Histoire de la femme et de l’accès à la contraception en France
Le 17 janvier 1975, date importante dans l’histoire de l’accès à la maitrise de la fécondité en France, Simone Veil légalise le recours pour la femme à être maître de son corps, c’est la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Cette loi fut l’apogée de l’évolution de la place de la femme dans la société depuis deux siècles. En effet, de nombreuses lois depuis Napoléon minimisaient la place de la femme en France. Le Code civil de 1804 établit l’incapacité juridique de la femme : elles ne peuvent accéder aux lycées et aux universités et il leur est interdit de signer un contrat, de gérer des biens, de travailler ou encore de voyager sans l’autorisation de leur mari. De même, le code pénal de 1810 condamne l’adultère de la femme à une peine de prison, fait du devoir conjugal une obligation (le viol entre époux n’est pas reconnu) et il punit durement l’avortement. [1]Ces lois sont soutenues par l’Eglise qui veut également maintenir les femmes dans cette condition inférieure au nom d’une certaine conception de la société où le rôle de la femme est celui de la mère et de l’épouse.
Mais quelques avancées sont déjà remarquées comme les lois Ferry de 1882 qui ont rendu l’école primaire obligatoire pour les jeunes filles âgées de 6 à 13 ans, même si en dehors des matières générales, elles ne bénéficient pas du même enseignement que les garçons : on leur apprend les travaux domestiques, la cuisine, etc. Dans l’enseignement supérieur, elles ne sont qu’une minorité à être scolarisées au début du 19ème siècle. [1] Dans l’intimité des couples, l’évolution des mentalités commence également à opérer car la fécondité a commencé à baisser en France à partir du 18ème siècle. Entre 1750 et 1940, la fécondité passe de 5,5 enfants par femme à 2. [2] Ainsi, bien avant l’apparition des nouvelles méthodes contraceptives, la régulation des naissances était pratiquée par les couples français et avec elle, l’augmentation du nombre d’IVG exercées illégalement. Les premières féministes radicales voulant s’opposer à cette politique nataliste apparaissent en France dès le début du 19ème siècle : exemple, Madeleine Pelletier, médecinpsychiatre, militante d’extrême gauche, revendique la contraception et pratique l’avortement.
Allongement de la période de « jeunesse sexuelle » et normes sociales
Néanmoins, même si le taux global d’IVG est stable, il a évolué différemment selon les âges : on constate une légère baisse des IVG parmi les moins de 20 ans depuis 2010 et une augmentation des IVG dans la tranche des 19-25 ans (cette tranche d’âge représente 37% des recours à l’IVG). [8][9] L’âge médian du recours à l’IVG est passé de 27,9 ans à 26,5 ans entre 1990 et 2011 tandis que l’âge moyen de la maternité est passé de 28,3 ans à 30,1 ans. On en déduit donc une concentration des IVG aux âges précédents la période de la première grossesse désirée menée à terme.Cette concentration des IVG a eu lieu en même temps que l’allongement de la période de « jeunesse sexuelle » dans la population. Cette période se définit par le temps compris entre l’entrée dans la vie sexuelle et la naissance du premier enfant. [10] En effet actuellement, la formation du couple est suivie d’une période de plus en plus longue de vie de couple sans enfant, et cette période s’allonge au fur et à mesure que l’âge de la première maternité recule. Ce phénomène s’explique par le fait que les modes de vie familiaux sont de plus en plus diversifiés et souples dans notre société, l’augmentation du nombre de partenaires sexuels chez les femmes précédant une vie de couple stable a augmenté [11][13], et on remarque aussi le renforcement des normes dans la société actuelle sur la maîtrise de la fécondité.
