S’ASSEOIR EN VILLE, UN GESTE ÉMINEMMENT POLITIQUE QUAND IL EST ENCORE POSSIBLE DE LE FAIRE 

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Limites des observations

Mes conditions d’observation ont été contraintes par différentes choses. Étant en échange, l’année de mon premier semestre de séminaire de mémoire, je n’avais que le semestre en cours pour faire mon étude de cas. De plus, j’ai eu des difficultés à véritablement cerner mon sujet et à comprendre ce que je voulais et devais interroger ; aussi, au momen où j’ai effectué mon enquête, j’avais déjà un bagage certain de connaissances sur les bancs publics, ce qui a pu biaiser cette étude venue après la documentation accumulée par ma recherche sur le sujet.
C’est également pour ces raisons, que l’enquête a été réalisée tardivement dans l’année civile me retrouvant à étudier l’usager d’un mobilier extérieur un mardi 7 décembre 2019, avec 0° de ressenti au matin, avec certes du soleil à partir du midi. Ces conditions météorologiques influencent comme on peut s’en douter, la fréquentation des bancs.
Aussi, j’aurais aimé étoffer cette recherche par une étude poussée de chaque emplacement par rapport à son ensoleillement au cours de la journée, selon les saisons et par rapport à la présence de couloirs de vents.
Par ailleurs, j’aurais aimé pouvoir voir évoluer chaque banc entre le jour et la nuit (cependant je ne voulais pas me mettre en danger), entre la semaine et le weekend, entre l’été et l’hiver…
Moi-même consciente que cette étude non exhaustive ne soit pas représentative de l’ensemble des situations observables sur ces bancs, je vous prie de lire cette étude en connaissance et en conscience que ces observations et les conclusions ne sont pas généralisables, puisqu’elles se réfèrent à un instant T.

Présentation de l’environnement

Placé au croisement du Boulevard Gustave Roch et du Boulevard Victor Hugo (direction centre ville au sud de l’Île), proche de République sur l’Île de Nantes, ce banc public regarde le rond-point. Autour on trouve à la fois des bureaux d’entreprises, des logements, des commerces (boulangerie, kebab). Il est placé contre le mur délimitant le parking de l’entreprise REXEL, à côté de l’arrêt du bus 26 et proche de la station bicloo Victor Hugo, non loin de l’école Publique Elémentaire Gustave Roch et du square qui la jouxte.

La voiture s‘impose dans la rue

Au XXe siècle, les espaces publics concentrent principalement les flux de circulations. Ces supports des réseaux urbains sont alors normalisés pour structurer la ville vers une ville circulable. La rue est alors régie par des normes techniques et administratives qui définissent ses dimensions, ses réseaux d’infrastructure et son mobilier.
Alors que l’automobile gagne du terrain sur la ville, la place du piéton diminue malgré la généralisation de la voie piétonnière dans toutes les agglomérations de France dans les années 1970-80. En plus des désagréments tels que les nuisances sonores, la pollution et le rythme frénétique, qu’apportent les voitures aux piétons, l’élargissement des voies pour la voiture et la création de stationnement entraînent la diminution de l’espace piétonnier et de ses bancs, rendant la ville inhospitalière à celui qui marche. Refourgué sur un espace résiduel, voire oublié dans les projets d’aménagement urbain – sauf dans les centres historiques aménagés pour le touriste -, le piéton vient à être séparé systématiquement de l’automobile. Les différents modes de déplacements ont alors du mal à cohabiter.

