Capter l’attention du public : un discours dynamique 

Contexte

Contexte législatif

L’interruption volontaire de grossesse, ou plus communément appelée l’avortement, est un sujet constamment d’actualité puisque toujours au cœur des débats de la société contemporaine. Encore aujourd’hui, de nombreux pays dans le monde interdisent l’avortement ou le restreignent à certaines conditions. En Europe, seuls deux pays, Malte et Andorre, interdisent encore l’interruption volontaire de grossesse.
L’avortement est le sujet de nombreux questionnements qui diffèrent selon les époques et qui se basent sur des contextes politiques, sociaux, religieux et culturels.
Certains revendiquent l’accès à l’avortement comme un droit des femmes, un droit humain, mais aussi comme un droit à la santé, face aux risques liés à une grossesse et aux conséquences des avortements illégaux. D’autres, en opposition, condamnent l’avortement, qu’ils considèrent comme un meurtre, au nom du droit à la vie de l’embryon. Ils se désignent alors comme étant « pro-vie ». Même si de plus en plus de pays ont légalisé l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, l’OMS estime que les avortements clandestins représentent 49 % des avortements dans le monde. Chaque année, environ 47 000 femmes décèdent des suites d’une IVG non médicalisée dans le monde, toujours selon l’OMS (2012).
L’actualité nous montre que ce sujet est encore brûlant aujourd’hui et que l’avortement est un droit loin d’être acquis pour certaines femmes et qui, lorsqu’il est légal, reste sans cesse remis en question.

L’état de la question en France

En 1975, Simone Veil a eu le courage de proposer une loi sur l’avortement, face à une Assemblée nationale uniquement composée d’hommes. Elle présente cette loi qui va accorder aux femmes le droit et le choix d’avoir recours à l’avortement et va également sauver la vie de celles qui se retrouvent dans une situation de détresse, obligées d’interrompre leur grossesse par leurs propres moyens.
Avant sa prise de parole, l’avortement était un acte illégal et passible de prison.
En 1920, l’Assemblée avait ainsi voté une loi interdisant la provocation de l’avortement » est condamnée à mort pour l’exemple et guillotinée en 1943.
Dans les années soixante, c’est presque une femme par jour qui décède des suites d’un avortement clandestin (DUMONT et LEGRAND, 1981). D’autres en réchappent mutilées et stériles. Celles qui le peuvent partent se faire avorter à l’étranger.
Paru le 5 avril 1971 dans le Nouvel Observateur n°334, le « manifeste des 343 » est une pétition française qui liste « 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste “Je me suis fait avorter” », selon le titre paru à la une du magazine. Les signataires, des femmes artistes, journalistes, intellectuelles et simples anonymes, s’exposent ainsi à des poursuites pénales qui peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement.
Des personnalités publiques font partie de ces signataires, telles que Simone de Beauvoir (qui a rédigé le manifeste), Catherine Deneuve, Gisèle Halimi, Marguerite Duras ou encore Françoise Sagan. Dans le même numéro, 252 médecins signent une pétition allant dans le même sens. Désormais, la pétition est plus connue sous le nom de « manifeste des 343 salopes », rebaptisée ainsi par Charlie Hebdo dans son édition du 12 avril 1971, suivant la parution du manifeste, et qui soutient l’initiative.
En 1974, Simone Veil, alors ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, fait de la légalisation de l’IVG sa priorité. Le débat houleux avait déjà été lancé quelques années auparavant par Pierre Messmer, Jean Taittinger et Michel Poniatowski (LACHAISE, 2009). La France s’inscrivait alors dans un mouvement plus large, puisque la question concernait l’ensemble des pays d’Europe du Nord et de l’Ouest, sauf, fait intéressant, l’Irlande.
L’article L162-1 de la loi n°75-17 du 17 janvier 1975, qui correspond à la première loi qui autorise l’avortement, aussi appelée loi Veil en l’honneur de celle qui lui permit de voir le jour, stipule.

