Des origines à nos jours
Selon le modèle cosmologique standard, l’histoire de l’Univers peut se décomposer en une succession d’étapes (encore appelées ères), que nous résumons ci-dessous. La nature de la première phase de l’évolution de l’Univers, entre l’origine de l’Univers et le Big Bang chaud, n’est pas encore bien établie, car il est très difficile de tester les modèles cosmologiques à des époques aussi reculées. Le modèle de l’inflation est cependant devenu le paradigme standard. Il s’agit d’une phase d’expansion accélérée durant laquelle w ≃ −1. Cette phase d’accélération permet de donner une explication naturelle au problème de la platitude (le fait que l’espace apparaisse plat à l’heure actuelle, ce qui ne peut être le cas que si l’espace était extrêmement plat aux échelles de Planck) et au problème de l’horizon (le fait que des zones du ciel causalement indépendantes aient une température comparable à 10−5 près). On considère généralement que cette phase d’inflation est dominée par un champ scalaire (ou plusieurs champs scalaires pour les modèles multi-champs) appelé inflaton, en régime de roulement lent (cf. par exemple [215], Chapitre 8). Les perturbations quantiques de ce champs sont la source des perturbations de la matière que l’on peut observer dans les grandes structures et le fond diffus cosmologique (CMB). À l’issue de l’inflation, l’inflaton se désintègre en un grand nombre de particules : c’est la phase de réchauffement. La suite de l’histoire de l’Univers est bien comprise, et est décrite par le modèle du Big Bang chaud :
– la première phase qui suit le Big Bang chaud est l’ère de radiation, dominée par le rayonnement (photons et neutrinos). Cette phase dure jusqu’à l’égalité matièrerayonnement, c’est-à-dire jusqu’au moment où la densité de la matière commence à dominer la densité d’énergie du rayonnement (le redshift correspondant est zeq + 1 ≡a−1eq ≃ 3600).
– L’ère de matière est dominée par la matière noire (CDM). C’est le moment où se forment les grandes structures. C’est également durant l’ère de matière qu’a lieu le découplage entre les photons et les baryons (le redshift correspondant est zdec + 1 ≡ a−1dec ≃ 1100). Cela est dû à la recombinaison des protons et des électrons libres qui s’assemblent pour former des atomes neutres. Après le découplage, les photons peuvent se propager librement dans l’Univers ; l’observation du CMB correspond à l’observation de ces photons émis au moment du découplage.
– Les observations récentes du CMB, des supernovae et des oscillations baryons-photons (BAO) indiquent que l’Univers est entré tardivement (aux alentours de [75] zc ≃ 0.67 pour Ωm = 0.3) dans une nouvelle phase d’expansion accélérée, telle que w ≃ −1. Cette dernière observation, à savoir que l’Univers est actuellement dans une phase d’expansion accélérée, constitue la motivation première des théories de gravité modifiée que nous étudierons dans ce mémoire de thèse. Nous chercherons notamment à répondre aux question suivantes : quelle peut être la source de cette accélération, et comment contraindre expérimentalement les propriétés physiques de cette source ? Avant de nous tourner vers ces questions à partir de la Section 1.3, nous voudrions consacrer la prochaine section à la modélisation de la source d’énergie responsable de cette accélération et que l’on appelle communément énergie noire, ainsi qu’aux preuves expérimentales de son existence.
Modèles branaires et modifications de la gravité dans l’infrarouge
Au-delà des motivations “fondamentales” évoquées dans la section précédente, les théories de gravité massive ont fait l’objet d’une attention renouvelée depuis une dizaine d’années, en raison du rôle important qu’elles jouent dans le cadre des théories branaires de la gravité. Dans ces théories, notre monde est une hypersurface de dimension 4, appelée brane, plongée dans un espace plus grand, le bulk, de dimension au moins 5. La possibilité que notre espace comporte plus de 4 dimensions était bien entendu connue depuis longtemps, notamment en théorie des cordes. Cependant, il s’agissait généralement de dimensions supplémentaires compactes et de petite taille ; dans ce cas, à basse énergie, le graviton apparaît comme étant sans masse. La nouveauté introduite par les mondes branaires a consisté à considérer des dimensions de grande taille, voire de taille infinie. Bien sûr, dans ces modèles, les champs du modèle standard doivent être confinés sur la brane pour satisfaire d’évidentes contraintes phénoménologiques, et de ce fait restent 4-dimensionels. La gravité, quant à elle, “voit” les dimensions supplémentaires, et se comporte comme un graviton à 5 dimensions. Vue de la brane, la gravité peut être décrite, dans certains cas du moins, par la théorie d’un graviton massif, ou plus précisément par une résonance de gravitons massifs.
Le mécanisme de Vainshtein
Dans son article [269], A. Vainshtein avance l’hypothèse selon laquelle les non-linéarités de la gravité massive permettraient l’existence d’une solution à symétrie sphérique qui soit telle qu’à proximité d’un corps massif, la gravité soit très proche de la RG, tout en diffèrant fortement de la RG à grandes distances. Cette hypothèse se base sur deux développements en séries, l’un à grandes distances, qui montre que les non-linéarités doivent être prises en compte bien au-delà du rayon de Schwarzschild, et l’autre à petites distances, qui montre que l’on peut trouver une solution proche de la RG au voisinage de la source.
