L’évolution des référentiels Français
La Haute Autorité de Santé (HAS) a réalisé plusieurs évaluations de la contraception orale oestroprogestative.
En 2002, la commission de transparence a conclu à une absence de différence pour les risques artériels entre les COC de 2 e et ceux de 3 e génération. Par contre, elle a conclu à un risque augmenté au niveau thrombo-embolique veineux pour les COC de 3 egénération. Le Service Médical Rendu(SMR) est jugé comme important sans apporter d’amélioration.
En 2007, après réévaluation, la commission de transparence a insisté sur le fait que les COC de 3 e génération devaient rester un traitement de seconde intention. En effet, les COC de 3 e génération étaient associées à un risque accru de survenue d’accidents thrombo-emboliques veineux et d’AVC ischémiques par rapport aux COC de 2 e génération. Les SMR et Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR) sont restés identiques (16).
Entre 2000 et 2009, environ 40 % des femmes utilisant une COC étaient sous COC de 3 e génération ou 4 e génération (1).
En 2009, les COC de 3 egénération sont admises au remboursement par l’assurance maladie (16).
Le pourcentage de femmes ayant recours à une COC de 3 e génération ou 4 e génération a augmenté à 51,5 % parmi les femmes utilisant une COC (17).
En 2012, revirement, la Commission de la transparence a jugé le SMR des COC de 3 e génération comme étant insuffisant. La commission a pris en compte d’une part le sur-risque d’événements thrombo-emboliques veineux et d’autre part l’absence d’avantage démontré en terme de tolérance clinique par rapport aux COC de 2 e ou de 1e génération (18). Le ratio était encore de 52 % en 2012, pour les femmes prenant une COC de 3 e génération ou 4 e génération (19). La HAS a publié une fiche de bon usage des médicaments intitulée : « préférez les pilules de 1ère et 2ème générations » en novembre 2012 (4).
En décembre 2012, une jeune femme de 25 ans est la première à porter plainte contre une pilule de 3 e génération. Cette jeune femme a été victime d’un AVC avec séquelles. La commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux a reconnu en juin 2012 l’imputabilité de l’AVC à la prise de la pilule. La plainte est déposée d’une part pour « atteinte involontaire à l’intégrité de la personne humaine » contre le directeur général du laboratoire pharmaceutique commercialisant la pilule mise en cause, d’autre part pour « violation manifestement délibérée du principe de précaution » auprès du directeur général de l’ANSM (20). Les médias ont largement diffusé cette information, ce qui a crée la polémique sur les risques thrombo-emboliques artériels et veineux liés aux pilules de 3 e et 4 e générations.
En janvier 2013, le ministère de la santé décide le déremboursement des COC de 3 e génération au 31 mars 2013 qui était initialement prévu en septembre 2013 (21).
En avril 2014, le rapport était de 21 % pour les COC de 3 e et 4 e générations contre 79 % pour lesCOC de 1e et 2 e générations (19).
Les données de pharmacovigilance
Consécutivement à la médiatisation des risques vasculaires des pilules de 3 e et 4 e générations, l’ANSM a publié des chiffres de la base nationale de pharmacovigilance en France. Depuis 1985, cas de décès de femmes prenant une COC ont été rapportés jusqu’à fin janvier 2013. Pour 12 de ces décès, un autre facteur de risque de thrombose vasculaire a été décelé. Les embolies pulmonaires et TVC sont à l’origine de ces décès. Il y a parité dans l’attribution de ces décès : 50 % pour les 1e et 2 e générations et 50 % pour les 3 e et 4 e générations.
L’ANSM a aussi rendu publiques les données de cas de thromboses veineuses sans décès en France depuis 1985. Elles prennent en compte les thromboses veineuses profondes et superficielles, les embolies pulmonaires et les TVC. 567 cas ont été déclarés dont 55 % attribuables aux pilules de 3 e et 4 e générations et 45 % à la 2 e génération. Sur 305 femmes exposées aux COC de 3 e et 4 e générations, 185 avaient guéri sans séquelles.
