Changer d’angle de vue pour concevoir autrement l’action publique ?

Il était une fois la France, pays de cocagne, dont on vantait le système de santé, avec une offre de soins relativement bien répartie sur les territoires, un accès aux soins déjà un peu tortueux mais pas l’ombre d’un trou dans le maillage serré que les pouvoirs publics concevaient au fil de leurs planifications. Du moins c’était l’impression qu’ils en avaient. Il était une fois Dominique soixante-huit ans, qui, pour échapper à la ville, habitait la maison familiale dans un village où il pensait continuer à cultiver son jardin. Un jour, Dominique dit : « mon médecin vient de prendre sa retraite il a plié bagage. Je vais devoir déménager aussi, je ne me vois pas rester, il n’y a plus personne pour soigner les gens d’ici. » Alors, sur fond de numerus clausus, de réorganisation des politiques publiques, on a commencé à entendre parler de déserts médicaux. D’abord dans le Rapport Berland, premier document officiel évoquant dès 2004 le concept de désert médical, qui ne prévoyait leur existence qu’aux environs de l’année 2015 : « Pour la majorité des professions de santé, il existe des différences de densité entre les territoires. Ces différences pourraient s’amplifier à l’occasion du renouvellement important des effectifs qui s’annonce, il est nécessaire de mettre en œuvre des moyens pour réguler l’offre de soins sur le territoire national en l’adaptant mieux à la demande. » (BERLAND 2004). Les instances responsables en santé ont lu le rapport Berland, les lanceurs d’alerte ont été nombreux : le Maire du village de Dominique, les instances Régionales, les associations… Tous ont refait les calculs. On a proposé des solutions, mais aujourd’hui on se demande encore comment, en formant entre 7000 et 8000 médecins par an depuis 2006 (BERLAND 2004), on parle toujours de déserts médicaux, de territoires où la présence de personnel médical est prioritaire. Entre 2010 et 2018, le nombre de médecins généralistes en activité régulière est passé de 94 261 à 87 801 soit une baisse de 7%. Dans le même temps, le nombre de spécialistes est passé de 105 764 à 110 279 soit une augmentation de 4%. Au total, les effectifs médicaux ont baissé de quasiment 1% en 8 ans (CNOM, 2018). Ces variations sont-elles assez significatives pour que l’on se pose encore la question de notre capacité à garantir la satisfaction du besoin de santé de chaque citoyen qui participe normalement au maintien du système de santé national ? Mais comment s’évalue un besoin de santé ? En effet si on veut déterminer l’offre de santé pour Dominique il faut connaitre ses besoins. Et comment peut-on connaitre le besoin de santé de Dominique qui passe entre les mailles du grand filet organisateur ? Une définition vient de l’OMS : le besoin de santé est un « état de bien-être, physique, mental et social, sans maladies ni infirmités. Cela va au-delà du simple geste médical, par exemple des besoins d’écoute, de sécurité, de confort peuvent être considérés comme des besoins de santé. » (IGAS, 1996). Mais d’autres approchent leur loupe et mettent en garde : selon Déplaude (Deplaude 2009) le besoin de santé serait une fiction d’institution, c’est-à-dire une notion floue mais qui légitime l’intervention des services de l’Etat : « Adapter la démographie médicale en réponse aux besoins apparaît […] comme un objectif séduisant pour définir une démographie médicale optimale, séduisant… mais en grande partie utopique à court terme. La définition des besoins revient pratiquement à fonder la politique de santé publique. De plus, dans l’hypothèse où l’on disposerait déjà d’une évaluation des besoins, la déduction de la démographie nécessaire ne relève pas d’une relation simple. […] Il n’y a évidemment pas de situation d’absolue référence qui permettrait d’asseoir une définition du concept de “besoins”. ». Déterminer la nature du besoin de santé serait alors illusoire, et on pourrait au mieux, au prix d’un processus d’essais-erreurs, déterminer des « problèmes de santé ». Ces propos laissent penser que nous sommes, avec le besoin de santé, confrontés à un ill defined problem (Herbert A. Simon 1973). Ces problèmes sont caractérisés par le fait qu’ils sont plus complexes, ont des critères moins spécifiques pour savoir quand le problème est résolu, et ne fournissent pas toutes les informations nécessaires à la solution. La distinction entre problèmes mal définis et bien définis est fondée sur la quantité d’informations guidant la recherche de solution. Il existe donc une première difficulté à « poser le problème».

