Déprise agricole et processus d’enfrichement

L’étude a été menée sur Ouessant, une petite île (1541 ha) située à 20 km de la pointe occidentale de la Bretagne (48°28’ N, 5°5’ W). Les deux principales dynamiques socioéconomiques clairement identifiées sur cet espace protégé sont d’une part l’abandon des pratiques agro-pastorales à partir de la seconde moitié du XXème siècle et d’autre part l’augmentation de la fréquentation touristique à partir de la fin des années 1980.

Déprise agricole et processus d’enfrichement

Jusqu’en 1950, la population humaine de l’île a assez peu fluctué autour de 2500 habitants, avec un maximum de 2961 habitant en 1911 . A cette époque, la forte pression humaine (160 habitants/km²) a des conséquences importantes sur la mise en valeur de l’espace. Même si une partie des revenus provient de l’activité des hommes en mer (essentiellement de la marine marchande), l’île est exploitée de manière très structurée pour tirer un profit maximal des ressources locales. Les terres les plus productives, c’est-à-dire les sols bruns humifères, recouvrent 52 % de la surface de l’île et sont localisées dans la partie centrale de l’île. Elles sont utilisées pour les cultures, essentiellement des céréales et pommes de terre. Les cultures occupent respectivement en 1844 et 1952 55 % et 34 % de la surface de l’île (Gourmelon et al., 1995). Les dépressions humides et petits vallons aux sols hydromorphes occupent environ 5 % de la surface de l’île et sont utilisés pour l’élevage bovin d’une race domestique aujourd’hui éteinte. Enfin les zones littorales aux sols maigres de type ranker d’érosion ou de type cryptopodzolique, aspergées régulièrement par les embruns, sont essentiellement vouées à l’élevage ovin. Jusqu’en 1950, le paysage ouessantin est ainsi totalement façonné par l’homme, les activités agricoles représentant près de 90 % de la surface totale de l’île.

Après la seconde guerre mondiale, l’île est confrontée à de nouvelles données économiques. Les revenus de la terre diminuent et la population permanente ne cesse alors de décroître . L’usage du sol est donc profondément modifié : Les cultures sont abandonnées et les parcelles cultivées, colonisées dans un premier temps par une végétation de type prairial sont exploitées sous forme de pâtures. Malgré cette augmentation des surfaces disponibles pour le pâturage, le cheptel diminue et l’île qui comptait 5900 moutons en 1950 n’en abrite plus qu’à peine 650 en 2003. La diminution de la pression de pâturage apparaît principalement à partir du début des années 1970 .

Probablement dès 1970, cette diminution du cheptel se traduit par un fort sous-pâturage. Une petite partie des anciennes prairies (5 %) est progressivement remplacée par des landes à bruyère et ajoncs lorsqu’elles sont situées en front de mer, alors que la majeure partie d’entre elles (45 %) évoluent vers des formations de broussailles à fougères et ronces ou vers des fourrés à prunelliers, stade « terminal » de la dynamique de végétation sur Ouessant (Gourmelon et al., 1995). La majeure partie des anciennes terres cultivées, située à l’intérieur de l’île (62 %) est reconvertie en pâture alors que près d’un tiers d’entre elles est totalement abandonné et évolue vers la friche (27%, Gourmelon et al. 1995). Au final, si la surface de pâture évolue assez peu au cours de cette période, représentant grossièrement 1/3 de la superficie de l’île (325 ha en 1840, 552 ha en 1952 et 460 ha en1992 et 410 en 2003, Gourmelon et al., 1995 et données non publiées Kerbiriou C., Roué E. & Rouan M.), sa répartition spatiale a en revanche nettement changé : Autrefois littorale, elle est désormais largement localisée à l’intérieur de l’île, plus près des habitations .