L’état de la question en Irlande

La désapprobation sociale qui caractérise encore largement le recours à l’avortement s’exprime de multiples façons : elle se traduit par un refus du droit à l’avortement et par un tabou toujours présent, lié au corps de la femme.
En Irlande, entre 1861 et 2013, l’avortement était passible de prison à vie d’après une loi victorienne votée par le Parlement britannique qui contrôlait l’Irlande à cette époque, « The Offences against the Person Act ». En 1983, l’Irlande vote par référendum l’interdiction complète de l’IVG et l’inscrit dans sa Constitution. L’article 40.3.3, désigné comme le huitième amendement de la Constitution de l’Irlande, interdit l’avortement :
« The State acknowledges the right to life of the unborn and, with due regard to the equal right to life of the mother, guarantees in its laws to respect, and, as far as practicable, by its laws to defend and vindicate that right This subsection shall not limit freedom to travel between the State and another state.
This subsection shall not limit freedom to obtain or make available, in the State, subject to such conditions as may be laid down by law, information relating to services lawfully available in another state. »
Puis, en 1992, à la suite d’une décision de la Cour suprême, l’avortement a été autorisé, mais seulement dans le cas où la vie de la mère était en danger. Cependant, aucune loi n’avait été votée pour faire appliquer cette décision. Le projet de loi qui vise à la protection de la vie maternelle n’autorisait pas l’avortement dans les cas de viol, d’inceste et d’anormalités observées sur le fœtus.
Ces mesures poussent les Irlandaises à procéder à des avortements clandestins ou à se rendre à l’étranger afin d’avorter en toute légalité. Les avortements illégaux sont potentiellement responsables de la mort de centaines d’Irlandaises chaque année et comportent de nombreux risques . Récemment encore, Savita Halappanavar, une jeune femme de 31 ans, a été victime d’une fausse couche à 17 semaines de grossesse et est décédée d’une septicémie le 28 octobre 2012, en Irlande. Après son admission à l’hôpital et après avoir été informée qu’elle était en train de faire une fausse couche, elle aurait demandé à plusieurs reprises que l’on mette un terme à sa grossesse, comme l’explique son mari. Cependant, les médecins auraient refusé d’intervenir tant que le cœur du fœtus battait encore, en expliquant que « c’était la loi et que c’était un pays catholique ». Ce n’est qu’une fois que le cœur du fœtus s’est arrêté, plusieurs jours plus tard, que les médecins ont pratiqué un curetage sur la mère, qui a ensuite été conduite en soins intensifs, où elle est décédée. L’avortement est ensuite devenu passible de quatorze ans de détention de 2013 à 2018, à la suite de la loi « Protection of Life During Pregnancy Act » datant donc de 2013. Dans cet article, les sections 7 et 8 autorisent l’interruption de grossesse en cas de risque de décès de la mère pour raisons médicales, et la section 9 l’autorise en cas de risque de décès par suicide. Voici ci-dessous les deux sections en question.

