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Structure, origine et diversité génétique du VIH
Le VIH est un virus appartenant à la famille des Retroviridae du genre lentivirus. Il mesure environ 120 nm de diamètre et est formé :
– d’une enveloppe virale constituée d’une double bicouche lipidique et de deux glycoprotéines, la g120 et la gp41, issues du clivage de la glycoprotéine gp160 (7)(8) (9).
– d’un core viral ou nucléocapside composé d’une couche de protéines p17 (10) et d’une couche plus profonde de protéines p24 (10) (11).
– d’un génome viral, composé de deux copies d’ARN simple brin, qui code pour trois gènes de structures essentiels ; gag, env et pol. Gag code pour les protéines de la membrane interne et de la nucléocapside du virus, pol pour les enzymes spécifiques du virus et env pour les deux glycoprotéines de l’enveloppe. L’ARN du VIH est associé à des enzymes essentielles pour la réplication du virus : la transcriptase inverse (12) ou reverse transcriptase (RT) p64, la protéase p10 et l’intégrase p32.
Il existe deux souches de VIH : le VIH-1 et le VIH-2. Le VIH-1 est divisé en 4 groupes (M (« main », responsable de la pandémie), N (« non-M non-O »), O (« Outlier ») et P. Le VIH-2 est divisé en 9 groupes (A à I). Chaque groupe du VIH-1 correspond à un évènement distinct de transmission à l’homme (probablement par accident de chasse et/ou de boucherie) de virus simiens du chimpanzé (SIVcpz) Pan troglodytes troglodytes (groupes M et N) et du gorille Gorilla gorilla gorilla (SIVgor) (groupe P). Les virus du groupe O sont également très proches des SIVgor, formant un « cluster » monophylétique inséré dans la radiation des SIVcpz dans l’arbre phylogénétique, témoignant ainsi que les gorilles ont été infectés suite à une transmission inter-espèces des SIV de chimpanzés (14) (15) (16).
Selon des recherches récentes, les virus VIH-1 de groupe M ont connu une diffusion mondiale à partir de l’épicentre de l’épidémie, situé dans la partie occidentale de l’actuelle République Démocratique du Congo, avec une datation de l’ancêtre commun des virus du groupe M estimée par horloge moléculaire à 1908 [1884-1924] (17).
Enfin, le VIH-2 proviendrait du SIV du singe sooty mangabey.
Les différentes souches virales n’ont pas la même sensibilité aux traitements et la même répartition géographique. Les VIH-1 du groupe M sont responsables de l’épidémie mondiale et sont les virus prédominants en France (18) (19). Neuf sous-types du groupe M sont actuellement répertoriés (A, B, C, D, F, G, H, J, K) et il existe plus de 90 formes recombinantes circulantes entre ces différents sous-types (Circulating Recombinant Forms, ou CRFs) (20).
Le VIH-2 circule essentiellement en Afrique subsaharienne occidentale (21); il est très rare en France avec une proportion de nouveaux cas inférieur à 1% (19). Comparativement au VIH-1, le VIH-2 a une évolution clinico-biologique différente caractérisée par des virémies plus faibles, une évolution de la maladie plus lente (22) (23), une transmissibilité plus faible (24) et une résistance « naturelle » à certains antirétroviraux notamment les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (19) (25).
De part la rareté en France du VIH-2, nous allons exclusivement porter notre travail sur l’infection à VIH de type 1.
La découverte du VIH-1 et son mode de transmission :
Les premiers cas de personnes atteintes par le VIH ont été rapportés par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (« Center for Disease Control and Prevention » (CDC)) d’Atlanta en juin 1981. Le CDC a été informé du taux anormalement élevé de pneumonies à Pneumocystis carinii, de sarcomes de Kaposi et d’infections à cytomégalovirus (CMV) chez des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) (pathologies habituellement observées chez des patients immunodéprimés) et qui ne présentaient aucun antécédent de déficit immunitaire (26)(27). La maladie a été initialement appelée « Gay-Related Immune Deficiency » (GRID). A la fin de cette même année, des cas similaires de pneumocystose ont été décrits chez des utilisateurs de drogues injectables sans antécédents médicaux notables (28). En 1982, le GRID est alors renommé « Acquired Immune Deficiency Syndrome » (AIDS ou SIDA en français) et son mode de transmission par voie sexuelle est reconnu (29)(30). Des cas de SIDA ont ensuite été rapportés chez des Haïtiens vivant aux Etats Unis (31), chez des patients hémophiles transfusés (32) et en Europe (33) (34) (35). La cause du SIDA est alors inconnue.
