Lors du travail, les modifications cervicales et les contractions utérines sont douloureuses. A cela s’ajoute la douleur liée à la distension des tissus de la filière génitale et du périnée causée par la progression du fœtus à dilatation complète et durant l’expulsion. Cette douleur étudiée par Ronald Melzack serait considérée comme l’une des plus importante ressentie dans la vie d’un individu (1).
Les sages-femmes sont les soignants en première ligne auprès des femmes enceintes. Du début du travail à l’accouchement elles accompagnent la parturiente. Accompagner « en aidant la femme à gérer la douleur » fait pleinement partie de leurs compétences (2).
« Tu enfanteras dans la douleur » (3), allant de paire avec l’accouchement pendant des siècles, les soignants ont cherché à soulager les femmes. Dans les années 1950, les travaux du Docteur Fernand Lamaze ont été publiés et la méthode de «l’accouchement sans douleur » venue d’URSS se fait connaître. Reposant sur trois critères (obstétrical, physique et psychique) cette méthode confirma l’importance d’une préparation à la naissance (4). En 1994, Simone Veil, alors ministre de la santé, instaure la prise en charge intégrale par l’Assurance Maladie de l’analgésie péridurale (APD) pour toutes les parturientes. Depuis, le recours à cette technique n’a cessé de croître, passant de 62,9% en 2003 à plus de 80% des accouchements par voie basse aujourd’hui (5)(6).
Cette avancée participerait à la « médicalisation de la naissance » , et aurait tendance à « amenuiser la fonction d’assistance psychologique et de prise en charge de la douleur qui était traditionnellement dévolue aux sages-femmes en se substituant aux méthodes qu’elles avaient pu développer », selon le sociologue François-Xavier Schweyer, inspiré des travaux de Danielle Carricaburu (7). Cette technicisation bouleverse les pratiques des sages-femmes et modifie leur accompagnement.
En parallèle, les femmes ont davantage un souhait de naissance moins médicalisée. Selon l’enquête nationale périnatale de 2010, 26% des femmes auraient déclaré pendant leur grossesse ne pas souhaiter d’analgésie péridurale, 52% d’entre elles en ont finalement reçu une (8). Un travail du Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE) montre que plus de la moitié de ces femmes sont insatisfaites de cette situation et « mettent en cause le défaut d’accompagnement et le fait qu’on ne leur ait pas laissé le choix » (9). C’est en ce sens que vont les travaux de Madeleine Akrich (10). Elle y expose que « l’accompagnement de la douleur [est] un élément crucial dans l’appréciation du respect des souhaits ». Cela aurait par conséquent une place centrale dans la satisfaction des parturientes vis à vis de l’accompagnement des professionnels.
Le consentement oral des professionnels a été recueilli afin de réaliser et d’enregistrer les entretiens. L’anonymat des sages-femmes a été respecté, c’est pourquoi le genre féminin sera utilisé lorsque nous parlerons des professionnels participants. Les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité. Ils se sont déroulés en face à face ou par téléphone. Des renseignements généraux ont été demandés aux participants en fin d’entretien.
Pour réaliser les entretiens, un guide d’entretien (Annexe I) a été utilisé. Il s’articulait autour de 5 points principaux:
-l’accompagnement
-les facilités et difficultés rencontrées dans l’accompagnement
-les pratiques de la sage-femme face à la douleur de la parturiente
-les expériences de sage-femme autour de la gestion de la douleur des parturientes
-les éventuelles pistes d’améliorations et de réflexions des sages-femmes .
Un item a été ajouté à ce guide après les deux premiers entretiens car ceux-ci ont mis en évidence un point important: la préparation des parturientes. Il a donc paru essentiel de s’interroger sur les pratiques de préparation des femmes par les sages femmes concernant la douleur et ses prises en charge.
Les sages-femmes contactées travaillaient dans les maternités de Brest (Niveau 3) et Quimper (Niveau 2b). Ces deux maternités disposaient d’un espace physiologique. Les sages-femmes libérales contactées exercaient dans le département du Finistère. Les entretiens se sont déroulés du 15 septembre au 7 décembre 2016.
L’étude a été réalisée auprès d’une population de sages-femmes hospitalières et libérales accompagnant des femmes en travail et pratiquant des accouchements. Le recrutement des sages-femmes hospitalières s’est fait grâce à un volontariat après l’envoi d’un courriel à toutes les sages-femmes des équipes ainsi que par des affichages (Annexe II). Des sages-femmes libérales réalisant des accouchements ont également été contactés par courriel. Une autorisation de réaliser les entretiens au sein de leurs équipes a été octroyée par les cadres des établissements contactés avant leur réalisation.
Onze sages-femmes ont répondu aux entretiens proposés. Parmi elles 2 étaient des sagesfemmes libérales et 9 étaient hospitalières. Elles exercaient depuis en moyenne 9 ans. Cette durée d’exercice était fortement variable allant de 36 ans à 1 an. La moyenne était de 6 ans en établissement hospitalier. Le parcours professionnel ainsi que les formations complémentaires des participantes sont présentés dans le tableau en annexe IV. La professionnelle A exercait à la fois en libéral et en hospitalier. La professionnelle C quant à elle exercait uniquement en libéral et pratiquait des accouchements à domicile. Les entretiens ont duré en moyenne 27 minutes.
