Épidémiologie des traumatismes par accident de la route
Les accidents de la route : un véritable fardeau pour la société
D’après le rapport 2004 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de la Banque Mondiale, en 2002, 1,2 million de personnes ont été tuées et 50 millions blessées dans un accident de la route dans le monde (Peden et al. 2004). D’après des estimations de l’OMS, en l’absence de mesures appropriées, les traumatismes par accident de la route pourraient représenter le troisième fléau le plus important en terme de santé publique alors qu’il est actuellement au neuvième rang. En effet, alors que dans la plupart des pays à haut revenu la mortalité liée aux accidents de la route semble diminuer avec le temps, elle augmente considérablement dans les pays à faible ou moyen niveau de revenu comme en Afrique ou en Asie en raison principalement de l’augmentation de la motorisation (Peden et al. 2004; Ameratunga et al. 2006).
Le fardeau pour la société est encore plus évident quand les résultats statistiques sont exprimés en années potentielles de vie perdues ou en années de vie en incapacité, puisqu’une des particularités de l’épidémiologie des traumatismes de la route est que cela touche essentiellement une population jeune (majoritairement les 15-34 ans). Ainsi, l’impact des accidents de la route a été évalué à 817 000 années de vies perdues en Europe en 2000. Les traumatismes accidentels en général, qui incluent ceux consécutifs à un accident de la route, ainsi exprimés représentent alors le premier contributeur d’années de vies perdues (SeguiGomez et al. 2003).
Les statistiques françaises et européennes sur le nombre d’enfants tués ou blessés à la suite d’un accident de la route reposent essentiellement sur les données des forces de l’ordre (police et gendarmerie). Ainsi, en 2004 en France, 179 enfants de moins de 15 ans sont décédés sur la route (143 en 2005), 8 472 ont été blessés dont 1 109 gravement (ONISR 2004). L’incidence annuelle de blessures liées aux accidents de la circulation chez les enfants de moins de 15 ans était de 77 pour 100000 en 2004. Chaque année en France, près d’un enfant sur 1000 est donc victime d’une blessure corporelle secondaire à un accident de la route et 20 enfants sur un million sont tués. Plusieurs études ont montré que ces données sousestimaient le nombre de blessés mais aussi, dans une moindre mesure, le nombre de tués. Amoros et al, ont récemment montré que le taux de recensement des blessés par accident de la route dans le Rhône était de 37,7% pour la période 1997-2001 (Amoros et al. 2006b). Par exemple, jusqu’en 2005 les données sur la mortalité obtenues par les forces de l’ordre ne tenaient compte que de la mortalité à 6 jours alors que de nombreux pays européens retiennent un délai de 30 jours. Par une méthode de capture-recapture, Amoros et al. (JT 2006) ont ainsi montré que les forces de l’ordre recensaient au plus 25% des blessés légers (ISS < 4) et 57% des blessés graves (ISS ≥ 9) alors que le taux de couverture du Registre était de 72% pour les blessés légers et de 86% pour les blessés graves. En recoupant les données des deux sources, ce taux de couverture augmentait à 95% pour les victimes avec ISS ≥ 9. De plus, la sous-estimation des blessés de la route concerne surtout les cyclistes et les accidents survenant sans implication d’un tiers. Or les enfants sont particulièrement concernés par ces catégories d’accident (Stutts et al. 1999). Des études épidémiologiques de cohortes d’enfants blessés à la suite d’un accident de la route sont donc nécessaires afin d’évaluer de manière plus juste l’incidence, la mortalité et surtout la morbidité réelle attribuable aux accidents de la route. De telles études sont pourtant rares, et ont le plus souvent été réalisées dans des zones urbaines aux États-Unis (Gallagher et al. 1984; Runyan et al. 1985); (Durkin et al. 1999) ou au Canada (Osmond et al. 2002). Durkin et al ont rapporté les résultats d’une base de données sur les traumatismes accidentels dans le nord de Manhattan (Durkin et al. 1999). Les enfants de moins de 17 ans blessés dans un accident de la circulation et hospitalisés ainsi que tous les enfants décédés ont été recensés avant et après un vaste programme de prévention des accidents de la circulation. Durant la phase pré-intervention (période 1983-1988), 147,2 enfants sur 100 000 étaient blessés chaque année dans un accident de la circulation et cette incidence annuelle avait diminué à 100 pour 100 000 à la fin du programme de prévention (période 1988-1995). Ces incidences dans un milieu urbain avec une population défavorisée étaient intermédiaires entre celles trouvées dans la région du Nord-Est de l’Ohio (83/100 000 pour 1976-1978) (Fife et al. 1984) et celles d’une zone urbaine du Massachussets (>200/100 000 pour 1980-1981) (Gallagher et al. 1984). Les taux de mortalité étaient de 2,2/100 000 et de 2,8/100 000 respectivement pour les enfants de moins de 5 ans et pour les enfants de 5-16 ans. Les taux de létalité correspondant étaient de 1,7%.
