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LA PAROLE MISE EN SCÈNE
LA DIMENSION AUTOBIOGRAPHIQUE
La question de l’identité de la narration nous pousse à étudier la dimension autobiographique de l’oeuvre. L’auteur présenté comme étudiant à strasbourg même si cette notation n’apparait plus sur l’édition de poche. Il est difficile d’effacer les indices de son identification. L’héroïne du Le Ventre de l’Atlantique exilée tout le temps nous pousse à valider cette hypothèse. C’est dans cette dynamique que les écrivains comme Thierno Monénembo et Mayoro Diop ont traité des thèmes sur l’exil et l’ailleurs. Ces romanciers se sont attelés à montrer l’itinéraire des personnages expatriés en Europe. Papa Samba Diop, dans un article paru dans la revue Ponts, précise que « le patronyme de l’auteur[e], Diome, signifie en wolof dignité. »27. Or, dans le roman, l’instituteur Ndétare met en valeur le nom de l’auteur : « il est très beau, il signifie dignité. »28. Catherine Mazauric précise dans son article Fictions de soi dans la maison de l’autre : « ce prénom collé d’autorité aux employées de maison est plutôt celui de Fatou, autrement dit celui de l’auteure, qui figure sur la page couverture du livre. »29. Le langage est codé pour le lecteur ne connaissant le wolof. Cependant Philippe Le jeune soutient que prénom de l’auteur évoqué dans le roman suffit pour conclure Le pacte autobiographique30. Le prénom de Salie tardivement nommé pour la première fois à la page 162 ne sera répété ensuite deux fois pour relater l’abus dont elle a été victime de la part du marabout. C’est pourquoi le prénom de Salie est en liaison avec l’adjectif »salie » connotant la souillure.
La pluralité des voix narratives
Dans Le Ventre de l’Atlantique, plusieurs voix font écho. La voix complexe de la narratrice, se frotte à celles des autres personnages. De ce fait, il est difficile de distinguer la voix de la narratrice par rapport aux autres voix particulièrement celle de l’instituteur Ndétare. Il est véritablement le seul interlocuteur de la narratrice du point de vue qu’ils partagent une grande complicité : « Ndétare, par solidarité peut-être, porta un soin particulier à mon instruction.»37 De cette complicité, la communauté niodioroise leur porte un regard critique :« Avec Ndétare, qui était venu me voir, nous observions le manège des jeunes et échangions des regards critiques, en nous ménageant des apartés en français. »38
De son statut intellectuel, il menait des activités syndicales « Syndicaliste, il assure les fonctions de directeur de l’école primaire du village depuis bientôt un quart de siècle, depuis que le gouvernement, l’ayant considéré comme un agitateur dangereux, l’a expédié sur l’île en lui donnant pour mission d’instruire des enfants de prolétaires. »39
Investi de sa mission, la narratrice fait une rétrospection Je lui dois mon premier poème d’amour écrit en cachette, je lui dois la première chanson française que j’ai murmurée, parce que je lui dois mon premier phonème, mon premier monème, ma première phrase française lue, entendue et comprise. Je lui dois ma première lettre française écrite de travers sur mon morceau d’ardoise cassée. Je lui dois l’école. Je lui dois l’instruction. […] Parce que je ne cessais de le harceler, il m’a tout donné: la lettre, le chiffre, la clé du monde. Et parce qu’il a comblé mon premier désir conscient, aller à l’école, je lui dois tous mes petits pas de french cancan vers la lumière40.
