Place de la dysphasie dans les cadres nosographiques de référence
Dans la classification de l’OMS (CIM 10)7, la dysphasie entre dans la catégorie des « Troubles spécifiques du développement du langage et de la parole ». Dans le DMS IV 8, elle fait partie des « Déficiences du langage et de la parole ». Dans la classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent 9, la place de la dysphasie constitue un exemple permettant d’illustrer la difficulté des auteurs à faire entrer cette pathologie dans un cadre. Les troubles prévalant de la structuration du langage dans ses deux versants (compréhension et expression) sont situés dans les « Troubles des fonctions instrumentales » (axe l, catégorie 6), rubrique: « Troubles complexes du langage oral ». Pour les auteurs, on classe ainsi « les troubles caractérisés par un langage retardé et nettement altéré avec non seulement des anomalies articulatoires, grammaticales et sémantiques notables, mais aussi une insuffisance de la perception auditivo-verbale et de la compréhension ». Mais, il est difficile de se limiter à cette place pour la dysphasie. En effet, la dysphasie peut avoir des points de contact avec les « Troubles névrotiques avec perturbations prédominantes des fonctions instrumentales » où apparaissent des troubles de la pensée et du raisonnement, avec les « Troubles de la personnalité et/ou de comportement pris dans une dysharmonie évolutive » et avec les « Troubles du raisonnement » définis comme des « perturbations plus ou moins localisées de la pensée et du raisonnement, compatibles avec une efficience intellectuelle suffisante, voire élevée telle qu’elle peut être appréciée par les tests de niveau intellectuel ». C’est la question des dysharmonies cognitives et des retards d’organisation du raisonnement. Si le développement cognitif de l’enfant dysphasique est perturbé, comment faut-il en tenir compte? Est-ce que cette dimension doit figurer dans la définition de la dysphasie ou doit-elle rester dans un chapitre annexe (les conséquences) ? Pour les auteurs de cette classification « il s’agit de dégager des syndromes, des organisations, des perturbations qui se distinguent les unes des autres par leur nature et leurs virtualités évolutives ». Il nous semble que la dimension cognitive, intellectuelle est à prendre en compte dans la dysphasie, et qu’elle devrait apparaître dans nos références théoriques, afin d’être un outil clinique d’investigation et de rééducation face à ces enfants, pour soutenir leur développement cognitif afin que celui-ci ne souffre pas trop du déficit langagier. Nous avons développé les éléments permettant le diagnostic différentiel de la dysphasie à travers les différentes définitions par exclusion, et nous avons également situé, de façon synthétique, la dysphasie au sein des différentes classifications. Voyons maintenant les éléments permettant d’aboutir à un diagnostic positif.
Le syndrome déficitaire de production phonologique
Il serait dû à une défaillance du contrôle phonologique du message. L’expression est ainsi plus touchée que la compréhension: le discours est fluent mais comporte des déformations phonologiques pour lesquelles la répétition n’a aucun succès, voire majore l’inintelligibilité. La difficulté à enchaîner les phonèmes et les monèmes grammaticaux fait que le discours est plutôt dyssyntaxique. Un manque du mot est également observable, avec une dissociation automatico-volontaire et des conduites d’approche. Enfin, des difficultés apparaissent dans l’organisation chronologique et la construction d’un récit.
La dysphasie mnésique ou lexicale-syntaxique
Il s’agirait d’un trouble au nIveau du contrôle sémantique associé à des difficultés mnésiques importantes. Le manque du mot est massif, donc très invalidant. Il est peu sensible aux facilitations contextuelles et à l’ébauche orale. Les troubles de l’expression et de la compréhension sont aggravés par la longueur et la complexité des énoncés. Cette classification fait apparaître différents types de dysphasies en fonction de la présence et du degré de sévérité des marqueurs de déviance. Le tableau qui suit permet d’en réaliser un résumé. Lorsque le marqueur est présent, le signe + est noté. Ce signe permet également d’apporter un aspect quantitatif.
Le développement cognitif en lien avec le développement langagier chez l’enfant normal: La théorie piagétienne
Le modèle théorique de Piaget est une référence pour l’étude du développement cognitif. Selon lui, l’intelligence est une forme d’adaptation aux milieux changeants, elle permet d’atteindre un état d’équilibration des régulations entre le sujet et son environnement. Ainsi le développement intellectuel est permis par un double processus d’assimilation / accommodation qui aboutit à des états d’équilibre de plus en plus stables.Les notions d’assimilation et d’accommodation, processus antagonistes et complémentaires, constituent la base des travaux piagétiens : L’assimilation est une intégration de tout élément nouveau dans les structures mentales de l’individu. Une situation nouvelle est « assimilée » aux situations antérieures, lorsque le sujet peut y appliquer un même schème, c’est à dire un même ensemble organisé de mouvements ou d’opérations. Quand l’assimilation n’est pas possible, les structures intellectuelles et psychiques doivent se modifier pour intégrer la nouveauté. L’organisation de la pensée doit s’ « accommoder » aux changements du milieu, en se transformant elle-même. On parle alors d’équilibration majorante. L’accommodation est ainsi une modification des propriétés actuelles de l’intelligence en fonction des éléments nouveaux du milieu extérieur. Ce double processus d’assimilation et d’accommodation, simultané et constant, permet l’adaptation de l’individu à son milieu et, pour l’enfant, conduit le développement de son intelligence. Selon Piaget, l’intelligence se construit, et cette construction se fait par stades.
