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La coextrusion d’un film de quelques couches
…à plus d’une centaine de couches alternées
D’autres différences de propriétés viscoélastiques entre les couches sont également à l’origine de distorsions d’interfaces, comme la différence d’élasticité [124]. Ainsi des polymères présentant une élasticité élevée forment des distorsions d’interface dues à la seconde différence des contraintes normales (soit un écoulement de cisaillement simple dont le vecteur vitesse est selon la direction x, son gradient selon la direction y et la direction du rotationnel de la vitesse selon la direction z, alors la seconde différence des contraintes normales est définie par 2( ̇) = xx − zz avec xx, yy, zz les composantes du tenseur de contraintes). Via différents travaux de simulation et expérimentaux, Dooley et ses collaborateurs ont effectué une étude approfondie de ces phénomènes et mis en évidence une complexité de réarrangements de l’interface au sein des structures, représentés sur la Figure 1-9, dûe à ces effets viscoélastiques [125]–[128]. Les résultats ont été confirmés par Huntington via l’étude d’un système PS/PMMA [129].
Afin de distinguer l’effet visqueux de l’effet élastique, l’auteur s’est intéressé à l’évolution du profil de vitesse entre les couches dans les écoulements, comme illustré sur la Figure 1-11. Les résultats montrent différents régimes au cours de l’écoulement : l’encapsulation visqueuse est dominante au début de l’écoulement avant d’atteindre un état d’équilibre, la composante élastique reste constante tout le long de l’écoulement et domine les phénomènes quand la composante visqueuse atteint sa valeur d’équilibre. Ces résultats montrent alors qu’une attention particulière doit être apportée lors du design d’une filière : l’encapsulation visqueuse est dominante dans le cas d’une filière de faible longueur, alors que les distorsions d’interface sont contrôlées par la composante élastique dans le cas d’une filière de plus grande longueur.
Un travail d’optimisation de la conception des éléments multiplicateurs de couches (EMC) a été réalisé par l’équipe du professeur Baer afin d’améliorer l’uniformité de l’épaisseur des couches [30]. Le paramètre modifié est la longueur du chemin dans les éléments multiplicateurs, L = 15 cm (design 1) et L = 70 cm (design 2), comme indiqué sur la Figure 1-12. Les films, constitués de 16 couches de PMMA et PC à 50% en volume, ont été observés via microscopie optique afin de mesurer l’épaisseur de chacune des couches individuellement. Les résultats ont montré qu’une meilleure distribution, critère basé sur les valeurs d’écart-type, avait été obtenue avec le design 2 plutôt que le design 1. Cette amélioration est due à une meilleure équivalence du profil de vitesse du flux entre les passages dans le convergent et le divergent. Une grande longueur de divergent ou un convergent peu incliné semblent donc être le design idéal pour les EMC. Cependant, augmenter ces dimensions revient à augmenter le temps de séjour. Cela signifie, selon les matériaux et la température appliquée, une possibilité de dégradation de la matière et/ou formation de produits de dégradation qui peuvent perturber l’uniformité d’épaisseur des couches. L’équipe du professeur Baer a ainsi décidé de travailler avec le design 1.
L’équipe de Meijer a également étudié l’influence du design des EMC sur l’homogénéité des couches, via la simulation numérique [37], [130]. Les simulations montrent que le flux n’est pas équilibré entre les différents canaux, ce qui conduit à la formation de couches non uniformes dans la structure finale. Les travaux de Van der Hoeven ont également permis de confirmer l’intérêt de l’ajout de zones dites de stabilisation avant et après multiplication pour homogénéiser l’écoulement dans les mélangeurs et donc les épaisseurs des couches créées. Ces zones ajoutent une résistance supplémentaire à la circulation et aident à équilibrer les débits dans les différents canaux. Toutes ces études montrent l’importance du design des EMC dans le développement d’une structure multicouche homogène en terme d’épaisseur de couches.
L’équipe de Köpplmayr montre aussi, via l’étude de différents designs d’EMC, l’influence des propriétés viscoélastiques, comme la seconde différence de contraintes normales, sur l’homogénéité des épaisseurs via la simulation des écoulements à l’aide de différents modèles rhéologiques et paramètres procédés [41] (Figure 1-13).
D’autres études ont également abordé ou constaté ce problème d’uniformité des couches. Une étude sur un film PS/PMMA compatibilisé obtenu par coextrusion multinanocouche menée par Zhang attribue cette disparité à une distribution inégale des écoulements lors de la multiplication [131]. Une non-uniformité des couches peut également être obtenue si les deux polymères combinés présentent des différences de propriétés viscoélastiques [132]–[135].
