LE PARCOURS HÉROÏQUE DE FITZCHEVALERIE LOINVOYANT
INTRODUCTION
Le geme de la fantasy est en pleine expansion depuis les vingt dernières années : films à grand déploiement, jeux de rôles, jeux vidéo et séries télévisées envahissent le marché. C’esttoutefois à la littérature, d’abord et avant tout, que nous devons cette expansion et aux porte-étendards que sont J. R. R. Tolkien (Le Seigneur des Anneaux), C. S. Lewis (Le Monde de Narnia) et, plus récemment, George R. R. Martin (LeTrône de Fer). Les deux premiers ont en effet publié, dans les années cinquante, des œuvres qui sont devenues de véritables références pour les lecteurs, tout comme pour les nombreux auteurs qui ont choisi de suivre leurs traces. Mais malgré une production et une diffusion de plus en plus importantes en fantasy, peu d’écrivains et, par conséquent, peu d’œuvres, parviennent à véritablement se démarquer, de façon à s’attirer à la fois la faveur du lectorat et de la critique. Une écrivaine américaine a toutefois réussi cet exploit, en séduisant lecteurs et commentateurs: […] il ne fait aucun doute que le grand auteur féminin de fantasy épique est Robin Hobb. Son cycle de L ‘assassin royal tranche sur le reste de la production par la qualité de l‘écriture (ce qui n’est pas si courant en fantasy), par la richesse psychologique des personnages, par l‘originalité de la figure qui est au centre de Robin Hobb est le nom de plume que s’est donné l’écrivaine Margaret Astrid Lindholm Ogden, aussi connue sous le pseudonyme de Megan Lindholm. Margaret Astrid Lindholm est née en Californie le 5 mars 1952. Elle a commencé à écrire pour des revues s’adressant aux enfants à l’âge de 18 ans, alors qu’elle venait de déménager sur l’île de Kodiak, sur les côtes de l’Alaska, avec son mari. En 1982, elle publie sa première histoire de fantasy sous le nom de Megan Lindholm, «Bones for Dulath », dans l’anthologie AMAZONS!2. Toujours sous le pseudonyme de Megan Lindholm, l’écrivaine s’est mérité deux Azimov Reader’s Awarcf de même que le prix Imaginai du meilleur roman de fantasy, en 2003, pour Le dernier magicien, a écrit plusieurs nouvelles pour différentes revues et anthologies, et a fait paraître une dizaine de romans4• Écrivaine prolifique donc, Margareth Lindholm s’est fait connaître sous le pseudonyme de Robin Hobb en 1995, avec la publication du roman L’Apprenti assassin (en version originale anglaise). Lors d’une entrevue qu’elle a accordée le 20 mai 2011, elle dévoile les raisons qui l’ont motivée à adopter ces pseudonymes: J’ai commencé à écrire sous le nom de Megan Lindhlom, un pseudonyme qui était plutôt proche de mon nom de jeune fille […]. Mais lafantasy est un genre très vaste, et quand j’ai comm~ncé à écrire le cycle de L’assassin royal, j’ai décidé d’utiliser un nom différent afin de le distinguer de mes précédents travaux. Il s’agissait de high fantasy, et je n’en avais jamais écrit auparavant. l’ai choisi un nom androgyne parce que l’histoire est narrée depuis un point de vue masculin. En tant qu’écrivain, j’apprécie vraiment d’avoir deux pseudonymes bien distincts.