L’existence d’une solution globale en débat
L’existence d’une solution globale de la gravité massive est une question débattue depuis longtemps. Déjà, en 1972, alors que Vainshtein venait de proposer dans [269] de rechercher une solution sous forme de série en puissances de m, Boulware et Deser mettaient en doute dans leur article [49] la possibilité d’obtenir, à partir de ce développement, une solution asymptotiquement plate. Plus récemment, l’article [96] a permis de confirmer pour la première fois la validité du mécanisme de Vainshtein, dans un contexte toutefois différent de celui des solutions à symétrie sphérique de la gravité massive. Plus précisément, C. Deffayet, G. Dvali, G. Gabadadze et A. Vainshtein ont montré dans cet article qu’un mécanisme similaire au mécanisme de Vainshtein en gravité massive existait pour des solutions cosmologiques du modèle DGP. Ces solutions adoptent deux comportement très différents, selon la densité d’énergie de l’univers. Lorsque la densité de matière dans l’univers est faible, un degré de liberté supplémentaire peut se propager en plus des deux polarisations du graviton, exactement de la même façon qu’en gravité massive le mode scalaire du graviton, responsable de la discontinuité de vDVZ, peut se propager en régime linéaire : la gravité diffère alors fortement de la RG, comme la gravité massive diffère de la RG dans le régime linéaire. À l’inverse, lorsque la densité de matière est élevée, ce qui est le cas aux temps cosmologiques primordiaux, ces solutions sont très proches de leur équivalent en RG, mettant ainsi en évidence l’existence d’un mécanisme de Vainshtein qui “écrante” le scalaire dans le régime non-linéaire. L’étude par N. Kaloper des solutions du modèle DGP sous forme d’ondes de choc gravitationnelles [167] a également mené à des résultats cohérents avec le mécanisme de Vainshtein : les solutions trouvées sont similaires à leurs équivalents quadri-dimensionnels à courtes distances. La première étude numérique de la question de l’existence d’une solution globale de la gravité massive a été proposée en 2003 par Damour, Kogan et Papazoglou dans leur article [85]. Dans cet article, ces auteurs ont expliqué ne pas avoir réussi à trouver de solution numérique globale de la gravité massive, et ce malgré l’utilisation de plusieurs termes de masse différents et de plusieurs jauges, et une étude systématique des conditions initiales à imposer. Au cours du travail de thèse présenté dans ce mémoire, C. Deffayet, E. Babichev et moi-même (RZ) avons réexaminé cette question, et sommes arrivés à des résultats opposés à ceux de Damour et al. [85]. Nous avons pu en effet montrer, pour la première fois, l’existence de solutions à symétrie sphérique asymptotiquement plates en gravité massive, à la fois dans la limite de découplage [30] et dans le cas de la théorie complète où toutes les non-linéarités sont prises en compte [28, 29]. Nous présenterons ces résultats aux Chapitres 4 et 5 ; pour l’instant, nous voudrions dans les quelques lignes qui suivent donner un aperçu des difficultés numériques qui doivent être dépassées afin d’obtenir une solution globale. Nous verrons alors que ces difficultés numériques peuvent peut-être expliquer la différence entre les résultats négatifs de l’article [85], et les résultats que nous avons présentés dans [28, 29, 30] qui montrent l’existence d’une telle solution.
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Table des matières
Introduction
I L’accélération de l’Univers et modèles de gravité
1 L’accélération de l’Univers et modèles de gravité
1.1 Le modèle cosmologique standard
1.1.1 Métrique de FLRW et équations du mouvement
1.1.2 Relativité Générale et équations de Friedmann
1.1.3 Équation d’état de la matière et évolution de l’Univers
1.2 Modélisation et preuves expérimentales de l’existence de l’énergie noire
1.2.1 Modélisation de l’énergie noire
1.2.2 Supernovae de type Ia
1.2.3 Âge de l’Univers
1.2.4 Fond diffus cosmologique
1.2.5 Oscillations Acoustiques des Baryons (BAO)
1.2.6 Mesures combinées
1.3 Énergie noire ou gravité modifiée ?
