L’essor des nanosciences et des nanotechnologies (N&N) est porteur de bouleversements conceptuels et de ruptures technologiques. Les N&N ont emergé à partir d’un concept que l’on attribue à Richard P. Feynman, résumé en la citation suivante* : « There’s plenty of room at the bottom », qui désignait l’ingénierie des systèmes à petite échelle, dans le monde du vivant.
La réalisation, l’étude et la manipulation, de structures, systèmes ou objets à l’échelle du milliardième de mètre répondent d’une part à un besoin fondamental d’appréhender les lois de la physique quantique. Les entités nanométriques, ou nano-objets, se caractérisent ainsi par un comportement spécifique à leur dimension : non seulement une exaltation de certaines propriétés fondamentales (transport électrique, résistance mécanique, ….) mais aussi par un spectre de nouvelles propriétés (transport balistique des électrons, électronique de spin…). D’autre part, la réduction des dimensions caractéristiques des dispositifs existants vise à d’améliorer leurs performances (moindre consommation d’énergie et de matière, coûts modérés). Ainsi, la nouvelle appréhension de la matière promet un développement technologique significatif dans des champs d’activité variés (informatique, énergie, matériaux, médecine, par ex.). De manière générale, ces dernières années ont principalement vu l’apparition d’applications commerciales qui tirent leurs propriétés originales de l’action collective des nano-objets, dans la continuité des technologies existantes. Citons par exemple : les matériaux composites (renfort mécanique, écoulement des charges électrostatiques) ; le secteur de la cosmétique (systèmes vecteurs de principes actifs) ; le stockage d’information (magnétorésistance dans des matériaux nanocristallins).
Les nanotubes de carbone. Intégration dans des dispositifs nanotechnologiques
Perspective historique
De nombreux efforts de recherche s’orientent actuellement vers la maîtrise ultime de la matière, par la réalisation d’architectures définies à l’échelle atomique. Les nanostructures constituent les structures de dimension minimale aptes à assurer certaines fonctions, telles que le transport d’électrons ou le guidage optique. Parmi les nano-objets sans dimension (nanoclusters, nanodots), unidimensionnels (nanofils, nanotubes), ou bidimensionnels (films minces), les nanotubes de carbone (NTC) occupent une place à part.
L’histoire des NTC est réellement amorcée par la découverte en 1985 du buckminsterfullerene C60, nouvelle forme allotrope du carbone, par l’équipe de Kroto, Curl et Smalley qui leur valut le prix Nobel de chimie en 1996. La molécule C60, de même que celles du type Cn qui furent étudiées ultérieurement , sont des molécules-cages constituées uniquement d’atomes de carbone disposés dans des configurations hexagonales et pentagonales. En 1991, Iijima met en évidence l’existence d’un nouvel état solide carboné en relation avec le fullerène, en observant des structures tubulaires qu’il nomme NTC multiparois, produits secondaires de la formation de fullerènes par la méthode à arc électrique. Deux ans plus tard, les équipes d’Iijima et de Bethune publient simultanémentla découverte de l’existence des NTC monoparois. Depuis, un intense effort de recherche a été entrepris pour améliorer notre connaissance des NTC.
Les NTC constituent des systèmes modèles en tant que solide quasi-unidimensionnel pour mener des investigations sur certains phénomènes quantiques, principalement dans le domaine du transport des électrons (système à un électron, transport balistique…) et de la mécanique du solide (élasticité ou rupture de système 1D). Les propriétés exceptionnelles (mécanique, électriques ou thermiques) des NTC individuels ont conduit logiquement à envisager de nombreuses applications : par leurs propriétés collectives lorsqu’ils sont introduits dans les filières technologiques classiques (matériaux composites notamment) ; par leurs propriétés d’objet individuel au sein de dispositifs nanotechnologiques (dans le domaine de la nanoélectronique, par exemple).
En raison de l’extrême sensibilité des relations structure-propriétés, le contrôle de la structure des NTC synthétisés s’avère impératif pour maîtriser la conception de dispositifs. Par ailleurs, la réalisation de dispositifs requiert l’intégration des NTC, c’est-à-dire le contrôle de leur organisation (densité surfacique, position et orientation) au sein d’une architecture donnée, dans une perspective de fabrication à grande échelle. Ces aspects sont étudiés à travers deux axes de recherche principaux :
− la manipulation post-synthèse des NTC ;
− la croissance localisée de NTC, dont l’objectif consiste à réaliser la synthèse de NTC à des endroits définis sur un substrat donné.
Les nanotubes de carbone
Structure et morphologie
Un NTC possède une structure apparentée à celle du graphite : celui-ci consiste en un empilement de plans de graphène (couches polyaromatiques d’atomes de carbone hybridés sp²), liés entre eux par des liaisons faibles de type van der Waals. La structure d’un NTC monoparoi est comparable à celle d’un cylindre creux : la paroi est ainsi constituée d’un plan de graphène enroulé sur lui-même de sorte que coïncident les deux sites cristallographiques équivalents reliés par le vecteur chiral Ch du réseau du graphène .
Soient a1 et a2 les vecteurs unitaires du réseau du graphène, l’expression de Ch est la suivante : Ch = n a1 + m a2. Les indices entiers (n, m) du vecteur Ch constituent les paramètres structuraux qui déterminent la nature du NTC : d’une part le diamètre, et d’autre part l’hélicité qui correspond à l’orientation des motifs hexagonaux par rapport à l’axe du NTC. Il existe de nombreux types de NTC différant par leur hélicité : les tubes (n, n) dits « armchair », les tubes (n,0) dénommés « zigzag » , et, situés entre ces deux cas limites, les NTC dit chiraux, où les hexagones de carbone s’enroulent en spirale le long de l’axe .