L’enfance de FitzChevalerie Loinvoyant
La venue au monde du protagoniste-narrateur de La Citadelle des ombres, au moment où elle se produit dans la chronologie du récit, est un évènement notable, même si elle passe presque inaperçue -peu de gens connaissaient l’existence du jeune garçon avant qu’il ne soit abandonné par sa mère et son grand-père à la porte de la Citadelle de Castelcerf. Le protagoniste a alors entre six et sept ans, d’après ce que dit son grand-père. Il ne porte pas même encore de véritable nom pour le désigner, du moins aucun dont il peut se souvenir18, un fait que souligne Jason, soldat de la Citadelle de Castelcerf, à ses compagnons d’armes qui sont parmi les premiers à faire sa rencontre: « Ce petit, l’a pas de nom, fit Jason, rompant le silence. l’dit qu‘il s’appelle « petit », c‘est tout)} (CO, t. 1, p. 20). Toutefois, sa naissance a été précédée de songes et annoncée par un prophète, ce qui respecte le parcours du héros établi par Sellierl9 et que souligne Stéphanie Jackson Corbeil: « Le héros mythologique ou le héros des grandes épopées fait en règle générale figure d’élu, prédit par une q~elconque légende lointaine, par un personnage particulier ou par un devin.2o )} Il importe de préciser que lesdites prophéties ne sont énoncées au départ qu’à l’extérieur du royaume ou dans de rares et obscurs textes anciens évoquant une légende21 qui ne désigne pas clairement le protagoniste-narrateur. C’est pourquoi ce dernier n’en sera informé que graduellement, par bribes, par le Prophète Blanc qui se fait aussi nommer le Fou. Au début de leur relation, lorsqu’il est question de ces prophéties, le prophète ne s’exprime que par énigmes,car il a encore certains doutes à propos de ses visions. Mais le temps passant, il devient plus confiant, donc plus explicite, ce qui explique pourquoi il n‘en est clairement question que lorsque le protagoniste-narrateur est devenu adulte: […] les pèlerins ont commencé à venir par petits groupes et à me saluer comme le prophète blanc. Je savais que j ‘étais le prophète blanc; je le savais depuis mon enfance, comme ceux qui m‘ont élevé. J’ai grandi dans la certitude qu‘un jour je partirais vers le Nord pour te trouver et qu‘à nous deux nous remettrions le temps sur la bonne voie. Toute ma vie, j ‘ai su que tel était mon rôle. Je n‘étais guère plus qu‘un enfant quand je me suis mis en route. Seul, je me suis rendu à Castelcerf pour y chercher le Catalyseur que je pouvais seul reconnaître. Je t’ai vu et je t’ai reconnu, alors que tu ne savais pas toi-même qui tu étais. J’ai observé la pesante rotation de la roue des évènements et j’ai noté que chaque fois tu étais la pierre qui la détournait de son ancien chemin. (CO, t. 2, p. 464) À six ou sept ans, le protagoniste-narrateur ne sait donc pas encore qu‘il est le Catalyseur, celui qui « vient tout changer» (CO, t. 2, p. 874). Mais sa destinée a bel et bien été prédite.
Mort de FitzChevalerie
Une fois Vérité parti au loin en quête des Anciens36 et le roi Subtil malade (par les soins de Royal qui l’empoisonne à son insu), au point de ne plus pouvoir gérer les affaires du royaume,Royal se retrouve avec le champ libre. Il se proclame alors roi servant puisque, selon ses dires, son frère Vérité est mort pendant son expédition à l‘extérieur du royaume. Qui plus est, le clan d‘artiseurs, qui au bout du compte ne sert que ses intérêts, vide le roi Subtil de ses forces par le biais de l’Art et parvient à le tuer. Fitz, fidèle à la promesse faite à Subtil, sort alors de l‘ombre et tue à son tour avant que Royal ne laisse Castelcerf tomber aux mains des Pirates ennemis. .Il tranche la gorge de Sereine, la chef du clan d’Art, et massacre un autre de ses membres, Justin, devant les gens assemblés dans la grande salle. Il est alors arrêté, non seulement pour ces meurtres, mais aussi pour pratique du Vif. On l‘accuse d‘avoir tué le roi à l‘ aide de ce pouvoir.Fitz a été en quelque sorte trahi – dernier sous-point des initiations et épreuves du schéma de Sellier – par les soldats, par le peuple des Six Duchés, comme l’indiquent ces paroles de Royal: « Il est […] de notoriété publique qu‘on l’a vu la bouche pleine de sang après les combats, qu’il devient un de ces animaux avec lesquels il a grandi. Il a le Vif ». (CO, t. 1, p.1064) Il est vrai qu’il a laissé ces indices lors de la bataille de l’Ile de l’Andouiller: morsures, griffures, bouche remplie de sang, etc. Il lui est donc inutile de chercher à convaincre ses accusateurs qu’il n’est pas possible de tuer avec le Vif, qu:il n‘a qu’été pris de folie meurtrière passagère.