En 1983 sont rapportés les premiers cas de femmes atteintes du SIDA suite à une contamination lors de rapports hétérosexuels avec des hommes atteints de SIDA (36), ainsi que les premiers cas d’enfants atteints de SIDA, faisant suspecter une infection périnatale survenue lors de la grossesse ou peu de temps après (37).
C’est au mois de mai 1983 que l’équipe de virologie dirigée par Luc Montagnier à l’Institut Pasteur à Paris isole le virus responsable du SIDA, un rétrovirus appelé initialement « Lymphadenopathy Associated Virus » (LAV) (38). En octobre de la même année, une surveillance mondiale de l’infection est mise en place par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
En 1986, le virus est définitivement nommé HIV (Human Immunodeficiency Virus) ou VIH (39) et le premier test de dépistage ELISA ayant la capacité de détecter les anticorps spécifiquement dirigé contre le virus est commercialisé par la Food and Drug Administration (FDA) aux Etats Unis. A la fin de cette même année, le virus est détecté dans toutes les régions du monde.
Les modes de transmission du VIH sont clairement établis. Le VIH est présent dans divers fluides biologiques (les sécrétions sexuelles, le sang et le lait maternel), il peut être transmis au cours de rapports sexuels (30), par la contamination de matériel souillé (transfusion sanguine (43), piqûre accidentelle, usage de drogues par voie intraveineuse (28)) ou de la mère à l’enfant (TME) pendant la grossesse, l’accouchement (37)) ou l’allaitement (40). Le virus ne peut être transmis par les aliments, l’eau, par voie aérienne ni par le contact avec des surfaces environnementales (30).
La voie sexuelle représente le mode de transmission le plus important du virus (41). Le risque de transmission varie au cours d’un rapport sexuel en fonction de l’état des muqueuses, de la présence d’autres infections sexuellement transmissibles et de la charge virale de la personne à l’origine de la contamination (42) (43).
La transmission du VIH-1 de la mère à l’enfant (TME) peut s’effectuer pendant la période périnatale in utero, en per partum ou en post partum. In utero, la TME survient majoritairement dans les semaines qui précèdent l’accouchement, principalement au troisième trimestre de grossesse. La contamination du fœtus au premier trimestre est possible mais peu fréquente (44). Le placenta jouerait un rôle protecteur vis à vis de la TME. Elle serait alors la conséquence du passage du virus dans le liquide amniotique, d’échanges sanguins materno-fœtaux favorisés par les brèches placentaires ou du passage transplacentaire du virus via les cellules permissives à l’infection comme les macrophages placentaires. Le per partum, est la période périnatale où la TME du virus est la plus fréquente ; elle survient dans 65% des cas (45). Les mécanismes mis en jeu sont peu connus mais certains sont suspectés ; le passage du nouveau né dans la filière génitale et le contact de ses muqueuses avec les particules virales libres ou associés aux cellules maternelles des sécrétions vaginales, des échanges sanguins fœto-maternels favorisés par des microlésions de la barrière placentaire au moment des contractions utérines ou une infection par le liquide gastrique via la muqueuse intestinale. Enfin, le nouveau-né peut être contaminé en post partum, principalement au cours de l’allaitement notamment en Afrique sub-saharienne où il représente environ un tiers de la transmission périnatale du VIH-1. Le risque de la TME est par ailleurs proportionnel à la durée de l’allaitement (46).
Le système immunitaire
Le VIH est dirigé spécifiquement contre les cellules du système immunitaire exprimant la glycoprotéine CD4, essentiellement les lymphocytes T CD4+ (LTCD4), les macrophages, les monocytes et les cellules dendritiques (47).
Le système immunitaire intervient dans la mise en en place de défenses permettant l’élimination de pathogènes par une distinction entre le « soi » et le « non soi ». Il peut être divisée en deux composantes fonctionnelles : l’immunité naturelle ou innée et l’immunité adaptative ou acquise.
L’immunité innée
L’immunité innée est la première ligne de défenses qui fait intervenir des barrières physiques (essentiellement les cellules épithéliales), des cellules « tueuses » du système immunitaire (les polynucléaires neutrophiles, les cellules Natural Killers), des phagocytes (macrophages, cellules dendritiques) et une composante humorale (les facteurs du complément) (48).
Les cellules dendritiques et les macrophages jouent un rôle prépondérant dans l’induction des réponses de l’immunité adaptative en présentant l’antigène aux lymphocytes T et B (25). Les composants de l’immunité innée interviennent immédiatement après la pénétration du pathogène dans l’organisme.
