Changement climatique : un constat inquiétant
Le forçage anthropique sur le système climatique est maintenant un fait : les émissions de gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone ou le méthane, liées aux activités humaines des 150 dernières années, contribuent au réchauffement climatique global. Le dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC (IPCC , en anglais), révèle que l’élévation du niveau moyen des mers, ainsi que la fonte des glaciers et des calottes glaciaires, sont étroitement liées au réchauffement du climat . D’autre part, le réchauffement climatique modifie les systèmes physiques – par ex., recul du permafrost (Marchenko et al. 2007) – et biologiques – par ex., modification de la phénologie d’espèces animales et végétales (Walther et al. 2002). Bien que les contributions respectives des actions anthropiques et de la variabilité climatique naturelle aux changements climatiques observés restent encore à établir, il est très probable que les activités humaines au cours des trois derniers siècles soient la cause principale de ces changements.
La compréhension du contexte climatique actuel nécessite donc d’étudier la variabilité naturelle du climat (i.e., exempte de forçage anthropique). La paléoclimatologie, c’est-à-dire l’étude des climats du passé, est un outil privilégié pour comprendre la variabilité climatique naturelle. Cet outil, qui permet de documenter le climat et les changements climatiques survenus dans le passé, améliore notre compréhension des paléoclimats et génère des bases de données qui sont utilisables par les climatologues et les modélisateurs. Ces bases de données sont des bancs d’essai pour les modèles climatiques et permettent de s’assurer que ceux ci reproduisent fidèlement les variations climatiques passées avant de simuler l’évolution future du climat (Kohfeld and Harrison 2000).
Dissocier les forçages naturels des forçages anthropiques est primordial pour mieux appréhender les changements climatiques en cours, ainsi que leurs conséquences.
L’Holocène : une période clé pour étudier la variabilité naturelle du climat
La période Holocène, qui correspond au stade interglaciaire en cours et couvre les derniers 10 000 années BP , est une période clé pour comprendre la variabilité climatique naturelle. En effet, à l’exception de l’insolation, les forçages climatiques naturels agissant durant l’Holocène étaient similaires à ceux opérants aujourd’hui (Wanner et al. 2011). La période Holocène présente des variations climatiques de faible amplitude, opérant à l’échelle millénaire, séculaire et interannuelle (par ex., Koutavas et al. 2006a; Tudhope et al. 2001; Wanner et al. 2011).
L’amplitude des variations du climat à l’Holocène est similaire aux changements climatiques en cours, bien que les variations climatiques ne soient pas influencées par un forçage anthropique. L’Holocène est donc une période privilégiée pour la compréhension des mécanismes régissant la variabilité climatique naturelle.
L’Holocène est une période clé pour la compréhension de la variabilité climatique naturelle. La variabilité climatique opérant durant cette période est similaire aux changements climatiques observés actuellement et le forçage anthropique y est absent.
L’océan Pacifique : une zone stratégique pour la compréhension du climat
Le système climatique global est régi par les fluctuations de taille et de localisation des structures climatiques tropicales de grande échelle. Parmi ces structures se trouvent les corps d’eau de mer chauds tropicaux (warm pools en anglais) et les zones de convergences intertropicales (convergence zones en anglais). L’océan Pacifique est le plus vaste du globe (166 241 700 km²) et les structures climatiques qui y sont associées – la West Pacific Warm Pool (WPWP), la zone de convergence intertropicale (ITCZ) et la zone de convergence du Pacifique Sud (SPCZ) jouent un rôle central tant dans la circulation atmosphérique globale que dans celle des eaux de surface.
La WPWP s’étend sur plus de 15 millions de kilomètres carrés (27 fois la France) et sur une centaine de mètres de profondeur (Wyrtki 1989). La WPWP est située à l’est de la ligne s’étendant des Philippines à la Papouasie Nouvelle-Guinée, excluant l’archipel Indonésien . Cette immense étendue d’eau, dont la température moyenne des eaux de surface (SST) dépasse les 28°C, génère le flux convectif le plus intense au monde qui transfère de grandes quantités de chaleur et d’humidité dans l’atmosphère (Graham and Barnett 1995). La convection permanente qui a lieu au-dessus de la WPWP transfère l’énergie issue du rayonnement solaire au niveau de l’équateur vers les pôles, contribuant ainsi à réguler la température globale (Cane and Clement 1999). Les fortes pluies résultant de cette convection, associées à un régime de vent faible, contribuent à maintenir une salinité inférieure à 35 dans la WPWP, ce qui entraîne une forte stratification des eaux de surface, qui est à l’origine de la stabilité de cette structure.
