Détectabilité du 2RM
Les accidents d’interaction entre automobilistes et usagers de 2RM sont complexes et font le plus souvent intervenir une combinaison de dysfonctionnements entre les deux usagers impliqués. Un des dysfonctionnements souvent observés est celui de la non (ou trop tardive) détectabilité du 2RM par un automobiliste. Ce problème de détectabilité du 2RM est bien identifié comme facteur d’accidents dans la littérature. Il est souvent relevé dans les accidents où un automobiliste n’a pas respecté la priorité d’un 2RM à l’approche d’une intersection, de manière volontaire ou involontaire (Clarke et al. 2007; Hurt et al. 1981; Olson et al. 1979; Pai 2011). L’étude de (Hurt et al. 1981) a montré que dans les accidents de 2RM impliquant plusieurs véhicules, les deux tiers des accidents étaient causés par un automobiliste qui avait coupé la route à un 2RM prioritaire, et que la majorité de ces automobilistes n’avaient pas vu le 2RM avant la collision. Dans une étude récente (ACEM 2009) effectuée sur 921 accidents de 2RM dans 5 pays européens, plus de 70 % des automobilistes responsables d’accidents ont eu une défaillance de détection, c’est-à-dire que ces automobilistes ont échoué dans leur détection du 2RM. Bien sûr, parmi les automobilistes qui ont eu une défaillance de détection, certains automobilistes n’ont pas du tout regardé dans la direction du 2RM qui arrivait, alors que certains autres ont regardé dans la direction d’arrivée du 2RM mais n’ont pas réussi à le voir ou l’ont vu trop tard. Dans ce dernier cas, les accidents sont souvent décrits sous l’anglicisme « looked-but-failed-to-see accidents» (LBFS) (Clarke et al. 2007; Koustanaï et al. 2008). Selon un article récent (Clabaux et al. 2012), en agglomération, les motocyclistes impliqués dans les accidents LBFS en intersection roulent significativement plus vite que ceux impliqués dans les autres types d’accidents en intersection. Les raisons du problème de la détectabilité du 2RM sont multiples : parce que les automobilistes ne s’attendent pas à croiser des 2RM, et donc y prêtent moins attention (Mannering and Grodsky 1995) ; parce que le système visuel humain perçoit mal ce qui est étroit, petit et avec des couleurs peu contrastées par rapport à l’environnement (Engel 1971; Wulf et al. 1989) ; mais aussi parce que les motocyclistes mettent souvent en défaut les stratégies de prise d’information des automobilistes par des manœuvres inattendues (remontées de file, dépassements par la droite), des positionnements dans les angles morts, des niveaux d’accélération surprenants, ainsi que des vitesses élevées sur la route prioritaire, etc. (Clabaux et al. 2012; Van Elslande et al. 2008b). On peut noter des tentatives récentes d’amélioration de la détectabilité des 2RM et de leurs usagers : par exemple, des feux en face avant qui permettent, en élargissant leur gabarit visuel, une meilleure perception des 2RM, et une meilleure estimation des distances et des vitesses d’approche des 2RM par les autres usagers, ou l’utilisation de vêtements lumineux et d’autres équipements rétro-réfléchissants qui permettent aux usagers des 2RM d’être mieux vus (Cavallo et al. 2015; Gershon et al. 2012; Olson et al. 1981; Thomson 1980; Wells et al. 2004; Williams and Hoffmann 1979; Wulf et al. 1989).
Infrastructure–géométrie de la route et état de la chaussée
Les usagers de 2RM doivent faire preuve de plus d’attention sur la route que les automobilistes. Par la nature du 2RM, il est plus difficile de contrôler son équilibre, qui est maintenu en dynamique. Pour une vitesse donnée, un changement de géométrie de la route ou la présence d’un obstacle peuvent facilement poser des problèmes d’équilibre à l’usager de 2RM, là où un automobiliste s’adapte aisément à ces perturbations environnementales. En raison de la faible surface de contact entre les roues de 2RM et le sol, les 2RM perdent facilement l’adhérence de la route, notamment en cas de présence de gravillons, de défauts d’enrobé et de marquages au sol glissants par temps humide. Des études ont montré que le risque d’accident de 2RM est plus élevé en courbe, en particulier le risque d’accident de 2RM seul ou d’accident avec perte de contrôle. 53 % des accidents avec perte de contrôle ont eu lieu dans les courbes ou dans les ronds-points (Whitaker 1980). Environ 22 % des pertes de contrôle des 2RM ont été observées avec une sortie de route en virage, et étaient souvent en rapport avec une vitesse excessive en entrée de virage (Hurt et al. 1981). 15 % des accidents graves de moto au Royaume-Uni étaient associés à une perte de contrôle en courbe (Clarke et al. 2007). Par ailleurs, une étude cas-témoins (pas spécifique aux 2RM) a montré que le risque d’accident mortel d’un véhicule seul est plus élevé en courbe qu’en ligne droite (Haworth et al. 1997). Les conditions de la surface de la route telles que surfaces glissantes, rainures, plaques d’égout, marquages au sol, etc. présentent un danger pour les usagers de 2RM (Elliot et al. 2003). La détérioration de la surface de la route, le bitume endommagé ou la présence de certains objets glissants sur la chaussée (gravillons, huile, feuilles, etc.) ont été observés dans 30 % des accidents de 2RM dans l’étude MAIDS (ACEM 2009). Selon une étude française (Van Elslande et al. 2008b), la détérioration de l’état de la route a été considérée comme un élément explicatif dans 7 % des accidents de moto en perte de contrôle et 18,5 % des accidents de cyclo en perte de contrôle.