Mobilier urbain au coeur de la rationalisation

C’est à cette même époque, en 1955, que Jean-Claude Decaux (1937-2016) fonde la société JCDecaux, premier groupe industriel mondial spécialisé dans la fabrication et l’installation de mobilier urbain (mot créé par le fondateur de l’entreprise) et dans la publicité urbaine. En 1964, il invente un important meuble urbain qui remet en question le paysage de la rue : l’abribus. Objet, offert à la communauté, il est financé par les publicités qu’il supporte. Entretenu par l’entreprise, sa conception cherche la robustesse et la longévité. Il participe à l’organisation de l’espace public de circulation.
C’est alors que le terme “mobilier urbain” se généralise, regroupant pour la première fois les objets implantés dans l’espace public. Ces objets de la rue se développe avec la révolution des transports publics et les impératifs de salubrité d’après-guerre.
Notre société contemporaine est placée “sous le régime quasi dictatorial de la vitesse” 14 comme nous l’indique Paul Virilio, philosophe urbaniste qui a théorisé l’accélération du monde. On veut aller toujours plus vite quelque soit le domaine de l’activité humaine.
Le sociologue allemand Hartmut Rosa nomme deux périodes récentes d’accélération : 1890-1910 et les années 80-90. Jeremy Rifkin de Foundation on Economic Trends, nous indique 15 que chacune de ces périodes, auxquelles on peut ajouter 1830-1850, correspond à une révolution industrielle qui a apporté avec elle une grande période d’accélération. Lors de la première révolution industrielle dans la première moitié du XIXe siècle, l’imprimerie devenant bon marché, la vitesse, le flux et la densité des échanges ont augmenté, il en va de même pour la seconde révolution industrielle au XXe siècle, avec l’invention de l’électricité, du télégraphe et du téléphone. Aujourd’hui, le phénomène de mondialisation qui s’est développé grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, via internet notamment, s’est accompagné d’une nouvelle accélération : invention du fast food, du speed reading, des flash mobs, des power-naps…
Du fait de ces nombreuses inventions qui continuent d’accélérer le flux et la densité des échanges, la vitesse est assimilée au profit, au progrès, tandis que la lenteur et l’immobilité sont montrées du doigt comme signe de stagnation voire de régression. . Menace de la vitesse
Cependant, Paul Virilio met en évidence dans ses écrits non pas de manière pessimiste ou négative, mais bien rationnelle, que la vitesse s’accompagne de l’accident, paramètre de la vitesse qui, bien que tragique, a pourtant été accepté par notre société comme conséquence potentielle de la vitesse.
Finalement, on se rend compte que la vitesse qui dicte les comportements humains, nous a déshumanisés, nous poussant à aller toujours plus vite, malgré les pertes humaines corollaires à ce fantasme. Plus la vitesse augmente, plus les dégâts semblent catastrophiques ; c’est pourquoi le philosophe nous met en garde face à sa prophétie de l’accident intégral.
Il faut tout de même rappeler que cela s’inscrit dans un contexte où l’Homme a délégué le pouvoir à la machine, or, la technologie réagit beaucoup plus vite que le cerveau humain.
On est donc face à une désynchronisation du temps humain et du temps technologique qui crée un temps accidentel, qui ne participe ni au passé ni à l’avenir.

