Servir le soft power et la diplomatie publique à la chinoise

Une coopération sino-africaine contemporaine marquée par des « résultats remarquables » et par leur médiatisation 

Les relations diplomatiques entre la Chine et l’Afrique se resserrent dès les années 1990 quand le gouvernement chinois reçut un fort soutien politique des pays africains, soutien lui permettant de soustraire aux critiques, au blocus et aux sanctions de la part de la communauté occidentale après le massacre de la place de Tian’anmen. Ce soutien politique des pays africains réactiva et redynamisa également les connexions politiques et économiques entre Pékin et ses anciens « pays frères socialistes et anticolonialistes » (I. Taylor, 2007b). La politique politicoéconomique de zou chu qu (traduit littéralement : sortir du territoire), lancée par le gouvernement chinois en 1999, permit aux entreprises chinoises, qu’elles soient grandes, moyennes ou petites, privées ou publiques, d’« accumuler les expériences » (Brautigam, 2011, p. 255‑256; Laurent Hou, 2011, p. 32) à travers l’investissement ou des coopérations internationales menés par le gouvernement central de Pékin. Cette politique renforça enfin l’expansion géopolitique et économique de la Chine sur le continent africain.

En 2000, le gouvernement chinois et ses contreparties africaines fondent le FOCAC. Selon le gouvernement chinois, ce forum est établi entre la Chine et l’Afrique pour « continuer à renforcer leur coopération économique et commerciale» (FOCAC, 2014, § 1). Il « permet de mettre en place des mécanismes de dialogue et de coopération, à divers niveaux, tels que des Conférences ministérielles, des réunions de hauts fonctionnaires et des Conférences d’entrepreneurs » (FOCAC, 2014, § 2). La rhétorique politique du gouvernement chinois dans le plaidoyer officiel vise à promouvoir ce projet géopolitiquement ambitieux en faisant référence à des valeurs « amicales » et « gagnant-gagnant », pour « renforcer davantage la coopération amicale entre la Chine et l’Afrique dans les nouvelles circonstances, […] relever ensemble le défi de la mondialisation économique et promouvoir le développement commun » (Xinhua, 2006, § 1).

La performance économique et commerciale de la mise en dispositif du FOCAC est, selon les chercheurs chinois, exceptionnellement positive. D’une part, les investissements directs et indirects de l’État chinois en Afrique connaissent une croissance significative. La Chine devient le premier partenaire commercial et financier des pays africains pendant neuf années consécutives depuis 2009 (Likang Wang, 2018). D’autre part, Lijun Hou et Xin Wen constatent que « les investissements chinois en Afrique ont été multipliés par plus de 100 fois à la fin de 2017 en rapport avec 2000 » (2018, § 8).

L’essor de la Chine sur le continent africain : entre opportunités et risques 

Le développement rapide du continent rouge à l’échelle mondiale n’a cessé d’alerter les gouvernants des pays les plus puissants sur la scène internationale. Une série de frictions géopolitiques et économiques, telles que le lancement de Pékin d’une guerre communicationnelle très agressive relative à la pandémie de la maladie à coronavirus SARSCoV-2 (Covid-19) envers les pays occidentaux et africains, les sanctions financières toujours renouvelées des États-Unis envers le gouvernement chinois, notamment ses entreprises de hightech Huawei, Tik-tok, et Tencent, le scandale lié aux « camps de déradicalisation » pour les Ouïgours ainsi que la lutte démocratique de Hong Kong, a contribué à installer dans les esprits l’idée d’une menace chinoise. Dans le même temps, la mise en route rapide de « l’Initiative de la Route et de la Ceinture » en Europe, en Asie, en Amérique latine et en Afrique, la coopération renforcée entre l’Union européenne et la Chine, les relations progressivement étroites entre la Chine et les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANESE) ainsi que la formation du Partenariat économique régional global (RCEP) , valorisèrent paradoxalement le développement dit « pacifique » de la Chine grâce au soutien de ses contreparties mondiales. Comme l’observe Claire Seungeun Lee (2018), le développement de la Chine a été et sera toujours tiraillé entre deux pôles symboliques contraires : « China is a Friend to the West » et « China is a Threat to the West » (p.1).