La réponse immunitaire y est non spécifique, elle est induite par la reconnaissance de séquences propres aux microorganismes (PAMP, pathogen-associated molecular pattern) par les cellules immunitaires qui expriment les récepteurs PPR (pattern recognition receptors) (50).
L’immunité adaptative
L’immunité adaptative se caractérise par une reconnaissance et une réponse spécifique au pathogène, consécutives à la présentation de l’antigène associé au complexe majeur d’histocompatibilité de type II (CMH-II) par les cellules présentatrices d’antigènes (macrophages, cellules dendritiques et lymphocytes B) aux cellules de l’immunité adaptative.
Les cellules dendritiques sont les cellules spécialisées dans la présentation antigénique (CPA) qui interviennent dans l’activation des cellules naïves de l’immunité adaptative : les LTCD4, les lymphocytes T CD8+ (LTCD8) et les lymphocytes B (51).
Les LTCD4 jouent un rôle prépondérant dans la réponse immunitaire adaptative; il permettent d’orienter la réponse immunitaire vers la réponse humorale induite par les lymphocytes B ou vers la réponse cellulaire induite principalement pas les LTCD8. Au cours d’une infection les LTCD4 se lient via leur récepteur (TCR) à un antigène associé au CMH-II présenté par les CPA (52). Cette liaison induit la prolifération des LTCD4 et leur différenciation en lymphocytes T helper 1 (LTCD4 Th1), helper 2 (LTCD4 Th2) (53) ou helper 17 (LTCD4 Th17) (54).
La réponse humorale correspond à la production d’anticorps consécutivement à l’activation des lymphocytes B et leur différenciation en plasmocytes. Les lymphocytes B peuvent s’activer selon deux mécanismes ; la voie d’activation lymphocytes T-dépendante et la voie d’activation lymphocytes T-indépendante (55). La voie d’activation lymphocyte T-dépendante fait intervenir le LTCD4 Th2 qui induit une sélection clonale des lymphocytes B et la production d’anticorps spécifique de forte affinité contre l’antigène (56). La voie d’activation lymphocyte T indépendante ne fait pas intervenir de LTCD4 et se manifeste par une sélection clonale B qui conduit à la production d’anticorps de faible affinité contre l’antigène.
Les LTCD4 Th1 sont impliqués dans l’activation des LTCD8 notamment via la production de l’interleukine 2 (IL-2) (57). Suite à cette activation, les LTCD8 entrainent la mort cellulaire des cellules (infectées ou cancéreuses) par mécanismes de cytotoxicité.
Les LTCD4 Th17 interviennent dans les processus d’inflammation chronique, les maladies auto-immunes et le recrutement de polynucléaires neutrophiles par chimiotactisme (54) (58).
Enfin, les LTDC4 peuvent également se différencier en cellules mémoires spécifiques à l’antigène et sont impliqués dans la réponse immunitaire secondaire qui permettra une destruction plus efficace et plus rapide lors d’un deuxième contact avec le même antigène (59).
le GALT :
Le GALT (« Gut Associated Lymphoid Tissue ») se situe dans la muqueuse du tractus gastro-intestinal et contient 80% des cellules lymphoïdes de l’organisme dont le plus important contingent de lymphocytes T CD4+ mémoires et activés (60). Il fait partie des tissus lymphoïdes associés aux muqueuses qui forment une partie des organes lymphoïdes secondaires. Il est constitué des plaques de Peyer, de la lamina propria, des lymphocytes intra-épithéliaux, des ganglions mésentériques et des follicules lymphoïdes isolés. Il joue un rôle prépondérant au cours de l’infection à VIH ; il est le lieu d’une réplication virale massive et est impliqué dans la formation de réservoirs de virus et l’hyperactivation systémique chronique (cf chapitre I.5.e) (61).
Histoire naturelle de l’infection à VIH-1
La réplication virale
Après sa pénétration dans l’organisme le virus se lie à la cellule cible par contact entre la glycoprotéine gp120 et la protéine CD4 (10) (62). La présence d’un corécepteur (CCR5 ou CXCR4) est impérative pour permettre une fixation entre le virus et la cellule cible (63) (64) (65).
La pénétration du virus dans la cellule est rendue possible par la fusion des membranes cellulaires de l’hôte et celle du virus (66). Elle est suivie d’une décapsidation du virus (67) permettant ainsi la libération de l’ARN viral, la RT, l’intégrase et la protéase dans le cytoplasme. L’ARN du VIH est alors rétrotranscrit en ADN double brin par la RT grâce à l’utilisation des nucléosides contenus dans le cytoplasme de l’hôte. L’ARN viral est ensuite détruit et l’ADN double brin rétrotranscrit appelé provirus ou ADN proviral est transporté vers le noyau sous forme de complexe de pré-intégration (68). Le provirus est clivé dans le noyau par une endonucléase, avant que les deux brins de l’ADN ne soient intégrés dans l’ADN de la cellule hôte par l’intégrase (68).