Les différentes analyses de la conception et de la dynamique d’une action publique

Policy Design/Policy Process : les standards de conception d’une action publique

En mobilisant plus précisément une approche cognitive de l’analyse des politiques publiques (Muller 2018), nous cherchons à recenser les différentes étapes de conception d’une action publique identifiées par la littérature académique. L’approche cognitive permet notamment de développer la notion de « référentiel » ou encore de « théorie de l’action » (Gibert 2003) qui précise que pour élaborer une politique, il est nécessaire de construire une double représentation : d’une part, celle de la réalité sur laquelle les pouvoirs publics souhaitent intervenir, et d’autre part, celle de la chaine de causalité conduisant les acteurs à agir selon des stimuli qui les atteignent. En fonction de ces représentations, les concepteurs des politiques publiques orientent leur perception du problème, la « demande sociale » (Gibert 2011)), confrontent leurs solutions et définissent leur propositions et modes d’action. On peut donc identifier trois sources de complexité : la première est liée à la demande sociale qui est par nature complexe comme toute réalité. La deuxième est liée à la modélisation de cette demande sociale, et la troisième est associée à la création d’une théorie de l’action pour répondre à cette demande sociale modélisée. Bien que limitée et quelque peu artificielle, une approche séquentielle (Jones 1970) détermine quelques grandes étapes de conception d’une action publique : l’identification du problème, le traitement du problème à travers une phase de développement d’un ensemble de méthodes et de solutions nommée programme, la mise en œuvre du programme, l’évaluation du programme, son arrêt ou son renouvellement. La définition de ces différentes étapes bien que très schématique et simplificatrice, a le mérite de donner des repères qui ne paraissent pas spécifiques au domaine des politiques publiques. En effet, ces différentes phases sont similaires à la façon dont toute organisation ou tout individu résout un problème. C’est la raison pour laquelle il nous semble opportun de nous orienter vers une littérature sur la conception qui ne s’intéresse pas spécifiquement à l’action publique, et notamment de mobiliser la notion de régime de conception (Le Masson, Hatchuel, et Weil 2014). Un régime de conception se caractérise par trois critères : un modèle de raisonnement de conception, un modèle de performance, un modèle d’organisation collective. Ce concept théorique décrit les différentes façons de concevoir un objet ou plutôt une gamme d’objets ou de services. Ce courant nous intéresse particulièrement car il repose sur le principe qu’il existe des interrelations entre le raisonnement de conception des acteurs, la répartition des tâches entre les concepteurs et les modalités d’évaluation des équipes de conception. Les auteurs définissent un modèle canonique de raisonnement par quatre notions : l’objet à concevoir, les propriétés de cet objet, les connaissances et les décisions nécessaires pour créer un objet avec ces propriétés. Nous tentons l’utilisation de ces développements théoriques en considérant que l’objet à créer par les pouvoirs publics est un dispositif de régulation dont il faudra préciser les propriétés en fonction de la demande sociale identifiée. Le dispositif de régulation est compris ici comme un agencement d’instruments et d’acteurs visant à contrôler des comportements et à produire des effets (Aggeri et Labatut 2010). Les raisonnements de conception qui caractérisent un régime de conception nous permettront éventuellement de mieux comprendre comment les pouvoirs publics conçoivent un dispositif de régulation. Précisons toutefois que le management public se distingue par la nature complexe d’une demande sociale qui peut rendre l’élaboration d’un « référentiel » et d’un programme d’action insuffisant par rapport au problème traité. Alors que toutes les conditions politiques seraient réunies pour déployer un programme public, la complexité d’un problème serait telle que l’action publique conçue n’en résout qu’une infime partie. En effet, les pouvoirs publics n’agissent pas à partir d’une demande sociale car elle est par nature insaisissable, ils agissent à partir d’une modélisation de cette demande sociale. On comprend alors que la nature complexe d’une demande sociale invite à analyser la pertinence du modèle utilisé pour la cibler, l’élaboration des propriétés du dispositif de régulation associé à ce ciblage, et le processus de recherche de connaissances permettant de concevoir un dispositif respectant ces propriétés.

