L’accompagnement est une notion polysémique employée aujourd’hui par les acteurs professionnels du social et par les acteurs des politiques publiques. De nombreuses études sont consacrées à son analyse sans que jamais n’en soit finalement donné une définition qui puisse en cerner les limites. Yves Lochard, à partir de l’étude des relations d’accompagnement au sein de l’association Solidarités Nouvelles face au Chômage (SNC) présente l’accompagnement vers l’emploi comme découlant d’une transformation de la relation d’aide basée auparavant sur l’assistance : « il a longtemps relevé de l’incitatif et du prescriptif plus que du descriptif. Il continue à relever pour une part d’une logique performative dans la mesure où il vise encore aujourd’hui à faire émerger une pratique qui se veut distincte de l’assistance ou de l’aide. » (Lochard, 2010, p.24).
Les références à l’accompagnement social et aux pratiques du travail social sont généralement faites pour rendre compte de l’émergence de la notion : «l’accompagnement pose un objectif d’ouverture aux autres par une présence relationnelle, par un dialogue, par une implication. » (Barreyres, Bouquet, 2006, p.23). Un accompagnement de qualité correspond à une démarche qui se développe à partir du projet de la personne et de son écoute. L’accompagnement est un objet d’étude d’actualité. Par exemple, les publications récentes de la revue de la CNAF (Boulayoune, 2012 ; Duvoux, 2012a ; Informations sociales, 2012 ; Astier, 2009) témoignent d’un engouement des chercheurs pour cette question. Par ailleurs, les travaux de Yolande Benarrosh s’intéressent aux relations des chômeurs aux institutions du Service Public de l’Emploi (SPE) en procédant par la construction de catégories idéal-typiques et « en prenant plus systématiquement en compte le point de vue des chômeurs à travers l’analyse de leurs discours ». (Benarrosh, 2012, p.159).
Du côté des politiques de l’emploi, les tentatives de définition concluent à un manque dans l’analyse du contenu de l’accompagnement vers l’emploi : « Le contenu précis de l’accompagnement, qui varie selon les publics et les acteurs impliqués, fait encore largement figure de « boîte noire », et les raisons de son efficacité demeurent relativement inexplorées. » (Guézennec, 2011, p.4). De même, pour Nicolas Duvoux, l’accompagnement est le « parent pauvre des politiques d’insertion » (Duvoux, 2012b, p.72). Ces constats conduisent les économistes à analyser l’accompagnement dans ses liens aux politiques de l’emploi, centrés et réaffirmés sur le modèle de l’activation, et à évaluer leurs résultats en période de chômage de masse. « La fonction de ces politiques est de soutenir les créations d’emploi, de faciliter les appariements sur le marché du travail et de favoriser l’accès à l’emploi des chômeurs. » (L’Horty, 2013, p.98 ; L’Horty, 2006). Les politiques d’emploi font depuis longtemps l’objet d’évaluation, comme le montre le rapport de Patrick Viveret sur le RMI (Viveret, 1989) ou les études récentes sur le RSA (Anne, L’Horty, 2009 ; 2008).
Le Revenu Minimum d’Insertion (RMI), institué en 1988, relève de ces politiques d’emploi. L’accompagnement mis en place dans le cadre du contrat d’insertion du RMI a été analysé à partir du nombre d’entretiens menés avec l’allocataire par des conseillers ANPE ou des CLI (Commissions locales d’insertion) (Bouchoux, Houzel, Outin, 2004a). Ces analyses ont conduit à concevoir le concept de « régime local d’insertion », comme un agencement de « règles, de pratiques et d’acteurs » (2004a, p.5) mettant en lumières plusieurs types d’intervention du RMI prenant en compte simultanément « les contextes socio-économiques, plus ou moins favorables et les pratiques des acteurs, plus ou moins actives » (2004b, p.116). Enfin, les différents usages de ce dispositif par les bénéficiaires ont été analysés (Outin, 2008) et ses effets sur les trajectoires individuelles ont été modélisés (Bouchoux, Houzel, Outin, 2007).