Le provirus intégré dans la cellule hôte est transcrit en ARN messager, ce dernier sera traduit en plusieurs polyprotéines (69). Celles-ci seront clivées par la protéase et bourgeonneront en emportant une partie de la membrane cellulaire pour former de nouvelles particules virales qui infecteront à leur tour des cellules exprimant le marqueur CD4 (70).
La primo-infection
La primo-infection est la phase initiale de l’infection qui survient 3 à 4 semaines après la contamination (71). Cette phase est caractérisée par une production massive de particules virales au niveau de la cellule hôte avec une virémie pouvant atteindre 10 millions de copies par millilitres (72) (73) ; le risque de transmission de l’infection est majeur durant cette période. On observe une mort cellulaire des LTCD4 mémoires et naïfs par effet lytique du virus (74). Le nombre de LTCD4 diminue de manière importante dans le sang, les ganglions lymphatiques et au niveau du GALT. Une infection préférentielle des lymphocytes T du GALT est favorisée par l’expression à leur surface des intégrines α4β7 ou αεβ7 (75) qui induisent l’adressage des lymphocytes du sang périphérique vers les sites inducteurs et effecteurs du GALT. La protéine gp120 est capable de se fixer sur la forme activée de l’intégrine α4β7 facilitant l’infection lymphocytaire (75).
La production d’anticorps spécifique anti-VIH débute environ 4 semaines après la contamination (76). La réponse immunitaire cytotoxique des LTCD8 stimulés par la présence d’antigènes viraux produits lors de la réplication du virus permet ensuite de réduire la charge virale (40) (48) ; les LTCD8 induisent la lyse des cellules infectées, la production de cytokines envers les cellules de l’immunité innée et la production des CAF (facteurs antiviraux des cellules T CD8) (77).
Cliniquement, la primo-infection peut se manifester par un tableau pseudo-grippal : fièvre, odynophagies, myalgies, poly-adénopathies, céphalées, asthénie, éruption cutanée. Cette phase peut également être totalement asymptomatique (78) (79).
La phase asymptomatique
La primo-infection est suivie d’une phase de latence virale caractérisée par la formation de réservoirs de virus à l’état dormant dont le matériel génétique n’est pas exprimé par la cellule infectée et échappe donc à l’action du traitement antirétroviral (80). La latence virale est rendue possible par la séquestration des facteurs de transcription de l’hôte, la mise en jeu de phénomènes épigénétiques et l’interférence transcriptionnelle qui permettent la répression de la transcription de l’ADN proviral (81).
On observe ainsi une latence virale dans les LTCD4 mémoires circulants dans le sang et au niveau du GALT qui représente également un réservoir majeur de l’infection (61). Ceci peut être expliqué par la capacité du VIH à rester à l’état latent dans les cellules à longue durée de vie telles que les lymphocytes T mémoires et transitionnelles constituant le tissu lymphoïde (61).
Un équilibre s’établit entre le virus et le système immunitaire qui peut durer entre huit et dix ans avec, malgré tout, une diminution progressive des réponses immunitaires insuffisantes et du nombre de LTCD4.
Le stade SIDA (Syndrome d’immunodéficience acquise)
Le stade SIDA (82) est le stade « terminal » de l’infection (en l’absence de traitement antirétroviral). Il est caractérisé par une diminution importante du nombre de LTCD4 (inférieur à 200 cellules/µl). La production de LTCD4 par les organes lymphoïdes ne permet plus de compenser la destruction des cellules par la réplication virale. On observe alors des infections opportunistes et des cancers secondaires au déficit immunitaire profond. En l’absence de traitement antirétroviral, le pronostic en est très sombre, avec une survie moyenne à ce stade de 2 à 3 ans.
Les maladies définissant le SIDA ont été initialement répertoriées dans la classification CDC (83) (84) où le SIDA correspond au stade C. Actuellement les stades cliniques de l’OMS de l’infection et de la maladie à VIH sont utilisés, le SIDA correspondant au stade IV (4).
Infection à VIH-1 chez l’enfant :
On observe une virémie très élevée chez le nourrisson au moment du diagnostic avec une charge virale plasmatique qui peut être supérieure à 107 copies d’ARN VIH/ml (86). La décroissance de la virémie est plus lente que celle observée en primo-infection chez l’adulte; un défaut de clairance du virus chez le petit nourrisson et/ou une augmentation des cellules cibles ont parfois été avancés (87).