Il fait valoir sa parole pour encourager les jeunes à la recherche du savoir« il faut semer la graine du savoir partout où elle est susceptible de pousser41. »
Il leur décourage sur l’immigration « En bon pédagogue, il avait noyé son amertume au fond de son oeil cartésien et utilisait cette histoire [celle de Moussa] comme exemple dissuasif. »42 Il partage ce même point de vue avec Salie qui vit en France rencontrant quotidiennement les galères. Sur cette position il renchérit ces propos : « Dis-leur, supplia l’instituteur, dis-leur, toi qui viens de là-bas! Peut-être t’écouteront-ils, ils me prennent pour un radoteur insensé. »43 Tout leur argumentaire c’est de convaincre la jeunesse niodioroise. Cependant après le départ de Salie, les jeunes contredisent la thèse qu’ils défendaient à la suite de ces arguments : « Ndétare devait porter la bonne parole, seul et sans grand succès. »44
Les pensées de Ndétare et de la narratrice qui sont du même point de vue s’opposent à celles de l’homme de Barbès et Madické.
LES FONCTIONS DES NARRATEURS
Nous allons évoquer la place qu’occupent les différents personnages sillonnant les récits aussi mouvementés que la vie de la femme de lettres. Ainsi, l’histoire du Le Ventre de l’Atlantique semble être en corrélation avec l’itinéraire de l’auteur. De ce fait, au cours de la lecture, on ressent sa présence dans le déroulement du récit.
D’ailleurs, elle le dit lors d’une interview « j’ai utilisé ma propre expérience pour alimenter ce texte. »69. C’est pour cela que le parcours de Salie et / ou de Satou est presque similaire à celui de Fatou Diome. La figure de Salie incarne l’héroïne de ce roman. Salie, tout comme son frère a rêvé en France pour réaliser de brillantes études et découvrir ce pays riche qui attire tant les jeunes de son pays. Mais ce rêve s’est transformé en profonde désillusion.
En effet, ses conditions de vie sont plutôt précaires : elle vit dans un petit appartement en tant que bonne pour payer ses études. Tout n’est pas aussi facile que ce qu’elle avait espéré, et surtout la vie n’est pas plus agréable que celle qu’elle avait dans son île. Gagnée par la solitude et loin de sa famille, elle ne souhaite pas que son frère s’attache au même rêve : « pour, Madické, vivre dans un pays développé représentait en soi un avantage démesuré que j’avais par rapport à lui […]. Comment aurais-je pu lui faire comprendre la solitude de mon exil, mon combat pour la survie et l’état d’alerte permanent où me gardaient mes études ? »70
Par ailleurs, le narrateur exerce la fonction idéologique pour porter un jugement sur Madické qui est persuadé que la France lui permettra de devenir comme son idole Maldini, dans la mesure où il n’a pas conscience des risques qu’il encourt à rester dans le rêve sans se soucier de la réalité.
En effet, le narrateur du récit reflète la fonction explicative dans la mesure où il nous livre des informations sur les coutumes et traditions omniprésentes dans l’oeuvre : « il me fallait réunir afin d’assumer la fonction assignée à tout enfant de chez nous : servir de sécurité sociale aux siens. ».71
Cette fonction nous fait savoir que salie a connu des critiques depuis sa naissance, car elle est née d’une union illégitime. C’est ce qui l’a poussée à quitter son pays : elle ne s’est jamais sentie intégrée dans son pays natal, néanmoins elle ne l’est toujours pas en France.
En outre, l’auteur-narrateur exerce cette même fonction qui transgresse même le cadre du récit où il nous peint le personnage du marabout incarnant le statut de modérateur. Il est décrit comme un personnage important dans les traditions africaines car il permet de résoudre les problèmes de couples, de rendre les gens riches. Il fait aussi les prédictions que les villageois suivent à la lutte, croyant que les instructions viennent des esprits. Fatou Diome exerce aussi la fonction idéologique à travers ce programme. Elle émet des jugements généraux lorsqu’elle perçoit le marabout comme un charlatan.