Suivre les fluctuations de taille et de localisation de la WPWP est donc un enjeu majeur pour la compréhension et la prédiction du climat, et ce en particulier pour la marge Est de la warm pool qui occupe un rôle clé dans la dynamique de El Niño Southern Oscillation – ENSO (Picaut et al. 2001). Cependant, la température de surface seule ne suffit pas à définir la WPWP dont la masse d’eau possède des caractéristiques complexes (Le Borgne et al. 2002; Maes et al. 2010). Néanmoins, l’isotherme 28°C est communément considéré comme délimitant la WPWP (e.g., Godfrey et al. 1998; Ho et al. 1995; Wyrtki 1989).
Ce sont en effet les masses d’eau dont la température de surface atteint la valeur seuil de 28°C qui sont le moteur du processus de convection atmosphérique (Waliser et al. 1993). La zone de convergence intertropicale (ITCZ, Figure I-2b) est une zone d’intense convection de chaleur et d’humidité associée à une pluviométrie très importante. Cette étroite ceinture nuageuse, qui entoure la Terre approximativement au niveau de l’équateur, correspond à la zone de confluence des Alizés des deux hémisphères et à la branche ascendante de la cellule de Hadley (Philander et al. 1996; Waliser and Gautier 1993; Xie and Saito 2001). Au niveau de l’océan Pacifique se trouve une autre structure convective, la zone de convergence du Pacifique Sud (SPCZ). Celle-ci se sépare de l’ITCZ au niveau de la Papouasie NouvelleGuinée et s’étend diagonalement dans l’hémisphère sud jusqu’à la Polynésie Française . La SPCZ est une des structures climatiques les plus importantes de l’hémisphère sud (Kiladis et al. 1989; Trenberth 1976; Vincent 1994). Dans le Pacifique SudOuest, qui s’étend de la Papouasie Nouvelle-Guinée, à l’ouest, jusqu’aux Iles Fidji, à l’est, en incluant le Vanuatu et la Nouvelle Calédonie, les variations de SST et de salinité des eaux de surface (SSS) à l’échelle saisonnière et interannuelle (ENSO) sont étroitement liées aux fluctuations de la marge sud-est de la WPWP et de la SPCZ (Gouriou and Delcroix 2002).
Le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie ont été choisis comme sites d’étude car le climat y est fortement influencé par la WPWP et la SPCZ.
Le contexte climatique du Pacifique Sud-Ouest
Durant l’été austral (janvier, février, mars), la marge sud-est de la WPWP (isotherme 28°C) s’étend jusqu’au nord de la Nouvelle-Calédonie ce qui provoque un réchauffement de l’ensemble du Pacifique Sud-Ouest . En été, la SPCZ s’étend vers le sud-ouest, générant des précipitations (P) supérieures à l’évaporation (E) se traduisant par une baisse notable de la SSS sur l’ensemble de la zone . Durant l’hiver austral (juillet, août, septembre), la SST diminue suite à la migration de la WPWP vers le nord, qui déplace la marge sud-est de la WPWP au niveau des Îles Salomon . A cette période, la SPCZ fusionne avec l’ITCZ dans la zone équatoriale, la balance evaporation / precipitation (E/P) est alors déplacée vers un déficit de précipitation, causant une augmentation de la SSS dans le Pacifique Sud-Ouest .
Dans le Pacifique Sud-Ouest, l’été austral est caractérisé par une SST élevée et une SSS faible (précipitation > évaporation) et l’hiver austral est caractérisé par une SST faible et une SSS élevée (précipitation < évaporation).