Cadre théorique

Afin de préparer cette analyse critique de discours politique, il convient d’abord de s’arrêter sur les notions de discours, et plus particulièrement de discours politique.
Pour cela, nous nous appuierons entre autres sur les travaux de Patrick Charaudeau, précurseur de l’analyse du discours, ainsi que sur ceux de Fairclough et Fairclough.
Le discours se définit ainsi comme un acte oratoire qui s’inscrit dans ce que Charaudeau décrit comme un « enjeux communicationnel » (2005, p. 27), c’est-à-dire que cet acte de langage cherche à manifester à l’extérieur de soi les idées que l’on pense, et ce à destination d’autrui. Cependant dans le cas du discours politique, l’enjeu communicationnel principal est déjà identifié : c’est de fournir une argumentation qui a pour but à la fois de défendre sa cause et de pousser son auditoire à y adhérer. Il y a ici, dans ce type spécifique de discours, deux idées primordiales : la première, la défense de la cause, est le moteur de l’homme politique. Son discours a pour objectif de transformer la société et d’aboutir à la décision d’une modification juridique de la part du gouvernement. C’est ce que Fairclough et Fairclough cherchent à démontrer en expliquant que « la manière dont des représentations particulières du monde peuvent, dans certaines conditions, avoir des effets constructifs sur le monde »
(FAIRCLOUGH et FAIRCLOUGH, 2012, p. 13) et c’est là tout l’intérêt de produire un discours politique.
Cependant, pour parvenir à cette fin, l’état démocratique qui constitue le fondement gouvernemental des deux pays étudiés impose à l’orateur politique un moyen unique : celui de convaincre le peuple de la véracité de sa cause. Nous retrouvons ainsi notre seconde idée primordiale présente dans le discours politique : pousser son auditoire à adhérer à sa cause. C’est en effet du nombre de personnes qu’il réussira à rassembler sous celle-ci que dépendra sa capacité ou non à faire changer les lois et, par là-même, à réformer la société.
Pour reprendre le cas de l’avortement qui nous occupe ici, le discours à l’Assemblée nationale de Simone Veil avait pour fonction de convaincre ses confrères ministres de la nécessité de changer la loi, et c’est parce qu’elle a réussi dans son intention que la loi a été effectivement modifiée, impactant par cette décision toute la société française. Cet aspect est peut-être même rendu encore plus évident en Irlande, où le discours politique pro-choix a été le moteur de l’organisation d’un référendum. Le nombre de personnes ralliées à la cause a directement et immédiatement influé sur l’abrogation de la loi irlandaise.
L’idée de pousser quelqu’un à adhérer à sa cause est la définition même du concept d’argumentation. Selon Charaudeau, ce qu’il appelle “l’enjeu de persuasion” (2005, p. 27) se détache complètement des concepts de vrai et de faux. Pour celui qui produit l’argumentation, il est moins important de “dire vrai” que de parvenir à persuader l’autre qu’on a raison. “L’enjeu est ici, à la fois, de véracité – et donc de raison subjective – et d’influence, celle d’un sujet qui tente de modifier l’opinion et/ou les croyances de l’autre” explique Charaudeau (2005, p. 28). L’intérêt formel du discours politique est donc d’autant plus important qu’il ne dit pas la vérité, mais seulement la conviction de ce qui est vrai, conviction qui est dès lors entièrement subjective.
Ce qui nous a tout particulièrement intéressés lors de la sélection de notre cadre d’analyse est que le discours politique est hybride. Destiné à l’exposé oral, il est pourtant préparé à l’avance, écrit méticuleusement et déjà analysé par anticipation afin de produire le maximum d’effet sur son public. C’est grâce à cette caractéristique, entre autres possibles, qu’il est intéressant de l’analyser de façon critique. Chaque aspect qui le constitue : sa forme (le lexique choisi, les effets stylistiques), son fond (les arguments), son contexte (la légitimité dont se dote l’orateur, les intentions assumées de même que les intentions cachées de son discours, la façon dont il adresse son opposition à un autre parti), sa dimension non-verbale (le langage corporel de l’orateur, les pauses, les regards et la tonalité employés), est entièrement voué à ce but unique de convaincre le public et le rallier à sa cause.
Pour procéder à l’étude détaillée des quatre discours de notre corpus d’analyse, nous avons établi des catégories d’analyse qui prennent en compte tous les aspects ci- dessus énoncés, sur lesquelles nous reviendrons plus tard dans l’explication de la méthodologie.