« Elle nous fait confiance, on lui fait confiance donc ça facilite la relation même dans la douleur » (E) L’instauration d’une relation de confiance mutuelle est essentielle dans les pratiques des sages-femmes. La sage-femme C décrit un « contrat moral » passé avec le couple. Dans ses termes on comprend que la soignante s’engage à respecter leurs désirs. En parallèle, ils acceptent de prendre en compte les décisions d’ordre médical des professionnels. La relation ne se ferait alors non pas selon un mode paternaliste, dans laquelle le soignant choisit seul pour le couple, mais plutôt par un fonctionnement participatif, où la patiente décide avec la sage-femme.
« Le dialogue, beaucoup, principalement. Bien leur expliquer les choses parce que souvent ça les met en confiance » (J). Cette importance donnée à la communication dans la relation entre la sage-femme et la patiente est soulignée dans le discours de 9 des professionnelles interrogées. La communication avec la parturiente est primordiale pour tisser le lien.
La sage-femme E explique systématiquement aux femmes ses actions. Elle apporte une importance particulière à respecter l’intimité de la patiente. Les explications données aux femmes ont effectivement une influence positive sur la relation soignant-soigné. La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a mené en 2008 une enquête portant sur la satisfaction des parturientes (11). Celle-ci a démontré que les femmes étaient globalement satisfaites des conditions de leur accouchement. Elles l’étaient moins concernant « la capacité des professionnels à expliquer leur démarche médicale et les implications potentielles sur leur santé ». Cette capacité est donc à renforcer chez les professionnelles afin de satisfaire davantage les usagers. Lors des entretiens, de nombreuses soignantes ont abordé une formation de communication thérapeutique (5/11). Celles qui l’ont réalisée l’utilisent dans leur pratique quotidienne pour rassurer les patientes et établir un lien de confiance, nécessaire à la bonne qualité de leur accompagnement aussi bien sur le plan médical que psychologique. Les professionnelles n’ayant pas réalisé cette formation mais l’ayant évoquée (H,J) voient son impact sur la pratique de leurs collègues et souhaiteraient avoir cet outil. Pour la sage-femme H, cette formation aurait pleinement sa place dans la formation initiale en maïeutique.
Pour mettre en confiance les femmes algiques et les aider à gérer leur douleur, les professionnelles peuvent valoriser et réassurer les parturientes. La sage-femme I explique « encourager » les femmes, pour qu’elles « croient en elles », qu’elles « aient confiance en elles ». Dans une étude menée en 2010 par Amy Gilliland (12), il est montré que les 4 techniques d’accompagnement de la douleur du travail et de l’accouchement les plus utilisées sont : la réassurance, l’encouragement, le soutien moral ainsi que les explications. La réassurance est une pratique évoquée par 7 des sages-femmes interrogées .
Si la relation de confiance est nécessaire entre la parturiente et la sage-femme, elle doit être plus qu’un rapport entre deux acteurs. L’accompagnant doit être inclus dans celle-ci. Une des conditions pour que l’accompagnement d’une parturiente algique se déroule dans les meilleures conditions est qu’un véritable « travail d’équipe avec le couple» (J) se mette en place. Pour la sage-femme F, la participation du couple aux décisions est indispensable à un accompagnement satisfaisant. En effet, rendre le couple acteur et moteur des décisions va de pair avec leur satisfaction, c’est ce que montrait une revue de la littérature d’Hodnett et al. publiée en 2011 (13).
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Table des matières
I.INTRODUCTION
II.MATERIEL ET METHODE
II.1) Type d’étude
II.2) Outils
II.3) Lieux et période de l’étude
II.4) Population
II.5) Analyse des résultats
III.RESULTATS ET DISCUSSION
III.1) Présentation de la population
III.2) Pratiques des sages-femmes pour accompagner les femmes algiques
III.2.1. L’instauration d’un lien de confiance
III.2.1.1. La communication
III.2.1.2. La réassurance et la valorisation
III.2.1.3. Un travail d’équipe
III.2.1.4. La méfiance de certains couples : un frein à l’accompagnement ?
III.2.2. Le respect des souhaits des patientes
III.2.2.1. Une nuance entre projet et projet de naissance
III.2.2.2. Les critères de surveillance médicale comme limite aux souhaits ?
III.2.3. Le temps accordé à chaque patiente
III.2.3.1. Des méthodes connues mais sous-utilisées
III.2.3.2. Un engagement du professionnel
III.2.3.3. Un manque de temps
III.2.3.4. Une orientation vers l’APD pour une gestion du temps
III.2.3.5. Une fuite des soignants face à la surcharge de travail
III.2.3.6. Un souhait du modèle « une sage-femme/une femme »
III.2.4. La préparation à la naissance
III.2.4.1. Une adaptation des souhaits par la PNP
III.2.4.2. Des patientes plus réceptives
III.2.4.3. Moins de panique
III.2.4.4. Une préparation adaptée
III.2.5. L’intégration de l’accompagnant
III.2.5.1. Qui est l’accompagnant ?
III.2.5.2. Un accompagnant préparé
III.2.5.3. L’accompagnant pour pallier au manque de disponibilité ?
III.2.6. Limites et forces de l’étude, Synthèse des principaux résultats
III.2.6.1. Limites et forces de l’étude
III.2.6.2. Synthèse des principaux résultats
IV.CONCLUSION
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