Logique statistique
La Revue d’Économie Politique, dans un numéro récemment paru, intitulé «Trajectoires, Emploi et Politiques publiques » , propose sept articles s’intéressant à la thématique des parcours dans l’emploi ou vers l’emploi et leur lien avec les politiques d’emploi. Ces sept articles empruntent différentes méthodes pour aboutir à la construction de leurs résultats, dont le trait commun est la modélisation : exploitation de données d’enquêtes, données expérimentales construites à partir de campagnes de testing , expérimentation en laboratoire, et évaluation aléatoire. Ces méthodes, plus ou moins sophistiquées, illustrent de manière assez générale les techniques utilisées par les économistes contemporains sur les thématiques de l’emploi. Dans chacune de ces études, aucune n’a recours à une collecte des données par entretien en suivant une méthode qualitative et itérative, directement sur le terrain du phénomène social étudié. Le point commun de ces études est d’avoir recours à l’économétrie pour présenter leur résultat.
Le traitement économétrique de l’accompagnement
La mesure d’un phénomène social comme celui de l’accès à l’emploi pose la question du choix de cette mesure. Par exemple, selon Jacques Freyssinet, « si la mesure du chômage doit constituer un élément fiable et significatif du débat social, le problème ne doit pas être posé en termes de définition d’une mesure unique qui serait la « vraie » représentation du phénomène. » (Freyssinet, 2013, p.77 ; Gautié, L’Horty, 2013). Partant de là, il n’y a pas une seule mesure possible de l’accompagnement vers l’emploi, mais bien une pluralité de mesures possibles.
L’accompagnement vers l’emploi peut être construit comme fait empirique en faisant le choix d’une approche quantitative en économie. Pour cela, l’accompagnement vers l’emploi est construit comme un fait statistique. En suivant Alain Desrosières (1993 ; 2008a ; 2008b), on peut définir la statistique comme « un instrument, une méthodologie subordonnée, un outil technique fournissant une validation empirique.» (Desrosières, 2008a, p.40).
La statistique publique est un exemple de construction de l’accompagnement vers l’emploi comme fait empirique (CERC, 2005 ; COE, 2012). À travers les études menées par des organismes publics comme la DARES, la DREES, l’INSEE, le fait de l’accompagnement vers l’emploi est produit comme fait empirique sous l’angle de sa construction statistique. De même, Pôle Emploi produit des statistiques publiques à fréquence régulière, concernant le taux de chômage, d’entrée et de sortie de l’organisme du SPE . Toutes ces études découlent du choix d’une approche quantitative, qui conduit de fait à poser des questions de recherche spécifiques.
L’approche choisie conditionne en effet l’objectif de la recherche. Dans le cas du retour à l’emploi, celui-ci est d’« identifier les marges de manœuvre existantes pour maximiser les effets de l’accompagnement sur le retour à l’emploi. » (Guézennec, 2011, p.1). L’idée est de définir quels sont les facteurs à davantage mobiliser pour améliorer quantitativement l’accès à l’emploi. Il revient donc à mesurer l’efficacité des dispositifs d’accompagnement sur l’insertion des chômeurs en ayant recours à la formalisation qui « s’impose quand le raisonnement naturel se bloque et que celle-ci permet seule de sortir des apories auxquelles il aboutit. » (Grenier, Grignon, Menger, 2001, p.40).
Pour ce faire, l’outil privilégié est l’économétrie, définie par Luc Behaghel comme « le mariage de trois disciplines : la statistique, la théorie économique et les mathématiques (…) en vue de comprendre les relations quantitatives dans la vie économique. » (Behaghel, 2006, p.9). Depuis début 2000, les études économétriques concernant l’accès à l’emploi se sont multipliées. Il s’agit, par exemple, d’évaluer l’efficacité des dispositifs de retour à l’emploi (Brodaty, Crépon, Fougère, 2007), des gains du retour à l’emploi des allocataires du RSA (Briard, Sautory, 2012), des résultats de l’accompagnement des Opérateurs Privés de Placement (OPP) (Behaghel, Crépon, Gurgand, 2009), de dispositifs d’accompagnement mis en place par Pôle Emploi (Fougère, Kamionka, Prieto, 2010; Fougère, 2000) ou encore de l’accompagnement des jeunes en missions locales (Gomel, Issehnane, Legendre, 2010 ; 2012 ; 2013).