Ghumman étudie l’effet de plusieurs paramètres procédés (vitesse des vis, températures) et paramètres de mise en forme (calandre, étirage) sur la distribution d’épaisseur et la continuité des couches pour un système PC/PMMA [136]. Dans une démarche d’obtention de couches les plus fines possible il est conseillé de travailler dans les conditions suivantes : faible rapport de vitesse des vis d’extrusion, température des éléments et de la filière choisie dans la fenêtre haute de la gamme de température de mise en œuvre. Pour les paramètres de mise en forme il est préférable de réduire l’entrefer entre les rouleaux et d’augmenter la vitesse d’étirage. De plus, il ajoute que le rapport de vitesse des vis a aussi un impact sur l’épaisseur des couches de chaque matériau. Les effets des paramètres du procédé de coextrusion sur l’uniformité et la continuité des couches ont également été étudiés par Ho et al [35]. Dans cette étude, les auteurs coextrudent du PP et du PC (le PC, plus fluide, est extrudé à l’extérieur), observent l’apparition des instabilités en fonction du nombre de mélangeurs statiques et des débits respectifs des deux polymères. Les auteurs mettent en évidence le fait que la structure finale délamine facilement quand les couches sont stables, étant donné le caractère incompatible des deux polymères. En revanche, la délamination du film est plus difficile quand il y a présence d’instabilités comme l’interpénétration de couches (Figure 1-14). Ce résultat est confirmé par les travaux de Sollogoub et al., qui observe ce phénomène pour des systèmes PE/EVOH et PET/PA, en faisant la comparaison entre des tests de délamination et des observations microscopiques [137]. L’interprétation des résultats de Ho est assez difficile dans la mesure où ils ne font pas de distinction nette entre les différents types d’instabilités, parlant indifféremment de défauts zig-zag, vague et rupture de couche. Ils observent en particulier, et de façon assez classique, que les instabilités sont plus prononcées quand la température des mélangeurs est plus basse, quand le nombre de mélangeurs est plus grand et quand le rapport des débits est trop éloigné de 1. Les auteurs montrent également l’effet du nombre de mélangeurs sur la localisation des instabilités : plus le nombre augmente et plus le taux d’instabilités augmente au centre du film. Ce phénomène s’explique par le fait que les instabilités formées au niveau des parois sont amenées au centre lors de la séparation et de la recombinaison des couches.
Dans les nombreux travaux de l’équipe de Baer, ces problèmes de ruptures ne sont que vaguement évoqués. Les auteurs se limitent à dire que les ruptures de couches sont provoquées par des instabilités d’écoulement, et que pour les éviter il est conseillé de travailler à un rapport de viscosité proche de 1 [30] afin de réduire les effets élastiques présentés par les travaux de Dooley. L’effet des propriétés viscoélastiques a été étudié par Sollogoub et al. [137] et Huang et al. [138]. La première étude montre, sur des systèmes PE/EVOH et PET/PAMXD6, qu’un rapport de viscosité proche de 1 semble assurer la continuité des couches contrairement au rapport de viscosité de 3 confirmant ainsi les hypothèses de Baer. La seconde étude examine des systèmes multicouches constitués de 65 couches alternées de PS/PMMA et TPU/TPU dont les viscosités sont différentes et montre que le phénomène d’encapsulation a lieu dans les premières étapes de multiplication et dans la zone divergente de l’élément. En effet, plus le nombre de couches est important, plus la quantité de matériau à faible viscosité disponible au phénomène d’encapsulation est faible. Cette étude présente un nouveau type de bloc de répartition (à 9 couches au lieu de 2) permettant d’obtenir un profil d’écoulement plus uniforme et par conséquent une amélioration de stabilité des couches. L’aide de la simulation numérique a permis de montrer que la seconde différence des contraintes normales, responsable des instabilités élastiques, induite par le cisaillement au cours de l’écoulement dans les éléments, était très élevée. Celle-ci peut être réduite expérimentalement en diminuant les frottements à la paroi par l’utilisation de lubrifiant.