Éloge de la lenteur . Bien-être

Alors que les rythmes de vie s’accélèrent à toutes les échelles de la société, on cherche en parallèle à s’accorder du temps, à prendre le temps, à ralentir le rythme à certains moments. De plus en plus, on voit naître des concepts en opposition et en conséquences des concepts d’accélération des modes de vie tels que le slow food, la journée de la lenteur au Québec, le walking friendly… Tout ceci dans un souci de bien-être, de repos mental et de retour au temps retrouvé.
Le banc dans la ville en mouvement, paraît être l’endroit privilégié du repos, du retour au temps humain, comme son corollaire, la marche. Il offre une pause au tumulte de la ville. Le court-métrage Le Banc, de Kitty CROWTHER 16, en est un bon exemple. Ce court-métrage s’ouvre sur le dessin d’un banc à lattes vert – banc classique de l’imaginaire collectif -, apparaît à côté de lui un arbre – couple inséparable : assise et végétation -, puis un homme vient s’asseoir. Celui-ci s’abandonne à ses rêves. Pendant son repos, son imagination va être illustrée autour de lui, les yeux fermés, assis sur un banc, à côté d’un arbre. C’est l’illustration du rêve d’un rêveur.
Plus concrètement, on avait déjà l’idée du banc comme espace calme de recul intérieur dans les jardins pittoresques. À ce propos, Michel JAKOB nous dit que “Tout en permettant un écart par rapport à la perspective habituelle, celle de la personne debout, le point de vue associé au banc est statique et prédéfini. Regarder devant soi en étant assis dévoile un aspect différent et nouveau du paysage respectif. Ajoutons à cela un autre élément significatif : le temps. Le banc permet et indique le repos, donc une durée spécifique à chaque visiteur. Il pourra regarder en face, fixer l’ensemble, se perdre dans la contemplation d’un détail, revenir en arrière à l’image globale, il pourra tourner la tête, s’oublier et fermer les yeux, se rendre « ailleurs », il pourra bouger légèrement et découvrir une toute autre perspective, refermer les yeux, comparer, méditer, se remémorer des impressions…” 17. Ce que veut nous dire l’auteur c’est que cette étape du banc dans la promenade permet une pause physique et psychique permettant des allers-retours de pensées entre ce qu’on a devant nous et ce qu’on a en nous. Une fois assis sur le banc, on laisse à notre pensée la liberté d’alterner entre concentration et divagation. De plus, l’auteur met en parallèle le temps passé sur le banc et le temps de la pensée qui se dilate. Pour obliger, celui qui s’assied à se reposer mentalement, le concepteur de jardins à l’anglaise place parfois des bancs qui ne permettent pas de fixer quelque chose, ceux-ci ne sont d’ailleurs parfois même pas des bancs mais des éléments naturels comme des rochers. . Réflexion
Alors que Ernest Boursier-Mougenot nous indique que “le banc, défini comme « siège étroit et allongé, avec ou sans dossier, où peuvent s’asseoir, les unes près [après] des autres, plusieurs personnes », constitue, surtout lorsqu’il est placé au grand air, un support pour le corps où le repos des membres favorise l’activité de l’esprit.” 18, on comprend alors que par sa fonction de reposoir, le banc permette une certaine réflexion sur soi et sur son environnement .“L’assis, du fait d’une présence prolongée dans un lieu et à la différence du marcheur qui traverse une succession de situations, a une conscience plus aiguë d’un territoire à soi à construire et à protéger.” 19.
S’asseoir, c’est penser, avoir ou prendre le temps de penser. Lorsque l’on se déplace dans la ville, on suit le mouvement, on avance sans réfléchir, dans une direction donnée (et non pas choisie). La rapidité nous prive du temps de réflexion et d’analyse nécessaire à faire la part du vrai et du faux car, alors que l’information sur internet peut être diffusée en quelques secondes, la culture et la vraie communication nécessitent ce temps humain, cette durée pour pouvoir créer du lien social. Peut-être les politiques suppriment-elles les bancs pour nous empêcher de nous arrêter dans ce mouvement machinal dont les ficelles sont tirées par les politiques, alors que le banc offre la liberté de penser, puisqu’il permet une pause, un arrêt et finalement un recul physique mais également psychique, qui au-delà de nous permettre de penser, nous permet de ne pas oublier 20.

Les temps sociaux de la ville

Monique Haicault dans son article intitulé “Temps sociaux et temporalités urbaines dans la politique de la ville” 21 met en évidence l’existence de deux types de temps social: le temps horloge et le temps social humain. Le premier, né au XVIIIe siècle avec la révolution industrielle, est un temps quantitatif (heures, minutes, secondes), linéaire (une heure fera toujours 60 minutes), et successif (non superposable). Le second type de temporalité est un temps personnel, propre à chacun qui lui est flexible et variable selon les rythmes, les fréquences, les flux, les durées, les périodes, de ses activités personnelles, familiales ou professionnelles. Ces deux temps sociaux font partie intégrante de la ville et de ses usages, ils doivent donc être pris en compte dans la conception et l’aménagement des espaces publics.La marche est dans ce sens un moyen de déplacement qui “Au paradigme de la vitesse, dominant notre culture depuis un siècle et demi, [elle] oppose une représentation de la « ville à mille temps » ou des rythmes divers se combinent” 22. En effet, chacun a sa propre pratique de la marche qui dépend de ses rythmes sociaux, ainsi une multitude de personnes se côtoient , avec des temporalités différentes, au sein d’un même espace ; car “marcher, ce n’est pas seulement accéder à quelque chose, une destination, un autre mode de transport. C’est aussi une expérience multisensorielle et un espace-temps.” 23.
Il faut pourtant rappeler que, bien que la marche puisse faire parfois gagner du temps pour des raisons de congestion et de stationnement, elle est un moyen de déplacement lent. Cela n’a rien d’étonnant que la plupart des utilisateurs de la marche soient des inactifs 24 au sens professionnel du terme, sans contrainte horaire liée à leur travail ; ils peuvent davantage s’accorder le temps de la marche. Ce moyen de déplacement nous réapprend à prendre le temps alors que la vitesse nous entoure et nous conditionne. La marche nous apporte alors un rapport différent au temps et à l’espace que nous fréquentons.
C’était particulièrement le cas dans les jardins pittoresques où la marche était une promenade qui intégrait une notion de plaisir, de lenteur, déambulation agréable, détente. On prenait le temps de marcher mais également de se reposer sur les bancs qui se proposaient à nous.
Dans ce contexte, le banc au milieu de la marche, propose une interruption du temps social de l’individu, même si le temps horloge lui file.

