Condensat de Bose-Einstein dans un piège hybride

La première réalisation expérimentale d’un condensat de Bose-Einstein fête en cette année 2020 ses 25 ans. En effet, c’est en 1995, d’abord dans le groupe d’E. Cornell et de C. Wieman avec du rubidium 87 [Anderson et al. (1995)], puis dans le groupe de W. Ketterle avec du sodium 23 [Davis et al. (1995b)], que la condensation a été observée pour la première fois. Cette prouesse, qui a valu à ces trois  physiciens le prix Nobel de physique en 2001, est le résultat de plusieurs décennies d’efforts pour refroidir des ensembles atomiques. Ils ont donc bénéficié des progrès préalables qu’ont connu les techniques de refroidissement laser et de piégeage d’atomes, qui avaient valu à S. Chu, C. Cohen-Tannoudji et W. D. Phillips le prix Nobel de physique de 1997. Cette observation expérimentale a marqué un jalon important d’une histoire démarrée 70 ans auparavant, lorsqu’A. Einstein introduisit le concept de condensation de bosons en 1925 [Einstein (1925)].

Depuis, la communauté des gaz quantiques a continué d’évoluer. De nombreux laboratoires disposent de nos jours de dispositifs permettant d’atteindre le régime de dégénérescence quantique. La condensation, qui a d’abord eu lieu pour des atomes alcalins, concerne à présent de nombreuses espèces, ce qui permet par exemple l’étude de gaz dits dipolaires [Lahaye et al. (2009)] avec du chrome, de l’erbium ou du dysprosium. On sait également réaliser des gaz ultra froids dégénérés de fermions, dont les premières réalisations datent de 1999 avec des atomes de potassium 40 [DeMarco et Jin (1999)], à partir desquels on peut par exemple créer des condensats moléculaires [Greiner et al. (2003)].

L’équipe Atomes froids du Laboratoire Collisions Agrégats Réactivité s’inscrit dans cette communauté des gaz quantiques. Installée à Toulouse depuis 2009, elle dispose d’un dispositif expérimental de condensation de rubidium 87 dont la dernière reconstruction s’est terminée en 2015. Après avoir rappelé quelques éléments théoriques autour de la condensation de Bose-Einstein, je décris le dispositif en même temps que je déroule une séquence expérimentale typique. La dernière partie du chapitre traite de l’imagerie utilisée sur l’expérience. Dans un souci de concision, un certain nombre de détails seront omis, ils pourront être trouvés dans les thèses des précédents doctorants chargés de la reconstruction [Condon (2015) et Fortun (2016)].

Rappels sur la condensation de Bose-Einstein

La condensation de Bose-Einstein est une transition de phase quantique au cours de laquelle, par un effet de saturation des états excités, un nombre macroscopique de bosons vient peupler l’état fondamental. Dans cette section nous revenons sur les principes théoriques permettant de rendre compte de la condensation.

Pour cela, nous commençons par rappeler la définition de quelques grandeurs caractéristiques des gaz quantiques. Nous retrouvons par la suite grâce aux statistiques quantiques le phénomène de condensation d’un gaz idéal de bosons dans un piège harmonique. Nous discutons également, de manière plus qualitative, l’effet des interactions (en approximation de champ moyen) sur la fonction d’onde d’un condensat. Cela nous permet en particulier d’évoquer l’approximation de Thomas-Fermi, qui décrit bien notre système en général. Ces rappels étant loin d’être exhaustifs, le lecteur désireux d’en savoir plus pourra se référer au grand nombre de cours et d’ouvrages de référence disponibles sur ce sujet [Cohen-Tannoudji (1997, 1998), Cohen-Tannoudji et Guéry-Odelin (2016) et Pitaevskii et Stringari (2016)].

Effet des interactions et limite de Thomas-Fermi
Pour terminer ces rappels, nous faisons quelques raisonnements qualitatifs à une dimension afin de comprendre l’effet des interactions sur l’état fondamental du système. Pour cela nous nous attardons sur les deux cas d’école que sont le puits de potentiel et le piège harmonique. Le premier cas nous permettra de comprendre l’origine de l’approximation de Thomas-Fermi, que nous appliquerons ensuite au deuxième cas pour aboutir à l’expression de la fonction d’onde ΨTF très utilisée pour les gaz de bosons.

L’allure des densités correspondantes n(x) |Ψ0(x)|2 est tracée Fig. 1.1(a). Dans la boite de potentiel, l’effet des interactions répulsives est clair : le système est plus homogène afin de minimiser l’énergie d’interaction, excepté sur une distance ξ près des bords de la boite. Plus les interactions sont fortes, plus la distance ξ est faible et plus les atomes se distribuent uniformément dans le piège. En d’autres termes, en présence d’interactions répulsives, la densité atomique est plus uniforme et présente moins de variations spatiales. Or on peut montrer que l’énergie cinétique dépend du gradient de la densité  . L’énergie cinétique peut donc devenir négligeable comparée à l’énergie d’interaction, ce qui nous amène à ignorer ce terme dans l’équation de Gross-Pitaevskii.