De plus, notons qu’un dispositif de régulation peut avoir pour objet une organisation (par exemple l’organisation d’une prise en charge médicale), elle-même sujette à une dynamique propre (Sardas, Dalmasso, et Lefebvre 2011).

Les sciences politiques et la question des relations entre pertinence, cohérence et universalité d’une action publique

Fort de ces constats, nous introduisons dans la section 2 un courant de littérature sur la dialectique cohérence/pertinence de l’action publique (Offner 2006) qui permet de
comprendre que les différentes phases de la conception d’une politique publique peuvent avoir lieu à des échelons territoriaux variés. Le domaine de la santé n’échappe pas à ce constat car il est composé d’organes centraux (Ministère, CNAMTS) et d’antennes régionales/départementales que sont les Agences Régionales de Santé (ARS) et leurs délégations départementales, les Caisses Primaires d’Assurance Maladie (CPAM)…. Or malgré l’appartenance à un même réseau administratif, des divergences significatives de référentiels et de connaissances peuvent exister entre concepteurs et agents de terrain. Ce courant introduit notamment l’idée selon laquelle la proximité territoriale permet de concevoir des référentiels et des programmes plus pertinents mais nécessairement non cohérents avec d’autres dispositifs déployés par d’autres acteurs à des échelons territoriaux plus larges. Cette littérature laisse donc entendre qu’au vu de la complexité d’un problème public, localiser la conception d’une action publique n’est pas une solution sans risque car cela peut générer une multitude d’actions non cohérentes d’un point de vue national sans que les acteurs locaux le sachent. La dimension territoriale vient éclairer notre compréhension de la conception d’une action publique et des difficultés potentielles liées à l’accroissement de la variété des concepteurs.  A l’issue de ces analyses, nous cherchons à caractériser une action publique à travers les propriétés qu’elle doit respecter :
– Elle doit être pertinente par rapport à la projection d’une demande sociale. En pratique la tâche est plus ardue qu’il n’y parait car il est rare qu’une demande sociale soit unique et nationale, la nature des problèmes variant selon les territoires.
– Elle doit également être cohérente par rapport à la totalité des actions publiques menées par une ou plusieurs administrations publiques ce qui nécessite une connaissance très large de l’ensemble de ces actions.
– Enfin, une politique publique doit traiter les citoyens de manière égale et donc se déployer partout où elle est jugée nécessaire sur le territoire national. Ainsi, chaque dispositif de régulation devra comporter ces trois grandes propriétés qui se déclineront en fonction des sujets abordés.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
RÉSUMÉ DÉTAILLÉ DE LA THÈSE