1.3.1 Le problème de la constante cosmologique
1.3.2 Modèles restant dans le cadre de la Relativité Générale
1.3.3 Modèles de gravité modifiée
II Solutions à symétrie sphérique des théories de gravité massive
2 Présentation de la gravité massive
2.1 Motivations
2.1.1 Motivation “naïve” : le graviton peut-il avoir une masse ?
2.1.2 Modèles branaires et modifications de la gravité dans l’infrarouge
2.2 Le graviton massif libre
2.2.1 Action du graviton massif à l’ordre quadratique
2.2.2 Choix du terme de masse
2.2.3 Propagateur et discontinuité de vDVZ
2.3 Complétion non-linéaire et conjecture de Vainshtein
2.3.1 Action non-linéaire de la gravité massive
2.3.2 Analyse hamiltonienne
2.3.3 Le mécanisme de Vainshtein
2.4 Limite de découplage
2.4.1 Introduction au mécanisme de Stückelberg : le champ de Proca
2.4.2 Le mécanisme de Stückelberg pour la gravité massive
2.4.3 La normalisation canonique et la limite de découplage
2.4.4 Le mécanisme de Vainshtein dans la limite de découplage
2.4.5 Du fantôme caché dans les dérivées d’ordre supérieur
2.5 De la limite de découplage au cas général
2.5.1 Intervalle de validité de la limite de découplage
2.5.2 Vers une solution globale de la gravité massive
3 Solutions à symétrie sphérique de la gravité massive : une introduction
3.1 Equations et anzatz à symétrie sphérique
3.1.1 Choix de la forme des métriques
3.1.2 Les équations du mouvement
3.2 Développement en série à grandes distances
3.2.1 Développement sous forme de série formelle
3.2.2 Convergence du développement en série
3.2.3 Unicité de la solution loin de la source
3.3 Développement en série au voisinage de la source
3.3.1 Ordre 0 : la Relativité Générale retrouvée
3.3.2 Ordre 1 et rayon de Vainshtein
3.3.3 Une classe de solutions autre que celle de Vainshtein
3.4 L’existence d’une solution globale en débat
3.4.1 Conditions aux bords et approches numériques
3.4.2 Solutions singulières… ou instabilité numérique ?
4 Les solutions à symétrie sphérique de la gravité massive dans la limite de découplage
4.1 Présentation du travail et résultats
4.1.1 Redéfinition des variables et équations du mouvement
4.1.2 Comparaison avec le formalisme de Goldstone
4.1.3 Solution sous forme de série à grandes distances
4.1.4 Solution sous forme de série à petites distances
4.1.5 Solution sous forme de série à l’intérieur de la source
4.1.6 Méthodes et résultats numériques
4.2 The Vainshtein mechanism in the decoupling limit of massive gravity (article)
4.2.1 Introduction
4.2.2 Massive gravity and the Goldstone picture
4.2.3 Static spherically symmetric solutions
4.2.4 The decoupling limit in spherically symmetric solutions
4.2.5 Discussion and conclusions
4.2.6 Appendices and References
5 Solutions à symétrie sphérique de la gravité massive
5.1 Construire une solution de la théorie complète
5.1.1 Les solutions de types Q
5.1.2 La solution de Vainshtein
5.2 Preuve de l’existence d’une solution à symétrie sphérique de la gravité massive
5.2.1 Présentation des résultats
5.2.2 Recovering General Relativity from massive gravity (article)
5.3 Étude de la solution trouvée
5.3.1 Les fonctions λ et ν
5.3.2 La fonction µ
5.3.3 La pression P
5.4 Un modèle simplifié de gravité massive
5.4.1 Les équations du mouvement
5.4.2 Validation numérique
5.4.3 Obtention d’une équation pour µ seulement
III Modifications scalaires de la gravité
6 Modifications scalaires de la gravité
6.1 Théories scalaire-tenseur
6.1.1 Présentation des théories scalaire-tenseur
6.1.2 Aspects phénoménologiques et cosmologiques
6.2 Modèles f(R)
6.2.1 Définition du modèle
6.2.2 Modèle f(R) = R − µ4/R
6.2.3 Nécessité d’un mécanisme non-linéaire à courtes distances
6.3 Mécanisme de caméléon
6.4 Mécanisme de Vainshtein, modèles de Galiléon et théories de k-Mouflage
6.4.1 Modèles de Galiléon
6.4.2 Théories de k-Mouflage
7 Théories de k-Mouflage (article)
7.1 Présentation des théories de k-Mouflage
7.2 k-Mouflage gravity (article)
7.3 Perspectives et pistes de travail
IV Contraintes expérimentales sur les théories de gravité modifiée
8 Confrontation avec l’expérience
8.1 Tests en laboratoire et dans le système solaire
8.1.1 Tests en laboratoire
8.1.2 Tests dans le système solaire et paramètres PPN
8.2 Galaxies et matière noire
8.3 Cosmologie
8.3.1 Évolution de la métrique de fond
8.3.2 Une introduction à la théorie des perturbations
8.3.3 Observables liées aux perturbations cosmologiques (galaxies, lentilles…)
8.3.4 Corrélations des observables cosmologiques
8.3.5 Corrélations galaxies-galaxies, galaxies-amplification et méthodes géométriques
8.3.6 La Relativité Générale en défaut ?
8.4 Tester la gravité avec les ondes gravitationnelles
8.4.1 Ondes gravitationnelles et observations
8.4.2 Diagramme de Hubble gravitationnel et dimensions supplémentaires
8.4.3 Propagation des ondes gravitationnelles dans le modèle DGP
8.4.4 Signal d’une source périodique
9 Corrélations galaxies-lentilles et corrections dues au biais d’amplification
9.1 Les corrélations galaxies-lentilles
9.2 Magnification Bias Corrections to Galaxy-Lensing Cross-Correlations (article)
Conclusions et perspectives
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