Port du casque et lésions à la tête/face/cou
Le casque est un équipement de protection efficace pour protéger les usagers de 2RM en cas de choc à la tête/face, et son port est obligatoire dans la grande majorité des pays. Le taux de port du casque varie d’un pays à l’autre. D’après l’ITF (International Transport Forum), ce taux est relativement bas dans certains pays tels que la Malaisie (77 %), la Grèce (75 %), l’Argentine (65 %), le Maroc (65 %) et le Nigéria (60 %) (ITF 2017). En France, le port obligatoire d’un casque homologué a été introduit progressivement de 1961 à 1973 pour les usagers de motocyclettes et de 1976 à 1994 pour les cyclomotoristes (ONISR 2015). Bien qu’obligatoire et efficace, le port du casque à 2RM n’est pas encore systématique. Cependant, le taux de port du casque est en augmentation, passant de 93 % en 2010 à 98 % en 2016 les jours ouvrés et de 93 % à 99 % le weekend (ONISR 2017b). À ce jour en France, seuls les casques homologués selon la norme ECE 22-05 sont autorisés à la vente. Mais le port des casques répondant à l’ancienne norme française (NF S 72.305) et aux précédents amendements de la norme ECE 22 est encore autorisé. De nombreux travaux scientifiques ont étudié l’efficacité du port d’un casque contre les lésions à la tête, à la face ou au cou. La littérature confirme unanimement que le casque est un moyen de protection efficace, qui permet de protéger les usagers de 2RM des lésions à la tête/face ou d’atténuer leurs conséquences en cas d’accident (Houston and Richardson 2008; Hurt et al. 1981; Khor et al. 2017; Liu et al. 2008; Moskal et al. 2008; Rowland et al. 1996). Contrairement au cas des lésions à la tête/face, les résultats concernant les effets du casque sur les lésions au cou ou à la colonne cervicale sont controversés : le port du casque a soit un effet délétère (Goldstein 1986), soit aucun effet (Liu et al. 2008; Moskal et al. 2008; Orsay et al. 1994), soit un effet protecteur (Crompton et al. 2011; Page et al. 2018; Rice et al. 2016). Une étude de la collaboration Cochrane a évalué les effets du port du casque sur la réduction des décès et des lésions à la tête, à la face ou au cou après un accident en 2RM, sur une base de 61 études observationnelles recensées (Liu et al. 2008). Elle montre qu’en moyenne le port du casque réduit le risque de décès de 42 % (OR = 0,58, IC 95 % : 0,50-0,80) et le risque de lésion à la tête de 69 % (OR = 0,31, IC 95 % : 0,25-0,38). L’effet moyen du port du casque sur les blessures au visage ou au cou n’a pas pu être estimé, les informations spécifiques sur ces lésions étant jugées insuffisantes dans la plupart des études prises en compte dans cette méta-analyse.
Imputation multiple et pondération
L’échantillon d’étude contient des valeurs manquantes pour certains facteurs de risque potentiels. La positivité à l’alcool est manquante chez 15,2 % des motocyclistes, le type de moto dans 5,0 % des cas, l’adhérence de la route dans 3,8 % des cas et la vitesse de roulement dans 56,6 % des cas. Il est difficile de collecter assez d’information concernant l’accident pour évaluer la vitesse de roulement d’un véhicule, particulièrement quand la conséquence de l’accident n’est pas grave (car le PV correspondant contient de fait moins d’informations). Par conséquent, la vitesse est moins souvent estimée dans les accidents non-mortels (34 %) que dans les accidents mortels (51 %). Les valeurs manquantes ont été imputées séparément pour les accidents mortels et les non-mortels, en utilisant l’imputation multiple selon la méthode FCS (Fully Conditional Specification) (van Buuren 2007). Le modèle d’imputation contient la variable d’événement (accident PDC) et toutes les variables d’intérêt (positivité à l’alcool, type de moto, sinuosité de la route, adhérence de la route, weekend vs semaine, et vitesse de roulement). Des variables auxiliaires associées au mécanisme des valeurs manquantes ou corrélées à la vitesse de roulement sont également incluses dans le modèle d’imputation pour la vitesse de roulement : gravité des blessures, limitation de vitesse réglementaire, conditions météorologiques, conditions de luminosité, présence d’au moins une infraction au code de la route. En outre, le moment de la journée (jour/nuit) a été ajouté dans le modèle d’imputation pour la positivité à l’alcool. Selon le principe de l’imputation multiple, 50 jeux de données ont été créés. Les estimations ont été calculées pour chaque jeu de données, et ont été ensuite combinés pour évaluer les estimations finales. Par ailleurs, une pondération de 1 pour les accidents mortels et de 20 pour les accidents non mortels a été appliquée pour chaque estimation.