L’imitation et le jeu symbolique
C’est dans un processus évolutif entre assimilation et accommodation que surgissent le jeu symbolique et l’imitation. L’imitation apparaît au cours du stade sensori-moteur. Elle est d’abord directe, l’enfant fonctionne par copie. Puis, l’imitation est différée, l’enfant transporte alors une image mentale. A 12-15 mois, l’enfant a accès au « faire semblant »: il utilise des objets comme outils intermédiaires, il utilise du langage. Il n’est plus dans la copie déplacée mais dans la représentation. Il s’agit alors d’un premier acte décentré actif. Ensuite, l’enfant considère que les objets peuvent faire des choses pendant qu’il fait autre chose. Les partenaires sont dotés d’intentions et les objets détournés de leur fonction. C’est le « faire-faire », le deuxième acte décentré actif. Vers 22 mois, au début du deuxième stade, apparaît la notion de pré-projet: l’enfant fait des choix, il décide de prendre certains objets avec lesquels il va jouer. Ce sont les débuts du jeu symbolique. Puis, l’enfant est dans la construction d’un scénario. Il finit par avoir besoin de ces objets pour suivre son scénario, son projet, au risque de ne pas pouvoir jouer. A ce moment là, il ya une réelle émergence dujeu symbolique. Avec l’évolution de l’imitation et du jeu symbolique, l’enfant a de plus en plus besoin de mots pour relater ce qu’il fait. Le langage acquiert une fonction d’évocation.
Le langage
Au début, chaque mot utilisé est associé à son correspondant imagé. L’enfant n’arrive pas à penser à la généralité. Le mot renvoie à la particularité, il n’est pas encore associé au concept. On emploie également le terme de pensée imagée. Puis le langage est dit « égocentrique », en regard de l’égocentrisme logique. L’enfant n’éprouve pas le besoin de communiquer sa pensée à autrui, ni de se conformer à celle des autres. Il ne parle que de lui-même, ne cherche pas à se placer du point de vue de l’interlocuteur, ni à savoir si on l’écoute. Il a environ 4 ans et ne dispose que de préconcepts. Le pré-concept est à mi-chemin entre la généralité du concept et l’individualité des éléments qui englobent le concept. L’enfant n’est pas capable d’analyser, de synthétiser, de définir. Il procède par schémas globaux et subjectifs. Puis, la pensée de l’enfant entre 4 et 7 ans est dite « intuitive ». Elle est caractérisée par un raisonnement pré-logique fait de régulations intuitives, résultant de décentrations partielles de l’enfant par rapport à sa perception. Dans la terminologie piagétienne, la décentration est la capacité de la pensée à quitter un point de vue pour en envisager un autre. Elle ne se met définitivement en place qu’après 7 ans.