En effet, il y a aussi le statut de monsieur Ndétare qui occupe la place de l’instituteur. Sa fonction vise à sensibiliser les parents pour l’éducation des filles à l’école. C’est pour cela, qu’il arrive à convaincre la vieille qui finira par conclure en disant : « Bon, c’est d’accord. Au moins, plus tard, quand elle ira en ville toute seule, elle pourra connaître les numéros de bus et lire les noms des rues. Ndakarou, notre capitale est devenue une ville de Toubabs. Ça lui évitera de se perdre, comme il m’arrive parfois. »72. Suite à cette information, la petite fille fut inscrite officiellement à la rentrée suivante.
Il est aussi important de signaler que le prénom de Ndétare n’est pas seulement attribué à l’instituteur. Ndétare apprend à l’héroïne que son nom signifie dignité. Or, le vocable wolof « Diome » correspond au terme dignité dans la langue de Kocc Barma. Nous en concluons que la véritable identité du personnage principal du roman est Diome Fatou.
En effet, le personnage de moussa reflète la figure d’un déraciné. Ainsi monsieur Ndétare se met à la place du narrateur pour nous relater la vie de moussa en France. C’est ainsi que monsieur Ndétare assure la fonction explicative pour nous raconter que le jeune Moussa recruté par Jean Charles Sauveur se démarque de ses racines pour épouser la culture occidentale. Il tourne le dos à ses parents pour aller faire fortune en France. A travers ce personnage, Fatou Diome nous peint les drames associés à l’immigration qui sont de nos jours fréquents.
A l’exception de Sankèle et de la mère du fils du vieux pêcheur qui n’ont pas eu à effectuer des déplacements. La lecture de ce roman révèle que le milieu insulaire est totalement parqué par le paupérisme les obligeant à gagner leur pain sous le rêve de l’Eldorado. L’argent est le roi de notre siècle. C’est le sésame qui ouvre toutes les portes. La faim chassant le loup hors des bois, les hommes de Barbès et compagnie se lancent dans l’aventure afin de monnayer leur sueur contre de l’argent. C’est pourquoi, leurs pas les mèneront vers les villes et par la suite vers des territoires étrangers. Tels sont les cas de Moussa et de Salie.
Bref, les protagonistes du Le Ventre de l’Atlantique font rimer la France à la chance en vertu du cachet paradisiaque qu’ils lui collent. Ils pensent que la France est l’Eldorado où il suffit de se pencher pour ramasser des pépites d’or.
En outre, il est important de signaler que le personnage de Madické est inspiré par l’un de ses frères fou du ballon rond. L’oeuvre de Fatou Diome vérifie ainsi l’allégation de Gustave Flaubert. Cet éminent écrivain soutenait : « l’artiste doit être dans son oeuvre comme Dieu dans sa création, invisible et tout puissant, qu’on le sente partout, mais qu’on ne le voit pas. »73
En définitive, la vie de la librettiste est indubitable dans l’épice qui a servi à assaisonner la sauce de l’imagination. C’est là que les signes de l’autobiographie se font sentir, genre narratologique où l’auteur manifeste sa présence. C’est pourquoi il est indéniable que Fatou Diome intègre dans son oeuvre une signification relative à son statut, étant donné que son héroïne est son propre cliché. Elle défend sans doute cette thèse pour dire : « Quand on a un puits chez soi, on n’a pas besoin d’aller chercher l’eau chez le voisin. »74 De ce fait, elle se justifie, exposant par la même occasion son histoire personnelle sur l’étalage public.
En parcourant Le Ventre de l’Atlantique, on peut dire que la fonction explicative se fait aussi distinguer dans le cadre du métissage de la Niominka-Alsacienne. A travers cette fonction elle nous renseigne que son oeuvre authentifie sa double nationalité. Néanmoins, même si la dichotomie spatiale est omniprésente dans sa production, le contenu de ses ouvrages anthropologiques sont révélateurs de la couleur de sa mélanine.