Ces normes se définissent comme les conditions supposées idéales pour avoir un enfant telles que : attendre l’âge idéal, avoir une relation de couple stable et un désir d’enfant partagé, avoir les conditions matérielles et financières nécessaires. [14] Or la situation socioéconomique actuelle rend difficile l’accès à une situation professionnelle stable. [10] La grossesse, restant une étape clé de la vie, elle doit à présent rentrer dans un cadre précis.En effet, grâce aux moyens contraceptifs actuels, les femmes sont supposées être capables de gérer leur vie et leur désir de grossesse grâce à la gestion à la fois du nombre et du moment de leurs grossesses. La contraception moderne a permis une dissociation entre l’acte sexuel et ses conséquences reproductives permettant le passage théorique d’une maternité subie à une maternité volontaire et totalement contrôlée. [15] La société impose la pression d’une maîtrise parfaite de la fertilité. Or, il peut être difficile dans le contexte actuel de suivre une contraception et un parcours contraceptif sans failles alors que les modèles sociaux et familiaux et les trajectoires sexuelles sont de plus en plus diversifiés.
Ainsi même si la couverture contraceptive est forte, l’augmentation de la période de jeunesse sexuelle et le renforcement de ces normes expliquent que les situations susceptibles d’aboutir à une IVG soient de plus en plus nombreuses, cela expliquant aussi cette stabilité du taux de recours à l’IVG et surtout cette hausse du recours à l’IVG entre 19 et 25 ans.
Norme contraceptive française
Le taux stable des IVG s’explique également par la difficulté rencontrée par les professionnels au niveau contraceptif. Il est sans doute difficile de s’adapter à ce contexte particulier alors que la prescription contraceptive en France reste assez figée. En effet, il existe une norme contraceptive depuis une vingtaine d’années en France qui veut qu’une femme au moment de ses premiers rapports utilise le préservatif, puis lorsque la relation affective s’établit et devient stable elle passe à une contraception par pilule. Enfin après son premier accouchement ou lorsqu’elle a atteint le nombre d’enfants voulu, la pilule est réévaluée au profit d’un dispositif intra utérin (DIU).
Cette norme contraceptive fut établie au début des années 2000. Avec l’éruption de l’épidémie du sida, les campagnes de promotion du préservatif ont contribué à la diffusion de ce modèle, qui fut d’ailleurs au centre de la campagne sur la contraception de janvier 2000. Chaque contraception est associée à un âge et à un comportement sexuel de la vie des femmes, suivant ainsi un itinéraire type. [16].Ce discours est tenu par les professionnels car il suit une logique médicale à la recherche d’une efficacité maximale. La prescription contraceptive de ce schéma se fait souvent en systématique lorsqu’il n’y a pas de contre-indications, [16] et le plan psycho-social de la vie des femmes n’est pas toujours pris en considération.D’après l’étude menée par Lucile Ruault en 2014 [14], le comportement de prescription consiste souvent à diriger les patientes vers ce parcours contraceptif type. La prescription de la pilule chez les nullipares est encore majoritaire, malgré une légère diminution ces quinze dernières années d’après l’étude Fécond de 2012. Elle est expliquée par l’instabilité sexuelle et affective de cette population jeune, considérée comme population à risques et peu fiable, avec des patientes parfois perçues comme imprudentes et négligentes. Le risque infectieux est le risque majeur suspecté. La prescription d’un stérilet majorerait ce risque et les éloignerait donc des cabinets pendant une période trop longue quand la prescription de la pilule les contraint à une consultation annuelle permettant un suivi « rapproché ».
