Le risque est une notion qui a envahi le monde moderne occidental. Un livre développe ainsi le concept de « société du risque » (Beck, 1986). L’émergence récente dans les media des expressions « risque zéro » et « principe de précaution » met l’accent sur cette obsession. Ainsi, du 29 novembre 2002 au 30 mars 2003 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, il était possible de voir « Ce qui arrive » (définition du latin accidens) une exposition conçue par Paul Virilio . Au travers de la vision artistique de différentes formes de l’accident, cette exposition montrait à quel point l’accident est constitutif des sociétés technologiques modernes (cf citation en exergue). La tendance qui nous expose à l’accident se trouvait alors renversée en exposant l’accident à son tour dans ce qui constitue un musée de l’accident.
Pour parler plus précisément du risque qui nous occupe, le risque routier, un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé de 2004 indique que le trafic routier sera en 2020 la troisième cause la plus importante de dommages corporels dans le monde . En France, après un effort historique, le nombre annuel de morts sur les routes a amorcé une baisse depuis 2002, passant de 7720 en 2001 à 5217 en 2004. Pour s’approcher de la « Vision Zéro » suédoise, i.e. zéro mort sur les routes, il est nécessaire de développer de nouveaux outils pour diagnostiquer la sécurité, sans attendre que l’accident se produise.
La régulation dans un carrefour à feux
La régulation du trafic en milieu urbain se donne différents objectifs (cf (Braban et Boillot, 2003; Anonyme, 1988)) : avant tout assurer la sécurité des usagers sur la voirie, en particulier dans les carrefours où les points conflictuels sont les plus nombreux, mais aussi maîtriser les retards, les congestions, la pollution, le bruit, conséquences d’une augmentation incessante du trafic, enfin assurer un certain confort. Pour répondre à ces objectifs, la régulation revêt plusieurs aspects : d’abord un aspect statique par le choix d’une infrastructure urbaine doublée d’une signalisation appropriée ; ensuite un aspect dynamique par des actions sur les flux de mobiles au moyen de feux tricolores, de la présence d’agents de la circulation, de panneaux à messages variables et de systèmes embarqués d’information et de guidage. Nous nous intéressons dans ce travail aux méthodes de régulation par les feux tricolores.
La régulation par les feux
Les feux tricolores permettent de faire beaucoup de choses. En premier lieu, ils permettent de supprimer certains points conflictuels en partageant dans le temps l’utilisation d’un même espace, la zone de conflit précisément, entre des flux conflictuels. Par le choix des durées de chaque état des feux , et la synchronisation des feux entre eux, ils permettent aussi de gérer l’écoulement de la demande. Une des difficultés tient à la variabilité de la demande du trafic. La demande de trafic sur une entrée de carrefour varie de façon importante au cours d’une même journée, d’un jour ouvrable à un jour de fin de semaine, et une exploitation en temps fixe (phases et cycles fixés) ne permet pas d’offrir un bon niveau de service aux usagers. Il y a deux types de variations de trafic, celles régulières et prévisibles, et les autres exceptionnelles et aléatoires. Par exemple, les migrations pendulaires des jours ouvrables (soir et matin) sont à l’origine d’importantes variations régulières. Les périodes de vacances, manifestations populaires, sont sources de variations exceptionnelles. Il faut donc chercher à adapter l’offre de l’infrastructure à la demande du trafic, selon différents critères, comme le temps d’attente de tel ou tel type d’usager, le nombre d’arrêts, la consommation de carburant, la pollution, tout en assurant une sécurité maximale pour les usagers. Tous ces critères d’optimisation s’opposent parfois, en particulier ceux qui favorisent les différentes classes d’usagers (par exemple les automobilistes, les piétons, et les transports en commun).
Différentes méthodes et une multitude d’outils existent pour cela. Le plan de feux fixe dans le temps reste la base d’un système de gestion des feux. S’y ajoutent des méthodes pour tenir compte des fluctuations du trafic (cf (Braban et Boillot, 2003; Anonyme, 1988)) .
la programmation horaire (aussi appelée multiprogrammation à temps fixe) pour les variations régulières et prévisibles. Cette méthode consiste à disposer de plusieurs plans de feux correspondant aux situations types prévisibles du trafic et à les mettre en œuvre selon un calendrier programmé. Souvent, trois plans de feux suffisent, les heures de pointe (matin, midi et soir), les heures creuses du jour et les heures creuses de la nuit. Une méthode classique de calcul des carrefours à feux est décrite dans (Cohen, 1993),
la micro-régulation pour les variations exceptionnelles et aléatoires, prenant en compte l’analyse instantanée de la demande pour modifier la durée, l’occurrence ou l’ordre des phases dans le déroulement d’un plan de feux. Elle agit uniquement à l’échelle d’un carrefour ou d’un petit ensemble de carrefours,
la macro-régulation pour tous les types de variations, agissant à l’échelle d’une partie du réseau (regroupant plusieurs carrefours) sur des durées plus longues, pour coordonner ces carrefours. L’INRETS a développé un programme baptisé CLAIRE (Scemama, 2002), pouvant s’interfacer avec des méthodes de micro-régulation : il détecte les congestions, et donne des recommandations pour chaque axe (favoriser ou retenir le trafic) (Scemama, 2002).