Pour cela, nous allons nous conformer à la pensée de Sembène Ousmane jugeant qu’ « un écrivain doit aller de l’avant, ne point avoir peur de ses idées. »75C’est pourquoi Fatou Diome sans aucun complexe dénonce les principaux maux de l’Afrique et aime rappeler ses origines Niominka dans ses écrits.
Par ailleurs, la fonction explicative nous donne des informations sur le titre de l’oeuvre vu que le ventre symbolise le trésor de la femme et que la respectabilité dépend de l’élasticité de son utérus. C’est comme qui dirait que l’immigré est relié à son pays par une sorte de cordon ombilical. Il en est de même pour Niodior et ses habitants. Ainsi les allers et retours persistants entre l’histoire du personnage principal est identique aux dandinements des vagues. L’impact de l’Atlantique se lie à vue d’oeil sur la page de garde du roman. Le choix du titre doublement métaphorique est important et prouve que cette information est indispensable à la compréhension du titre de l’oeuvre. Dès la lecture de l’intitulé du roman, le lecteur averti se doute de l’influence de la Grande Etendue Bleue sur l’écriture de la femme de lettres.
En effet, il est pertinent de souligner que l’auteur de « l’eau Multiple. »76, à travers le récit enchâssé exerce la fonction de régie qui lui a permis particulièrement de remonter à la légende de Sédar après avoir suspendu le récit pour brouiller l’enchaînement événementiel.
A travers cette légende, elle nous explique l’origine de la relation fraternelle unissant l’homme aux dauphins, mammifères plus proche de l’homme du point de vue de la sociabilité ; c’est pourquoi Sédar préféra se jeter à la mer après avoir été humilié par sa belle-mère à cause de son impuissance pour se transformer : « Soutoura, ma chérie, la terre des hommes est étroite, seul l’Océan peut couvrir ma honte, trouve-toi un autre mari tendre et bienveillant. J’ai quitté le règne des humains ; surtout, ne leur dis jamais ce que je suis devenu, je resterai leur ami et je viendrai rendre visite aux petits que tu engendreras. »77 En vertu de ceci, ces légendes trouvent très souvent leur soubassement dans des pactes de non agression liant l’homme et son double animal, généralement totem du clan et en qui, il voit sa réincarnation.
Ce faisant, il ne serait donc pas abusif de préciser que le leitmotiv du Le Ventre de l’Atlantique « chaque miette de la vie doit servir à conquérir la dignité » fait appel à la vertu qui impose le respect dans le cadre du travail. La sueur de l’homme n’est reconnue que si elle ambitionne d’assurer la vie, raison pour laquelle, le vieux pêcheur interpelle Madické et compagnie lors d’un match de football « Vous voilà adultes ! Ce n’est pas en soulevant gratuitement la poussière que vous deviendrez des chefs de familles respectables. »78
Enfin, le parcours des personnages du Le ventre de l’Atlantique permet d’évoquer la fonction testimoniale du narrateur. En effet, selon Vincent Jouve cette fonction nous « renseigne sur la façon dont le narrateur appréhende le récit. »79 Dans Le ventre de l’Atlantique, le narrateur relatant sa vie à travers le personnage de Salie est témoin des pérégrinations de celle-ci, ce qui lui permet de découvrir les multiples facettes de la vie et d’apprendre que la France est loin d’être l’Eldorado que les Niodiorois s’imaginent. De ce fait, l’itinéraire des personnages s’identifie à celui des héros d’Ahmadou Kourouma ou du « sage bambara », la sentinelle de la culture peule Amadou Hampathé BA. Tout comme chez eux, les récits quasi picaresques de Fatou Diome font engager ses protagonistes dans des déplacements initiatiques du point de vue que leurs parcours sont parsemés d’épines au sortir desquelles ils sortent victorieux. Pour cela, l’héroïne du Le ventre de l’Atlantique s’initie à la vie de par ses déplacements. Quand bien même elle ne fait pas de rencontres mystérieuses, elle est plutôt confrontée à des expériences plus ou moins malheureuses mais paradoxalement instructives. C’est pourquoi, salie découvre et se heurte à des inédites par rapport au vécu quotidien des insulaires.
