Les BioNEMS : contexte, définitions et enjeux
Introduction aux systèmes électromécaniques : des MEMS vers les NEMS
Avec un marché de près de 11 milliards de dollars en 2014 et évalué à plus de 20 milliards de dollars d’ici l’horizon 2020, les MicroSystèmes ElectroMécaniques (MEMS) constituent un secteur en plein essor avec une croissance à deux chiffres. Apparus dans les années 70-80, les MEMS sont aujourd’hui largement présents dans notre quotidien à travers une large gamme de produits commerciaux : les matrices de micro-miroirs à la base des vidéoprojecteurs DLP (Digital Light Processing) [1], les gyroscopes vibrants équipant les systèmes de correction électronique de trajectoire (ESP) dans l’automobile [2], les commutateurs RF [3] et optiques [4] présents au sein d’équipements de télécommunications, les accéléromètres présents depuis les années 90 dans les circuits intégrés déclencheurs d’airbags commercialisés par Analog Devices [5] et que l’on retrouve également dans des produits grand public comme les smartphones, tablettes, consoles de jeu ou encore au sein des objets « connectés ».
Les systèmes électromécaniques sont constitués de quatre « briques » de base : un élément mécanique, un transducteur, une électronique et un conditionnement. La structure mécanique mobile (e.g. poutre, membrane, …) détermine la fonctionnalité du système. Pour des MEMS, ses dimensions typiques se situent dans une gamme allant de quelques micromètres au millimètre. Le mouvement mécanique de la structure est actionné/détecté à l’aide d’un transducteur, dont le rôle est de convertir une énergie électrique en énergie mécanique et vice-versa. Une électronique intégrée assure l’alimentation ainsi que la génération, l’amplification et le traitement des signaux indispensables au bon fonctionnement du système. Ce dernier est enfin généralement conditionné d’une manière répondant aux besoins de l’application. Le développement des MEMS a profité des mêmes technologies de fabrication planaires que celles développées dans l’industrie de la microélectronique pour la réalisation des circuits intégrés. Avec les progrès réalisés dans le domaine des nanotechnologies, et grâce notamment aux travaux pionniers menés par deux équipes américaines respectivement dirigées par les Professeurs H. G. Craighead [7] et M. L. Roukes [8], les années 2000 ont connu l’émergence de dispositifs de dimensions typiquement sub-micrométriques : les NanoSystèmes ElectroMécaniques (NEMS).
Si les NEMS sont la continuité logique des MEMS dans un contexte de miniaturisation, la transition du micro au nano présente également de nombreux avantages [9]. Quand la dimension caractéristique d’un dispositif est réduite d’un facteur 10³ (e.g. passage du µm au nm), la surface diminue d’un facteur 10⁶ tandis que le volume décroît selon un facteur 10⁹ . La conséquence directe de cette augmentation du rapport surface/volume est une augmentation de la sensibilité du système vis-à-vis de perturbations extérieures. Avec des attributs sans précédents tels que des masses comprises dans la gamme 10⁻¹⁸ – 10⁻¹⁵ g, des fréquences de résonance pouvant atteindre le domaine du gigahertz, et des facteurs de qualité sous vide typiquement de l’ordre 10³– 10⁴ , les NEMS ouvrent des perspectives d’application particulièrement prometteuses dans des domaines allant de la détection ultra-sensible de forces et de masses [10] [11], au développement de sondes de microscopie locale pour de l’acquisition d’images ultra-rapide [12], ou encore pour l’étude de phénomènes quantiques.