En quarante ans (de 1952 à 1992), la friche a envahi près de 42 % de la surface insulaire (Gourmelon et al. 1996). Cette dynamique semble se ralentir puisque entre 1992 et 2002, elle a progressé seulement de 5 % . Dorénavant, l’espace n’est plus totalement utilisé et géré. Ces profonds changements d’usage des sols ont cependant peu modifié le système d’élevage traditionnel ovin. Il s’agit d’une forme d’élevage familial organisé sur deux périodes : une vaine pâture de la Saint Michel (septembre) au premier mercredi de février et une période d’attache le reste de l’année. En hiver, les moutons sont ainsi en liberté et s’organisent en troupeaux qui circulent « librement » sur l’ensemble de l’île, alors qu’au printemps et en été, (février à septembre) ils sont attachés souvent deux par deux sur les parcelles familiales. Un des changements concernant l’élevage ovin a été le remplacement de la race rustique « le ouessantin » élevée pour sa laine par une race plus grosse utilisée pour sa viande au cours de la première moitié du XXème siècle (Péron, 1997). Les troupeaux familiaux constitués de quelques bêtes seulement produisent des agneaux qui sont consommés par la famille ou « vendus » localement, notamment pour la préparation du traditionnel « ragoût dans les mottes ». Une autre modification de cette pratique a été l’apparition de quelques enclos qui tendent à limiter la vaine pâture. Si une tentative de relance agricole sous l’impulsion du Parc Naturel Régional d’Armorique a eu lieu au début des années 1980, cette expérience a assez rapidement été abandonnée en raison de multiples difficultés dont la parcellisation de l’île. L’absence du système de partage des terres lors des successions et de remembrement ont en effet contribué à réduire considérablement la taille des parcelles : avec 50000 parcelles pour seulement 1541 ha, Ouessant présente des parcelles d’une surface moyenne de seulement 300 m² !

Impact de l’enfrichement sur la biodiversité

En terme de biodiversité, l’impact de l’enfrichement est complexe. Il paraît avoir fortement contribué à augmenter la richesse spécifique du nombre des oiseaux terrestres nicheurs (Clarke 1899, Guermeur & Monnat 1980, Guermeur 1984-1996, Julien 1952, Meinertzagen 1948, Nicolau-Guillomet 1974, fig. 5). Ceci s’explique assez intuitivement par la reprise de la dynamique naturelle. Jusqu’à la moitié du XXème siècle il n’existait pour ainsi dire aucune strate arbustive sur l’île : tout l’espace ouessantin était cultivé ou pâturé. L’abandon de certains secteurs s’est ainsi naturellement traduit par l’installation de buissons, particulièrement visibles dans les vallons et par conséquent par l’installation d’espèces nichant dans ce type d’habitat. Parallèlement, plusieurs espèces spécialistes des milieux ouverts ont souffert de ces changements au point de disparaître c’est notamment le cas de la Caille des blé (Coturnix coturnix), du Bruant proyer (Emberiza calandra), du Bruant jaune (Emberiza citrinella), du Cochevis huppé (Galerida cristata), et du Busard cendré (Circus pygargus). La population d’Alouettes des champs (Alauda arvensis) a pratiquement été divisée par 10 en quarante ans, celle des Craves par 2.

Le deuxième impact de l’enfrichement sur l’île se situe au niveau de la flore. Là encore, le bilan n’est pas aisé. Les premiers stades d’enfrichement sont généralement des formations végétales plus diversifiées que les stades « initiaux » alors que le stade « final » se révèle souvent plus pauvre . En revanche, en terme d’habitat, l’abandon des pratiques agro-pastorales sur certains secteurs a eu pour conséquence de créer de nouveaux habitats (saulaie, fourré …).

Pour le gestionnaire en revanche, l’enfrichement est généralement perçu négativement :
● Le développement des friches s’est fait au détriment d’espèces considérées comme ayant une forte valeur patrimoniale (Busard cendré, Cochevis huppé, Crave à bec rouge…) et les nouvelles espèces apparues sont toutes, à l’exception du Busard des roseaux (Circus aeruginosus), des espèces communes telles que la Mésange charbonnière (Parus major), Verdier d’Europe (Carduelis chloris), ou le Rouge gorge (Erithacus rubecula)…
● Les risques d’irréversibilité (disparition d’espèces) et d’homogénéisation (fermeture des milieux) sont forts à moyen terme.
● Le développement de la friche a pour conséquence de réduire l’accessibilité de certains secteurs aux touristes.
● Enfin, l’enfrichement renvoie l’image d’un abandon de la part du gestionnaire. Pour certains résidents, la friche est alors perçue comme quelques chose de « sale » et de potentiellement « dangereux » car sujet aux incendies.

