La gestion efficace d’une population de plantes nécessite des prévisions précises de sa dynamique et de la manière dont elle peut être manipulée afin d’atteindre des objectifs (e.g. la gestion d’un écosystème ou de conservation d’une espèce). La démographie, l’étude de la dynamique des populations naturelles végétales ou animales, a justement pour but d’interpréter les variations temporelles et spatiales des effectifs observés au travers de l’analyse du rôle des facteurs abiotiques et biotiques. Cette discipline de l’écologie permet d’analyser quantitativement la structure et la dynamique d’une population en évaluant ses principaux paramètres i.e. effectif, densité, natalité, mortalité, migration.
L’étude de la démographie est donc d’importance car elle pourra ensuite être utilisée pour identifier certains problèmes telle que la diminution rapide de la taille de la population, réaliser des prévisions (e.g. les risques d’extinction de la population) puis élaborer et mettre en place des solutions pour sa conservation (Brook et al. 2000). Divers facteurs peuvent impacter positivement ou négativement la démographie des espèces végétales, à travers les paramètres démographiques (Seastedt & Pyšek 2011; Wallace & Prather 2013). Globalement, des facteurs biotiques telles que les interactions intra-spécifiques et interspécifiques comme la compétition, la prédation ou le mutualisme (Bruna et al. 2014), et abiotiques tels que le climat et le feu (Crawley 1997) jouent un rôle très important dans la démographie des plantes. Par exemple, en savane, le feu réduit la population des espèces ligneuses de forêt tout en maintenant ou en augmentant celle des espèces de savane dites espèces pyrophiles (reconnues pour leur adaptation au feu). Cependant, très peu de données existent pouvant répondre à la question : ont-elles toutes les mêmes réponses démographiques au feu ?
Réponses démographiques des plantes aux perturbations
De nombreuses études à travers le monde en écologie des populations ont permis de mieux connaitre les réactions générales des espèces végétales face aux perturbations (O’Connor 1993; Garnier & Dajoz 2001; Salguero-Gómez et al. 2012). Pourtant, jusqu’à 2009, seulement 9% de ces études se sont intéressées à des populations végétales de savane soumises au feu et 13% se sont focalisées sur l’impact des conditions climatiques sur des espèces végétales en générale (Crone et al. 2011) (Figure 1). Concernant le feu, parmi ces études, certaines ont obtenu une réponse négative de l’espèce étudiée, matérialisée par un plus fort déclin de la population en présence du feu (Garnier & Dajoz 2001) alors que la majorité montrait le contraire (Silva et al. 1990; Silva et al. 1991). Dans d’autres cas, l’herbivorie a réduit la fécondité des plantes en réduisant la production des graines (Wallace & Prather 2013). Aussi, les études de Tenhumberg et al. (2018) dans le Montana aux USA sur l’impact des conditions climatiques sur la démographie d’une espèce de Fabacée ont montré que les conditions climatiques favorables au cours de l’année ont permis d’élever la fécondité, le recrutement et induit une meilleure survie l’année d’après. Les populations d’espèces végétales varient ainsi au cours des années en fonction de la pluviométrie (O’Connor 1993). Par ailleurs, les plantes à courte durée de vie ont tendance à disparaitre en premier lorsque la qualité de l’habitat change (Matthies et al. 2004). Pour les plantes à longue durée de vie, la dégradation de l’habitat agirait surtout sur les premières phases du cycle de vie (Colling et al. 2002). Dans tous les cas, la survie des individus est plus forte chez les individus de grande taille tandis que les individus de petite taille, considérés souvent comme les plus jeunes, subissent généralement une forte mortalité (Lauenroth & Adler 2008).