En ce qui concerne les thromboses artérielles, 52 déclarations ont été enregistrées depuis 1985 en France. Elles comprennent les AIT, AVC et IDM. 12 AVC ont été déclarés sous COC de 3 e et 4 e générations et 7 IDM. Pour les COC de 2 e génération, il y a eu 9 AVC déclarés et 11 IDM (22).
Les recommandations actuelles de la Haute Autorité de Santé
Dans la fiche « préférez les pilules de 1ère et 2ème générations » (4), la HAS rappelle que les COC sont l’un des moyens de contraception les plus efficaces et qu’il n’y a pas de différence en terme d’efficacité entre les différentes générations de pilules. Il est rappelé qu’aucune étude ne montre d’avantages en terme de tolérance clinique sur des effets indésirables tel que l’acné, la prise de poids, les jambes lourdes, les mastodynies, les nausées, les dysménorrhée, l’aménnorhée ou les ménométrorragies. Avant toute prescription de COC, il faut rechercher des facteurs de risques personnels ou familiaux de thromboses (23).
Les entretiens
Dans la recherche qualitative, il existe surtout deux types de recueil de données : l’entretien de groupe (ou focus group) et l’entretien individuel. Nous avons utilisé l’entretien individuel, celui-ci est plus chronophage, mais permet d’aborder des sujets plus sensibles telle que la contraception.
L’entretien est semi dirigé : une grille de questions est préparée mais elle est adaptable à la conversation en modulant les questions, tout à gardant la trame de l’entretien. Cet entretien permet à la personne interviewée de s’exprimer librement. La grille d’entretien a été élaborée à partir d’une recherche bibliographique sur le sujet. On a pu aborder plusieurs thèmes : la contraception en général, la pilule, la médiatisation des risques vasculaires de la pilule, une ouverture avec les autres contraceptions dans le monde. Les questions ont été formulées de façon ouverte, simple. Elles ont été adaptées tout au long des entretiens en fonction des réponses et de la compréhension des interviewées. Durant l’entretien, on a essayé d’établir un climat de confiance avec l’interviewée, de ne pas lui couper la parole, de ne pas combler ses hésitations pour libérer la parole et délivrer des informations et convictions personnelles.
L’entretien est enregistré, à l’aide d’un dictaphone, pour une meilleure retranscription des données.
Les interviewées ont donné au préalable leur accord. L’enquête s’est déroulée dans les départements de l’Eure et de Seine Maritime. Les entretiens ont eu lieu soit au domicile du patient, soit au cabinet du médecin généraliste, au choix de l’interviewée entre janvier 2015 et mai 2016. Leurs durées variaient entre dix minutes trente deux secondes et trente minutes et quarante cinq secondes Tous les entretiens ont été réalisés par un enquêteur unique.
On ne cherche pas à extrapoler une étude qualitative à la population générale, il n’y a donc pas de notion de représentativité. La population sélectionnée est largement échantillonnée pour obtenir une plus grande diversité et une plus grande richesse des réponses.
Les critères d’inclusion
Pour participer à l’enquête, il fallait être une femme entre 18 et 49 ans, avoir pris une contraception de type oestroprogestative de troisième ou quatrième génération au moment de la polémique en décembre 2012. Le recrutement s’est fait grâce aux patientes des médecins généralistes de la région. Les médecins demandaient à leurs patientes si elles étaient intéressées de participer à l’élaboration d’une thèse de médecine générale sur le contraception. Le thème restait vague pour ne pas influencer les réponses. La population a ensuite été échantillonnée pour obtenir une grande diversité des entretiens. Je recontactais par téléphone les patientes qui étaient d’accord pour fixer l’horaire et le lieu de l’entretien.
La retranscription des entretiens
Les entretiens ont été retranscrits dans un fichier word immédiatement après la réalisation de l’entretien. Chaque mot prononcé a donc été retranscrit par écrit pour ne pas dénaturer l’entretien. J’ai aussi retranscrit les hésitations, les rires, les pauses. Les entretiens ont été anonymisés en les numérotant de 1 à 15 et avec la lettre « F » pour femme.
Analyse des données
Plusieurs lectures globales ont été réalisées pour une imprégnation des idées. Le texte est ensuite codé sans tenir compte de l’architecture interne du texte, fragmenté puis réorganisé par idée pour identifier des grands thèmes.