Ces perceptions ambiguës autour de l’image chinoise perdurent à l’échelle internationale (Cable & Ferdinand, 1994; B. Zheng, 2005). Les opinions mondiales paradoxales à l’égard de l’essor politique et l’expansion économique de la Chine se développent également sur le continent africain. Pourtant, la Chine est actuellement le principal partenaire commercial de l’Afrique. Et l’implantation géopolitique et économique de la Chine en Afrique est ancienne puisqu’elle pourrait être datée de l’ère maoïste quand Pékin promut la coexistence pacifique et lança un programme d’aide économique et technique à l’égard des camarades socialistes et antiimpérialistes africains.

La perception d’une menace chinoise à l’égard des pays africains peut être vue comme le résultat de tendances néocolonialistes de Pékin sur le « continent noir » (Beuret, Michel, & Woods, 2008, p.2). D’abord, la menace réside dans les problèmes de non-respect des droits de l’homme en République populaire de Chine. Le régime autoritaire réprime les minorités du Tibet, du Xinjiang et de la Mongolie-Intérieure (Anand, 2019; Davis, 2008; Leibold, 2019), et, dans ce cadre, il gère et surveille la société à travers la propagande (Hailong Liu, 2013; J. Lu, 2015), des pratiques autoritaires de censure autant que des incitations à l’autocensure (Arsène, 2011a; Liao, 2019; O’Brien & Li, 1995; Qiang, 2019). La présence chinoise en Afrique soutient des régimes autoritaires. Elle aggrave également la corruption dans les pays en voie de développement (Bader, 2014; Bader & Faust, 2014; Lee, 2018). De plus, l’investissement et la dette de la Chine en Afrique impliquent communément un échange de concessions minières, de matières premières ou de privilèges politiques (Alden & Alves, 2010).

Dans le Rapport annuel sur le développement en Afrique (2015), publié par l’Académie chinoise des sciences sociales, le gouvernement chinois reconnait l’existence de discours critiques croissants à l’égard de la présence chinoise à l’Afrique. Les chercheurs du PCC les considèrent comme des sources d’incertitude pour la diplomatie publique chinoise sur le continent africain (Hongming Zhang & He, 2015). De manière générale, les tenants des approches dites réalistes des relations internationales (cf. C. L. Glaser, 1994; Mearsheimer, 1994) décrivent la notion d’« incertitude » comme une crainte de conflit potentiel ou « une condition d’insécurité » (Waltz, 1979, p. 105). Elle est également vue comme « la confusion de la prise de décision dans un contexte international complexe » (Rathbun, 2007, p. 533). Celleci est causée par un manque d’information ou une incapacité à traiter et filtrer les informations contradictoires. En psychologie sociale, l’incertitude est analysée comme « la condition fondamentale de la vie humaine » (Marris, 1996, p. 1) à cause de la complexité de l’environnement dans lequel les individus vivent (Murphy, 2000) et de l’enchevêtrement complexe d’entrelacements (Morin, 1995). En effet, l’excès d’informations se heurte aux « limites de capacité de l’esprit humain » (Goldgeier & Tetlock, 2001, p. 83). L’incertitude est un phénomène cognitif (Bordia, Hobman, Jones, Gallois, & Callan, 2003), elle peut se transformer en une incertitude affective, à savoir de l’anxiété. Dans les approches cognitives des relations internationales, le sentiment chez les gouvernants « de déséquilibre généralisé et indéterminé » (Turner, 1988, p. 61) est lié aux émotions individuelles comme le fait d’être « mal à l’aise, tendu, inquiet ou craintif » (Gudykunst & Nishida, 2001, p. 59) dans de la situation inconnue ou imprévisible.

