L’Anaplasmose à Anaplasma marginale
Étiologie
L’AGB est due à une bactérie, Anaplasma phagocytophilum anciennement nommée Ehrlichia phagocytophyla. Elle appartient à l’ordre des Rickettsiales, famille des Anaplasmataceae, genre Anaplasma. A. phagocytophilum est une bactérie Gram négatif, intracellulaire stricte, transmise quasi-exclusivement par voie vectorielle (tiques principalement), (Zele et al., 2012). Elle présente un tropisme pour les leucocytes de Mammifères, plus particulièrement les granulocytes neutrophiles, (et dans une moindre mesure les granulocytes éosinophiles et les lymphocytes), où elle s’accumule en morula. C’est une bactérie de petite taille, de forme coccoïde ou ellipsoïdale. Cette maladie fut diagnostiquée pour la première fois par Gordon et al., en 1932 sur des moutons en Ecosse sans que l’agent causal ne soit identifié.
En 1949, une description détaillée sera faite et l’agent est nommé Rickettsia phagocytophila ovis. Bien que connue depuis 1932, la maladie ne sera diagnostiquée sur aucune autre espèce que le mouton jusqu’en 1969. Il s’agit alors de chevaux en Californie, où une bactérie de type Ehrlichia fut mise en cause. Cette dernière fut nommée Ehrlichia equi en 1975. Le premier cas d’ehrlichiose granulocytaire humaine (EGH), date quant à lui de 1994 (Chimier, 2006). Ces trois bactéries possèdent des caractéristiques biologiques et épidémiologiques très proches. A cela s’ajoute les grands progrès dans le domaine de la biologie moléculaire, le séquençage de certains composants de ces trois bactéries, en particulier le gène codant pour l’ARN ribosomal 16S (ARNr16S).
Cette technique a permis de mettre en évidence une forte homologie (98 %) entre Ehrlichia phagocytophila, Ehrlichia equi et l’agent de l’EGH. Un changement de nomenclature a ainsi été proposé pour placer les trois agents sous la même dénomination : Anaplasma phagocytophila puis Anaplasma phagocytophilum, tout en introduisant une notion de variants (Dumler et al., 2001). En effet, si les trois bactéries semblent très proches, elles ne sont pas identiques, en particulier par rapport aux espèces infectées, à la répartition géographique et à leur pouvoir pathogène (Chimier, 2006 ; Stuen et al., 2013a). Il résulte de ce changement de nomenclature que l’EGH a été rebaptisée anaplasmose granulocytaire humaine (AGH). Cependant, à l’heure actuelle, cette nomenclature est encore soumise à discussion. Le débat porte notamment sur l’opportunité ou pas de distinguer ou pas les Anaplasma à tropisme granulocytaire des Anaplasma ayant un tropisme pour les hématies. Il a ainsi été proposé de réintégrer les souches granulocytaires dans le genre déjà décrit Cytoecetes (Brouqui et Matsumoto, 2007).
Le fait est qu’il n’y a pas encore de technique phylogénétique consensuelle sur laquelle s’appuyer pour une classification définitive de la bactérie et de ses variants. Aux gènes précédemment cités on peut également ajouter les gènes codant pour la protéine de surface p44, les gènes msp2 et msp4 (De la Fuente et al., 2005), le gène ankA, l’opéron groESL (Bown et al., 2007). Selon de récentes données, le marqueur ankA serait le plus informatif pour caractériser la diversité génétique d’A. phagocytophilum (Michalik et al., 2012). Néanmoins, une technique MLVA récemment développée semble donner des résultats au moins aussi performants, de façon plus simple et économique (Dugat et al., 2013). Le Tableau 1 résume les différentes techniques utilisées et les informations apportées en termes de proximité entre différentes espèces animales.
Épidémiologie
En Europe, le vecteur principal d’A. phagocytophilum est la tique Ixodes ricinus qui se contamine lors de son repas sanguin, lequel doit durer au moins 24 heures pour que la contamination ait lieu. La bactérie s’y multiplie surtout lors de la mue larvaire et de l’engorgement aux stades larvaire, nymphal et adulte. Du fait de sa localisation dans les glandes salivaires de la tique, la bactérie peut être inoculée aux Vertébrés en une trentaine d’heures en moyenne. Chez les tiques, il a été démontré une transmission trans-stadiale (larve-nymphe-adulte) mais pas trans-ovarienne (Ismail et al., 2010), ce qui a pour conséquence des tiques adultes plus souvent infectées que les nymphes ou les larves (Stuen et al., 2013a). En effet, à raison d’un repas sanguin par stade, la tique adulte a réalisé un repas sanguin supplémentaire par rapport à une nymphe, ce qui constitue donc une opportunité supplémentaire d’être infectée.
