Examiner le rapport entre brevet et activité inventive comme construction d’une norme de gestion de l’invention technique

L’invention technique s’analyse et s’observe aujourd’hui très majoritairement au travers des brevets, en témoigne l’utilisation très régulière du brevet dans les « innovation studies » et la médiation de l’activité inventive par les brevets. Comment pourrait-on alors penser l’activité d’invention technique sans se référer aux institutions relatives aux brevets et aux titres de propriété industrielle qui naissent dans leur forme moderne à la fin du XVIIIe siècle ? Depuis près de deux cents ans, ce système a accompagné la profonde transformation du milieu technique dans lequel nous vivons. Il ne s’agit pas uniquement d’interpréter et d’évaluer l’efficacité fonctionnelle de ce système pour diffuser et inciter à l’invention, mais de constater que ces institutions sont devenues de fait le lieu d’activités toujours plus couplées à l’activité d’invention : l’enregistrement systématique fournit une mémoire technique immense – largement utilisé dans les études sur l’innovation comme observable et comme source de connaissances de l’état de la technique ; l’évaluation des inventions par les examinateurs de brevets donne lieu à une ingénierie et une organisation élaborée au travers de procédures et d’outils spécifiques ; et des expertises se sont formées (juges techniques, avocats spécialisés et conseils en propriété industrielle) et elles s’étendent aujourd’hui à l’échelle internationale. Ce monde du brevet s’est même fondé sur un droit qui lui est propre et un langage commun pour discuter de l’invention technique, de son contenu, de son apport vis à-vis de l’état de l’art, et de ses frontières et in fine des droits qui lui sont associés.

Alors même que l’étude de l’invention technique, de ses objets, de ses conditions et de son évolution ont fasciné de nombreuses disciplines, à notre connaissance, peu d’auteurs ont cherché à analyser en quoi cette immense institution des brevets participerait à la production d’une théorie de l’invention originale et d’une structuration de la connaissance technique, et aurait ainsi permis une certaine forme de « gestion » de l’invention. Parmi les pionniers de cette approche, les historiens et les juristes font figure d’exceptions puisque leurs travaux ont bien montré la dimension éminemment collective et institutionnelle de l’invention pour les uns (Arapostathis et Gooday, 2013; Baudry, 2014; Galvez-Behar, 2008; Pottage et Sherman, 2015), et le rôle majeur du droit dans la construction d’entreprises technologiques ou de légitimité des inventeurs – les grands procès en sont l’exemple phare – pour les autres (Beauchamp, 2015; Buydens, 2012; Duffy, 2007; Landers, 2010). C’est dans cette perspective que cette thèse s’inscrit, en portant son attention sur les fondements d’une telle rationalisation de l’invention et les problématiques gestionnaires nouvelles qu’elle ouvre. Ici, nous restreignons notre analyse d’abord à l’invention « brevetable » puisqu’il existe évidemment bien d’autres formes d’inventions (même techniques) qui ne sont pas traitées par les systèmes de brevets. Par ailleurs, nous ne pouvons pas explorer toutes les facettes de l’objet-brevet mais nous nous intéresserons en particulier à son rapport à l’activité inventive. Si le droit d’exclusion temporaire est consubstantiel du brevet, nous essaierons ici plutôt de voir en quoi ce droit spécifique nécessite également de dire ce qu’est l’invention, avant de pouvoir discuter de sa possession et de sa valorisation. Cette approche va quelque peu à rebours des études classiques de l’invention technique tels qu’ils existent en sciences de gestion ou en économie : le brevet n’est ici pas considéré comme entièrement déterminé par l’invention – il n’en est pas un enregistrement, même imparfait. Nous défendons au contraire qu’il influe directement sur l’activité d’invention. Cette influence aurait donc participé à transformer la représentation traditionnelle de l’invention, voire sa théorisation, à construire des règles relatives à son évaluation, à normaliser un langage propre à l’invention technique qui aurait progressivement pris forme au travers de l’objet brevet et aurait imprégné, au travers des acteurs et des lieux des institutions de propriété industrielle (offices, Cours), les pratiques des inventeurs. Ainsi observer l’invention à partir des brevets implique nécessairement d’observer des formes inventives largement conventionnelles, organisées, et formées par le droit du brevet et ses acteurs. Cette co-construction est aujourd’hui largement documentée par les historiens (Baudry, 2014; Galvez-Behar, 2008; MacLeod, 1988) et leur analyse pourrait être étendue en se demandant ce que signifie « étudier et gérer l’invention technique » lorsque celle-ci est profondément couplée aux systèmes de brevets.