En l’absence de traitement, l’infection materno-fœtale à VIH-1 peut évoluer selon deux modes (88) : 15-20% des enfants développent une forme évolutive précoce et sévère avec un risque élevé d’encéphalopathie, de survenue rapide d’un déficit immunitaire profond associé à des infections opportunistes mettant en jeu le pronostic vital. Les autres enfants présentent une forme évolutive lente de leur infection, comparable à celle des adultes contaminés à l’âge adulte, avec un risque cumulatif de SIDA de l’ordre de 4-5% par an.
Il existe des éléments prédictifs d’évolution vers une forme sévère d’infection à VIH chez le nouveau-né ; une charge virale plasmatique élevée (> 106 copies d’ARN VIH-1/ml), un déclin des LTCD4 < 25%, la présence de signes cliniques chez dès la naissance (hépato-splénomégalie, adénopathie) (89). Une co-infection à cytomégalovirus dans les 18 premiers mois de vie est également associée à un risque plus élevé de progression rapide de l’infection à VIH-1 (90). Par ailleurs, certains facteurs maternels peuvent être associés à une progression rapide de l’infection du nourrisson : stade clinique SIDA maternel, charge virale plasmatique élevée, taux de LTCD4 < 200/µl pendant la grossesse (91) (92).
Comme chez l’adulte, l’évaluation pronostique est basée sur la mesure du taux de LTCD4 circulants et de la charge virale plasmatique. Chez l’enfant, le taux de LTCD4 est généralement exprimé en pourcentage du nombre total de lymphocytes, en raison des variations physiologiques du nombre de lymphocytes avec l’âge (hyperlymphocytose progressivement décroissante de 0 à 6 ans). Les seuils de déficits immunitaires exprimés en pourcentage sont ainsi les mêmes quel que soit l’âge de l’enfant alors qu’ils varient de façon importante lorsqu’ils sont exprimés en nombre absolu. Chez l’enfant de plus de 2-3 ans, la morbidité infectieuse opportuniste est directement dépendante, comme chez l’adulte, de la profondeur de la lymphopénie CD4. La relation est moins nette chez le nourrisson, surtout avant 1 an, car des infections opportunistes peuvent être observées malgré un pourcentage de LTCD4 supérieur à 15% (93).
L’hyper-activation immunitaire systémique au cours de l’infection à VIH
Les lymphocytes Th17 présents dans le GALT sont à l’origine du recrutement de polynucléaires neutrophiles qui assurent la défense de la microflore intestinale, ils interviennent également dans la production des protéines de jonctions serrées (94) et dans la réparation des lésions structurelles induites au niveau de l’intestin en stimulant la prolifération des entérocytes (95). Au cours de l’infection à VIH, la diminution du nombre de LTh17 entraine des anomalies architecturales du tissus intestinal (pertes des jonctions serrées entre les entérocytes, fibrose) qui sont responsables d’une augmentation de la perméabilité muqueuse, d’une diminution de la résistance épithéliale et d’une désorganisation de la structure du tissu lymphoïde (96). Les altérations structurelles de la muqueuse digestive favorisent le passage de bactéries digestives dans la muqueuse et les translocations microbiennes de la lumière intestinale vers la circulation sanguine, avec pour conséquence une stimulation continue des immunités innée et adaptative locale, ce qui génère un état d’activation immunitaire chronique. L’activation du système immunitaire conduit à une augmentation des LTDC4, cibles du virus, avec pour conséquence une accentuation de la lymphopénie CD4 ; le thymus devient progressivement incapable de compenser la destruction des LTCD4 infectés (97).
L’hyper-activation du système immunitaire est un facteur qui favorise la progression de la maladie et le développement de comorbidités non-infectieuses à long terme ; les maladies cardio-vasculaires, l’ostéoporose, les cancers non liés au SIDA. L’altération de l’immunité digestive constituant un facteur important dans l’infection à VIH-1, le ciblage thérapeutique du GALT constitue un des axes importants dans la recherche sur le VIH (61).
Le traitement du VIH-1:
Les premiers traitements antiviraux développés historiquement visaient à inhiber l’action de la transcriptase inverse (98). Les inhibiteurs de la transcriptase inverse peuvent être divisés en deux groupes ; les inhibiteurs nucléosidiques/nucléotidiques de la transcriptase inverse (INTI) et les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) (99).