Démographie et cycle de vie des plante
Les modèles matriciels démographiques sont utilisés depuis des décennies par les écologistes pour comprendre la dynamique des populations des plantes et orienter la gestion de ces populations (Ehrlen 1995; Crone et al. 2011). Ces modèles sont des outils très importants en écologie pour gérer (Kareiva et al. 2000), comparer (Kouassi et al. 2008; Buckley et al. 2010) et étudier les théories de l’histoire de vie des populations végétales. Cependant, les avis des chercheurs écologistes divergent quant à la robustesse, la fiabilité et la précision des prévisions faites à partir des modèles matriciels. En effet, certains chercheurs trouvent que les modèles matriciels ne permettent pas de faire des prévisions précises (Fieberg & Ellner 2000; Coulson et al. 2001; Ellner et al. 2002) tandis que d’autres les ont reconnus comme étant des outils potentiellement puissants pour l’étude du statut des populations, en particulier l’évaluation de leurs risques d’extinction (Keith et al. 2008) et aussi de l’effet des perturbations sur ces populations (Crone et al. 2011; Crone et al. 2013). Les modèles démographiques matriciels sont basés sur plusieurs paramètres démographiques regroupés dans un graphe orienté appelé cycle de vie (Figure 2). Il existe différent types de modèle matriciel selon que la population étudiée est animale ou végétale (Caswell 1989). Chez les animaux où la survie et la fécondité dépendent de l’âge des individus, la population est structurée en classe d’âge et l’on parle de modèle matriciel en classe d’âge. Par contre, les végétaux sont des organismes modulaires chez qui la survie, la croissance et la fécondité ne dépendent pas forcement de l’âge des individus (Caswell 1989; Harvell et al. 1990) et leur l’âge peut être souvent difficile à déterminer (Hughes & Jackson 1980; Hughes 1984; Crouse et al. 1987). Chez ces organismes, la population est structurée en classe de taille i.e. la circonférence ou le diamètre (Werner & Caswell 1977; Kirkpatrick 1984; Caswell 2001; Shaukat et al. 2012; You et al. 2013) ou en stades i.e. les espèces présentant des stades de développement clairement définis (Lefkovitch 1965; Barot et al. 2000; Kouassi et al. 2008) et le modèle matriciel est dit basé sur ces classes de taille ou stades (Watkinson & White 1986). Les paramètres démographiques pris en comptes dans ces modèles peuvent se résumer en deux grands groupes : les paramètres démographiques mesurés qui sont utilisés pour construire le cycle de vie de la population, et les paramètres estimés qui sont calculés à partir des paramètres et sur lesquels sont basées les conclusions à l’issue de l’étude de la démographie .
Paramètres démographiques mesurés et cycle de vie
Les paramètres démographiques sont estimés en observant directement sur les individus au cours du temps. Ils sont mesurés suivant un pas de temps bien défini sur une période donnée i.e. le temps des études (Caswell 1989). Les individus de la population considérée sont répartis en différentes classes de taille ou en stade, puis leurs passages entre ces classes sont matérialisés sur le cycle de vie par des flèches qui partent d’un stade à un autre. Selon la forme de vie des espèces, certains paramètres peuvent ou non exister (Table 1), ce qui crée une diversité de cycles de vie plus ou moins complexes. Par exemple chez le palmier rônier (Borassus aethiopum), la rétrogression n’est possible qu’entre les stades plantules et juvénile (Barot et al. 2000). Chez les rotins (Eremospatha macrocarpa et Laccosperma secundiflorum), la rétrogression est possible entre presque tous les stades de développement des individus (Kouassi et al. 2008), alors que chez les Poacées (Graminées), en plus de la possibilité de rétrogression entre toutes les classes de taille et des paramètres classiques (recrutement à un stade plus avancé, fécondité, survie dans le stade), il y a de la reproduction clonale par fragmentation des touffes (Lewis et al. 2001).
Certains paramètres démographiques sont régulièrement rencontrés dans le cycle de vie de tous les organismes : ce sont la mortalité, la fécondité, la survie, et la croissance des individus. Quelque soit l’organisme étudié, ces paramètres peuvent être mesurés. Par contre, d’autres paramètres démographiques sont spécifiques à certains organismes. C’est par exemple le cas des espèces végétales qui développent un mode de reproduction clonale (Lewis et al. 2001). Chez ces espèces, les clones formés doivent en effet être pris en compte car ils participent à la démographie de la population (Cochran & Ellner 1992). Un autre paramètre démographique, la rétrogression vers un stade moins avancé, est parfois observé chez certaines espèces de plantes. Tous ces paramètres figurent dans le cycle de vie sous forme de probabilités. Analysés conjointement grâce à un modèle matriciel, ces paramètres décrivent le cycle de vie et la démographie de la population étudiée, ce qui permet de calculer des paramètres décrivant d’une manière synthétique l’état de la population et sa démographie.