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Table des matières
INTRODUCTION
REPERES THEORIQUES
I. La dysphasie
A. Différentes définitions de la dysphasie
1. Evolution des connaissances
2. Définition de c.-L. Gérard
B. Place de la dysphasie dans les cadres nosographiques de référence
C. Sémiologie de la dysphasie: les marqueurs de déviance
1. Les troubles de l’évocation lexicale
2. Les troubles de l’encodage syntaxique
3. Les troubles de la compréhension verbale
4. L’hypo-spontanéité verbale
5. Les troubles de l’informativité
6. La dissociation automatico-volontaire
D. Les différents types de dysphasie
1. La dysphasie phonologique syntaxique
2. Le syndrome déficitaire de production phonologique
3. La dysphasie réceptive
4. La dysphasie sémantique pragmatique
5. La dysphasie mnésique ou lexicale-syntaxique
E. Les troubles associés
II. Le développement cognitif en lien avec le développement langagier chez l’enfant normal: La théorie piagétienne
1. Le stade sensori-moteur
2. Le stade pré-opératoire logique ou stade de l’intelligence symbolique
3. Le stade opératoire concret
4. Le stade opératoire formel
III. Les éléments connus du développement cognitif des enfants dysphasiques
A. La thèse du développement opératoire normal de l’enfant dysphasique
1. L’étude d’Ajurriaguerra
2. L’étude de Lévi-Pipemo
B. Les thèses opposées à une conception de développement cognitif normal chez l’enfant dysphasique
1. La thèse de M. Bemardi
2. Complément d’informations: J. de Trogoff
3. La mémoire sémantique de l’enfant dysphasique:Etude de C. Boutard
IV. Le point de vue néopiagétien
LE DISPOSITIF EXPERIMENTAL
A. La population
B. Cadre de l’expérimentation
1. Les lieux de passation
2. Mode de fonctionnement des deux centres
a. L’institut Saint Charles à Schiltigheim
b. Le centre de réadaptation de Flavigny
C. La passation
D. Le déroulement
E. Présentation des épreuves
1. Les épreuves de choix imagé forcé, en choix perceptif versus catégoriel
2. Les épreuves de choix imagé forcé, en choix schématique versus catégoriel, avec nouveau label linguistique
3. L’épreuve d’arrangement d’objets dans des sacs en plastique transparent
F. Les consignes
G. Récapitulatif de l’expérimentation
H. Remarques quant à l’organisation interne de l’expérimentation
1. Sur l’aspect répétitif de chaque épreuve
2. Sur la succession des épreuves de choix imagé forcé au sein de la séance
3. Sur la passation en deux séances
ANALYSE DES RESULTATS
Partie 1: Analyse en fonction du type de choix
I. Les épreuves de choix imagé forcé
A. Analyse de chaque épreuve: évolution et répartition des enfants en fonction de leurs premiers choix
1. L’épreuve de choix imagé forcé lors de la première séance
2. L’épreuve de choix imagé forcé avec nouveau label linguistique lors de le première séance
3. L’épreuve de choix imagé forcé lors de la seconde séance
4. L’épreuve de choix imagé forcé avec nouveau label linguistique lors de la seconde séance
B. Remarques sur l’ensemble des épreuves de choix imagé forcé, sans et avec nouveau label linguistique
1. Les épreuves de choix imagé forcé
2. Les épreuves de choix imagé forcé avec nouveau label linguistique
3. Conclusion sur ces types d’épreuves de choix imagé forcé
II. L’épreuve d’arrangement d’images dans des sacs en plastique transparent
Partie 2: Analyse en fonction de la justification du choix
I. Avant propos
A. Présentation des différents types de justification des enfants
1. Les justifications perceptives
2. Les justifications situationnelles et schématiques
3. Les justifications catégorielles
a. Les justifications catégorielles comportant le terme générique
b. Les justifications catégorielles avec la notion de catégorie
c. Les justifications qui apportent une propriété commune ou
un élément commun aux images
4. Les justifications sans valeur
5. L’absence de justification
6. Les justifications ambiguës
B. L’impact du déficit verbal des enfants dysphasiques sur la passation et l’analyse
C. L’utilisation des gestes
D. Remarques complémentaires
1. Le changement d’avis en cours de justification
2. Le comportement de certains enfants dysphasiques
3. Le matériel en lui-même
II. L’analyse proprement dite
A. Les épreuves de choix imagé forcé, en perceptif versus catégoriel
1. Critères d’analyse
2. Quelques précisions: ce que signifie choisir un type de lien en premier
3. Résultats aux deux épreuves de choix imagé forcé
a. Liens catégoriels et premiers choix catégoriels: évolution au sein de chaque population et comparaison des résultats
b. Présence des liens catégoriels et du terme générique
4. Une étrangeté: le lien perceptif
5. Réponses aux remarques sur un éventuel effet de répétition
B. Les épreuves de choix imagé forcé avec nouveau label linguistique
1. Critères d’analyse
2. Quelques précisions: Pourquoi le nouveau label linguistique
avec des enfants dysphasiques ? Ce que signifie tenir compte de ce nouveau label
3. Résultats aux deux épreuves de choix imagé forcé avec nouveau label linguistique
a. Liens catégoriels et premiers choix catégoriels: évolution au sein de chaque population et comparaison des résultats
b. Présence de liens catégoriels et du terme générique
c. Le nouveau label linguistique
c.1. Les différentes correspondances
c.2. Les résultats des enfants tout venant
c.3. Les résultats des enfants dysphasiques
cA. Réponses aux remarques concernant un éventuel effet de répétition
4. Retour sur le cas particulier de l’enfant ayant une dysphasie réceptive
C. L’épreuve d’arrangement d’images
1. La dénomination
a. Des dénominations particulières
b. Comparaison enfants dysphasiques / enfants tout venant
2. La formation de paquets
a. Remarques générales
b. Les différentes possibilités d’arrangement: types de liens
et impact du nombre de sacs en plastique transparent
c. Résultats
c.1 Résultats des enfants tout venant
c.2 Résultats des enfants dysphasiques
CONCLUSION
REPERES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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