LES BREVETS : QUELS ROLES DANS LE DEVELOPPEMENT DE L’ACTIVITE INVENTIVE ET DE SON ETUDE SCIENTIFIQUE ? 

L’attention des chercheurs en gestion, économie, sociologie ou histoire sur les causes et les structures de l’activité inventive technique provient du rôle fondateur des révolutions techniques dans nos sociétés modernes. Le monde des techniques devient, non plus uniquement l’affaire du monde industriel et de l’ingénierie, mais devient aussi politique, culturelle, sociale puisqu’elles apparaissent comme un des moteurs du changement de la société. Cette prise de conscience générale se construit au moment même où l’activité inventive s’intensifie et s’organise, où les systèmes de brevets s’institutionnalisent, et où les débats juridiques autour de la technique commencent à occuper une place grandissante dans l’activité des inventeurs (Arapostathis et Gooday, 2013; Beauchamp, 2015; Galvez-Behar, 2008; Pottage et Sherman, 2015). La coïncidence historique n’est sans doute pas un hasard et on imagine sans mal que les brevets ont joué un rôle actif dans la métamorphose de la représentation et de l’intensification de l’activité inventive. Cette double évolution présente de larges interdépendances puisque les systèmes de brevets permettent une professionnalisation du travail inventif, institutionnalisent des formes de rétribution de l’inventeur, voire modifient en profondeur les relations – collaboratives et compétitives – entre firmes qui créent les bases d’une activité concurrentielle particulièrement dynamique autour de l’invention. Certes, l’inventeur (ou l’organisation) en tire une valorisation et une transférabilité de son effort par la ‘titrisation’ de l’invention, mais c’est aussi un écosystème qui naît comme l’illustrent la naissance des agents de brevets et la formalisation rapide de cette profession (Beauchamp, 2015). Les études scientifiques du phénomène inventif ne cessent donc de montrer en quoi le droit du brevet et ses institutions constituent par leur nature une donnée d’analyse majeure, et d’étudier les rapports qui peuvent exister entre invention et brevets.

Du mythe de l’inventeur à la naissance des formes modernes de l’activité inventive