Ces méthodes ne s’opposent pas et doivent être utilisées en parallèle. Elles assurent au système de gestion à base de plans de feux une adaptation au trafic non négligeable et une efficacité réelle dans de larges plages de fonctionnement, dans la mesure où un suivi et une maintenance du système sont assurés.
Les stratégies adaptatives
Depuis une vingtaine d’années est apparue une nouvelle famille de systèmes dits temps réels ou adaptatifs qui tendent à se démarquer des traditionnels plans de feux en offrant davantage de souplesse dans le choix des états de feux et en permettant de s’adapter à l’évolution du trafic au cours des années sans nécessiter une réactualisation comme dans le cas des plans de feux. (Braban et Boillot, 2003) propose un panorama très complet de ces nouveaux systèmes. Nous illustrons cette présentation de la régulation du trafic dans les carrefours à feux en nous attardant sur un système développé à l’INRETS dans le laboratoire Carrefour Intelligent, CRONOS, que nous étudions dans la suite et qui a fait l’objet de nombreux travaux (Boillot et al., 1992; Midenet et al., 1999; Midenet et al., 2000; Boillot et al., 2000; Boillot, 2002b; Midenet et al., 2004). CRONOS est un système de régulation temps réel par commande de feux. Il s’applique à des carrefours simples ou complexes, et à des réseaux de carrefours. Son originalité est de ne pas utiliser le concept de cycle de feux, ni de phases de trafic à priori. Le carrefour se définit uniquement par des contraintes sur les groupes de feux appelées « contraintes de sécurité », définissant l’ensemble des états de feux interdits sur le carrefour pour des raisons de sécurité. CRONOS nécessite à chaque seconde des mesures de débit, de longueur de file d’attente et d’occupation sur tout le carrefour. Des capteurs vidéo sont les plus adaptés pour fournir ce type d’information. Le critère de trafic optimisé par CRONOS est le temps d’attente global au carrefour de l’ensemble des véhicules sur un certain horizon de temps. Il utilise pour cela un modèle prédictif, explore les différentes solutions possibles et choisit chaque seconde par la méthode d’optimisation BOX une des meilleures solutions. Le système a été testé en situation réelle (Boillot et al., 2000), et comparé à une stratégie de référence, un plan de feux avec micro régulation. Les gains sont importants. Non seulement un véhicule gagne en moyenne 20% sur son temps d’attente, mais aussi 11% sur son nombre d’arrêts au carrefour. Les comparaisons en émission de CO2 et en consommation de carburant, estimées par modélisation, révèlent aussi des gains intéressants (Midenet et al., 1999; Midenet et al., 2000; Midenet et al., 2004) : par exemple, pour la catégorie des véhicules à essence équipés de pots catalytiques, est observé un gain de l’ordre de 4% pour le coût brut de traversée de la zone du carrefour (400 mètres) et de l’ordre de 14% sur la part due à l’arrêt dans ce coût.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Contexte
1.2 La problématique
1.3 Contributions de ce travail
1.4 Plan du document
2 Le diagnostic de sécurité dans les carrefours
2.1 Introduction
2.1.1 Les éléments du monde
2.1.2 Le carrefour à feux
2.1.3 La régulation dans un carrefour à feux
2.2 La sécurité et le risque
2.2.1 Les interactions
2.2.2 Hypothèses fondamentales : la hiérarchie des interactions et la sévérité
2.2.3 Le risque
2.3 Les méthodes de diagnostic de sécurité
2.3.1 L’usage de l’exposition
2.3.2 L’analyse des accidents
2.3.3 Les Techniques des Conflits de Trafic
2.3.4 Autres méthodes de sécurité
2.4 Conclusion
3 Le diagnostic de sécurité pour notre problématique
3.1 Une modélisation des interactions
3.1.1 Quelles interactions ?
3.1.2 Les catégories d’interaction
3.1.3 Le risque et la sévérité
3.2 Le système expérimental
3.2.1 Le laboratoire Carrefour Intelligent
3.2.2 Le site expérimental
3.2.3 Les données
3.2.4 La base de données
3.3 Que détecter dans les données ?
3.3.1 Adaptations nécessaires
3.3.2 Quels indicateurs de sévérité ?
3.3.3 Limites et discussion
3.3.4 Objectifs du travail et interprétation des données
3.4 Conclusion
4 Des règles pour les interactions et leur proximité
4.1 Introduction
4.1.1 Le contexte
4.1.2 Intelligence artificielle et systèmes experts
4.2 La détection des interactions
4.2.1 Les formes
4.2.2 Le franchissement de la ligne de feu
4.2.3 Les interactions
4.3 L’indicateur de proximité
4.3.1 Extrapolation des trajectoires
4.3.2 Calcul de l’indicateur de proximité
4.4 Validation
4.4.1 Introduction
4.4.2 La détection des interactions
4.4.3 L’indicateur de proximité
4.4.4 Remarques
4.5 Conclusion
5 Conclusion