Dans le Pacifique Sud-Ouest, les variations interannuelles de température de surface et des précipitations sont fortement influencées par ENSO . Ce mode de variabilité climatique entraîne des échanges de chaleur entre l’océan et l’atmosphère à grande échelle ce qui influe sur la température globale (Cane 2005). ENSO se caractérise par l’alternance de phases El Niño (ou phases ―chaudes‖) et La Niña (ou phases ―froides‖) qui affectent le cycle hydrologique et sont associées à des événements climatiques extrêmes tels que : inondations, sécheresses, etc. (Cane 2005; Lyon 2004).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I – INTRODUCTION GÉNÉRALE
I. CHANGEMENT CLIMATIQUE : UN CONSTAT INQUIÉTANT
II. L’HOLOCÈNE : UNE PÉRIODE CLÉ POUR ÉTUDIER LA VARIABILITÉ NATURELLE DU CLIMAT
III. L’OCÉAN PACIFIQUE : UNE ZONE STRATÉGIQUE POUR LA COMPRÉHENSION DU CLIMAT
IV. LE CONTEXTE CLIMATIQUE DU PACIFIQUE SUD-OUEST
V. VARIABILITÉ CLIMATIQUE AU COURS DE L’HOLOCÈNE
VI. ARCHIVES PALÉOCLIMATIQUES
VII. PROXIES
a. Utilisation du δ18O chez les coraux et les bénitiers
b. Utilisation du δ13C et de la sclérochronologie chez les Bénitiers
c. Utilisation du rapport Strontium/calcium chez les coraux
VIII. PROBLÉMATIQUES, OBJECTIFS ET ORGANISATION DE LA THÈSE
CHAPITRE II – CALIBRATION OF GIANT CLAM TRIDACNA MAXIMA GROWTH INCREMENTS THICKNESS AND SHELL δ18O AS PROXIES OF SEA SURFACE TEMPERATURE: IMPLICATIONS FOR PALEOCLIMATOLOGY
I. INTRODUCTION
II. MATERIALS AND METHODS
a. Tridacna maxima specimens
b. Weekly monitoring
c. Age determination
d. Thick and thin section preparation
e. Sclerochronological profiles
f. Oxygen stable isotopes analyses
III. RESULTS
a. Age determination
b. Shell and growth pattern description
c. Temporal resolution of the growth increments
d. Description of the modern sclerochronological profiles
e. Relation between growth increment thickness and SST
f. Fossil sclerochronological record
g. Reconstruction of SST mean seasonal cycle from daily growth increments
h. Oxygen stable isotope data
IV. DISCUSSION
a. Shell deposition cycles in Tridacna maxima
b. SST reconstruction from daily growth increments thickness
c. Oxygen stable isotope as a proxy for SST
CHAPITRE III – EARLY MID-HOLOCENE SST VARIABILITY AND SURFACE-OCEAN WATER BALANCE IN THE SOUTHWEST PACIFIC
I. INTRODUCTION
II. CLIMATIC SETTING
III. MATERIALS AND METHODS
a. Fossil Material
b. Modern Material and SST/SSS Data Sets
c. Dating and Preservation of the Fossil Samples
d. Geochemical Sampling
e. Geochemical Analysis and Data Processing
IV. RESULTS
a. Samples Dating and Preservation
b. Coral Growth Stop
c. Coral Records
d. Giant Clam Records
e. Seasonal variability from the coral records
f. ENSO Variability
V. DISCUSSION
a. Post-Glacial SST Rise in the Southwest Pacific
b. Short-Lived Contraction of the WPWP Southern Edge at 6.2–6.0 ka BP
c. Early Mid-Holocene Surface-Ocean Water Balance
d. ENSO Variability
VI. CONCLUSION
CHAPITRE IV – LAPITA MIGRATION AND CLIMATIC VARIABILITY: NEW INSIGHTS FROM GIANT CLAM AND CORAL GEOCHEMICAL RECORDS
I. INTRODUCTION
II. SOUTHWEST PACIFIC CLIMATE
a. Main Climatic features
b. Seasonal patterns
c. Inter-annual variability
d. Modern material and reef environments
e. New Caledonia
f. Vanuatu
III. ARCHAEOLOGICAL SITES AND MATERIAL
a. Archaeological material
b. Dating and fossil samples preservation
c. Geochemical sampling
d. Geochemical analyses
e. ENSO variability
IV. RESULTS
a. Samples dating and preservation
b. Giant clams
c. Corals
d. δ18O versus δ13C scatter plot
e. Modern giant clam baseline
f. Fossil giant clams
g. ENSO variability in New Caledonia
V. DISCUSSION
a. Interpreting the bulk geochemical records
b. Giant clam isotopic signature : genus, environment or climate ?
c. La Niña-like mean state ca. 3,600-3,400 years BP
d. Strong ENSO amplitude ca. 3,200-2,700 years BP
e. Relation between climate and Lapita migration
CONCLUSION