En France

Nous allons, dans un premier temps, analyser les discours français. Le premier auquel nous avons pensé est le discours de Simone Veil pour la légalisation de l’IVG devant l’Assemblée nationale, le 26 novembre 1974. En effet, son discours a alimenté les débats sur la légalisation de l’avortement en France.
C’est devant un hémicycle essentiellement composé d’hommes que la ministre prononcera ce discours qui entrera dans l’Histoire, puisque la loi sera votée à titre provisoire en 1975 puis définitivement en 1979. Dans cette longue allocution, la ministre aborde des thématiques liées à l’avortement plus ou moins directement.
L’extrait choisi au moment que nous considérons être la fin de l’introduction, retrace le parcours qui les a menés à ce jour et à ce discours précis. Il démarre d’ailleurs avec cette phrase « Nous sommes arrivés à un point où, en ce domaine, les pouvoirs publics ne peuvent plus éluder leurs responsabilités ».
Dans cette partie de son discours, elle parle de la nécessité de légaliser l’IVG d’un point de vue légal et moral, mais on note surtout qu’elle place la femme au centre du débat : sa détresse, sa solitude, son bien-être, sa santé. Dans la suite de son discours, elle aborde d’autres thèmes, qui, s’ils ont bien sûr un lien, ne se centrent plus sur l’IVG à proprement parler : l’adoption, le taux de natalité en France et en Europe par exemple. C’est pourquoi nous avons décidé d’arrêter l’extrait sur cette phrase : « Je me garde bien de croire qu’il s’agit d’une affaire individuelle ne concernant que la femme et que la nation n’est pas en cause. Ce problème la concerne au premier chef, mais sous des angles différents et qui ne requièrent pas nécessairement les mêmes solutions », qui annonce bien que l’oratrice va maintenant introduire d’autres considérations dans le débat.
Ce découpage permettait en outre de respecter une certaine cohérence en termes de longueur de discours ; en effet, deux des autres discours choisis sont bien plus courts (Varadkar : 1278 mots ; Bruton : 1540 mots ; Bompart : 505 mots ; Veil : 1172 mots). Une telle différence de longueur n’aurait pas rendu possible une analyse juste et pertinente. Une grande partie de l’extrait choisi a été filmée le jour où ce discours a été prononcé. Nous avons trouvé un extrait vidéo du même passage, il nous sera donc possible d’analyser l’attitude, la gestuelle ou encore le ton employé.
Le deuxième discours choisi est d’ailleurs le plus court. Il s’agit de l’allocution de Jacques Bompard, prononcé lui aussi devant l’Assemblée le 27 novembre 2014.
Cet élu du Vaucluse est le fondateur et président de la Ligue du Sud, parti d’extrême droite qui défend des valeurs chrétiennes, la défense de la famille ou encore le patriotisme. Il est intéressant de comparer son discours et celui de Simone Veil, car Jacques Bompard était déjà entré en politique au moment du vote de la loi en 1975.
Depuis, celui qui est aujourd’hui député du Vaucluse et Maire d’Orange, ne cesse de réaffirmer le « droit à la vie » et la « culpabilité d’un État barbare » et n’hésite pas à susciter de fortes réactions de la part de ses homologues dans l’Hémicycle avec des discours coup de poing. Plusieurs de ces discours à l’Assemblée notamment, filmés et retranscrits, auraient constitué une matière intéressante à analyser, mais le discours que nous avons finalement choisi est d’autant plus symbolique qu’il a été prononcé très exactement quarante ans après celui de Simone Veil. C’est en effet la date choisie par l’Assemblée nationale pour adopter une résolution visant à réaffirmer le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse en France, en Europe et dans le monde.
Si elle a été acceptée avec une majorité écrasante de voix (143 voix), sept députés s’y sont opposées, parmi lesquels Jacques Bompard, qui a exprimé son désaccord à travers le discours que nous avons choisi de présenter. Ce discours étant également filmé, nous aurons l’occasion d’étudier la communication aussi bien verbale que non-verbale du député, ce qui est toujours très enrichissant puisque de fait, le langage non-verbal fait partie intégrante du discours et de l’acte de communication et peut parfois se révéler tout aussi parlant que les mots (COSNIER, 1977).