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Table des matières

INTRODUCTION
SITE D’ETUDE
Déprise agricole et processus d’enfrichement
Augmentation de la fréquentation touristique
Labels et statuts de protection
MODELE BIOLOGIQUE
Description de l’espèce
Le Crave, une espèce emblématique
CHAPITRE I : Les ressources et leurs impacts sur la dynamique de population
1.1. Site de reproduction
1.2. Sélection de l’habitat et dynamique démographique
1.2.1 Habitat du Crave et usages associés
1.2.1.1 Habitats utilisés par les Craves
1.2.1.2 Sélection de l’habitat par les couples reproducteurs
1.2.1.3 Effet de la distance sur l’accès aux habitats par les couples reproducteurs
1.3. Ressources alimentaires et dynamique de population
1.3.1 Régime alimentaire
1.3.2 Sélection des proies
1.3.3 Biomasse d’invertébrés et succès reproducteur
1.3.4 Survie juvénile et biomasse d’invertébrés
CHAPITRE II : Impact de l’enfrichement sur la dynamique de population
2.1 Relation entre évolution de l’enfrichement et dynamique de la population de Craves sur Ouessant au cours des 50 dernières années
2.1.1 Evaluation de l’entretien des pâtures
2.1.1.1 Estimation de la charge de bétail
2.1.1.2 Evaluation de la pression de pâturage
2.1.1.3 Estimation des capacités de charge des prairies sur l’île d’Ouessant
2.1.2 Evaluation de l’impact des pratiques pastorales passées sur la population de Craves
2.1.2.1 Impact potentiel du pâturage côtier sur le succès reproducteur
2.1.2.2 Constitution du modèle
2.2 Dynamique actuelle d’enfrichement et devenir de la population
2.2.1 Evaluation de la dynamique d’enfrichement actuelle et future
2.2.2 Viabilité de la population de Crave dans un contexte d’enfrichement
CHAPITRE III :Limitation de l’accès aux ressources occasionnée par la fréquentation touristique estivale et son impact sur la dynamique de population
3.1 Réponses individuelles des Craves aux dérangements occasionnés par les touristes
3.1.1. Impact des touristes sur la répartition spatiale des Craves
3.1.1.1 Distance de fuite
3.1.1.2 Relation entre fréquentation touristique du littoral et répartition des Craves
3.1.2 Impact de la fréquentation touristique sur l’utilisation des habitats par les Craves
3.1.3 Impact de la fréquentation touristique sur le comportement alimentaire
3.1.4 Evaluation de la réduction du temps d’alimentation
3.2 Impact de la fréquentation touristique sur la dynamique et la viabilité de la population
3.2.1 Impact de la fréquentation touristique sur la survie
3.2.2 Impact de la fréquentation touristique sur la viabilité de la population
3.3 Propositions de gestion pour limiter l’impact négatif du dérangement touristique
CHAPITRE IV : Impact de la fréquentation touristique sur les habitats du Crave et sa dynamique de population
4.1 Impact du piétinement sur les habitats du Crave
4.1.1 Discrimination des pelouses rases naturelles et des pelouses rases d’origine anthropique
4.1.2 Evaluation des dynamiques de piétinement
4.1.2.1 Dynamique de création de pelouses rases suite à la fréquentation littorale
4.1.2.2 Dynamique d’érosion du couvert végétal suite à la fréquentation littorale
4.2 Impact du piétinement sur la dynamique de population de Craves
4.2.1 Evaluation de l’importance des pelouses rases d’origine anthropique au sein des territoires
4.2.2 Impact du piétinement en termes de démographie
CHAPITRE V : Hiérarchisation des pressions affectant la dynamique de population et interactions entre ces facteurs
5.1. Impact conjoint du dérangement, du piétinement et de l’enfrichement à l’aide du Modèle Individu Centré
5.1.1 Hiérarchisation des pressions
5.1.2. Domaine de viabilité de la population
5.1.3. Résilience de la population
5.2. Les Systèmes Multi-Agents, un outil pour la biologie de la conservation ?
Apports et potentialités du SMA développé dans la Réserve de Biosphère de la Mer d’Iroise pour la problématique de conservation de la population de Crave d’Ouessant
5.2.1 Limite des modèles non spatialisés et potentialité des Systèmes Multi-Agents
5.2.2 Construction du SMA de la Réserve de Biosphère d’Iroise et intégration de la dynamique de population de Craves
5.2.2.1 La co-construction du SMA d’Ouessant
5.2.2.2 Intégration de la dynamique de population de Craves dans le SMA
5.2.3. Premières analyses exploratoires du SMA de la Réserve de Biosphère de la mer d’Iroise
5.2.3.1. Evaluation des opérations de fauche menées par le Parc Naturel Régional d’Armorique
5.2.3.2. Dynamique de population dans un contexte de changement des usages
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
LISTE DES FIGURES
ANNEXES

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