« La maison se définit par son jardin »
Les aspirations des ménages pour la maison individuelle
Selon un sondage de TNS Sofres , 68% des Français déclarent vivre dans un habitat individuel et 87% choisiraient d’habiter un logement individuel. Cette aspiration générale est unanimement constatée et de nombreux sociologues ont tentés de définir ses origines, qui se situent au croisement des caractéristiques symboliques psychiques et sociales que notre culture accorde à la maison individuelle.
Le concept de « maison » possède une dimension symbolique fondamentale et primitive : évoquant le nid, la coquille, la grotte ou la cabane, elle possède une fonction maternelle symbolique de protection. D’après François Vigouroux , « elle protège et rassemble la famille, la situe dans le monde et dans le temps ». Son caractère sacré se retrouve dans de très nombreuses cultures et en particulier chez les grecs et les romains de l’Antiquité qui vouaient un culte aux dieux Pénates, gardiens de la famille et du foyer, et aux dieux Lares, gardiens de la maison . L’origine de ces derniers remonte à la croyance que les âmes de morts, autrefois enterrés dans les maisons, continuent de veiller sur leur demeure et ses habitants. Ce rapport aux ancêtres se retrouve dans nos valeurs patrimoniales. D’après Bourdieu , notre société reste animée du « désir fantasmatique d’une maison individuelle durable et transmissible ». La maison individuelle exprime en effet la continuité familiale, une valeur culturelle recherchée par les individus et commune à de nombreuses cultures. Par exemple, en espagnol, casarse signifie se marier, alors que sa traduction littérale serait « s’emmaisonner ». Cette double définition met en évidence la liaison culturelle intime qui existe entre les notions de maison et de famille. Même si la transmission intrafamiliale de ce patrimoine est loin d’être systématique, la quête d’authenticité et la nostalgie de la maison rurale des grands-parents ancrent le désir de maison individuel dans l’inconscient.
Idéologiquement, la maison individuelle évoque l’accomplissement d’une « plénitude familiale ». Des études de rêves stipulent que la maison, son intérieur intime et son aspect extérieur public, est une représentation psychique du moi. Elle représente l’image de soi en tant qu’individu ayant un certain statut social.
Il existe différents types de maisons individuelles, en zone urbaine, périurbaine ou à la campagne, groupées, isolées ou en lotissement. On remarque que la force idéologique du mythe pavillonnaire se situe au-delà des notions pragmatiques de « constitution d’un capital » et de « bon placement » : ce choix de vivre en maison individuelle en lotissement traduit une recherche d’ « endogamie sociale » qui a conduit à une banalisation de ce type d’habitat.
Certains sociologues considèrent le lotissement comme le « lieu de fusion des différences sociales » . Le fait de se regrouper entre voisins qui présentent les mêmes appétences en termes de choix de localisation et de mode de vie est un signe ostentatoire d’appartenance à une certaine classe sociale, qui cache pourtant des différences parfois importantes de niveaux de vie.
Cette endogamie sociale apporte aux ménages un sentiment de commodité, de tranquillité, de sécurité, voire de protection, qui paraissent plus importants que le temps et les coûts induits par les déplacements. Le marché immobilier présentant une offre d’accession à la propriété majoritairement pavillonnaire alimente l’attrait des ménages pour ce type d’habitat banalisé, qui est devenu en quelques sortes la « normalité » sociale des couches supérieures et moyennes de la population et qui clôt souvent une trajectoire résidentielle ascendante.
Le désir de vivre dans une maison individuelle est souvent motivée par le souhait d’un mode de vie agréable pour les enfants. La maison individuelle en lotissement est alors décrite comme une étape d’un cycle de vie, qui offre un environnement tranquille et protégé pour l’éducation des enfants. Certains parents n’excluent pas l’idée de « retourner vivre en appartement en ville une fois les enfants partis », mais dans les faits, si la maison individuelle est l’ultime étape pour la famille nucléaire, c’est-à-dire pour les structures familiales comportant deux parents et leur(s) enfant(s), elle constitue dans la grande majorité des cas un enracinement définitif. La revente difficile ou la peur du changement conduisent souvent le couple parental a conserver son habitation ou a déménager pour une maison individuelle plus petite.
On constate en effet que les trajectoires résidentielles des ménages évoluent rarement spontanément du logement individuel vers le logement collectif, car ce déplacement induit des changements inespérés –et des craintes de ce changement- du mode de vie associé à la maison individuelle.