L’étude de l’activité inventive, au sens des processus et organisations qui produisent des « inventions techniques », occupe à partir des années 1930 une nouvelle littérature qui voit l’invention prendre de nouvelles formes et oblige à transformer les cadres classiques d’analyse du phénomène. Cette littérature s’érige en contrepoids de « l’héroïsation » des inventeurs, et contre l’approche dite transcendantaliste qui pense l’invention avant tout comme l’expression d’un génie individuel, don de la Providence, ou bien comme l’expression d’un caractère inné particulièrement tenace, curieux et d’un dévouement à l’étude d’un mystère (Jewkes, 1969). S’il est peu contestable que l’activité d’invention nécessite un engagement potentiellement important, la mythologie de l’inventeur et de son aptitude à créer de nouvelles techniques merveilleuses qui nourrit ces analyses peinent à rendre compte de la systématicité du phénomène inventif tel qu’il se déploie dès le XIXe siècle. Cette modification empirique amène les auteurs à concevoir l’activité davantage comme lieu d’une action collective, pouvant être interprétée comme une nouvelle activité singulière des organisations, des entreprises ou des États. Notons que le phénomène d’invention organisée existe sous certaines formes bien avant le XIXe siècle, mais c’est ce siècle qui voit naître une étude scientifique du phénomène. Les historiens ont d’ailleurs récemment remis à jour leurs analyses sur l’organisation collective de l’activité des inventeurs mise en place avant le XIXe siècle. Dès l’ancien régime, l’étude des relations intenses entre inventeurs, États et diverses institutions (Académie des Sciences, Bureau des Arts et Manufactures, Chambre de commerce, Corporations en France) revisitent largement la représentation de l’inventeur solitaire, pour montrer à la fois les activités très importantes d’évaluation des techniques, les formes d’interactions (rapports de force, échanges de connaissances, prescriptions) entre divers groupes (inventeurs, scientifiques, artisans, métiers corporés), et le rôle important de l’État dans la structuration de ces derniers au travers de ses administrateurs ou de ses décrets (Hilaire-Pérez, 2000). Dès le XVIIe et XVIIIe siècle, il se constitue en marge de ces pratiques nouvelles, un discours humaniste– propre à l’éloge du progrès technique, à la circulation des savoirs, et à la science – qui consacre l’identité propre de l’inventeur, de son talent singulier, et de sa capacité unique à faire progresser les arts dont l’origine procède d’un lent rapprochement entre invention et créateur (Buydens, 2012; HilairePerez, 1991; Hilaire-Pérez, 2000). Ainsi, nous ne voulons pas dire que l’existence de formes d’activité inventive organisée a pour origine le XIXe siècle – au contraire, bien des éléments montrent que dès le Moyen-Âge l’invention de machines, outils ou procédés est organisée (Gille, 1977; Mumford, 2010), mais que le commencement du discours scientifique sur l’activité inventive en tant qu’action collective se concrétise particulièrement à cette époque.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
Première partie – Examiner le rapport entre brevet et activité inventive comme construction d’une norme de gestion de l’invention technique
CHAPITRE I – UN EXAMEN DE LA RELATION ENTRE PHÉNOMÈNE INVENTIF ET BREVETS DANS LA LITTÉRATURE : UNE INTERFÉRENCE NÉGLIGÉE ?
1. Les brevets : quels rôles dans le développement de l’activité inventive et de son étude scientifique ?
2. Les limites des théories de l’invention technique : le besoin de considérer l’interférence entre brevets et inventions
Synthèse du chapitre I
CHAPITRE II – IDENTIFIER ET MODÉLISER LES MODES D’INTRICATION ENTRE ACTIVITÉ INVENTIVE ET BREVETS POUR PENSER LEUR GESTION
1. L’incidence des brevets sur l’activité inventive : un schème juridique de l’invention
2. L’étude de la norme de gestion : une recherche fondée sur une théorie de la conception
Synthèse chapitre II
Deuxième partie – La constitution de la norme de gestion de l’activité inventive : modélisation et structures des régimes de l’invention technique dans le droit du brevet
CHAPITRE III – IDENTIFICATION DE REGIMES D’INVENTION TECHNIQUE DANS LE DROIT DU BREVET AMERICAIN ET USAGES DE L’HOMME DU METIER ET DE L’ETAT DE LA TECHNIQUE
1. Généalogie du critère d’activité inventive : le cas du droit du brevet américain
2. Méthodologie et données : conception des observables issues de la théorie C-K et choix des cas de jurisprudence issus du droit du brevet américain
3. Identification de régimes d’invention technique et normalisation associée de l’état de l’art
4. Les apports des régimes d’invention identifiés pour l’étude de l’activité inventive
Synthèse du chapitre III
CHAPITRE IV– MODÉLISATION DES STRUCTURES DE CONNAISSANCES À PARTIR D’UN INSTRUMENT DE LA NORME DE GESTION : LA CLASSIFICATION DES BREVETS
1. Les classifications de brevet : outil d’organisation de l’état de l’art et de l’examen des brevets
2. Modélisation des structures de connaissance : quels modèles adopter pour les étudier ?
3. Hétérogénéité des structures de l’état de l’art et correspondance avec les régimes d’invention technique
4. Conséquences sur les sources et l’étude de l’activité inventive par les brevets
Synthèse du chapitre IV
Troisième partie – Les effets de la norme de gestion de l’activité inventive : la capacité de discernement et l’ingénierie de brevet pour gérer l’activité inventive
CHAPITRE V – ÉTUDE D’UN ACTEUR DE LA NORME DE GESTION, LE CONSEIL EN PROPRIETE INDUSTRIELLE : CARACTERISATION DE SA CAPACITE DE DISCERNEMENT
1. De la gestion des brevets à la gestion de la conception des brevets : une nouvelle perspective sur le rôle des ingénieurs de brevets
2. Caractérisation de pratiques et d’interaction nouvelles et originales entre CPI et inventeurs : le cas IP Trust
3. La capacité de discernement : modéliser une capacité singulière des ingénieurs de brevet
4.Une révision du rôle des ingénieurs brevets au prisme de la capacité de discernement
Synthèse du chapitre V
CHAPITRE VI – SOUTENIR LA GESTION D’UNE ACTIVITE INVENTIVE EN OUTILLANT UNE CAPACITE DE DISCERNEMENT : RECHERCHE-INTERVENTION AUPRES D’UNE START-UP
1 Adapter les outils d’aide à l’invention à la construction d’une capacité de discernement
2 Le cas de LifeScientis : structurer une exploration technique pour faciliter la recherche de nouvelles inventions techniques
3 Résultats : Mise en œuvre d’une structuration de l’activité inventive à partir d’outils de gestion de l’invention
4 Les apports d’une structuration de l’activité inventive par les brevets : la double et nécessaire construction de l’état de l’art et des pistes d’exploration
Synthèse du chapitre VI
CONCLUSION GENERALE

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