Dans ce rapport, Hongming Zhang et Wenping He (2015) affirment que les critiques occidentales et les opinions défavorables en ce qui concerne la présence chinoise en Afrique non seulement mettraient en péril la perception positive de la Chine par les populations africaines, mais susciteraient aussi la peur du peuple africain face à l’essor chinois sur le continent, ce qui serait nuisible au déploiement du soft power chinois. En vue de gérer cette incertitude causée par l’opinion publique internationale, la chercheuse chinoise spécialisée en études africaines Wenping He (2015) suggère que l’Afrique soit « le terrain expérimental le plus important pour la Chine pour améliorer son soft power » (p. 3), puisque l’image nationale de la Chine en Afrique est généralement positive (Wike, 2017; Wike, Poushter, Silver, & Bishop, 2017; Yin, 2018). Certains instruments de la diplomatie publique chinoise en Afrique pourraient être mobilisés, comme renforcer les échanges people to people entre la Chine et l’Afrique (C. Wu, 2015), accroître l’attractivité de la Chine (Yin, 2018), promouvoir les opportunités menées par l’expansion chinoise en Afrique (W. He, 2015) et enfin, améliorer la perception des Africains de la Chine (Wekesa, 2015).

L’Institut Confucius, un vecteur-clé du déploiement du soft power chinois en Afrique 

Le soft power, selon Joseph Nye (1991), se réfère à la capacité d’un État de mobiliser des ressources immatérielles variées, à (re)formuler ses agendas politiques, à persuader les publics visés et à susciter un attrait positif pour obtenir les résultats souhaités. Pour les chercheurs de Pékin (cf. Lai, 2012; Huning Wang, 1993; Guozuo Zhang, 2017; Y. Zheng & Zhang, 2012), le soft power a un sens beaucoup plus large que celui formulé par Nye. Il inclut toutes les formes de puissance hormis celles du domaine militaire et de la sécurité. C’est la raison pour laquelle Joshua Kurlantzick détermine le soft power chinois par l’expression imagée « offensive de charme » (2007, p. ix). Pour les chercheurs du PCC, « qu’une puissance soit douce ou dure dépend des sentiments et des perceptions de différents publics dans diverses situations spécifiques » (Y. Zheng & Zhang, 2012, p. 21). Autrement dit, Pékin déploierait son soft power par différents moyens et formes communicationnelles de diplomatie publique afin de susciter des perceptions favorables chez les publics étrangers, peu importe leurs pays, régions et communautés.