Nous l’avons vu précédemment, les acquéreurs de pavillons paraissent s’identifier à leurs voisins et à l’image que donne leur lotissement. Cette recherche de reflet social, censé garantir aux habitants la sécurité, dissimule, par extension, une peur de la différence. A notre avis, cette crainte est constituante du mode de vie individualiste de notre société moderne. Le pavillon individuel, foyer protecteur de la famille, idéalise un désir d’autonomie. Une contradiction existe donc entre le besoin de s’identifier à son quartier, et celui de préserver l’autonomie du ménage en mettant à distance le voisinage. On peut parler d’un « désir paradoxal d’intimité et de vivre ensemble » . Savoir régler sa distance à autrui est une condition nécessaire pour avoir de bonnes relations de voisinage , courtoises mais non amicales. A l’intérieur même de la cellule familiale, la maison individuelle répond au besoin d’autonomie des différents membres de la famille : les entrées et sorties de chacun sont faciles et discrète, les surfaces sont grandes, certaines pièces peuvent changer d’usage pour suivre l’évolution de la famille. C’est d’ailleurs son potentiel de transformation qui confère à la maison individuelle son succès populaire : elle est capable de s’adapter, d’être remaniée au rythme des projets de ses habitants. Cette malléabilité répond à une pluralité des modes de vie et aux évolutions familiales, mais permet aussi à ses habitants de se projeter dans le futur en imaginant des projets de transformation. Même si c’est derniers ne seront finalement jamais réalisés, la maison individuelle est une promesse d’évolution et un support à l’imaginaire.
L’importance du jardin
Le jardin parait être le critère prédominant dans le choix d’une maison individuelle.
« Ce qui mobilise les classes populaires en faveur de la maison individuelle, c’est le jardin autant que la maison elle-même» . D’après un sondage officiel, avoir un jardin serait le critère de choix principal en cas de déménagement . Les chiffres d’une enquête précédant l’exposition Voisins-voisines- nouvelles, nouvelles formes d’habitat individuel en France vient confirmer cette tendance : Les critères de choix idéal pour un logement sont pour 58% d’avoir un jardin, 45% une bonne localisation et 35% une maison individuelle. Ces résultats mettent en évidence le fait que ce n’est pas la maison individuelle en elle-même qui attire tant les Français, mais son jardin. Une confusion existe en fait dans nos esprits entre maison individuelle et maison-avec-jardin.
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Table des matières
INTRODUTION
PARTIE A Investigations bibliographiques
CHAPITRE 1 : « La maison se définit par son jardin »
1.1- Les aspirations des ménages pour la maison individuelle
1.2- L’importance du jardin
1.2.1-Le jardin est un élément métaphorique et sensoriel
1.2.2-Le jardin a un rôle social d’autonomie, de mise à distance ou de partage
1.2.3-Les potentiels d’usages du jardin traduisent un choix de mode de vie
1.3- La critique du collectif
CHAPITRE 2 : Préoccupations de densités urbaines
2.1- Les problématiques de l’étalement urbain
2 .1.1- Origines du phénomène d’étalement urbain
2 .1.2- Conséquences et enjeux de développement durable
2.2- Compréhension du concept de densité
2 .2.1- Une représentation négative
2 .2.2- Mesures de la densité
2 .2.3- Définitions psychosociologiques de la densité
2 .2.4- La végétation permet d’accepter plus de densité
CHAPITRE 3 :Des espaces extérieurs pour les logements collectifs
3.1- Les espaces extérieurs dans le logement collectif… au fil du siècle
3.1.1- L’exemple des villas superposées de Le Corbusier, 1922
3.1.2- L’exemple des appartements-terrasses de Renée Gailhoustet, 1982
3.2- La prise de conscience actuelle des acteurs de projets
PARTIE B Investigation de terrain : îlot La Sécherie, Bottière-Chénaie, Nantes. Boskop
CHAPITRE 4 : Un appartement avec jardin ?
4.1- Le potentiel du jardin privé dans le logement collectif
4.1.1-Le jardin est un élément métaphorique et sensoriel
4.1.2-Le jardin a un rôle social d’autonomie, de mise à distance ou de partage
4.1.3-Les potentiels d’usages du jardin traduisent un choix de mode de vie
4.2- La démarche d’enquête auprès d’habitants
4.2.1- Intérêt de la démarche d’enquête
4.2.2- Le choix du terrain d’étude : îlot La Sécherie, Bottière-Chénaie, Nantes
4.2.3- Méthodologie d’investigation : le questionnaire et l’entretien semi-directif
CHAPITRE 5 : Enquête auprès des « maîtres d’usages »
5.1- La Sécherie, entre logements collectifs et individuels
5.1.1- Description de l’opération
5.1.2- Comparaison de densités
5.1.3- Quel potentiel pour les jardins de la Sécherie ?
5.2- Transcription et analyse des discours
5.2.1- Qui sont ces « maitres d’usage » ?
5.2.2- Transcription des discours d’après le potentiel des jardins
5.2.3- Retour critique sur la méthode d’enquête
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