L’équipe de Macosko a également constaté la présence de ruptures de couches lors d’essais rhéologiques en cisaillement dans un système multi-couches PP/PS constitué d’une centaine de couches et dont les constituants présentent une faible compatibilité chimique et adhésive. Ces ruptures ont été attribué à un phénomène de glissement interfacial [33], [139], [140]. Pour comprendre l’origine de ce glissement interfacial, il faut s’intéresser à ce qui se passe au niveau de l’interphase entre les deux polymères. L’épaisseur de cette couche d’interphase (variable selon les matériaux) est constituée de chaînes enchevêtrées de chaque couche de polymère adjacente, comme schématisé sur la Figure 1-15.
En fonction de l’attraction ou de la répulsion chimique, cette « couche » d’interphase peut être de densité inférieure à celle des deux polymères. Dans le cas où les matériaux A et B ne présentent pas une forte adhérence ou compatibilité chimique, les variations de densité au sein des films induisent un gradient de vitesse, et donc un phénomène de glissement au niveau de l’interphase, quand les films sont exposés à des taux de cisaillement élevés. Ce phénomène peut principalement se produire lors du passage en filière, où l’écoulement subit un cisaillement élevé dû à une réduction d’épaisseur d’un facteur 50, tout en étant dispersé sur la largeur d’un facteur 100 ou plus. Ainsi, en plus des conditions nécessaires en terme d’adéquation viscoélastique, ces travaux montrent l’importance de la compréhension des interactions entre les deux polymères et de l’obtention d’une adhésion adéquate entre les couches afin de réduire l’apparition de ruptures au sein de la structure.
Les transitions stable/instable ont été étudiées par Schrenk, Han et Schetty, Ramanathan et Valette [113], [146]–[149]. Ces auteurs ont cherché à relier ces transitions à des caractéristiques de l’écoulement comme le rapport de viscosité, d’élasticité, d’épaisseur et des valeurs de contraintes critiques (0,05 MPa pour un système ABS/PS/ABS par exemple). Ils ont montré que le développement des instabilités se faisait majoritairement lors du passage dans la filière. Ainsi afin de réduire les défauts, ces auteurs préconisent de travailler à faible débit, d’augmenter l’entrefer de la filière et d’augmenter l’épaisseur de la couche externe afin de réduire la contrainte de cisaillement à la paroi. La visualisation directe de ces défauts en filière a été réalisée par Wilson et Khomami [134], [150], [151]. Ils ont établis des digrammes d’instabilités représentants les conditions dans lesquelles les interfaces sont stables ou instables et mis en évidence, sur un couple LLDPE/HDPE, l’effet de l’écoulement multicouches sur le déplacement et le développement d’une perturbation initiale créée lors de la formation du système dans le bloc de distribution (Figure 1-16). De façon générale, toutes ces études montrent que de fortes variations de taux de cisaillement, de viscosité et de première différence des contraintes normales dans les écoulements stratifiés amplifient la distorsion des interfaces et donc favorise l’apparition des instabilités.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 Étude bibliographique
1 Fabrication de systèmes nanostructurés
2 Phénomènes de rupture et instabilités de couches dans le procédé de coextrusion multicouche
3 Autres études sur les instabilités interfaciales de polymères
4 Conclusion
Références
Chapitre 2 Élaboration et caractérisation de films multinanocouches obtenus à partir de polymères amorphes
1 Présentation des matériaux de l’étude
2 Le procédé de coextrusion multinanocouche
3 Caractérisation morphologique et structurale des films multinanocouches
4 Conclusion
Références
Chapitre 3 Effet des paramètres matériaux et procédés sur l’homogénéité des couches de films multicouches
Article 1: Effect of material and processing parameters on the regularity and homogeneity of microlayered films
1 Introduction
2 Experimental methods
3 Results and discussion
4 Conclusion
Références
Chapitre 4 Échantillonnage et évaluation de la morphologie des structurespolymères multinanocouches
1 Évaluation de la taille d’échantillon morphologique représentatif pour des
structures polymères multinanocouches
Article 2: Evaluation of morphological representative sample sizes for nanolayered polymer blends
2 Caractérisation morphologique des instabilités
3 Évaluation de la morphologie dans la direction longitudinale
Chapitre 5 Existence d’une épaisseur critique dans les films coextrudés multinanocouches
1 Existence d’une épaisseur de couche critique dans les films coextrudés multinanocouches PS-PMMA
Article 3: Existence of a critical layer thickness in PS-PMMA coextruded nanolayered films
2 Étude du couple PS-PMMA sur une seconde ligne de coextrusion
3 Étude du couple PC-PMMA
Chapitre 6 Compréhension des phénomènes via des expériences modèles
1 Étude du démouillage de films minces
2 Expérience d’étirage
3 Expérience de retrait
4 Conclusion
Références
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