En Irlande

À présent, intéressons-nous au choix des discours portant sur la légalisation de l’avortement en Irlande. En premier lieu, pourquoi ce pays ? Tout d’abord parce qu’à l’époque le combat de Simone Veil en France résonnait aussi dans le reste de l’Europe (BLAYOT, 1989, pp. 225-238), à quelques exceptions près : comme Malte ou l’Irlande.
Le premier discours choisi est celui de Leo Varadkar, alors Taoiseach (Premier ministre), prononcé le 29 janvier 2018, juste après une longue réunion avec le Gouvernement irlandais (« The Cabinet », en anglais dans le discours) sur la question non pas de la légalisation de l’avortement elle-même, mais sur la tenue ou non d’un référendum pour abroger le huitième amendement – l’amendement rendant l’IVG illégale. Le Premier ministre se tient devant un parterre de journalistes et son discours est destiné à être diffusé dans les médias. Il s’adresse donc directement à la population irlandaise. En effet, l’opposition sur la question étant telle au sein du Gouvernement, le Premier ministre a finalement proposé de laisser le peuple décider.
Médecin de profession, Leo Varadkar est entré au Gouvernement en 2007. Après un passage par les ministères des Transports puis de la Santé, il a été élu à la tête du Fine Gael, un parti se définissant comme centre progressiste, peu de temps avant d’être élu Taoiseach en 2017. La figure de Leo Varadkar nous a semblée très intéressante pour plusieurs raisons. La première, évidente, est qu’il a gagné son combat, malgré une opposition féroce au sein de la population et au sein même de son parti, dans un pays où la religion catholique est encore aujourd’hui extrêmement puissante et influente. En effet, le référendum verra le « oui » l’emporter à plus de 60 % le 25 mai 2018, et la Constitution sera ainsi changée le 18 décembre 2018.
La seconde raison est l’aveu public qu’a fait le Premier ministre et qu’il évoque d’ailleurs dans son discours : se positionnant contre l’avortement pendant des années, ce sont des expériences, des rencontres et des cas concrets lors de son mandat en tant que ministre de la Santé qui l’ont fait changer d’avis. Nous pensons que ce cheminement de pensée, dusse-t-il se refléter dans son discours, serait un aspect intéressant à analyser.
Il aurait été tout aussi intéressant de choisir un discours datant du référendum irlandais de 1983, introduisant le 8ème amendement, ce qui aurait permis, comme pour les discours de Simone Veil et Jacques Bompard, de faire une comparaison non seulement culturelle et idéologique, mais aussi historique. En effet, quarante ans séparent les allocutions des deux personnalités françaises, et trente-cinq ans auraient séparé celles des hommes politiques irlandais, ce qui aurait pu révéler l’évolution des opinions et des techniques argumentatives employées.
Nous en avons pourtant décidé autrement, ici encore pour plusieurs raisons. La première et la principale raison était qu’en choisissant les discours de Simone Veil et Leo Varadkar, nous ne créons pas seulement un parallèle entre deux discours en faveur de la légalisation de l’IVG, mais deux discours qui ont efficacement contribué à changer la législation. Dès lors, malgré le grand écart temporel entre les deux discours (44 ans), nous serons capables d’analyser en quoi les techniques argumentatives utilisées se sont avérées efficaces auprès de leur audience. La seconde raison était que notre souhait de nous appuyer le plus possible sur des discours oraux, et non de simples transcriptions. Il est assez difficile, bien plus qu’en France, de trouver des enregistrements filmés des allocutions irlandaises. La vidéo du discours de Leo Varadkar a été difficile à trouver, alors qu’elle ne date que de 2018, une époque où les allocutions politiques sont souvent filmées et archivées en ligne. C’est pourquoi nous avons supposé que se procurer l’enregistrement d’un discours prononcé en 1983 serait sûrement ardu.
Le quatrième et dernier discours sélectionné est donc celui prononcé par John Bruton le 8 septembre 2018, lors du « dîner annuel pour l’éducation pro-vie », organisé par l’organisation non-gouvernementale « Pro-Life Campaign ». Créé en 1992, le mouvement n’a cessé depuis de lutter contre la pratique de l’IVG, légalement ou illégalement. Très active pour empêcher le référendum, elle continue de se battre afin de réinstaurer le huitième amendement. John Bruton, pour sa part, a lui aussi été Taoiseach entre 1994 et 1997 et dirigeant du parti Fine Gael en 1990, soit le même parti que celui de l’autre orateur irlandais. Passé par plusieurs ministères (Industrie et énergie, Tourisme, Finances, etc.), il s’est retiré de la vie politique irlandaise en 2004, pour devenir ambassadeur de l’Union européenne jusqu’en 2009. Il est revenu sur le devant de la scène en 2018 pour prendre position contre le référendum sur l’abrogation du huitième amendement.
Ce discours étant également assez long, nous l’avons tronqué en utilisant la même logique que pour celui de Simone Veil : nous avons décidé d’analyser un extrait centré sur la procédure d’IVG elle-même. John Bruton commence son discours en parlant de l’issue du référendum et les actions que peut mener la société pour en endiguer les conséquences ; dans la dernière partie, il évoque la société et sa capacité à prendre des décisions réfléchies et conscientes lorsqu’elle est interrogée. Ce n’est que dans l’extrait choisi qu’il aborde directement la question de la pratique de l’IVG en tant que telle à travers différents prismes, que nous étudierons par la suite.
Dans les cas des discours tronqués – ceux de Simone Veil et de John Bruton – les extraits choisis pour leur conférer une longueur similaire ne correspondent pas tout à fait aux extraits disponibles en vidéo. Cela s’explique par le fait que lors de nos recherches, nous avons d’abord trouvé leur transcription, puis leur enregistrement vidéo. Comme nous l’avons évoqué, il a été assez fastidieux de trouver les discours filmés du côté irlandais ; quand nous avons finalement réussi, nous avions déjà procédé à leur découpage écrit et cela n’aurait pas eu de sens de les redécouper pour correspondre parfaitement à la vidéo, d’autant que chacune des vidéos est d’une longueur différente et procéder à ce même découpage à l’écrit n’aurait donc pas été le plus judicieux ou pertinent. Avoir les discours entiers ou en partie sur les deux supports – vidéo et écrit – nous permet néanmoins de nous concentrer sur la communication verbale et d’analyser la communication non-verbale.