D’autres vecteurs s’ajoutent à Ixodes comme les tiques du genre Dermacentor dont l’importance reste à préciser. Une transmission mécanique par des arthropodes a aussi été évoquée, qui fait notamment intervenir les diptères piqueurs hématophages (tabanidés, stomoxidés), et éventuellement des seringues usagées. Mais la place de ces modes de transmission, pour autant qu’elle joue un rôle, est considérée comme très marginale par rapport aux Ixodes. Un cas récent de transmission congénitale a récemment été décrit chez un veau (Henniger et al., 2013). De même, chez l’Homme, l’agent de l’AGH ne se transmet pas exclusivement par morsure de tique. La transmission peut se produire par pénétration cutanéomuqueuse (3 cas chez des bouchers ayant découpé des carcasses de daims), par transmission périnatale ou par transfusion sanguine (Amiel et al., 2004). Le vecteur principal étant les tiques, il s’agit donc d’une maladie des biotopes et saisonnière. La transmission bactérienne se fait quasi-exclusivement par inoculation lors de morsure de tiques infectées, avec un nombre de bactéries chez l’hôte proportionnel à la durée de fixation. S’en suit une phase de multiplication, maximale 48 à 72h après pénétration du germe. En plus des tiques, Anaplasma phagocytophylum peut infecter de nombreuses espèces de vertébrés comme les bovins, les cervidés, les rongeurs, et l’Homme. Le Tableau 2 résume les espèces pouvant être affectées par la bactérie, en précisant les biovars.
Tableau clinique Souvent asymptomatique, la maladie peut, après une incubation de quatre à dix-sept jours chez les bovins, se déclarer avec une forte fièvre (39,5°C à 42°C), de durée variable. Durant cette période fébrile, jusqu’à 90 % des granulocytes hébergent des morulas. A cette hyperthermie pouvant induire un avortement, s’ajoutent de l’anorexie associée à une perte de poids et une chute de production lactée parfois brutale (signe d’appel d’un éleveur laitier : chute de production laitière, pour un éleveur allaitant : les veaux ne grandissent plus ou les veaux sont « creux » car la mère n’a plus de lait). Chez le mâle on retrouvera des signes d’infertilité. 0 à 10 % des bovins présentent un oedème froid du tarso-métatarse (« maladie des gros paturons ») entrainant des troubles locomoteurs. L’infection par A. phagocytophylum semble prédisposer les animaux à d’autres infections bactériennes provoquant alors des problèmes respiratoires ou de la reproduction (D’après G. Joncour et Collin, 2003). L’effet immunodépresseur d’A. phagocytophylum a été clairement montré, chez les ovins tout au moins (Brown et al., 2012).
La forme aiguë est généralement décelée à l’échelle individuelle, par contre la forme chronique est plutôt observée à l’échelle du troupeau. Dans ce cas, c’est l’immunodépression qui domine ayant pour conséquences des maladies de la reproduction, une toux d’été persistante, des uvéites. Quant aux micro-mammifères, et plus particulièrement la souris de laboratoire, elle peut être infectée mais sans développer de signes autres qu’une anémie et une leucopénie d’une durée de 24h. Elle reste cependant porteuse de la bactérie pendant au moins 55 jours. Chez l’Homme, s’il y a expression clinique, elle se traduit par de la fièvre et des maux de tête. Aux Etats-Unis, dans 1 % des cas, une méningoencéphalite est rapportée. Les analyses sanguines montrent une leucopénie avec thrombopénie et l’augmentation des enzymes hépatiques. Les symptômes surviennent en moyenne neuf jours après la morsure de tique (Ismail et al., 2010).
En parallèle, chez les patients humains atteints d’une forme sévère d’AGH, il a été mis en évidence une forte immunodépression. Sans que les mécanismes précis soient expliqués, cela se traduit par un nombre non négligeable d’issues fatales pour cause d’infection secondaire ou de dysfonctionnement grave d’un organe (Ismail et al., 2010). Brown et al., 2012 ne sont pas de cet avis. Ils opposent même l’immunodépression observée chez les moutons aux phénomènes immunopathologiques observés chez l’Homme. D’après Edouard et al. (2012), le premier cas signalé en France date de 2003. Plus récemment, trois cas humains originaires d’Alsace ont été diagnostiqués positifs par PCR à A. phagocytophilum en 2009. Cette étude indique aussi que le nombre de PCR positives vis-à-vis d’A. phagocytophilum est significativement plus important en Alsace que dans les autres régions françaises (tout comme la maladie de Lyme). D’autres cas avérés ont également été mis en évidence en Suède, Allemagne et Slovaquie (JC George, 2013).
