.3 La férutinine cible la population des cellules souches/progénitrices dans les cellules cancéreuses ovariennes
V.2.4 L’analogue 2b est le candidat potentiel pour le traitement du cancer ovarien193
V.3 Conclusions
VI Conclusion générale