Les études réalisées se sont plus fréquemment attachées à évaluer un traumatisme touchant une zone corporelle donnée, comme la tête puisqu’il s’agit de la blessure ayant les conséquences les plus graves sur la santé de la victime. Or, les Traumatismes crâniocérébraux (TCC) sont fréquents en traumatologie routière surtout dans la population des enfants gravement blessés, c’est-à-dire ayant un score de gravité lésionnel ou Injury severity score (ISS) supérieur ou égal à 16 (Baker et al. 1974). Dans ce sous-groupe, plus de trois quarts des patients ont un TCC. L’existence d’une lésion cérébrale est également trouvée chez près de 80% des enfants décédés à la suite d’un accident de la circulation. Le tableau cidessous résume les différentes études épidémiologiques rapportant des données quantitatives sur l’incidence, la mortalité ou la létalité des TCC (Tableau 1). La principale difficulté pour comparer ces études entre elles réside dans le fait que la définition du TCC n’est pas univoque. Certains utilisent l’échelle clinique de coma de Glasgow (Glasgow coma scale ou GCS), d’autres une échelle traumatologique basée sur la localisation anatomique précise du traumatisme appelée AIS. Cette échelle répartit les lésions en 6 niveaux de gravité croissant de 1 (lésion légère) à 6 (lésion maximale non viable). Le plus souvent les TCC sont considérés comme graves au-delà d’un score AIS égal à 3 (lésion sérieuse). D’autres encore utilisent des critères d’hospitalisation et la classification internationale des maladies pour classer les TCC en légers, modérés ou graves (Emanuelson et al. 1997; Engberg et al. 1998; Reid et al. 2001; Servadei et al. 2002).
Aux USA, entre 1995 et 2001, les incidences annuelles de TCC hospitalisés ou décédés ou consultant aux urgences chez les enfants de 0-4 ans étaient respectivement de 1400/100 000 et 900/100 000 pour les garçons et les filles(Langlois et al. 2005). Entre 5 et 19 ans, les incidences respectives étaient de 900 et 600 pour 100 000. La part des accidents de la route était de 20%, celle des chutes de 28% et les traumatismes intentionnels représentaient 11%. D’après l’étude Aquitaine de 1986, seule étude en population réalisée en France, l’incidence des TCC était de 294 pour 100 000 pour les enfants de moins de 15 ans et était maximale (350 pour 100 000) chez l’enfant <1 an (Masson et al. 1996). L’incidence globale varie entre 180 et 250 pour 100 000 par an (Bruns et al. 2003; Tagliaferri et al. 2006). La gravité des TCC se répartit schématiquement de la manière suivante : 80% de TCC légers (GCS 13-15), 10% de TCC modérés (GCS 9-12) et 10% de TCC graves (GCS>8)(Bruns et al. 2003; Tagliaferri et al. 2006).
La mortalité annuelle par TCC chez l’enfant est proche de 5 pour 100 000 (Tableau 1). La létalité des TCC toutes gravités confondues varie selon les études entre 2,5 et 8% (Tableau 1). Celle des TCC graves varie de 20% à 25 % chez l’enfant. Cette létalité augmente pour une population de polytraumatisés (25-35 %). La part des accidents de la route dans les causes de TCC augmente considérablement avec l’âge de l’enfant et la gravité du TCC. Ainsi, d’après les données issues de l’analyse bibliographique, la part des accidents de la route augmente de 10% environ chez les moins de 5 ans, à 30% chez les 5-9 ans et 55% chez les 10-14 ans (Tableau 1). De même, plus le traumatisme est grave, plus la part des accidents de la route augmente. Levin et al., aux USA, trouvaient ainsi 46% d’accidents de la route dans les étiologies de TCC graves chez les moins de 5 ans et 75% chez les 5-10 ans (Levin et al. 1992).