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Table des matières
LISTE DES ABRÉVIATIONS
Première Partie : Synthèse bibliographique sur trois maladies bactériennes vectorisées, leurs vecteurs et leur impact sur la faune sauvage et les bovins
1.Trois maladies bactériennes vectorisées
1.1. L’anaplasmose granulocytaire bovine à Anaplasma phagocytophilum (ou « AGB »)
1.1.1. Étiologie
1.1.2. Épidémiologie
1.1.3. Tableau clinique
1.1.4. Diagnostic
1.1.5. Traitement et prophylaxie
1.2. L’Anaplasmose à Anaplasma marginale
1.2.1. Etiologie
1.2.2. Epidémiologie
1.2.3. Tableau clinique
1.2.4. Diagnostic
1.2.5. Traitement et prophylaxie
1.3. La maladie de Lyme
1.3.1. Etiologie
1.3.2. Epidémiologie
1.3.3. Pathogénie
1.3.4. Tableau clinique
1.3.5. Diagnostic
1.3.6. Traitement et prophylaxie
2.Les vecteurs présents en Corrèze
2.1. Ixodes ricinus
2.1.1. Cycle évolutif (d’après Chauvet, 2004)
2.1.2. Spectre d’hôtes (d’après Chauvet, 2004)
2.1.3. Habitats colonisés et répartition géographique géographique (d’après Chauvet, 2004)
2.1.4. Activité d’Ixodes ricinus (d’après Chauvet, 2004)
2.2. Tique du genre Dermacentor
2.2.1. Cycle évolutif (d’après Chauvet, 2004)
2.2.2. Spectre d’hôtes (d’après Chauvet, 2004)
2.2.3. Habitats colonisés et répartition géographique (d’après Chauvet, 2004)
2.2.4. Activité des tiques du genre Dermacentor (d’après Chauvet, 2004)
2.3. Hæmaphysalis punctata (d’après Chauvet, 2004)
2.3.1. Cycle évolutif (d’après Chauvet, 2004)
2.3.2. Spectre d’hôtes (d’après Chauvet, 2004)
2.3.3. Habitats colonisés et répartition géographique (d’après Chauvet, 2004)
2.3.4. Activité d’ Hæmaphysalis punctata (d’après Chauvet, 2004)
3.Espèces hôtes et leur infection par les agents de maladies vectorielles
3.1. Bovins
3.2. Cerfs et chevreuils
3.2.1. Le cerf élaphe (Cervus elaphus)
3.2.2. Le chevreuil (Capreolus capreolus)
3.2.3. Cervidés et agents de maladies vectorielles
3.3. Micromammifères (d’après Butet et Paillat, 1997)
3.3.1. Le mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus)
3.3.2. Le campagnol roussâtre (Clethrionomys glareolus)
3.3.3. Micromammifères et agents de maladies vectorielles
Deuxième partie : Étude expérimentale
1.Cadre et objectifs de cette étude
1.1. Cadre de l’étude
1.2. Objectifs
1.3. Lieu d’étude : La Corrèze
1.4. Analyses de laboratoire utilisées
1.4.1. La technique de PCR (ou Polymerase Chain Reaction)
1.4.2. Immunofluorescence indirecte (ou IFI)
2.Enquête épidémiologique sur l’infection par l’agent de l’anaplasmose granulocytaire bovine (Anaplasma phagocytophilum) et par l’agent de la Borréliose (Borrelia burgdorferi) dans la faune sauvage de Corrèze
2.1. Échantillonnage
2.1.1. Évaluation des effectifs
2.1.2. Détermination de l’échantillon de cerfs et de chevreuils en fonction de la prévalence d’infection
2.1.3. Détermination de l’échantillon en micromammifères
2.1.4. Synthèse sur l’échantillonnage
2.2. Prélèvements
2.2.1. Pour les cerfs et chevreuils
2.2.2. Pour les micromammifères
2.2.3. Synthèse
2.3. Traitement des données
2.4. Résultats
2.4.1. Prévalence de l’infection par Anaplasma phagocytophilum
2.4.2. Prévalence de l’infection par Borrelia burgdorferi sl
Discussion
3.Enquête épidémiologique sur la présence de l’AGB (Anaplasma phagocytophilum) chez les Bovins de Corrèze
3.1. Échantillonnage
3.2. Prélèvements
3.3. Traitement des données
3.4. Résultats
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