Durant ces dix dernières années, les performances des NEMS en termes de masse minimum détectable ont été continuellement repoussées. En 2004, Ekinci et al [15] rapportent une limite de détection (LOD) de l’ordre de 2.5 ag (1 ag = 10⁻¹⁸ g) pour un résonateur de type poutre biencastrée en carbure de silicium soumis à un flux d’atomes d’or, avec un temps d’intégration de 2ms. Le résonateur, de dimensions 14.2 µm ✕ 670 nm ✕ 259 nm (longueur ✕ largeur ✕ hauteur), vibre selon une fréquence de résonance de 32.8 MHz avec un facteur de qualité de 3000 dans un environnement sous ultra-vide et à température cryogénique (17 K). La même année, Ilic et al [16] passent sous la barre de l’attogramme grâce notamment à un facteur de qualité plus élevé (8 500). En 2006, un nouveau cap est franchi avec une LOD de 7 zg (1 zg = 10⁻²¹ g), soit l’équivalent de 30 atomes de xénon, rapportée par Yang et al [17] via la réduction des dimensions du résonateur. Le record actuel est détenu par Chaste et al [18] avec une LOD de 1.7 yg (1 yg = 10⁻²⁴ g) soit l’équivalent de la masse d’un atome d’hydrogène. Cette prouesse a pu être réalisée en rassemblant l’ensemble des conditions favorables en termes de conditions de mesures, à savoir un environnement sous ultra-vide (10⁻¹¹ mbar) et avec une température cryogénique (4.2 K) afin de minimiser la dissipation et les fluctuations fréquentielles, mais aussi grâce à l’utilisation d’un nanotube de carbone comme structure mécanique (longueur : 150 nm, diamètre : 1.7 nm) vibrant à une fréquence de 2 GHz.
Introduction aux biocapteurs
La biodétection désigne le processus visant à détecter et à quantifier une ou plusieurs espèces biologiques « cibles » présentes au sein d’un environnement. Il existe principalement deux formats de biodétection : les biopuces et les biocapteurs.
Définition
Selon les recommandations de l’IUPAC (International Union of Pure and Applied Chemistry) de1999, un biocapteur se définit comme « un dispositif autonome à récepteur et transducteur intégrés, capable de fournir une information analytique quantitative ou semi-quantitative sélective via un élément de reconnaissance biologique » . Elle comprend trois éléments principaux : un élément de reconnaissance, appelé biorécepteur (ou sonde) immobilisé à la surface d’un transducteur physico-chimique, et une partie regroupant les aspects électronique, traitement du signal et conditionnement.
Le rôle du biorécepteur est primordial puisqu’il garantit la spécificité de la détection, à savoir la reconnaissance par le biocapteur de la molécule cible. Dans la réalité, un échantillon d’analyse est un milieu complexe où la molécule à détecter est en présence d’une multitude d’autres espèces typiquement plus concentrées. Par exemple, le sérum sanguin contient environ 70 mg/ml de protéines, et pourtant l’antigène prostatique spécifique (PSA) qui est actuellement le meilleur marqueur disponible pour la détection du cancer de la prostate est typiquement présent dans le sang à une concentration de 2 ng/ml [20]. Par conséquent, la sélectivité, à savoir la capacité du biorécepteur à pouvoir discriminer la molécule d’intérêt en présence d’autres molécules susceptibles d’interférer, est également un paramètre essentiel. En général, un compromis entre sélectivité et préparation préalable de l’échantillon est à trouver. Lorsque la cible est connue à priori, le choix de la couche sensible est essentiellement dicté par le degré d’affinité du biorécepteur avec l’espèce à détecter. Dans le cas contraire, l’utilisation combinée de plusieurs molécules sondes pouvant reconnaître spécifiquement certains groupements fonctionnels peut permettre d’identifier l’élément cible par le biais de sa signature chimique. D’autres aspects sont également essentiels dans le choix de la molécule sonde : la méthode de fonctionnalisation et la nature de son immobilisation à la surface du transducteur, sa capacité à être régénérée et à pouvoir réaliser de multiples interactions, …
Le transducteur joue également un rôle essentiel dans la détection. Il permet de convertir l’information biologique associée à la reconnaissance de la cible par le biorécepteur en un signal physiquement mesurable, généralement une grandeur électrique. Une large variété de méthodes de transduction ont été développées, les plus populaires étant les méthodes électrochimiques (e.g. potentiométrie), optiques (e.g. fluorescence) et acoustiques (e.g. microbalance à quartz). Le choix de la méthode de transduction conditionne directement la sensibilité du biocapteur, à savoir l’ampleur de variation du signal physique généré (réponse du capteur) causée par un évènement de reconnaissance biologique. La limite de détection, i.e. la plus petite variation de signal mesurable et discernable du bruit de mesure, constitue également un critère de performance dans le choix d’une méthode de transduction mais aussi de l’électronique associée pour une affinité sonde-cible optimale.