Les études présentées dans le tableau incluaient les enfants hospitalisés et pour certaines les enfants décédés en préhospitalier mais aucune n’incluait les enfants ayant consulté aux urgences sans être hospitalisés. Ceci peut conduire à une sous-estimation des incidences réelles de TCC et peut induire une sur-estimation du taux de létalité puisque la plupart des enfants non-hospitalisés n’ont qu’un TCC léger ou modéré. De plus, les critères et les possibilités d’hospitalisation étant très variables d’un pays à l’autre et d’un hôpital à l’autre, les comparaisons entre les différentes études sont difficiles. Cinq de ces études étaient des analyses rétrospectives de registre hospitalier d’une région donnée et utilisaient la classification internationale des maladies pour identifier les traumatismes crânio-cérébraux (Emanuelson et al. 2003). La validité et l’exhaustivité de ces registres n’a pas été détaillée dans les publications et peut être critiquable.
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Table des matières
Introduction
2 État des connaissances
2.1 Définitions
2.2 Épidémiologie des traumatismes par accident de la route
2.3 Prévention des traumatismes par accident de la circulation
2.3.1 Aspects réglementaires
2.3.2 Efficacité des systèmes de protection
2.4 Particularités épidémiologiques pédiatriques
2.5 Spécificités lésionnelles pédiatriques
2.6 Prise en charge médicale des enfants victimes de traumatismes par accident de la circulation
2.6.1 SAMU
2.6.2 Les scores de triage et de gravité
2.6.3 Prise en charge hospitalière initiale : la salle d’accueil des urgences vitales (SAUV ou « salles de déchoquage »)
2.6.4 Prise en charge en réanimation et en chirurgie
2.6.5 Suivi après la phase aiguë : la rééducation
2.6.6 Filières de prise en charge
2.7 Séquelles à moyen et long terme
2.7.1 Des séquelles souvent invalidantes mais parfois invisibles
2.7.2 Séquelles motrices et fonctionnelles
2.7.3 Séquelles cognitivo-intellectuelles
2.7.4 Troubles du comportement et de la personnalité
2.7.5 Retentissement familial et scolaire
2.7.6 Qualité de vie et recours aux services de santé
3 Objectifs et résultats attendus
3.1 Améliorer les connaissances épidémiologiques des accidents de la circulation chez l’enfant : incidences, causes, nature des lésions
3.2 Mesurer l’impact des modalités de prise en charge médicale des traumatismes graves sur le devenir des enfants à la sortie de réanimation
3.3 Décrire les conséquences en terme de déficience, d’incapacité et de désavantage
3.4 Rechercher les facteurs prédictifs de mauvais devenir à long terme : les handicaps et conséquences socio-familiales
4 Méthodes
4.1 Le registre des victimes d’accident de la circulation routière du Rhône
4.1.1 Mode de fonctionnement
4.1.2 Données recueillies
4.1.3 Qualité du Registre
4.1.4 Analyses effectuées
4.2 Étude sur le suivi des enfants réanimés à la suite d’un accident de la circulation (étude SERAC)
4.2.1 Type et lieu d’étude
4.2.2 Population
4.2.3 Données recueillies
4.2.4 Critères de jugement
4.2.5 Bordereaux de recueil de données
4.2.6 Analyses statistiques
4.2.7 Organisation de la recherche
4.2.8 Contrôle de qualité et saisie des données
4.2.9 Aspects réglementaires et implications éthiques
4.2.10 Personnes impliquées dans la recherche
4.2.11 Financement de la recherche
5 Epidémiologie des traumatismes graves par accident de la circulation en France
5.1 Les enfants victimes d’accident de la circulation : données épidémiologiques françaises
5.2 Epidémiologie des traumatismes crânio-cérébraux graves : données du Registre du Rhône
5.3 Les enfants gravement blessés à la suite d’un accident de la circulation : facteurs de risque de mauvais devenir
5.4 Les enfants passagers de voiture attachés sont-ils aussi bien protégés que les adultes ?
5.5 Autres analyses des données du registre
Conclusion