Les extrémités d’un NTC sont closes par des structures de type Cn, hémisphériques ou semi-ovoïdes, qui comportent généralement une demi-douzaine de pentagones .
Le diamètre d’un NTC monoparoi est compris dans la gamme de 0,4 – 5 nm, d’après la bibliographie. La longueur peut dépasser la centaine de micromètres, ce qui confère au NTC monoparoi un facteur de forme exceptionnellement élevé (10³-10⁵ ) et permet de le considérer comme un objet quasi-unidimensionnel. Enfin, un NTC monoparoi fermé possède une surface spécifique particulièrement élevée, qui est estimée théoriquement à m²/g.
La diversité des NTC réside également dans le nombre de parois qu’ils possèdent: on définit les NTC multiparois comme un empilement de cylindres concentriques les uns sur les autres avec une distance inter-paroi étant proche de 0,34 nm.
En raison de l’existence d’électrons π du réseau polyaromatique, un NTC, exerce des interactions de van der Waals substantielles. Les forces existant entre NTC, correspondant à des énergies de l’ordre de 1 eV/nm, expliquent la tendance des NTC à se réunir et s’organiser en faisceaux. Les énergies impliquées dans les interactions avec divers substrats sont généralement de l’ordre de grandeur de 2 eV/nm.
Tous les atomes d’un NTC monoparoi sont situés en surface et engagés dans des noyaux aromatiques hexagonaux, excepté au niveau des défauts et aux extrémités où sont présents des pentagones et/ou des heptagones. En raison de la courbure de la paroi, les liaisons C-C adoptent une hybridation mixte sp2 -sp3 . En conséquence, la réactivité chimique de la surface d’un NTC plus importante que celle d’un plan de graphène, au niveau de sa paroi et, plus particulièrement, de ses extrémités et de ses défauts.
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Table des matières
Introduction
I. Les nanotubes de carbone. Intégration dans des dispositifs nanotechnologiques
I. 1. Perspective historique
I. 2. Les nanotubes de carbone
I. 2. 1. Structure et morphologie
I. 2. 2. Synthèse des nanotubes de carbone par CCVD
I. 2. 3. Propriétés des NTC
I. 3. Applications potentielles des NTC en nanotechnologies
I. 3. 1. Nanoélectronique
I. 3. 2. Nanomécanique et nanoélectromécanique
I. 3. 3. Optoélectronique
I. 3. 4. Nanodétection
I. 3. 5. Thermique
I. 4. Stratégies d’intégration des NTC
I. 4. 1. Intégration par manipulation post-synthèse
I. 4. 2. Intégration par croissance localisée
I. 4. 3. Conclusions
I. 5. Stratégie d’intégration des NTC par croissance localisée
I. 5. 1. Objectifs
I. 5. 2. Stratégie
II. Croissance localisée de nanotubes de carbone à partir d’une solution solide d’oxydes Mg1-xCoxO
II. 1. Elaboration de couches minces de Mg1-xCoxO par voie sol-gel
II. 1. 1. Mg1-xCoxO – catalyseur pour la synthèse de NTC monoparois et biparois
II. 1. 2. Préparation d’un sol précuseur de Mg1-xCoxO – étude de sa calcination
II. 1. 3. Dépôt de couche mince de Mg1-xCoxO
II. 1. 4. Conclusions
II. 2. Structuration de Mg1-xCoxO par lithographie douce
II. 2. 1. Fonctionnalisation de la surface du timbre de PDMS
II. 2. 2. Encrage du timbre
II. 2. 3. Conception du timbre PDMS
II. 2. 4. Opération de tamponnage
II. 2. 5. Conclusions
II. 3. Croissance de NTC sur Mg1-xCoxO
II. 3. 1. Comparaison : CCVD sur couche mince et sur poudre
II. 3. 2. Croissance sur couches minces de Mg1-xCoxO
II. 3. 3. Croissance sur structures de Mg0,95Co0,05O micrométriques produites par tamponnage
II. 3. 4. Four à rayonnement
II. 4. Conclusions et perspectives
III. Croissance localisée de nanotubes de carbone à partir de nanoparticules de cobalt préformées
III. 1. Etude préliminaire des dépôts de NP
III. 1. 1. Description des NP de Co/PVP
III. 1. 2. Contrôle de la densité surfacique de NP
III. 2. Synthèse de nanotubes de carbone par CCVD à partir des dépôts de NP de Co/PVP
III. 2. 1. Influence de la présence de polymère
III. 2. 2. Influence de la dilution du mélange H2-CH4 dans un gaz inerte
III. 2. 3. Influence de la densité surfacique de NP
III. 3. Croissance localisée sur motifs de NP de Co/PVP produits par tamponnage
III. 3. 1. Tamponnage de motifs micrométriques de NP – influence des conditions d’encrage
III. 3. 2. Croissance localisée
III. 4. Conclusions et perspectives
IV. Croissance localisée de NTC à partir d’une couche mince de cobalt
IV. 1. Croissance sur couche mince de cobalt
IV. 1. 1. Formation des NP de Co
IV. 1. 2. Formation des NTC – étude du traitement de CCVD
IV. 2. Croissance localisée sur une couche mince de cobalt structurée par lift-off
IV. 2. 1. Lift-off par lithographie à haute résolution
IV. 2. 2. Croissance localisée sur motifs de cobalt micrométriques ou nanométriques
IV. 2. 3. Intégration de NTC isolés
IV. 2. 4. Conclusions
IV. 3. Four à rayonnement
IV. 3. 1. Formation des nanoparticules de cobalt
IV. 3. 2. Synthèse des NTC sur film mince de cobalt
IV. 3. 3. Conclusions
IV. 4. Conclusions et perspectives
Conclusions