N’ayant plus rien à perdre – la coutume veut que l’on pende, démembre et brûle audessus de l’eau les pratiquants du Vif-, Fitz accuse publiquement Royal de trahison. Mais puisque personne n’a le pouvoir de le freiner, Royal traîne Fitz dans les cachots où il le torture longuement, autant physiquement que psychiquement, à l’aide du puissant Art de son homme lige Guillot. Alors que Fitz est sur le point de révéler ses secrets les plus précieux à propos du plan de Vérité et de l’endroit où se cachent ses amis, Burrich trouve le moyen de venir le visiter et de lui remettre subtilement le moyen de s’évader: un poison mortel qui ne fait qu’imiter la mort physique, ce dont Fitz n’est pas au courant au moment de le prendre. Il se suicide donc. Le sacrifice fait aussi partie du dernier sous-point des épreuves de Sellier. Le bâtard au Vif, comme on le nomme désormais, n’est plus. Il est mort et enterré, et ceux qui l’aiment sont anéantis, car ils ignorent qu’à la mort de son corps, Fitz a réfugié son âme dans le corps de son loup.Cela dit, il ne s’agit pas ici d’une mort uniquement symbolique, comme nous l’avons vu lors de la séquence initiations et épreuves. Fitz meurt réellement. Seul son esprit subsiste. Il perd le lien avec son ancienne vie, avec celui qu’il a été pour ne faire plus qu’un avec le loup. Il devient loup. Il a échoué à vaincre Royal et les pertes qui en découlent sont donc plus grandes que jamais. Il n’a plus de raisons de vivre en tant que Fitz: « Je cherchai un motif de m’en abstenir: j’en avais eu quelques-uns, mais je ne me les rappelais pas. […] mourir avant que Royal ne brise ma volonté […] ainsi je ne dénoncerais personne». (CO, t. 1, p. 1100) Conséquemment, ce n’est pas uniquement l’un ou l’autre du sacrifice ou de la trahison qui mène Fitz à la mort, mais bien les deux à la fois. Par contre, comme le souligne Sellier, il finit par renaître, comme tout héros puisque: « Il n’y a pas de tragique dans les vies de héros. Cela ne veut pas dire qu’ils ne souffrent pas: les scènes pathétiques abondent, mais jamais le lecteur ou le spectateur ne ressentent ce sentiment atterré (« la pitié ou la terreur ») que cause le vrai tragique. On pressent que tout n‘ est pas perdu, que le héros va redresser la situation. Et il la redresse.37 »
Renaissance/apothéose de FitzChevalerie
Peu après sa mort, Burrich et Umbre exhument le corps de Fitz et parviennent à convaincre son esprit d‘y retourner. Le royaume et ses amis ont besoin de lui. Fitz doit reprendre goût à la vie humaine après ces épreuves traumatisantes. TI a tout perdu, même le souvenir clair de la personne humaine qu’il a été, au point où il aurait voulu continuer à vivre la vie simple d‘un animal au sein de son compagnon canidé avec qui il ne faisait plus qu‘un. Pour preuve, Fitz et le loup pensent, alors qu‘on leur demande de revenir vers le corps de Fitz: « Vous avez besoin de nous, mais nous ne voulons peut-être pas que vous ayez besoin de nous. Nous avons de la viande, un trou chaud pour dormir et encore de la viande pour une autre fois. Le ventre plein, un repaire douillet, que nous fait-il d’autre? Et pourtant, nous allons nous approcher; nous allons renifler, nous allons voir ce qui menace et invite ». (CO, t. l , p. 1105) Ainsi, à partir du moment où son âme retrouve son corps humain, il doit réapprendre ce que c‘est d‘ être un homme parmi les hommes. Dans le premier chapitre du tome deux, qui s’intitule à juste titre Résurrection, il y parvient. Le désir de vengeance et le devoir le motivant, il renaît. Dans cette perspective, bien que Burrich tente de l’en dissuader, il va rapidement tenter de tuer Royal pour finalement tomber dans un piège dont il parvient à s‘échapper de justesse, grâce à Vérité qui l‘en avertit au dernier moment à l‘aide de l‘Art.Par la suite, Fitz marche vers la conclusion de sa quête, alors qu’il part sur les traces de Vérité qui a trouvé les Anciens. À l’aide de ses compagnons, le Fou, Kettricken, le loup Œil de Nuit, Caudron (une vieille femme dotée du don de l’Art et ancien membre du clan du premier roi) et la ménestrelle Astérie, il parvient à se rendre aux confins du Royaume des Montagnes,suivant un ordre magique irrésistible que lui a imprégné Vérité, celui de le rejoindre. Ils empruntent la voie d’Art qui les mène à la carrière aux dragons, tandis que les poursuit sans relâche le clan d’Art de Royal, qui ne peut les laisser réussir maintenant qu’il est enfm roi. Les Anciens, qui sont des dragons de pierre de mémoire endormis, qu’il y découvre sont ceux qui ont sauvé le royaume autrefois. Ils tentent alors tout ce qui leur vient à l’idée pour les éveiller, mais en vain; les dragons restent immobiles et sans vie. De son côté, Vérité se départit de tous ses souvenirs dans un dragon de pierre de mémoire qu’il sculpte à l’aide de Caudron dans l’espoir de le voir prendre vie et chasser définitivement les pirates. Tandis que se referment sur eux les hommes de Royal, artiseurs et soldats, Fitz découvre enfin le moyen d’éveiller les monstres: le sang. Affamés après un trop long sommeil, les dragons dévorent l’ennemi et se joignent à Vérité, maintenant disparu, entièrement fondu dans sa création avec laquelle il ne fait plus qu’un. Fitz refuse alors de se joindre à eux pour l’assaut décisif contre les Pirates Rouges. Il refuse la gloire héroïque du vainqueur et la laisse à Vérité. Le royaume est donc sauvé de l’envahisseur par Vérité, sous forme de Dragon, et par les Anciens.