Séquence expérimentale pour produire un condensat

Comme nous l’avons rappelé au début de la section précédente, il est nécessaire d’avoir une densité dans l’espace des phases D de l’ordre de l’unité pour atteindre la condensation. on peut chercher à augmenter la densité atomique n ou encore augmenter la longueur d’onde thermique de de Broglie λdB en diminuant la température T du gaz. Ainsi, grâce aux techniques de piégeage et de refroidissement développées ces dernières années, nous parvenons par exemple à diminuer la température du gaz de plus de neuf ordres de grandeur  , passant d’une température ambiante à une température inférieure à 100 nK.

Dans cette deuxième section, je rappelle les étapes successives de la séquence expérimentale que nous réalisons afin d’atteindre le régime de dégénérescence quantique et ainsi produire un condensat de Bose-Einstein de rubidium 87. J’ai choisi de découper la description de cette séquence en trois blocs :
— une première sous-section est dédiée au refroidissement laser, qui constitue le premier type de refroidissement que nous mettons en œuvre. À l’issue de ces étapes nous atteignons une température d’environ 50 µK.
— la deuxième partie de la séquence consiste en un refroidissement par évaporation forcée dans un piège magnétique quadrupolaire à l’aide d’un rayonnement microonde. En fin d’évaporation nous avons un nuage à une température d’environ 30 µK.
— nous terminons la séquence avec une deuxième évaporation forcée, cette fois-ci dans un piège hybride qui consiste en la somme du piège magnétique quadrupolaire et d’un confinement optique. Cette dernière étape nous permet de franchir la température critique de l’ordre de la centaine de nanokelvins et d’obtenir des condensats.

Avant de détailler la séquence expérimentale, je commence par une brève description du cœur du dispositif et de son système à vide.

Description générale du dispositif

Le dispositif expérimental principal, consiste en un piège magnétooptique bidimensionnel (MOT 2D), construit par le SYRTE, et d’un piège magnéto-optique tridimensionnel (MOT 3D) dans une cellule en verre.

Le MOT 2D est alimenté par un four à atomes dans lequel du rubidium est chauffé à environ 100°C. Grâce à des faisceaux refroidisseurs, amenés par fibre optique, ainsi qu’au faisceau repompeur qui entre directement par le hublot central du dispositif du SYRTE, le MOT 2D produit un jet d’atomes refroidis selon les directions transverses x et z et poussés selon l’axe y jusqu’au MOT 3D par un faisceau résonant appelé faisceau pousseur, superposé au faisceau repompeur. Les différents éléments du système à vide qui relient le MOT 2D et le MOT 3D se répartissent en quatre parties :
1. La chambre initiale où nous réalisons le MOT 2D. Les faisceaux refroidisseurs proviennent directement de deux fibres optiques (visibles sur la Fig. 1.2). Le vide dans cette chambre est assuré par une première pompe ionique PI0.
2. Le MOT 2D est relié à une première croix par un tube à vide différentiel. Sur cette croix est branchée une deuxième pompe  , constituée à la fois d’une pompe ionique PI1 et d’une pompe NEG (Non Evaporable Getter).
3. Cette première croix communique avec une deuxième croix via un nouveau tube à vide différentiel. Une troisième pompe  ionique PI2, également complétée par une pompe NEG, est reliée à cette deuxième croix.
4. Une cellule en verre, qui constitue la chambre d’expérience, termine cet ensemble à vide. Cette cellule, de section carrée, mesure 10 cm de long et 3 cm de côté extérieur, avec une épaisseur de paroi de 5 mm. C’est ici que nous piégeons les atomes dans le MOT 3D, avant d’effectuer les différentes étapes de refroidissement présentées ci-après jusqu’à atteindre la condensation. Des lasers de différentes longueurs d’onde (780 et 1064 nm) étant utilisés dans nos expériences, la cellule en verre n’a pas subi de traitement anti-reflet.

Grâce à ce dispositif de double vide différentiel, la cellule en verre est maintenue sous ultra-vide (soit une pression inférieure à 10⁻¹⁰ mbar).