Avis du comité d’éthique
Le comité de protection des personnes a été contacté avant de commencer les entretiens. L’étude n’entraînant pas de retentissement sur la santé des personnes interrogées, l’accord du CPP n’était pas utile.
La pilule : un médicament ?
A la question, « que prenez vous comme sorte de médicament en général ? », la plupart des réponses ne concernaient pas la contraception. Cependant quelques femmes souvent plus âgées considéraient leur pilule comme un médicament.
F4 Alors essentiellement contraceptif, ça fait pas très longtemps enfin j’ai pris la pilule pendant plusieurs années avant et là ça fait huit mois que je la reprends.
F13 Tout ce qui va être Efferalgan pour les maux de tête, Spasfon pour les maux de ventre, la pilule forcément, et pour les allergies mais ça c’est par période.
F15 Du Doliprane, des corticoides, de l’homéopathie et la pilule.
Renouvellement de la pilule : motif de consultation secondaire
La prescription de la pilule est parfois banalisée par les patientes.
F8 Quand je dépasse l’ordonnance, je vais voir le médecin entre deux consultations.
F15Je perds souvent mon ordonnance ou alors je ne regarde pas la péremption de l’ordonnance et donc je me fais represcrire rapidement. Là par exemple, je suis allée à la pharmacie et ils m’ont redonnée une boite en attendant mon rendez vous.
Impression de manque de choix
Pour certaines femmes, l’utilisation de la pilule ne leur correspondait pas mais, souvent, elles trouvaient qu’il s’agissait de la contraception la moins contraignante.
F4 C’est plus par défaut d’autres choses, à vrai dire j’aurais privilégié quelque chose sans hormones.
F7 Je la prenais presque parce que j’étais obligée.
Pour d’autres, il s’agissait aussi d’un manque de temps et d’organisation dans les rendez-vous pour mettre une nouvelle contraception en place : F15Faute de temps, puis par facilité.
Les facteurs de confiance envers la pilule
L’âge des femmes
L’âge des femmes influent beaucoup sur leur ressenti de la pilule. Les femmes plus âgées prenant encore la pilule avaient une entière confiance envers la pilule. F14 La pilule au moins, je trouve que c’est bien, vous n’avez pas d’effets, de soucis.
Certaines femmes se rendaient compte que lorsqu’elles étaient plus jeunes, elles étaient plus insouciantes au niveau de leur santé.
F7 Avec l’âge, on évolue parce que quand on est jeune, moi, j’avais pas tendance à me prendre la tête sur ces questions là donc j’avais tendance à faire confiance.
F12Je me suis rendue compte que avec les années bah, en 2009 j’étais quand même un peu plus jeune (rires) donc je me posais beaucoup moins de questions qu’aujourd’hui.
Ainsi les très jeunes femmes ont une entière confiance en la pilule. F3 Moi bah je la prends quoi, je réfléchis pas vraiment à ce que je pourrais avoir plus tard et les risques que ça peut avoir …
La perception des hormones
Les bénéfices
La pilule est souvent perçue comme source de bien-être et de sérénité.
Beaucoup de femmes prenaient la pilule pour améliorer leur confort de vie. C’était même souvent la première cause de prise de pilule avant même la contraception elle-même.
F6 Le gros point positif, c’est que ça me régule, je sais que tel jour, telle heure j’ai mes règles, je sais que ça dure à peu près tant de temps tranquille.
F1 On va dire que depuis que je prends la pilule, je n’ai plus de douleurs en bas du ventre, c’était insupportable pour moi c’était vraiment insupportable. Et puis b ah tu sais plus quand tu vas avoir tes règles, quand ça va se terminer, tout çà quoi.
F11On arrive à bien réguler les choses euh voilà ce qui est pas mal aussi c’est que ça diminue le flux menstruel je pense.
Après la polémique, une seule femme F8 expliquait qu’elle considérait les hormones comme améliorant son confort de vie sans se préoccuper des potentiels effets secondaires, malgré son âge plus avancé de 38 ans : C’est quelque chose qui me facilite la vie pour le moment quoi (rires), ce n’est pas lourd comme traitement, je ne souffre pas particulièrement pendant les règles.