PARTIE 1 – CADRE THÉORIQUE, EMPIRIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE
INTRODUCTION DE LA PARTIE 1
CHAPITRE 1 LES DIFFÉRENTES ANALYSES DE LA CONCEPTION ET DE LA DYNAMIQUE D’UNE ACTION PUBLIQUE
INTRODUCTION
SECTION 1 POLICY DESIGN/POLICY PROCESS : LES STANDARDS DE CONCEPTION D’UNE ACTION PUBLIQUE
SECTION 2 LES SCIENCES POLITIQUES ET LA QUESTION DES RELATIONS ENTRE PERTINENCE, COHÉRENCE ET UNIVERSALITÉ D’UNE ACTION PUBLIQUE
SECTION 3 TYPOLOGIE DES DIFFÉRENTS MODES DE RÉGULATION
CONCLUSION
CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE
INTRODUCTION
SECTION 1 DESIGN DE LA RECHERCHE ET POSITIONNEMENT DU CHERCHEUR
SECTION 2 DESCRIPTION DU CADRE DE RECHERCHE-INTERVENTION
SECTION 3 LIEN ENTRE DONNÉES ET QUESTIONNEMENT THÉORIQUE
CONCLUSION
PARTIE 2 – PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS
INTRODUCTION DE LA PARTIE 2
CHAPITRE 3 LE DÉSERT MÉDICAL COMME CONSÉQUENCE DU MANQUE DE
PROFESSIONNELS DE SANTÉ : UNE CONCEPTION CENTRALISÉE DE DISPOSITIFS DE RÉGULATION RÉPONDANT A UNE LOGIQUE MIXTE, MARCHÉ/PROFESSIONNELLE
INTRODUCTION
SECTION 1 HISTOIRE ET DÉFINITION INSTITUTIONNELLE DU CONCEPT DE « DÉSERT MÉDICAL »
SECTION 2 ÉTUDE DE LA CONCEPTION ET DU FONCTIONNEMENT D’UN DISPOSITIF DE RÉGULATION CENTRALISÉE DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ
SECTION 3 DES LIMITES MÉTHODOLOGIQUES QUI MONTRENT UNE VISION ÉTROITE, AXÉE SUR UNE RÉGULATION MIXTE MARCHÉ/PROFESSIONNELLE DE LA PROBLÉMATIQUE DES DÉSERTS MÉDICAUX
CONCLUSION
CHAPITRE 4 LE DÉSERT MÉDICAL COMME RUPTURE DE PARCOURS ET ABSENCE D’EXPERTISE MÉDICALE : UNE CONCEPTION CENTRALISÉE DE DISPOSITIFS DE RÉGULATION CHERCHANT À RÉPONDRE À UNE LOGIQUE PARCOURS
INTRODUCTION
SECTION 1 REVUE DE LITTÉRATURE COMPLÉMENTAIRE SUR LA COORDINATION PAR LE PARCOURS DES PATIENTS
SECTION 2 ÉTUDE DE QUELQUES DISPOSITIFS DE RÉGULATION AFFECTANT L’ACCÈS AUX SOINS ET CHERCHANT A S’INSCRIRE DANS UNE LOGIQUE PARCOURS
SECTION 3 CONCEPTION CENTRALISÉE D’UN DISPOSITIF DE GESTION DÉCONCENTRÉ DES « COMPOSANTES » DU PARCOURS
CONCLUSION
CHAPITRE 5 UNE CONCEPTION MULTICENTRIQUE DE DISPOSITIFS DE RÉGULATION FACE AU CARACTÈRE LOCALISÉ DES INEGALITÉS D’ACCÈS AUX SOINS
INTRODUCTION
SECTION 1 REVUE DE LITTÉRATURE COMPLÉMENTAIRE SUR UNE FORME D’OPPOSITION ENTRE LITTÉRATURE COGNITIVISTE, ÉCOSYSTEMIQUE ET NÉ0-INSTITUTIONNALISTE
SECTION 2 DYNAMIQUES DE CONCEPTION MULTICENTRIQUE DE DISPOSITIFS DE RÉGULATION DES INEGALITÉS TERRITORIALES D’ACCÈS AUX SOINS
SECTION 3 QUELS EFFETS DE L’ENVIRONNEMENT ?
CONCLUSION
CHAPITRE 6 DISCUSSIONS
INTRODUCTION
SECTION 1 UNE CONCEPTION CENTRALISÉE D’UNE ACTION PUBLIQUE GARANTIT-ELLE LA FAISABILITÉ DE SA GÉNÉRALISATION ?
SECTION 2 COHERENCE/PERTINENCE, UN VRAI PROBLEME ?
SECTION 3 SOUS QUELLES CONDITIONS LES POUVOIRS PUBLICS PEUVENT-ILS ADOPTER UN RÉGIME DE CONCEPTION INNOVANTE ?
CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE

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