Freins et réticences des nullipares vis à vis des moyens contraceptifs
L’État des lieux des pratiques contraceptives réalisé par la Haute Autorité de Santé (HAS) et publié en 2013, nous donne une idée des nombreux freins des nullipares vis à vis des différentes méthodes contraceptives. D’un point de vue général, l’étude nous donne d’abord un ensemble de situations de fragilité pouvant gêner l’accès à une méthode contraceptive optimale comme :
– la non reconnaissance sociale et parentale de la sexualité juvénile
– les périodes d’instabilité et de fragilité affectives, le point de vue du partenaire sur la contraception
– les situations professionnelles particulières et le mode de vie (travail de nuit, horaires irréguliers et/ou décalés)
– les méthodes de transition entre 2 méthodes contraceptives
– les facteurs culturels, religieux voir philosophiques des patientes
– la situation financière, pouvant exclure le recours aux méthodes non remboursées Ensuite l’étude nous aide à établir les freins des nullipares associés à chaque méthode contraceptive : Les principales réticences concernant le DIU sont d’abord la présence intrusive d’un corps étranger à l’intérieur de l’organisme, cela entrainant aussi le sentiment de ne pas pouvoir arrêter sa contraception dès qu’on le souhaite. Ensuite la croyance selon laquelle le DIU serait réservé aux femmes ayant déjà accouché persiste encore et limite grandement son utilisation : 54 % des femmes interrogées par l’étude Fécond de 2012 pensent qu’une nullipare ne peut bénéficier d’un DIU, et ce, malgré les recommandations de l’HAS diffusées en 2004 précisant que le DIU peut être utilisé à tous les âges quelque soit la parité. Enfin, le DIU ou stérilet renvoie encore à l’idée de stérilité. En effet, si les nullipares veulent une contraception temporaire, beaucoup ont peur de la stérilité définitive.
La pilule est souvent vue comme la première « vraie » contraception. [17] C’est une contraception qui reste très bien perçue par la plupart des nullipares, elle est vue comme une contraception fiable, facile d’utilisation, remboursée et que l’on peut arrêter à tout moment. Les freins liés à la pilule sont plus de l’ordre du pratique et de l’obligation contraignante de devoir prendre un comprimé tous les jours à la même heure. La pilule reste également problématique lorsque l’on désire cacher sa contraception à son partenaire ou à ses parents. Enfin, la pilule va à l’encontre d’un courant actuel « bio, écolo » qui représente la peur des femmes vis à vis des hormones. Cette peur est associée à la volonté de certaines femmes de sentir l’ovulation, les fluctuations hormonales, d’avoir des règles longues et douloureuses, comme un retour en arrière. Même si en parallèle de plus en de femmes prennent goût au confort de l’absence des règles (pilules en prise continue ou DIU hormonal) qu’elles assimilent à une plus grande liberté dans leurs activités, à moins de fatigue et de douleurs.
Campagne de communication contraceptive de 2013
L’HAS a réalisé en 2012 un état des lieux de la contraception en France qui met en lumière la méconnaissance contraceptive des femmes et des professionnels de santé en France, et la présence encore majeure de la norme contraceptive. En réponse a cette étude, Marisol Touraine ministre des affaires sociales et de la santé a lancé le 15 mai 2013 une nouvelle campagne d’information créée par l’HAS pour les professionnels de santé. Pour le grand public, la campagne « la contraception qui vous convient existe » fut établie et réalisée par l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES). Elle a pour but d’informer et d’insister sur l’existence en France d’une diversité contraceptive, permettant la prise en considération et la réponse la plus adaptée possible aux modes de vie, aux âges et aux projets des femmes et des couples. L’objectif de cette campagne étant d’ « inciter les femmes, mais également les hommes, à s’informer sur les différents moyens contraceptifs, et à les encourager à choisir une contraception adaptée à leur mode de vie, à leurs antécédents médicaux et à leurs besoins. » La campagne fut abordée de manière à représenter les femmes et les hommes dans leur quotidien au travers de témoignages où les personnes interrogées parlaient de leur situation, de leurs choix et de leurs doutes. La population cible était les femmes, les couples et les professionnels de santé.
De nombreux moyens de communication furent utilisés. Tout d’abord, la campagne fut diffusée à la radio, des spots informatifs furent diffusés, 4 témoignages expliquaient que la situation unique de chacune nécessite un choix contraceptif adapté pour une meilleure observance. Les spots se finissant tous par « La contraception qui vous convient existe. Pour vous aider à la choisir, parlez-en à votre médecin ou à une sagefemme, demandez conseil à votre pharmacien ou rendez-vous sur choisirsacontraception.fr ». Ensuite la diffusion s’est faite par internet. Les bannières informatives insistaient sur la diversité des méthodes contraceptives proposées existantes et sur la singularité des parcours de vie, rappelant encore une fois la nécessité d’un choix contraceptif adapté à sa propre situation.