Paramètres démographiques estimés
Les paramètres démographiques estimés renseignent sur la dynamique (la croissance, la décroissance ou la stabilité) de la population étudiée, sur la durée de vie et l’espérance de vie des individus de la population (Lauenroth & Adler 2008) et aussi sur l’influence des facteurs biotiques ou abiotiques sur la population. Ces paramètres sont estimés à partir des proportions de transition entre les différents de stade ou classe de taille du cycle de vie que l’on regroupe dans une matrice appelée matrice de transition. Cette matrice est ensuite multipliée par les effectifs initiaux des individus dans les différents compartiments du cycle de vie pour obtenir une matrice de projection. Le calcul des paramètres démographiques estimés se fait sur cette matrice de projection. La plupart des études démographiques des plantes se concentrent sur l’estimation :
– Du taux de croissance asymptotique de la population : il s’agit d’une valeur calculée qui permet de savoir ce qui se passe sur le long terme dans la population. Il permet de prévoir le comportement à long terme de la population. Lorsque la valeur du taux de croissance asymptotique est supérieure à un, la population croît de façon exponentielle, en deçà la population décroît exponentiellement et lorsqu’elle est égale à 1, la population se maintient. Le taux de croissance asymptotique permet ainsi de savoir si la population s’éteint, si elle converge vers un équilibre ou si elle subit des oscillations périodiques (et de quelle période) ou chaotiques.
– De la sensibilité et l’élasticité du taux d’accroissement asymptotique de la population aux variations des probabilités de transition : les analyses de sensibilité et d’élasticité permettent de quantifier les effets des perturbations des proportions (les transitions) de la matrice de projection sur l’estimation du taux d’accroissement asymptotique de la population. L’effet de ces perturbations peut être mesuré de façon absolue, c’est l’analyse des sensibilités, ou de manière relative pour tenir compte d’ordres de grandeur différents des coefficients des transitions: c’est l’analyse des élasticités. En d’autres termes, l’élasticité est la mesure des variations relatives des transitions sur le taux d’accroissement asymptotique (De Kroon et al. 1986; Caswell 2001).
– Des analyses de la distribution stable en stades ou en classe de taille : c’est l’analyse de la proportion d’individus dans une classe de taille donnée lorsque la structure de la population est à l’équilibre.
Plusieurs autres paramètres liés à l’âge sont aussi importants à déterminer, notamment la durée de vie des individus dans chaque classe de taille, l’espérance de vie de l’espèce et la valeur de reproduction spécifique à chaque stade.
|
Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1. Impact des perturbations sur la démographie des espèces végétales des savanes
1.1 Réponses démographiques des plantes aux perturbations
1.2 Démographie et cycle de vie des plantes
1.2.1 Paramètres démographiques mesurés et cycle de vie
1.2.2 Paramètres démographiques estimés
1.3 Les savanes
1.3.1 Végétation des savanes
1.3.2 Fonctionnement des savanes
1.3.3 Feux de savanes
1.3.3.1 Caractéristiques des feux de savane
1.3.3.2 Rôles des feux de savane
1.3.3.3 Typologie des feux de savane
1.4 Impact du feu sur la démographie des plantes de savanes
1.4.1 Impact du feu sur la démographie des espèces ligneuses
1.4.2 Impact du feu sur la démographie des Poacées pérennes de la strate herbacée des savanes
Problématique générale de la thèse
Chapitre 2. Présentation du site d’étude et matériel et méthodes
2.1 Présentation du site
2.1.1 Situation géographique
2.1.2 Climat de la réserve de lamto
2.1.3 Végétation de la savane de Lamto
2.1.3.1 Strate arbustive et arborée de la savane de Lamto
2.1.3.2 Strate herbeuse de la savane de Lamto
2.1.3.2.1 Les Poacées pérennes de la savane de Lamto
2.1.3.2.2 Importance des Poacées pérennes
2.2 Feu à Lamto
2.3 Matériel et méthodes
2.3.1 Dispositif expérimental
2.3.2 Relevés démographiques
2.3.2.1 Présence ou l’absence de vide dans la partie centrale de la touffe
2.3.2.2 Mesure de la circonférence des touffes
2.3.2.3 Suivi démographique des touffes de Poacées pérennes
2.3.3 Modèle démographique matriciel
Chapitre 3 Effect of fire regime on the grass community of the humid savanna of Lamto, Ivory Coast
3.1 Abstract
3.2 Introduction
3.3 Study area
3.4 Methods
3.3.1 Study plots
3.3.2 Data collection
3.3.3 Data analyses
3.4 Results
3.4.1 Relative abundance of grass species
3.4.2 Tussock densities
3.4.3 Tussock circumference
3.4.4 Tussock with a central die-back
3.5 Discussion
3.5.1 Tussock density
3.5.2 Structure of the grass community
3.5.3 Impact of fire regimes on tussock circumference
3.5.4 Determinants of the occurrence of central die-back in grass tussocks
Conclusions
Télécharger le rapport complet