Dans la cellule, les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse sont phosphorylés en analogues nucléosidiques triphosphates qui sont par la suite insérés dans la séquence de l’ADN proviral. Ils entrent alors en compétition avec les substrats naturels de la transcriptase inverse et inhibent la rétrotranscription de l’ARN viral (100).
La zidovudine (AZT) fut le premier INTI a être commercialisé en 1987 (101). Ce médicament utilisé en monothérapie a montré une efficacité transitoire chez des patients ayant un déficit immunitaire profond qui présentaient des infections opportunistes ou une symptomatologie clinique (102) (103). Le développement d’autres INTI utilisés en monothérapie n’a pas permis de prouver une efficacité supérieure à l’AZT (104). De nombreuses études menées au cours des années 1990 ont prouvé que l’utilisation d’INTI en bithérapie était d’une efficacité supérieure à la monothérapie (105) (106) (107). L’utilisation en monothérapie des INTI est actuellement déconseillée en raison du risque majeur de sélection de mutations de résistance aux antirétroviraux (99).
Les inhibiteurs nucléotidiques de la transcriptase inverse ont le même mécanisme d’action que les inhibiteurs nucléosidiques. Cependant, ils sont déjà phosphorylés et leur demi-vie intra-cellulaire est plus longue. Le seul inhibiteur nucléotidique actuellement commercialisé est le ténofovir (108). Il existe actuellement six INTI approuvés par la FDA pour le traitement du VIH ; AZT, emtricitabine, lamivudine, didanosine, tenofovir, et abacavir.
Les INNTI ne sont pas des inhibiteurs compétitifs de la RT, ils lient l’enzyme au niveau d’une poche hydrophobe près de son site catalytique, ce qui induit un changement conformationnel de l’enzyme et une inhibition de son activité (109). Quatre INNTI sont actuellement disponibles en France ; la nevirapine, l’efavirenz, l’etravirine et la rilpivirine (110). La nevirapine (111) fut le premier INNTI à être commercialisé en 1996 mais, du fait notamment de l’émergence de nombreux mutants résistants à la nevirapine, la molécule la plus utilisée actuellement est l’efavirenz (110).
De nombreuses molécules visant à inhiber d’autres enzymes essentielles au VIH ont été ensuite développées ; les inhibiteurs de protéase et les inhibiteurs de l’intégrase.
Les inhibiteurs de protéase (IP) sont des inhibiteurs spécifiques et réversibles de l’activité catalytique de la protéase qui entrent en compétition avec ses substrats et permettent la formation de particules virales immatures et non infectieuses (112) (113). Il ne nécessitent pas d’activation métabolique intracellulaire et sont donc actifs dans les cellules au repos. Ils potentialisent l’effet des INTI sur la réplication virale. Six IP sont actuellement disponibles en France: atazanavir, darunavir, fosamprenavir, lopinavir, saquinavir et tipranavir (en plus du ritonavir, qui n’est plus utilisé actuellement qu’à posologie faible, en association aux autres IP, dans un but de « boost » pharmacocinétique).
Les inhibiteurs de l’intégrase (INI) bloquent l’intégration de l’ADN proviral dans le génome de la cellule infectée. Les 3 INI actuellement commercialisées sont le raltégravir, l’elvitégravir et le dolutégravir (114).
D’autres molécules inhibant l’entrée cellulaire du virus ont également été développées. L’enfuvirtide est le seul inhibiteur de fusion actuellement commercialisé ; il se lie à la protéine gp41 et inhibe la fusion du virus avec la membrane cellulaire de la cellule hôte (115) (116). Le maraviroc inhibe l’entrée du VIH dans la cellule en interagissant avec le co-récepteur CCR5 (117).
L’OMS recommande depuis 2015 de traiter systématiquement toute personne infectée par le VIH, quels que soient son âge et son nombre de LTCD4 circulants, en instaurant le traitement antiviral le plus tôt possible après le diagnostic dans le but de diminuer la morbi-mortalité et le risque de transmission du virus (19) (118). Le traitement de première intention doit être constitué de deux INTI et d’une autre molécule (IP, INNTI, INI) (19). Les objectifs du traitement sont d’obtenir un taux de LTCD4 circulants supérieur à 500/µl et une charge virale plasmatique ARN VIH-1 inférieure à 50 copies/ml (19).
Le développement des IP en 1996 et leur association à deux INTI ont permis de modifier le devenir des personnes infectées par le VIH en permettant de maîtriser durablement l’infection (119). Il s’agit du traitement antirétroviral hautement actif (highly active antiretroviral therapy ou HAART). La combinaison d’au moins 2 INTI et d’une molécule d’une autre classe thérapeutique permet de bloquer la réplication virale dans l’organisme (obtention d’une virémie indétectable) et de diminuer le risque potentiel d’émergence de souches résistantes. De telles combinaisons ont permis d’améliorer très significativement la morbi-mortalité (120) des personnes infectées notamment dans les pays industrialisés (121) (122).