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Table des matières
Introduction générale
Objectifs des travaux de thèse
État de l’art sur les accidents de 2RM et leurs conséquences corporelles
1.1. Principaux facteurs de survenue d’accidents spécifiques aux 2RM
1.1.1. Détectabilité du 2RM
1.1.2. Comportements à risque du conducteur de 2RM
1.1.3. Infrastructure–géométrie de la route et état de la chaussée
1.1.4. Types de 2RM
1.1.5. Système d’assistance au freinage
1.2. Bilan des connaissances sur les lésions des usagers de 2RM et les dispositifs de protection
1.2.1. Bilan des connaissances sur les lésions des usagers de 2RM
1.2.2. Port du casque et lésions à la tête/face/cou
1.2.3. Types de casque et lésions à la tête ou à la face
1.2.4. Équipements vestimentaires
1.3. Synthèse et discussion
Données et méthode
2.1. Registre du Rhône
2.2. Enquête auprès d’accidentés en deux-roues motorisés
2.2.1. Population concernée
2.2.2. Mise en place de l’enquête
2.2.3. Données recueillies
2.2.4. Retour des questionnaires de l’enquête
2.2.5. Redressement des non-réponses
2.3. Base de données VOIESUR
2.3.1. Contenu de la base VOIESUR
2.3.2. Vitesse au choc et vitesse initiale (vitesse de roulement)
2.4. Plan de l’analyse
Problèmes d’interaction entre les conducteurs de 2RM (motos) et les automobilistes
3.1. Introduction
3.2. Matériel et méthode
3.2.1. Définition de la défaillance fonctionnelle humaine
3.2.2. Définition de la configuration d’accident
3.2.3. Population d’étude
3.2.4. Analyses statistiques
3.3. Résultats
3.3.1. Types d’accidents entre deux véhicules
3.3.2. Accidents en intersection – les 2 véhicules provenant de directions opposées ou perpendiculaires
3.3.3. Synthèse et discussion
Accidents de type perte de contrôle (accidents PDC) et facteurs de risque de leur survenue
4.1. Introduction
4.2. Accidents de type perte de contrôle en moto à partir des données extraites des procèsverbaux des forces de l’ordre
4.2.1. Matériel et méthode
4.2.2. Résultats
4.2.3. Discussion
4.3. Accidents de type perte de contrôle à partir d’une enquête auprès des victimes impliquées
4.3.1. Matériel et méthode
4.3.2. Résultats
4.4. Comparaison des résultats des deux études et discussion
4.4.1. Résultats similaires
4.4.2. Résultats différents
4.4.3. Résultats supplémentaires dans l’étude SECU2RM
4.5. Conclusion
Bilans lésionnels des usagers de 2RM et protection procurée par les équipements de sécurité portés
5.1. Introduction
5.2. Bilans lésionnels subis par les usagers de 2RM dans le Registre
5.2.1. Description détaillée des lésions de la population d’étude
5.2.2. Description des lésions chez les blessés graves (MAIS 3+)
5.3. Efficacité des équipements de protection (vestimentaires)
5.3.1. Matériel et méthode d’analyse
5.3.2. Résultats
5.3.3. Discussion
5.4. Efficacité relative des différents types de casques
5.4.1. Matériel et méthode d’analyse
5.4.2. Résultats
5.4.3. Discussion
Discussion générale
6.1. Synthèse des résultats
6.1.1. Survenue d’accidents en moto
6.1.2. Conséquences lésionnelles des victimes en 2RM et dispositifs de protection passifs
6.2. Perspectives de recherche
6.2.1. Perspectives de recherche avec les données présentes
6.2.2. Perspectives de recherche sur la question de la vitesse pratiquée des 2RM
6.2.3. Perspectives de recherche sur la question de l’ABS
6.2.4. Perspectives de recherche sur la question des trois-roues
Conclusion
Références
Annexes
Annexe A – Lettre d’information et questionnaire
Annexe B – Résultats de l’enquête SECU2RM
Annexe C – Article publié
Productions scientifiques
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