Les réticences
Globalement les femmes interrogées avaient une grande réticence envers la contraception de type hormonale sous toutes ses galéniques. Il s’agissait en général des femmes d’au moins trente ans.
Cependant parmi ces femmes certaines utilisaient tout de même la pilule.
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Table des matières
– I – Introduction
– II – Généralités
1 – Histoire de la pilule.
2 – L’utilisation de la contraception dans le monde
3 – L’évolution des données sur les risques vasculaires des pilules oestroprogestatives
A -Données de la littérature sur le risque thrombo-embolique veineux de la pilule oestroprogestative
B – Données de la littérature sur le risque artériel de la pilule oestroprogestative
C – Le cas particulier de Diane 35
D – La polémique anglaise de 1995 concernant la pilule
4 – L’évolution des référentiels Français
5 – Les données de pharmacovigilance
6 – Les recommandations actuelles de la Haute Autorité de Santé
7 – L’impact de la polémique sur l’utilisation des pilules
– III – Matériel et méthode
1 – Objectifs de l’étude
A – Objectif principal
B – Objectifs secondaires
a – Etude qualitative
b – Les entretiens
c – Les critères d’inclusion
d – La retranscription des entretiens
e – Analyse des données
f – Avis du comité d’éthique
– IV – Résultats
1 – Données épidémiologiques concernant les femmes
2 – Analyse des entretiens
A – Les notions relatives à la contraception
B – La pilule
a – Les représentations
α. La pilule : un médicament ?
β. Renouvellement de la pilule : motif de consultation secondaire
b – Impression de manque de choix
c – Les facteurs de confiance envers la pilule
α. L’âge des femmes
β. L’ancienneté de la pilule
γ. La fiabilité
δ. Un moyen de contraception répandu
C – La perception des hormones
a – Les bénéfices
b – Les réticences
α. La tendance au naturel
β. La crainte du cancer
γ. Une idée encore ancrée dans les esprits : la stérilité
D – La polémique
a – Le sujet de la polémique abordé spontanément par les femmes
b – Les réactions des femmes à la polémique
α. Les réactions face au déremboursement des pilules de 3e génération consécutivement à la polémique
β. Les éléments rassurants
L’effet de groupe
Une prise de la pilule ancienne
c – Les réactions de l’entourage
α. Les parents
β. Le mari
E – Le corps médical
a – Contact d’un médecin suite à la polémique
b – La confiance envers le médecin
c – L’importance de la relation médecin-malade
d – L’importance des réactions des médecins
e – Les pharmaciens
f – Défiance envers le corps médical
F – Méfiance envers l’industrie pharmaceutique
G – Les connaissances des effets secondaires d’ordre thrombo-emboliques
a – Avant la médiatisation
α. Cas de thrombose dans l’entourage
β. Lecture de la notice
γ. Informations données par le médecin
b – Influence de la médiatisation sur la connaissance des effets secondaires de la pilule chez les femmes
α. Influence du milieu professionnel
β. Absence d’évolution des connaissances sur les effets secondaires
γ. Notions encore floues
δ. Les effets secondaires appris suite à la polémique
ε. L’interprétation du terme « génération »
H – Les médias
a – Le type de médias donnant l’information
α. La télévision
β. La radio
γ. La presse écrite
b – Recherches d’informations en dehors des professionnels de santé : Internet
c – Qualité de l’information diffusée dans les médias
d – Matraquage médiatique
I – La perception des autres contraceptions
a – L’implant
b – Le stérilet
c – La stérilisation féminine
α. Les pro
β. Les anti
γ. La réticence des gynécologues
d – La stérilisation masculine
– V – Discussion
A – Forces et limites de l’étude
a – Les forces
b – Les limites
B – Discussion des résultats
a – Une crise bénéfique ?
b – Internet, l’information médicale et le patient
c – Vers un bouleversement de la contraception ?
– VI – Conclusion
– VII – Annexes
1 – Annexe 1 : Récapitulatif des pilules oestro-progestatives
2 – Annexe 2 : Guide d’entretien
3 – Exemple d’entretien : femme 7
– VIII – Bibliographie