LES INDICES DE L’ORALITE
DIALOGISME ET RECIT
LES TRACES DE L’ORALITE
A l’horizon lointain de la littérature africaine moderne, nous distinguons d’abord la tradition orale. Fondement et véhicule de la civilisation du continent et des ses différentes cultures. Elle est la source inépuisable des interprétations du cosmos, des croyances et des cultes, des lois et des coutumes ,des systèmes de parenté et d’alliance ;des systèmes de production et de répartition des biens ;des modes de pouvoirs politiques et de stratifications sociales ;des critères de l’éthique et de l’esthétique ; des concepts et des représentations de valeurs morales.
Dans Le Ventre de l’Atlantique, la narration est assurée par des êtres humains. La technique d’écriture qu’utilise Fatou Diome pour faire appel à l’oralité est très originale et spécifique. L’insulaire, très inspirée, multiplie les voix de la narration en faisant écho à plusieurs narrateurs aux comportements différents ; car chaque narrateur raconte selon son sentiment, sa connaissance et sa passion. Madické, très ému par Paolo Malsini, déchaîne toutes ses sensations et son amour de ce joueur et de son équipe. La confusion que l’auteur semble donner au lecteur, implique des imbrications très difficiles à distiller. Ainsi, la voix du narrateur et celle de Madické semble être confondues. « Oh mon Dieu, faites quelque chose si vous êtes le Tout Puissant ! »119, martèle la narratrice. Madické réagit de manière dure dès que le ballon prend la direction des buts adverses : « Madické lance un violent coup de pied qui, cette fois-ci ne dérange personne ».120
Dans cet espace, toutes les ambitions par exemple sportives ou migratoires sont partagées par les jeunes. De cette passion folle, Madické, à l’instar des autres jeunes enchantés par le football, décèle son amour ardent du football quand il dit « Alors, dites à Maldini que ses cartons jaunes ou rouges sont lords et m’écrasent le coeur »121. Le dialogue qui oppose Madické et sa soeur sur la question du match Italie-France est une technique romanesque que Fatou Diome a fait valoir dans Le ventre de l’Atlantique fait apparaître les traces de l’oralité. Ce dialogue intense et long est une manifestation sans doute de la marque de l’oralité dans le récit. Les différentes catégories d’être humains représentées par les personnages romanesques dans Le ventre de l’Atlantique à savoir (des vieux et vieilles, jeunes et femmes, enfants, filles et garçons) sont des éléments tonitruants évoquant la marque de l’oralité ; car ils exercent des fonctions qui sont loin d’être les mêmes.
Le personnage de Ndogou, considérée comme une intellectuelle, gérante du télécentre, aide les vieux qui veulent émettre leurs coups de fil dès que le besoin se fait sentir. En outre, par le biais de Ndogou, comprenez toutes les jeunes filles ayant subi de brefs enseignements jusqu’au collège. La courte durée que Ndogou a effectuée au collège se justifie par sa considération intellectuelle. En effet, du fait de son passage au collège, elle occupe une place importante au village.