La communication non-verbale

Pour conclure cette analyse, il nous a semblé essentiel de tenir compte des messages véhiculés par le langage corporel, le ton de la voix, la sobriété ou le charme employé par le politicien, comme autant de moyens destinés à favoriser la réception de ses propos par le public. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur des retransmissions vidéo des discours disponibles sur internet.
Dans ces vidéos, nous avons étudié certains aspects de la communication non verbal, notamment la posture de l’orateur, le contact visuel avec son auditoire, sa gestion du stress lors de la prise de parole en public ; mais également comme nous avons déjà annoncé plus tôt les réactions que le discours a suscitées chez l’audience (applaudissements, huées, hochements de tête positifs ou négatifs, etc.).
Ainsi, lorsque l’on regarde l’intervention de Jacques Bompard, on peut s’interroger sur son engagement pour la cause qu’il défend. En effet, il ne lève pas les yeux vers son auditoire, se tient très droit avec son papier dans les mains et sans ses apostrophes à son auditoire, on pourrait se demander s’il adresse vraiment à lui. Il lit ses notes, dont il ne semble pas pouvoir se détacher. Il semblerait presque ne pas avoir préparé son allocution, puis il s’en va. Cela tranche gravement avec la teneur de ses propos, qui sont clairement accusateurs. On s’attendrait donc à ce qu’il ait une attitude fière, un air de défiance tandis qu’il s’adresse à cette institution française : le Gouvernement, qu’il dénigre ouvertement. Pourtant, ce n’est pas cette attitude qu’il adopte, et le spectateur peut donc se sentir désarçonné et confus devant ce surprenant manque d’assurance et de ferveur. Sa répétition du mot CSA peut être interprétée comme une insistance ou bien plutôt comme une reprise suite à une hésitation, car il se serait perdu dans son texte. Cela confirme cette impression de manque de préparation, qui nous amène à nous interroger sur son implication et ses intentions avec ce discours. Néanmoins lorsque l’on regarde d’autres de ses interventions , on remarque qu’il a toujours cette attitude, auquel cas il s’agirait simplement de sa manière naturelle de s’exprimer. L’explication serait donc simplement un malaise à prendre la parole en public de sa part. Mais on peut pousser l’interprétation, et aller jusqu’à penser que finalement son attitude démontre l’exact opposé de l’intention cachée derrière ses propos. Il lance en effet de graves accusations ; il serait alors envisageable de considérer que regarder son auditoire dans les yeux lorsqu’il l’accuse si durement est trop difficile et qu’il est donc plus facile de se concentrer sur ses notes.
Simone Veil, quant à elle, semble concentrée et déterminée. Sa voix est posée mais forte, faite pour porter, même sans micros. Elle se tient en outre très droite, les deux mains bien à plat sur son pupitre, ce qui lui donne l’apparence d’être sûre d’elle et bien ancrée dans le sol, démontrant ainsi que sa position est ferme, tant physiquement qu’idéologiquement. Cela participe à l’enjeu de légitimation que décrit Patrick Charaudeau et qui consiste à « déterminer la position d’autorité du sujet parlant vis-à-vis de son interlocuteur, de sorte que celui-ci puisse reconnaître « au nom de quoi il est fondé à parler » (2009, p. 6).