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Table des matières

INTRODUCTION 
PARTIE 1. ÉTUDE DE CAS : HISTOIRE DE 20 BANCS DU QUOTIEN DE LA VILLE DE NANTES
A. Nantes, coeur d’une politique métropolitaine de l’esapce public
1. Les principes généraux d’aménagement et de gestion de l’espace public
a. Ville ouverte et universelle
b. Politique de déplacements urbains
2. Vers une ville piétonne
a. La place du piéton
b. Le cas du mobilier de repos : le banc public
B. Sur les pas des bancs de mon quotidien p. 37-137
1. Avant-Propos sur l’étude
a. Pourquoi ces bancs ?
b. Conditions de l’étude de terrain
2. Petites histoires autour de vingt bancs
3. Retour sur expérience
a. Rapport au contexte spatial et temporel
b. Occupation du banc
PARTIE 2. REPRÉSENTATION ET PLACE DU DUO BANC-PIÉTON DANS L’ESPACE PUBLIC DE LA VILLE
A. Histoire du banc public dans la ville du XVIIIe au XXe siècle
1. Rapide historique du banc dans les villes de l’Antiquité au XVIIe s.
a. Antiquité
b. Moyen-Âge
c. Renaissance, Jardins à la française
d. Siècle des Lumières, Jardins à l’anglaise
2. La promenade dans les Jardins Pittoresques
a. Déambulation
b. Perspectives
3. Hygiénisme et Rationnalisation
a. Organisation de la ville hygiéniste
b. Promenades des boulevards hygiénistes
c. Mise en scène
4. Le XXe siècle : apogée de l’automobile
4. XXe siècle : Apogée de l’automobile
a. La voiture s’impose dans la rue
b. Mobilier urbain au coeur de la rationalisation
B. « La marche, cellule souche de la mobilité urbaine »
1. Vitesse versus lenteur
a. « Si le temps c’est de l’argent, la vitesse c’est le pouvoir »
b. Eloge de la lenteur
c. Les temps sociax de la ville
2. De la nécessité d’une politique de mobilité
a. Corps à corps, la voiture et les modes motorisés face au piéton
b. La mobilité à pied, en quelques chiffres
c. Ville marchable : le piéton au coeur des villes, pour une ville durable
PARTIE 3. S’ASSEOIR EN VILLE, UN GESTE ÉMINEMMENT POLITIQUE QUAND IL EST ENCORE POSSIBLE DE LE FAIRE 
A. Vers une privatisation de l’espace public
1.Définition(s) de l’espace public
a. Caractère juridique et institutionnel
b. Accessibilité de l’espace
c. Régulation commune de l’espace public
d. Banc public, mobilier urbain implanté dans l’espace public
2. Principales raisons de la privatisation
a. Sécurité et danger
b. Communauté versus solidarité
c. Marche ou Paye : espace public « antichambre de la dépense »
3. Droit de s’asseoir dans l’espace public
a. Banc : lieu de privilèges dans l’Histoire
b. Formes de provatisation aujourd’hui
B. « Marche ou crève »
1. Le banc en voie de disparition
a. Ville en mouvement versus banc statique
b. Politique de suppression des bancs
2. Unpleasant design : vandalisme d’Etat
a. Nouvelles assises asociales : les affectations du unpleasant design
b. Contrôle social
c. Exclusion et stigmatisation
d. Remise en question de l’efficacité
3. Hostilité, inhospitalité
a. Exemples de dénonciation
b. Ce que ça nous dit
CONLUSION
ANNEXES

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