Davantage de détails concernant les différents types de biorécepteurs et des méthodes de transduction ont été rapportées dans [21].
Domaines d’application
Dans le domaine du biomédical, les techniques d’analyse immunologique existantes comprennent notamment la spectrométrie de masse, la spectrométrie de résonance magnétique nucléaire ou encore le test ELISA (Enzyme-Linked Immunosorbent Assay). Le test ELISA en particulier est largement répandu comme outil de diagnostic pour la détection et la quantification d’antigènes ou d’anticorps donnés au sein d’un échantillon [22]. Il s’agit d’un test immunologique dont le principe de détection repose sur un changement colorimétrique associé à la reconnaissance de l’antigène par des anticorps couplés à une enzyme ou un fluorophore. Cette technique bas coût et sensible ( ~1 pM) nécessite toutefois un temps total d’analyse pouvant aller de plusieurs heures à plusieurs jours, et requiert un marquage préalable des molécules pouvant affecter leurs propriétés biochimiques.
|
Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 – Les BioNEMS : contexte, définitions et enjeux
1.1 Introduction aux systèmes électromécaniques : des MEMS vers les NEMS
1.2 Introduction aux biocapteurs
1.2.1 Définition
1.2.2 Domaines d’application
1.3 Les bioNEMS
1.3.1 Modes d’opération
1.3.1.1 Mode statique
1.3.1.2 Mode dynamique
1.4 Principaux défis des bioNEMS
1.4.1 Diminution du temps de réponse
1.4.2 Intégration d’un moyen de transduction et fabrication grande échelle
1.4.3 Fonctionnalisation et multiplexage
1.5 Cadre de ces travaux de thèse
Bibliographie
Chapitre 2 – Intégration d’un moyen de transduction piézoélectrique
2.1 Introduction
2.2 Généralités mécaniques
2.2.1 Vibration libre et non amortie : détermination des fréquences naturelles
2.2.1.1 Cas d’un levier monocouche
2.2.1.2 Cas d’un levier avec un empilement multicouche
2.2.2 Vibration forcée et amortie : modèle équivalent à un degré de liberté
2.2.3 Fonction de transfert mécanique
2.2.4 Facteur de qualité
2.3 Aperçu des différentes méthodes de transduction
2.3.1 Actionnement thermoélastique
2.3.2 Détection piézorésistive
2.3.3 Détection optique
2.3.4 Transduction magnétostatique
2.3.5 Transduction capacitive
2.3.6 Transduction par couche diélectrique
2.3.7 Transduction piézoélectrique
2.3.8 Comparatif des techniques de transduction
2.4 Contexte et objectifs de ces travaux
2.5 Design et modèle
2.6 Procédé de fabrication
2.7 Caractérisations électriques
2.8 Setup expérimental
2.9 Evaluation de l’intégrité mécanique des dispositifs
2.10 Calibration par le bruit thermomécanique
2.11 Evaluation de l’actionnement intégré
2.12 Evaluation de la détection intégrée
2.13 Conclusions et perspectives
Bibliographie
Chapitre 3 – Biofonctionnalisation de NEMS par microcontact printing
3.1 Introduction
3.2 Le microcontact printing (µCP)
3.2.1 Une technique de lithographie douce
3.2.2 Exemples de réalisations
3.2.3 Principe
3.2.4 Le PDMS : un matériau de choix
3.2.5 Avantages et limitations
3.3 Contexte et objectifs de ces travaux
3.4 Etudes préliminaires
3.4.1 Aspects mécaniques liés au dimensionnement des leviers
3.4.2 Dimensionnement des timbres
3.5 Procédés de fabrication
3.5.1 Réalisation des leviers NEMS
3.5.2 Réalisation du moule maître
3.5.3 Réalisation des timbres en PDMS
3.6 Résultats expérimentaux et discussions
3.6.1 Matériel et méthodes
3.6.2 Validation de la localisation du dépôt
3.6.3 Validation de l’activité biologique
3.6.4 Validation de l’intégrité mécanique
3.7 Conclusions et perspectives
Bibliographie
Conclusion générale