L’exemple de l’accompagnement des jeunes en CIVIS
La logique statistique appliquée au traitement de l’accompagnement vers l’emploi peut être illustrée par une étude récente sur l’accompagnement des jeunes en CIVIS (Contrat d’accompagnement dans la vie sociale) dans les missions locales (Gomel, Issehnane, 2010 ; 2012 ; 2013). Le CIVIS est un dispositif créé par le plan de cohésion sociale de 2005 ciblé sur les jeunes peu ou pas diplômés de 18 à 25 ans. Ces derniers bénéficient, à travers ce contrat, d’un accompagnement personnalisé qui a pour objectif l’insertion dans la vie sociale et professionnelle. Il peut être renforcé pour les jeunes les moins qualifiés et consiste dans ce cas à des entretiens plus nombreux avec un conseiller unique. Ces auteurs ont répondu à une commande publique de la DARES visant à évaluer l’efficacité du dispositif CIVIS sous l’angle de l’accès à l’emploi.
Leur point de départ est la question des effets de l’accompagnement sur l’insertion professionnelle des jeunes. Leur matériel brut est constitué de données issues de l’outil de gestion du suivi de l’accompagnement des missions locales, l’application informatique Parcours 3, sur la période du troisième trimestre de 2005 au troisième trimestre de 2008. À partir de ces données observationnelles, ils cherchent à évaluer l’effet de l’accompagnement sur le degré d’insertion professionnelle. Pour cela, les auteurs mettent en panel les données observationnelles de Parcours 3 en raisonnant en semestre de suivi. L’individu statistique est donc le jeune / semestre. Ces données de panel sont constituées d’environ 3 millions d’observations représentant plus de 500 000 trajectoires de jeunes. À partir de ce calibrage des données en données de panel les auteurs font référence à l’effet Matthieu et qualifient ce qu’ils appellent l’effet Matthieu de « type II » .
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Analyser l’accompagnement vers l’emploi : méthodes et approches
1.1. Logique statistique
1.2. Logique biographique
1.3. Logique institutionnaliste
1.4. L’appui sur l’économie solidaire
Partie I : La construction de l’accompagnement associatif vers l’emploi
Chapitre 2 : Une association de lutte contre le sida : De la prise en charge globale à l’accompagnement vers l’emploi
2.1. L’organisation de l’association
2.2. Une dynamique d’accompagnement pluriel
2.3. L’accompagnement vers l’emploi
2.4. L’association : un espace de protection
Chapitre 3 : Un collectif inter-associatif d’insertion : Modèle d’insertion et lutte contre le sida
3.1. L’émergence de la thématique VIH et Emploi
3.2. L’expérience du collectif inter-associatif
3.3. Les pratiques d’accompagnement vers l’emploi
3.4. Les fondements des pratiques d’accompagnement
Conclusion Partie I
Partie II : La construction sociale des trajectoires individuelles dans l’espace associatif
Chapitre 4 : Vers une théorie du couplage
4.1. Une réponse par le concept d’institution ?
4.2. L’hypothèse du couplage entre comportements en relation et institution
4.3. L’institution du langage
Chapitre 5 : La construction sociale des trajectoires individuelles : analyse lexicométrique
5.1. La méthode Alceste
5.2. Les parts sociales communes
5.3. Les parts sociales divergentes
Chapitre 6 : Analyse biographique des trajectoires individuelles
6.1. Deux axes de lecture
6.2. Le parcours social
6.3. L’impact des représentations sociales
6.4. Parcours d’émancipation par la reconversion professionnelle
6.5. Les parcours des « experts d’expériences »
Conclusion Partie II
Conclusion générale