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Table des matières

INTRODUCTION
L’AFRIQUE DÉFINIE PAR LES DIRIGEANTS CHINOIS COMME « TERRAIN EXPÉRIMENTAL » DE DÉPLOIEMENT DU SOFT POWER : « L’ÂGE D’OR » DE LA CHINE-AFRIQUE
Une coopération sino-africaine contemporaine marquée par des « résultats remarquables » et par leur médiatisation
L’essor de la Chine sur le continent africain : entre opportunités et risques
L’Institut Confucius, un vecteur-clé du déploiement du soft power chinois en Afrique
Une recherche articulée autour des concepts de diplomatie publique, de soft power et de wai xuan (propagande externe)
Plan de la thèse
Repères chronologiques sur l’histoire des relations entre la Chine et l’Afrique (ère maoïste)
Repères chronologiques sur l’histoire des relations entre la Chine et l’Afrique (ère post-maoïste)
CHAPITRE I. « SE FAIRE DES AMIS, UNIR TOUTES LES FORCES SUSCEPTIBLES D’ÊTRE UNIES » : LA GENÈSE DE LA DIPLOMATIE PUBLIQUE À LA CHINOISE SUR LE CONTINENT AFRICAIN
I. Les premières prises de contact officielles à partir de la fondation de la Chine socialiste en 1949
II. La « diplomatie du peuple » : une forme et une conceptualisation rudimentaire de la diplomatie publique chinoise en Afrique
III. La « diplomatie du peuple » en Afrique : la propagande maoïste axée sur « l’aide économique et technique »
III.1. L’établissement des antennes de l’agence de presse Xinhua en Afrique : des représentations diplomatiques officieuses
III.2. La propagande par le biais de l’art et du sport pendant la Révolution culturelle
III.3. La propagande en Afrique dans le cadre de « l’aide économique et technique»
IV. Les victoires de la « diplomatie du peuple » de l’ère maoïste
CHAPITRE II. WAI XUAN : LA DIPLOMATIE PUBLIQUE CHINOISE À L’ÈRE POSTTIAN’ANMEN
I. Le massacre de la place de Tian’anmen et les « vingt ans de gloire économique » de la ChineAfrique : le dualisme du mot wei ji (risque/opportunité)
II. Le renouveau de la doctrine du wai xuan et la sinisation du soft power dans la communication diplomatique chinoise
II.1. La définition et la conception chinoises de la diplomatie publique
II.2. La propagation du concept de soft power du monde académique vers la sphère politique
II.3. L’intégration des concepts de soft power et de diplomatie publique dans la doctrine officielle du PCC
III. La diplomatie publique à la chinoise : une pratique « intermestique » ?
CHAPITRE III. LA DIPLOMATIE PUBLIQUE À LA CHINOISE ENVERS LES PAYS AFRICAINS : VERS UNE COMMUNICATION « STRATÉGIQUE »
I. Les orientations stratégiques de la présence chinoise en Afrique
I.1. L’émergence du concept de « communauté de destin »
I.2. La « diplomatie de grande puissance propre à la Chine » : une doctrine imprégnée par un objectif de diffusion d’une vision idéalisée de la Chine, le « rêve chinois »
I.2.1. Le discours sur le « rêve chinois » dans la diplomatie publique : acceptation, performativité et diffusion d’une expression
I.2.2. La diplomatie publique vers les pays africains : une communication « stratégique » ?
II. La communication « stratégique » et la diplomatie publique à la chinoise
II.1. La diplomatie publique à la chinoise : une forme paradoxale de wai xuan associant des pratiques de relations publiques et de communication « stratégique»
II.1.1. État de l’art sur les relations publiques
• Aux sources des quatre modèles des relations publiques
• Diplomatie publique et relations publiques internationales : une forme spécifique de la communication publique ?
II.1.2. L’intégration du concept de relations publiques dans la diplomatie publique à la chinoise
• La théorie des Sunshine public relations
• Le guanxi dans les modèles théoriques chinois des relations publiques internationales
• Le modèle de la gestion des relations dans la diplomatie publique à la chinoise
II.1.3. La communication dite « stratégique » dans la diplomatie publique à la chinoise
II.1.4. Le rôle de l’information dans la diplomatie publique
II.2. « Raconter concrètement les histoires chinoises » : un instrument pour diffuser le « rêve chinois »
II.2.1. Les récits : une « machine à former les esprits »
II.2.2. Les « histoires de la Chine » : une arme de « l’offensive de charme chinoise»
II.2.3. Le storytelling : au cœur du pouvoir de persuasion
III. L’Institut Confucius en tant que vaisseau amiral de la diplomatie publique chinoise
III.1. La genèse et les objectifs de la création de l’Institut Confucius
III.1.1. Les institutions culturelles comme relais de la mise en œuvre des politiques culturelles
III.1.2. L’Institut Confucius : jalons historiques et description des objectifs
III.1.3. Aux origines du choix du nom « Confucius » pour une institution culturelle chinoise
III.2. La survalorisation dans le discours doctrinal du rôle de l’Institut Confucius dans la diplomatie publique à la chinoise en Afrique
IV. L’adoption de l’Institut Confucius de l’Université de Nairobi comme principal terrain d’enquête
V. Les hypothèses structurantes du projet de recherche
CONCLUSION

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