Le pronostic des enfants infectés à VIH-1 a également été considérablement amélioré depuis l’introduction systématique d’un traitement antirétroviral dès le diagnostic. En effet, en l’absence de traitement, les nourrissons infectés ont un pronostic plus défavorable par rapport aux adultes du fait de l’évolution possible vers un déficit immunitaire sévère profond et rapide avec un risque majeur d’encéphalopathie et d’infections opportunistes au cours des premières années de vie (123) (123)(124) (125). Cette évolution rapide, qui concerne 15-20% des nourrissons infectés par voie verticale, peut être à l’origine d’un taux global de mortalité pouvant atteindre 26% durant les 6 premières années de vie (123). Depuis le développement des multithérapies antirétrovirales et la recommandation d’instauration très précoce de ces traitements, dès le diagnostic, à l’ensemble des nourrissons, on a observé une diminution de la mortalité à moins de 1% pour les enfants infectés par le VIH dans les pays industrialisés (126) ainsi qu’une diminution significative des infections opportunistes et des maladies associées au SIDA (127). De plus, avec les molécules antirétrovirales actuellement utilisées, peu d’effets secondaires sont rapportés (128).
Dans les pays en voie de développement, une problématique majeure demeure l’accès à un traitement antirétroviral pour toute personne vivant avec le VIH; une disparité Nord-Sud persiste donc encore concernant le taux de mortalité et la morbidité liée au SIDA (129).
Particularités de la prise en charge de l’enfant VIH+ en France :
Chez l’enfant, la transmission du VIH se fait majoritairement sur un mode vertical de la mère à l’enfant (TME) en France.
Les facteurs de risques de la TME peuvent être d’origines maternels ; le stade clinique avancé, la charge virale plasmatique élevée notamment à l’accouchement et le nombre de LTCD4 bas (46). Ils peuvent être d’origine gynécologiques et obstétricaux ; pratique des gestes invasifs pendant la grossesse, infections sexuellement transmissibles associées, chorioamniotite, accouchement prématuré, rupture prématuré des membranes, liquide amniotique sanglant (130). Le mode d’accouchement par voie basse est également associé à un risque élevé de TME (en l’absence de traitement maternel bien conduit) (131).
De nombreux moyens ont permis de réduire la TME tels que le contrôle de la charge virale maternelle, la césarienne programmée, la perfusion périnatale d’AZT, la contre indication de l’allaitement maternel et l’introduction d’un traitement antirétroviral prophylactique chez le nouveau né dès la naissance (88). Ces mesures ont permis d’obtenir un taux de TME inférieur à 1% (132) contre 20% à la fin des années 1990 (133).
Du fait d’une possible persistance des anticorps maternels jusqu’à l’âge de 18 mois, le diagnostic de l’infection à VIH -1 du nourrisson né de mère séropositive repose sur la charge virale ; PCR ADN VIH-1 à partir des cellules pour la recherche du génome viral intégré ou PCR ARN VIH-1 plasmatique. Pour poser le diagnostic d’infection, il est nécessaire d’avoir deux prélèvements positifs quels que soit la technique utilisée et le moment du prélèvement. En France, la recherche du virus est effectuée aux âges de 1, 3 et 6 mois et le diagnostic de non contamination peut être posé à l’âge de 3-4 mois en absence d’allaitement maternel. En cas d’allaitement maternel, il est nécessaire de rechercher l’infection dans les 3 mois qui suivent son arrêt (132). Il peut être préférable de réaliser une sérologie VIH-1 à l’âge de 18 mois pour éliminer une infection post-natale tardive dans un contexte d’allaitement méconnu (88).
La plupart des enfants diagnostiqués pour une infection à VIH-1 en France sont nés à l’étranger principalement en Afrique subsaharienne (134). Cependant 10 à 15 enfants infectés par le VIH naissent chaque année (135) principalement du fait d’un dépistage insuffisant des mères pendant la grossesse ou l’allaitement (en particulier chez des mères dépistées comme étant séronégatives en début de grossesse mais contaminées au cours de la suite de la grossesse ou lors de l’allaitement, sans que leur primo-infection n’ait été diagnostiquée et prise en charge) ou d’une prise en charge très tardive de patientes séropositives (135). De plus, les enfants infectés nés en Afrique subsaharienne sont parfois dépistés plusieurs mois ou années après leur arrivée en France (136). Le nombre d’enfants vivant avec le VIH suivis en France est stable ces dernières années (134).