Dans le cas de Simone Veil, il s’agit de légitimer la prise de parole d’une femme devant un auditoire presque exclusivement masculin, pour aborder un sujet qui ne concerne au premier abord que les femmes. Elle s’excuse de cette situation, avec une attitude humble, même si dans le ton de sa voix on entend presque de la défiance.
Malheureusement, nous le savons, cette attitude n’a pas suffi à endiguer les réponses négatives. La ministre a ainsi été lourdement harcelée, insultée et intimidée, tant au sein de la classe politique par ses détracteurs que dans sa vie privée.
Son discours étant très long, elle s’appuie beaucoup sur ses notes, mais son ton n’est pas celui monocorde de la lecture. Elle met en effet de l’emphase sur certains mots comme « exception » (minute 0’9), « la plupart d’entre vous le sentent » (4’00), « la situation actuelle est mauvaise » (4’16) et fait attention à lever les yeux vers son auditoire, dans toutes les directions, pour inclure chacun d’eux et maintenir leur attention. Le contact visuel est l’un des atouts principaux de la communication nonverbale, comme l’explique Licette dans Savoir parler en public : « Ce contact visuel avec ceux auxquels votre discours s’adresse leur montre que vous parlez pour eux et que vous souhaitez, au-delà des mots, créer une situation de communication. […] C’est par le regard que vous entretenez le contact le plus direct avec votre auditoire. En effet, il vous permet d’être présent aux autres et de percevoir leurs réactions » (2013, pp. 107-108).
John Bruton, pour sa part, a une posture assez détendue. Il parle d’une voix posée, en regardant son auditoire. On sent qu’il maîtrise bien son discours et qu’il est à l’aise à l’oral, ce qui est compréhensible car son auditoire lui est déjà acquis. Son discours est vivant ; il ponctue parfois ses propos avec de grands gestes des mains, ce qui met l’accent sur ce qu’il est en train de dire, ou fait des effets en modulant son ton.
Il met par exemple l’emphase sur « balance » (minute 0’34), « hope for » (0’37). À la cinquante-quatrième minute, son rythme est très étudié : « What he called /Pause/ “A brighter Ireland” ». Le silence qui précède la deuxième partie de la phrase met en exergue le sarcasme qui y transparaît. Lorsqu’il évoque « the little babies that will have their life ended before being allowed to see the light of a single Irish day » (1’00), on sent une grande émotion dans sa voix, qui tremble légèrement. Il semble de manière générale très investi dans son discours et déterminé à défendre sa cause.

 

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela clepfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
Glossaire 
1.Introduction
2. Contexte
2.1 Contexte législatif
2.1.1 L’état de la question en France
2.1.2 L’état de la question en Irlande
2.2 Cadre théorique
3. Corpus Textuel 
3.1 En France
3.2 En Irlande
4. Méthodologie 
4.1 Objectifs de recherche et hypothèses
4.2 Catégories d’analyse
4.3 Intentions des orateurs
4.3.1 Capter l’attention du public : un discours dynamique
4.3.2 Argumentation pour responsabiliser la société
4.3.3 Mise en opposition avec l’adversaire politique
4.3.4 La communication non-verbale
5. Analyse Du Discours 
5.1 Capter l’attention du public : un discours dynamique
5.2 Argumentation pour responsabiliser la société
5.3 Mise en opposition avec l’adversaire politique
5.4 La communication non-verbale
Conclusion 
Bibliographie et webographie
Annexes

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *