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Les actions d’interception comme illustration des interactions avec l’environnement : l’hypothèse du timing opérationnel
Interaction avec des objets à vitesse non-constante
Les modèles internes représentatifs de l’environne-ment
(Hayhoe et al., 2005) ont conclu que les saccades et les mouvements de poursuite dans une tâche de capture de balle indiquent que l’acquisition des informations visuelles est planifiée par rapport à des attentes du déplacement et du rebond de la balle. Ces attentes précises correspondent selon les auteurs à un modèle interne stocké en mémoire. Lorsque les propriétés de la balle changent, des erreurs se produisent. Ces erreurs correspondent aux attentes liées au modèle interne. Il apparaît néanmoins que le modèle peut être mis à jour très rapidement à partir de l’utilisation d’un feedback sur les erreurs commises.
Pour atteindre le niveau d’expert, (Chase et Simon, 1973) ont remarqué qu’il fallait au minimum dix ans de pratique dans un domaine. Ensuite, (Ericsson, Krampe, et Tesch-Römer, 1993) ont montré qu’il y avait une relation très nette entre le niveau de pratique et le nombre d’heures de pratique accumulées. Ils ont ainsi formalisé ce principe avec la théorie de la « pratique délibérée ». Cette théorie pose le principe selon lequel l’expertise sportive nécessite une pratique intense pendant environ dix ans à raison de 1000 heures par an, soit 10 000 heures au total (voir aussi (Baker et Côté, 2006), pour une approche similaire). Cette pratique doit être organisée de la meilleure façon et dépend bien évidemment de facteurs intrinsèques à chaque individu, mais elle permet selon les principes de l’approche cognitiviste de construire et d’optimiser les solutions perceptives, motrices et cognitives les plus efficientes.
Ces processus sont étayés par des systèmes de mémoire développés par les experts pour optimiser les capacités perceptives et motrices (Marteniuk, 1976; Ericsson et Kintsch, 1995; Ericsson et Lehmann, 1996). Les travaux (Alain et Proteau, 1980; Alain et Sarrazin, 1990) ont montré par exemple que l’utilisation de ces bases de connaissances permettait d’écarter les événements hautement improbables et d’attirer l’attention sur les événements les plus probables chez les experts en sports de raquette (voir également (Ward et Williams, 2003)). Néanmoins, les travaux (Alain et Proteau, 1977) ont montré que, dans des tâches de temps de réaction de choix, les experts adoptaient une stratégie conservatrice afin de réduire le nombre d’erreurs. En effet, ils diminuaient leur temps de réponse uniquement pour des probabilités d’occurrences très élevées. D’une façon plus générale, en sports de balle, un jugement précis est basé sur plusieurs capacités perceptivo-cognitives telles que : (a) la récupération d’informations avancées sur l’orientation de la posture de l’adversaire, (b) l’identification des motifs de jeux, (c) l’exploration efficace de l’environnement visuel et (d) la détermination des options les plus probables de l’adversaire (Williams et Ford, 2008). Ces travaux soulignent l’importance des prises de décisions et des capacités d’anticipation des experts.
Des études ont cherché l’origine de capacités supérieures d’anticipation des joueurs experts en sport. Par exemple, (Aglioti, Cesari, Romani, et Urgesi, 2008) ont étudié les capacités supérieures perceptives et motrices d’anticipation des joueurs experts de basket : dans une expérience de jugement perceptivo-cognitif les individus devaient évaluer la destination des tirs de basket à partir de plusieurs séquences vidéo de durées variables, par trois réponses possibles » IN : balle à l’intérieur du panier / OUT : balle en dehors du panier / I don’t known : jugement non défini ». Les participants étaient divisés en trois groupes : des joueurs experts pratiquants ayant une expertise visuo-motrice ; des observateurs experts ayant une expertise visuelle et des novices sans aucune expérience en basket. En se basant sur les trois modalités de réponses, trois pourcentages ont été calculés : pourcentage de réponses correctes, pourcentage de réponses incorrectes, pourcentage de réponses incertaines. Les résultats ont montré que les joueurs experts de basket prédisent plus tôt et plus précisément la trajectoire du ballon de basket que les observateurs qui n’ont pas d’expérience motrice directe avec le basket et ceci particulièrement pour les vidéos de courte durée ne montrant qu’une partie de la trajectoire (séquence de 568 ms). En effet, le pourcentage de réponses correctes devient supérieur au pourcentage de réponses incertaines aux alentours de séquences vidéo d’une durée de 568 ms chez les experts, alors que chez les novices le passage de réponse incertaine à réponse correcte se fait à partir des séquences vidéo de 781 ms. Seuls les joueurs experts arrivaient à prédire les actions et la trajectoire future du ballon en se basant sur des informations extraites à partir des indices cinématiques issus des mouvements du joueur. Les auteurs ont déduit que la capacité supérieure de prédiction/perception des joueurs experts pouvait être expliquée par leur expertise motrice supérieure et leur expérience visuelle acquise simultanément lors de performances sportives.
L’occlusion temporelle consiste à étudier les effets des variations temporelles de visibilité et d’occultation d’une cible en mouvement. Elle est plus souvent utilisée pour déterminer quelle est la quantité d’information nécessaire pour prédire la position de la cible. Par exemple, des études ont ainsi montré que les experts en cricket et en tennis de table prédisent la localisation future de la balle à partir d’informations visuelles collectées pendant une courte période (200 à 500 ms), par exemple pour prédire l’emplacement du rebond d’une balle (Land et Furneaux, 1997; Land et McLeod, 2000; Hayhoe, McKinney, Chajka, et Pelz, 2012).
Dans l’occlusion spatiale, certaines des parties spécifiques du corps de l’adversaire lors de la simulation vidéo sont occultées, e.g. la raquette et le bras du serveur en tennis (Mecheri, Gillet, Thouvarecq, et Leroy, 2011). Cette technique permet d’identifier les parties du corps et les mouvements les plus informatifs afin de réaliser des prédictions. Les méthodes d’occlusion sont complétées aujourd’hui par des techniques de distorsion d’information grâce à la réalité virtuelle (Pollick, 1998; Huys, Cañal-Bruland, Hagemann, Beek, Smeeton, et Williams, 2009). Cet ensemble est associé aux techniques d’oculométrie qui permettent d’étudier l’orientation du regard. Ces travaux ont montré des stratégies visuelles de construction d’information en se focalisant sur les indices les plus importants et en cherchant à les mettre en relation (e.g., (Hagemann, Schorer, Cañal-Bruland, Lotz, et Strauss, 2010; Jackson et Mogan, 2007)). Par exemple, (Williams, Huys, Cañal-Bruland, et Hagemann, 2009) ont étudié les différences de stratégies oculaires dans des situations d’anticipation chez des joueurs experts et novices en tennis. Avec des séquences vidéo projetées, ils ont occulté certaines parties du corps ; notamment les épaules, les hanches ou les bras du joueur adverse. Les participants devaient prédire si les coups seraient dirigés à gauche ou à droite. Les résultats ont révélé que les joueurs de tennis experts prenaient des indices informationnels à partir des différentes zones du corps (épaules, hanches, jambes) et de la raquette, alors que leurs joueurs novices récupéraient uniquement les informations à partir de la zone bras-raquette. Par conséquent, les joueurs experts semblent utiliser une stratégie de récupération d’informations « globale », contrairement aux joueurs moins experts qui semblent principalement s’appuyer sur des informations locales (voir aussi (Huys et al., 2009)). Des résultats similaires ont également été rapportés concernant le gardien de but de handball (Loffing et Hagemann, 2014). Lors de la présentation de vidéos de tirs de penalty où certaines parties du corps ont été occultées partiellement ou totalement, Loffing et Hagemann ont montré que les gardiens de but experts et novices étaient capables de prédire le type de lancer (tir plus ou moins difficile), mais seuls les joueurs experts ont utilisé davantage de sources d’information telles que les régions distales (bras et ballon) et les régions proximales (partie supérieure du corps). Ces différents exemples montrent que l’occlusion permet d’identifier les différentes stratégies de récupération d’informations entre experts et non-experts.
(Farrow et Reid, 2012) ont, par exemple, voulu déterminer la contribution de la répétition des séquences de jeu pour anticiper. Ils ont mené une expérience dans laquelle les participants devaient prédire l’emplacement des services de tennis qui leurs étaient présentés sur un écran tactile au cours d’un set. Des régularités étaient introduites dans les séquences, par exemple le premier service joué toujours du même côté. L’étude a ainsi révélé que les régularités de situation de jeu étaient plus vite détectées et utilisées par les experts (joueurs seniors) que les moins experts (joueurs juniors).
Les joueurs peuvent aussi s’appuyer sur des indices contextuels tels que la position de l’adversaire sur le terrain pour prédire la direction future de la balle au tennis. (Loffing et Hagemann, 2014) ont montré que dans le tennis professionnel, les probabilités de direction des coups varient en fonction de la position du joueur. Les résultats de cette étude suggèrent que les joueurs expérimentés prennent en compte la fiabilité des sources d’information en pondérant différemment les indices contextuels et cinématiques disponibles.
Pour résumer, on peut se référer à la proposition de (Müller et Abernethy, 2012) selon laquelle l’anticipation des experts, permettant de guider le positionnement initial du corps, est produite à partir d’informations perceptives (issues de la cinématique du mouvement) et/ou des probabilités de jeu. Ensuite, d’autres informations sur la trajectoire de l’objet pourraient être utilisées pour affiner au mieux le mouvement afin de réussir l’interception. Selon la théorie cognitiviste, les anticipations perceptives et décisionnelles doivent être complétées par des anticipations motrices, c’est ce qui est abordé dans la partie suivante.
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Table des matières
Introduction générale .
I Cadre Théorique
1 Approche cognitiviste de la perception et de l’action
1.1 Principes généraux .
1.2 Les actions d’interception comme illustration des interactions avec l’environnement : l’hypothèse du timing opérationnel
1.3 Interaction avec des objets à vitesse non-constante .
1.4 Les modèles internes représentatifs de l’environnement .
1.4.1 Modèles internes pour prédire les rebonds de balle .
1.4.2 Le modèle interne de la gravité .
1.4.3 Critique du modèle interne de la gravité .
1.5 L’expertise selon l’approche cognitiviste .
1.5.1 Performance perceptivo-cognitive .
1.5.2 Capacité d’anticipation et de prise de décision des experts
1.5.3 Identification des indices visuels du comportement adverse
1.5.4 Utilisation des probabilités situationnelles .
1.5.5 Utilisation des modèles internes .
1.5.6 L’expertise cognitivo-motrice .
2 Approche écologique de la perception et de l’action
2.1 Principes généraux .
2.2 Les lois de contrôle .
2.3 Un exemple de loi de contrôle : le modèle de la vitesse requise .
2.4 Un exemple de spécification optique de l’information : la variable optique tau
2.5 Adaptation et régulation de l’action face à des trajectoires à vitesse non-constante 54Table des matières
2.6 L’expertise selon l’approche écologique .
2.6.1 Délai visuo-moteur et adaptation face à des trajectoires imprévisibles
3 Tâche de poursuite visuo-manuelle
3.1 Introduction .
3.2 Rappel historique des tâches de poursuite visuo-manuelle .
3.3 Les tâches de poursuite visuo-manuelles selon les différentes approches
4 Intérêt de la réalité virtuelle pour étudier la perception et l’action
4.1 Introduction .
4.2 Réalité virtuelle au service de l’étude des processus perceptifs et moteurs dans le sport .
II Études experimentales
1 Première partie expérimentale : Étude des processus perceptivo-cognitifs et perceptivo-moteurs des experts en sports de balle
1.1 Introduction de la première partie expérimentale .
1.2 Expérience 1 : Étude des jugements perceptivo-cognitifs dans un environnement virtuel sur des trajectoires modifiées d’un ballon de basket chez des experts et non-experts .
1.2.1 Introduction .
1.2.2 Méthode .
1.2.3 Résultats .
1.2.4 Discussion .
1.3 Expérience 2 : Etude des jugements perceptivo-cognitifs dans un environnementréel (séquences vidéo) sur des trajectoires modifiées d’un ballon de basket chez des experts et non-experts .
1.3.1 Introduction .
1.3.2 Méthode .
1.3.3 Résultats .
1.3.4 Discussion .
1.4 Expérience 3 : Etude des coordinations perceptivo-motrices dans un environnement virtuel sur des trajectoires modifiées d’un ballon de basket chez des experts et non-experts .
1.4.1 Introduction .
1.4.2 Méthode .
1.4.3 Résultats .
1.4.4 Discussion .
1.5 Conclusion .
2 Deuxième partie expérimentale : Etude des régulations perceptivo-motrices des experts en sports de balle 130
2.1 Introduction de la seconde partie expérimentale .
2.2 Expérience 4 : Sport expertise in perception-action coupling revealed in a visuomotor tracking task .
2.2.1 Abstract .
2.2.2 Introduction .
2.2.3 Method .
2.2.4 Data Analysis .
2.2.5 Results .
2.2.6 Discussion .
2.3 Expérience 5 : Capacité d’adaptation face à des déviations imprévisibles et rôle du délai visuo-moteur dans une tâche de poursuite visuo-manuelle
2.3.1 Introduction .
2.3.2 Méthode .
2.3.3 Résultats .
2.3.4 Discussion .
2.4 Expérience 6 : Poursuite visuo-manuelle en immersion 3D .
2.4.1 Introduction .
2.4.2 Méthode .
2.4.3 Résultats .
2.4.4 Discussion .
Discussion générale, limites et perspectives .
Références bibliographiques
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