L’éthique de FitzChevalerie Loinvoyant
L’éthique serait, par définition, « l’ensemble des règles de conduite49 » d‘un individu. Et la morale, « [l’] ensemble de normes, de règles de conduite propres à une société donnée5o », plus particulièrement en rapport avec les concepts de bien et de mal. Cela dit, l’éthique de FitzChevalerie est d’abord fondée autour de différents idéaux sociaux et culturels. Ainsi, pour bien appréhender ces idéaux, il nous faut commencer par situer le contexte historique et social dans lequel évolue le protagoniste.Puisqu’il s’agit d’un roman de fantasy épique, il serait aisé de supposer un lien direct avec le Moyen-âge. Toutefois, Anne Besson précise que « […] lafantasy épique « à la Tolkien » se caractérise par la transposition d’éléments empruntés aux mythologies (personnages surnaturels, schéma initiatique) dans un contexte pseudo-médiéval qui donne forme au « horstemps » primordial où s’inscrivent, à l’origine, celles-ci5\ ». À propos de ce contexte qualifié de « pseudo-médiéval », Besson ajoute: « […] une telle contextualisation pseudo-médiévale, pour porteuse qu’elle soit d’une reconnaissance du genre par ses lecteurs, s’actualise en vérité fort peu dans des caractéristiques qui renverraient directement à une époque précise ». En somme, nous ne pouvons nous référer à aucune époque réelle, car il s’agit d’un contexte fictif empreint d’une médiévalité diffuse. Et il en va de même si l’on cherche à juger des lieux où évolue le protagoniste. Comme il s’agit d’un monde secondaire, il est régi par des lois qui lui sont propres. Si nous souhaitons analyser avec exactitude l’éthique de Fitz, il faut donc se rapporter aux indices, aux éléments liés à la morale présents dans le texte. Ces éléments se révèlent le plus souvent à travers les personnages que côtoie Fitz. En outre, il faut considérer que son éthique est directement influencée par les différents rôles qu’il doit jouer, qui eux sont liés aux noms servant à le désigner: Fitz, mon garçon, le Nouveau, Catalyseur et Bien-Aimé et FitzChevalerie Loinvoyant. Un premier personnage d’importance dans la vie de Fitz est Burrich, le maître des écuries de Castelcerf. Comme il lui a plus ou moins servi de père adoptif jusqu’à ce qu’il entre officiellement au château – et même par la suite -, nous pouvons considérer qu’il a grandement participé à son éducation. Dans le récit, Burrich est présenté comme un homme de principe et de certitudes – au point de paraître parfois obstiné, voire intransigeant. Il est le premier, au souvenir du protagoniste, à le nommer. Fitz est un nom dont la plupart des gens feront usage à un moment ou à un,autre pour désigner le protagoniste. Et il ne semble pas anodin que ce dernier ne porte pas de nom au départ, comme le souligne le Fou, en tant que Prophète blanc: Chaque fois que je tombe sur une croisée de chemins et que la piste est incertaine, je hume le sol, je billebaude, j’aboie, je renifle, et je trouve une odeur: la tienne. Tu crées des possibilités. Tant que tu existes, on peut manœuvrer l’avenir. C’est pour toi Bref, le protagoniste est considéré au départ comme un être sans identité, qu’on peut façonner. Ainsi, en le nommant Fitz, qui nous nous en souvenons signifie bâtard en anglais, Burrich lui révèle et lui impose la vérité sans trop l’adoucir: il a du sang royal, mais pas suffisamment pour prétendre être l’égal d’un prince de sang pur. Pour Burrich, le travail, l’obéissance, la loyauté, l’humilité, l’honnêteté et la sincérité sont les règles de conduite qu’il tente d’inculquer à Fitz, leplus souvent par l’exemple, en même temps qu’un mépris pour.la pratique de la magie du.vif, un don que lui-même possède (qui fait en sorte qu’il a un grand respect pour la vie de toute créature) et qu’il fait de son mieux pour refouler.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : LE PARCOURS HÉROÏQUE DE FITZCHEVALERIE LOINVOYANT
1.1 L’enfance de FitzChevalerie Loinvoyant
1.2 Initiations et épreuves
1.3 Mort de FitzChevalerie Loinvoyant
CHAPITRE II: FITZCHEVALERIE LOINVOYANT ANTIHÉROS
2.1 Les failles de FitzChevalerie Loinvoyant
2.2 L’éthique de FitzChevalerie Loinvoyant
2.3 Échecs de FitzChevalerie Loinvoyant
CONCLUSION
ANNEXE A
BIBLIOGRAPHIE
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