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Table des matières

Introduction
I Dispositif expérimental
1 Condensat de Bose-Einstein dans un piège hybride
1.1 Rappels sur la condensation de Bose-Einstein
1.1.1 Quelques longueurs caractéristiques des gaz quantiques
1.1.2 Gaz idéal sans interaction
1.1.3 Gaz avec interactions : équation de Gross-Pitaevskii
1.1.4 Effet des interactions et limite de Thomas-Fermi
Puits de potentiel
Potentiel harmonique
1.2 Séquence expérimentale pour produire un condensat
1.2.1 Description générale du dispositif
1.2.2 Piège magnéto-optique et refroidissement laser
Principe
Mise en œuvre expérimentale
Séquence expérimentale – 1ère partie
1.2.3 Mécanisme général du refroidissement par évaporation
1.2.4 Évaporation forcée dans le piège magnétique
Principe
Mise en œuvre expérimentale
Séquence expérimentale – 2ème partie
1.2.5 Évaporation forcée et condensation dans le piège hybride
Principe
Mise en œuvre expérimentale
Séquence expérimentale – 3ème partie
1.3 Détection d’un nuage d’atomes : système d’imagerie
1.3.1 Principe
1.3.2 Montage expérimental
1.3.3 Analyse par temps de vol
Cas d’un nuage thermique
Cas d’un condensat
1.4 Conclusion
2 Réseau optique pour gaz quantiques : montage expérimental et calibration
2.1 Particule quantique dans un potentiel périodique : éléments de théorie
2.1.1 Définition des grandeurs caractéristiques du réseau optique
2.1.2 Théorème de Bloch
2.1.3 Équation centrale et structure de bandes
2.2 Mise en œuvre expérimentale du réseau optique
2.2.1 Interférences et potentiel périodique
2.2.2 Montage optique
2.2.3 Contrôle des paramètres du réseau
Contrôle de la profondeur
Contrôle de la position
2.2.4 Applications numériques des grandeurs associées au réseau
2.3 Calibration de la profondeur du réseau
2.3.1 Diffraction du condensat sur le potentiel périodique
2.3.2 Expansion du condensat après chargement
2.3.3 Déplacement soudain du réseau optique
Développement théorique et comparaison aux mesures
expérimentales
Fréquence caractéristique du centre de masse
2.4 Conclusion
II Réseau optique modulé : dynamique non chaotique
3 Modulation résonante : excitations interbandes et refroidissement dans l’espace réciproque
3.1 Règles de sélection
3.1.1 Conservation du quasi-moment
3.1.2 Modulation de phase
3.1.3 Modulation d’amplitude
3.1.4 Bilan des règles de sélection
3.2 Spectroscopie de bandes
3.2.1 Transitions interbandes à quasi-moment nul
Protocole expérimental
Vérification expérimentale des règles de sélection
3.2.2 Au-delà du système idéal
Simulations numériques en champ moyen
Effet du confinement extérieur
3.3 Évaporation dans l’espace réciproque
3.3.1 Protocole expérimental
3.3.2 Protection du condensat vis-à-vis de la modulation
3.3.3 Refroidissement dans le réseau
3.3.4 Vers la condensation de Bose-Einstein
3.4 Conclusion
4 Modulation de phase hors résonance : d’une nouvelle phase quantique à la signature du micro-mouvement
4.1 Modulation basse fréquence : nucléation d’états alternés
4.1.1 Quelques éléments de théorie
Hamiltonien de Hubbard
Renormalisation du taux tunnel
Effet des interactions et prise en compte des fluctuations
4.1.2 Résultats expérimentaux
Protocole expérimental et grandeur mesurée
Cinétique de nucléation des états alternés
Formation d’états alternés par transition interbandes
4.2 Modulation haute fréquence : étude statistique d’un Hamiltonien effectif
4.2.1 Hamiltonien effectif : renormalisation du potentiel
Vérification expérimentale du potentiel moyenné
Vérification expérimentale du changement de signe
4.2.2 Étude du micro-mouvement par une analyse statistique
Description théorique du micro-mouvement
Mise en évidence expérimentale du micro-mouvement
Retour sur l’asymétrie après quench
4.3 Conclusion
III Effet tunnel assisté par le chaos : résonances
5 Signature expérimentale de bifurcations dans un espace des phases mixte
5.1 Adimensionnement de l’Hamiltonien
5.2 Outils pratiques pour l’étude d’un système dynamique
5.2.1 Cas sans modulation : espace des phases
5.2.2 Cas avec modulation : portrait de phase stroboscopique
5.3 Éléments de théorie sur la bifurcation
5.3.1 Développement au premier ordre : équation de Mathieu
5.3.2 Développement au deuxième ordre : équation de MathieuDuffing
5.3.3 Évolution sub-période classique des îlots de stabilité
5.4 Mise en évidence expérimentale des bifurcations
5.4.1 Rotation dans l’espace des phases
5.4.2 Protocole expérimental
5.4.3 Résultats
5.5 Conclusion
6 Observation des résonances de l’effet tunnel assisté par le chaos
6.1 Effet tunnel dans un espace des phases mixte
6.1.1 Rappels sur le double-puits
6.1.2 Mécanisme à deux niveaux dans un espace des phases mixte : effet tunnel dynamique
6.1.3 Mécanisme à trois niveaux dans un espace des phases mixte : effet tunnel assisté par le chaos
6.2 Contexte et état de l’art
6.3 Méthodes
6.3.1 Identification des facteurs limitants
6.3.2 Séquence expérimentale
Préparation de l’état initial
Protocole dans le réseau
6.3.3 Reconstruction des populations des îlots réguliers
6.3.4 Extraction des fréquences d’oscillation tunnel
6.4 Mise en évidence expérimentale
6.4.1 Mesure de l’effet tunnel dynamique
6.4.2 Première résonance de l’effet tunnel assisté par le chaos et comparaison à l’effet tunnel dynamique
Observation expérimentale
Analyse du spectre de quasi-énergie
6.4.3 Deuxième et troisième résonances
Observation expérimentale
Analyse du spectre de quasi-énergie
6.4.4 Quatrième résonance
Observation expérimentale
Analyse du spectre de quasi-énergie
6.5 Conclusion
Conclusion
IV Annexes

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