De plus, le site www.choisirsacontraception.fr fut mis en place et permet une information globale sur la contraception et la réponse à plusieurs questions comme comment aborder la question contraceptive en couple ou avec un professionnel.Enfin, concernant les professionnels, l’HAS a créé et rendu disponible en ligne un document de synthèse permettant aux professionnels de proposer une contraception efficace à chaque patiente qui le demande. Ce document reprend les méthodes jugées efficaces par l’OMS. En complément, l’HAS a également imaginé 8 fiches mémo pour aider les professionnels à mieux guider les femmes et les couples afin de trouver une contraception qui convient à chacun. Ces fiches présentent les bénéfices et les inconvénients de chaque méthode contraceptive selon huit situations types.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LITTERATURE
1. HISTOIRE DE LA FEMME ET DE L’ACCES A LA CONTRACEPTION EN FRANCE
2. SCHEMA CONTRACEPTIF FRANÇAIS – LE TOUT PILULE
2.1. ALLONGEMENT DE LA PERIODE DE « JEUNESSE SEXUELLE » ET NORMES SOCIALES
2.2. NORME CONTRACEPTIVE FRANÇAISE
3. FREINS ET RETICENCES DES NULLIPARES EN FRANCE AUX METHODES CONTRACEPTIVES
3.1. REPARTITION ACTUELLE DES METHODES CONTRACEPTIVES
3.2. FREINS ET RETICENCES DES NULLIPARES VIS A VIS DES MOYENS CONTRACEPTIFS
4. ACTUALITE DU SUJET
4.1. CAMPAGNE DE COMMUNICATION CONTRACEPTIVE DE 2013
4.2. ET AILLEURS
SECONDE PARTIE : PRESENTATION DE L’ETUDE
1. OBJECTIFS DE L’ETUDE
1.1. MOTIVATIONS
1.2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. OUTIL DE RECHERCHE [ANNEXE VI]
2.2. POPULATION ETUDIEE
2.3. OUTILS STATISTIQUES
3. PRESENTATION DES RESULTATS
3.1. CARACTERISTIQUES DE LA POPULATION
3.1.1. Age (figure 1)
3.1.2. Localisation
3.2. SITUATION CONTRACEPTIVE
3.2.1. Situation contraceptive actuelle
3.2.2. Parcours contraceptif
3.3. INFORMATION ET CONFORT CONTRACEPTIF
3.4. CONNAISSANCES DES NULLIPARES
3.5. VECU CONTRACEPTIF EN FONCTION DES DIFFERENTES CONTRACEPTIONS
3.6. VECU CONTRACEPTIF EN FONCTION DE L’INFORMATION REÇUE
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION
1. ANALYSE DE L’ETUDE : POINTS FORTS/ POINTS FAIBLES
1.1. LES LIMITES DE L’ETUDE
1.2. LES POINTS FORTS DE L’ETUDE
2. ANALYSE ET DISCUSSION
2.1. NORME CONTRACEPTIVE ET PARCOURS CONTRACEPTIF
2.1.1. Situation contraceptive actuelle
2.1.2. Première contraception
2.2. INFORMATION CONTRACEPTIVE
2.2.1. Sentiment d’information
2.2.2. Bénéfices d’un information contraceptive la plus complète
2.2.3. Impact des sources informatives
2.3. VECU CONTRACEPTIF : PILULE / AUTRES METHODES
2.3.1. Vécu contraceptif et pilule
2.3.2. Vécu contraceptif et DIU et nouvelles méthodes hormonales
2.4. PROPOSITIONS
2.4.1. Information et formation des professionnels
2.4.2. Information des nullipares
2.4.3. Accessibilité des professionnels et des méthodes contraceptives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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