Selon les recommandations françaises, une trithérapie est indiquée quels que soit l’âge et les paramètres immuno-virologiques. Cette trithérapie initiale associe en première intention deux INTI et un IP (88).
La prise en charge de l’enfant infecté à VIH-1 présente de nombreux enjeux (134). En effet, il existe un risque non négligeable d’échec virologique chez les enfants vivant avec le VIH (associé à un risque de résistance du virus aux antirétroviraux), secondaire à des difficultés d’observance à l’égard du traitement antirétroviral. Ces difficultés peuvent être notamment favorisées par une mauvaise perception de la gravité de l’infection à VIH par les parents et/ou l’enfant du fait du caractère longtemps asymptomatique de l’infection, ou de l’absence de galénique adaptée aux nourrissons et à l’enfant pour certains antirétroviraux (137).
Il reste également impératif de surveiller la toxicité potentielle des antirétroviraux avec des effets secondaires peu fréquents mais non négligeables (exemples : troubles métaboliques des IP, dysfonctionnement mitochondrial induit par les INTI) chez ces enfants qui doivent poursuivre un traitement à vie.
La période de l’adolescence constitue une période à risque. Cette période habituellement marquée de nombreux conflits intrapsychiques est rendue d’autant plus difficile du fait de la possibilité d’un défaut d’acceptation du virus dans un contexte familial souvent complexe. Le vécu d’infection est d’autant plus difficile du fait du secret de la maladie que beaucoup souhaitent conserver par peur du rejet (138). Cette période est souvent marquée par un rejet de la maladie et une mauvaise adhérence au traitement et au projet de soin (139).
Ils existent plusieurs risques ; un isolement social et/ou un syndrome dépressif ainsi qu’une anxiété dans le cadre de cette maladie qui peut être stigmatisante. De plus, certains adolescents retardent leur vie sexuelle pour ne pas révéler leur statut virologique ou du fait d’une crainte de transmettre à leur tour le virus. Des groupes de paroles pour adolescents séropositifs et des forums existent permettant à l’adolescent d’exprimer ses difficultés et si besoin de l’orienter vers une prise en charge psychologique et/ou des relais associatifs (88).
Depuis le début de l’épidémie pédiatrique en France, de nombreux enfants infectés par le VIH de type 1 ont été prise en charge dans le service d’Immunologie, Hématologie et Rhumatologie pédiatriques de l’hôpital universitaire Necker – Enfants malades (NEM) de Paris (125). Les équipes médicales et paramédicales ont pu se rendre compte de l’évolution de la prise en charge et du pronostic de l’infection chez l’enfant vivant avec le VIH. Cet hôpital est considéré comme un des centres européens de référence dans la prise en charge des enfants et adolescents infectés par le virus.
L’objectif de notre étude est d’analyser les enfants et adolescents infectés par le VIH actuellement suivis à l’hôpital Necker – Enfants malades afin de décrire finement les caractéristiques sociodémographiques, cliniques et biologiques d’une cohorte pédiatrique de patients vivant avec le VIH régulièrement pris en charge dans un pays développé.
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Table des matières
1. Introduction
1.1 Epidémiologie
1.2 Structure, origine et diversité génétique du VIH
1.3 La découverte du VIH et son mode de transmission
1.4 Le système immunitaire
1.4.a L’immunité inné
1.4.b L’immunité adaptative
1.4.c Le GALT
1.5 Histoire naturelle de l’infection à VIH-1
1.5.a La réplication virale
1.5.b La primo-infection
1.5.c La phase asymptomatique
1.5.d Le stade SIDA
1.5.e Infection à VIH-1 chez l’enfant
1.5.f L’hyper-activation immunitaire systémique au cours de l’infection à VIH
1.6 Le traitement du VIH-1
1.7 Particularités de la prise en charge de l’enfant VIH+ en France
2. Matériels et méthodes
2.1. Population de l’étude
2.2 Recueil de données
3. Résultats
3.1. Caractéristiques sociodémographiques
3.2 Mode de vie, formation scolaire et professionnelle
3.3 Symptomatologie et anomalies biologiques
3.4 Statut immuno-virologique des patients
3.5 Cas cliniques
3.5.a Tableau neurologique incompris
3.5.b Tableau neurologique incompris. « Encéphalite à lymphocytes CD8 ?»
3.5.c Hépato-cholangite dysimmunitaire ?
3.5.d Purpura rhumatoïde
5. Conclusion
6. Bibliographie
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