Le voyage perpétuel que l’auteur fait dans ce roman. Le Ventre de l’Atlantique permet en plus des autres formes de l’oralité, de faire exister une voix singulière certes mais qui incarne le pluriel. Ndogou, qui était interprète avant l’ouverture du télécentre, traduit ici le journal national afin d’imprégner les populations de ce qui se passe dans le pays : « l’avion présidentiel a décollé […] mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonsoir ».122A l’instar de tous les intellectuels, Ndogou, traductrice de métier au début, démontre ses qualités. Les jeunes, qui étaient très passionnés par le football affichent une joie infinie lorsqu’on leur fait un résumé du championnat de France alors de ce récapitulatif ; « les adultes restèrent sans réactions. Ils préfèrent la lutte traditionnelle au foot et ne se sentaient pas vraiment concernés par les nouvelles qu’ils venaient d’entendre. »123
A l’instar de beaucoup d’écrivains, Fatou Diome développe l’oralité en mettant sur scène des narrateurs de catégories sociales différentes ; c’est sa technique de montrer aux lecteurs les différences sociales mais aussi les émotions, les ambitions et les objectifs des uns et des autres dans la vie de tous mes jours. De larges discussions avaient été ouvertes par l’instituteur qui est une figure étatique exerçant son autorité sur tout le monde. On l’appelle même « Monsieur Ndétare » ce qui signifie en français « Monsieur X ». En se rappelant de son image vénérée : « bien sûr je me souviens de lui. Monsieur Ndétare, instituteur déjà vieillissant. »124
Dès lors, il est nettement ressorti l’idée selon laquelle le personnage de l’Instituteur représente en quelque sorte l’Etat ; car en ces temps-là, il y avait peu d’instruits et quand on en faisait partie, on était vénéré, respecté et considéré. La voix de l’instituteur représente celle de toutes les personnalités gouvernementales ou étatiques.
Sur ce, il est parvenu à convaincre la grand-mère à laisser sa petite fille aller à l’école après lui avoir tenu discours courtois : « Avouez que c’est difficile de devenir demander à quelqu’un de vous rédiger vos lettres, de vous remplir vos papiers, de vous accompagner dans les bureaux pour la moindre démarche administrative. »125
Grand-mère comme tous les grands-parents, avait une méthode pour comprendre la date des événements de toute nature. Par exemple, lorsque l’instituteur lui demandait l’extrait de naissance de sa petite fille, la vieille faisait le distinguo en lui faisant savoir que parmi les deux extraits portant le même nom, celui où on a mis le mois des premières précipitations est celui de ma petite soeur. Elle affirme : « elle est née au mois des premières pluies, juste au début de l’hivernage, l’année ou les étudiants ont saccagé la capitale. »126. Par la voix de grand-mère, l’auteur a pu visiter le passé traditionnel en nous enseignant la méthode qu’utilisaient les vieux et vieilles pour se souvenir des événements.
De ce fait, la grand-mère de l’héroïne, garant de la tradition, réfère la naissance de sa petite fille à l’année où les étudiants ont saccagé la capitale. C’est pour dire que les prédications temporelles se reportent toujours aux conditions météorologiques. C’est ainsi que la narratrice apprend de sa nourrice que son arrivée dans ce monde coïncidait avec le début de l’hivernage.
En somme, l’africain d’antan est guidé par les rythmes météorologiques. Le personnage de Jean Charles Sauveur reflète l’image de beaucoup d’européens ou d’africains qui recrutent des joueurs pour aller les vendre aux clubs français afin d’en gagner quelque chose, ce qui nous rappelle l’image de Pape DIOUF ex président de Marseille. N’ayant presque pas de difficultés pour recruter de jeunes talents, Jean Charles Sauveur gagne son pari devant Moussa la nouvelle révélation »le recrutement n’eut aucune peine à convaincre le jeune poulain »127. Comme la, presque totalité des jeunes potentiels, Moussa fut très réjouis de sa découverte et se dit avoir réalisé le rêve tant attendu depuis très longtemps. Et dès lors il s’est investi d’une « mission sacrée ».
Le recruteur de joueurs fait tout pour ne pas faillir à sa mission. Sur ce, il fait tout son possible pour parfaire le talent qu’il a amené. Il louait également les potentialités du jeune pour réveiller sa bravoure lorsqu’il affirmait : « Avec son gabarit, s’il arrive à affirmer tout ça, ce sera un vrai bulldozer à l’attaque »128. Ce courage magnifié est une manière de vendre tôt et à bon prix son produit sportif aux clubs intéressés. Le père de Moussa à l’instar de tout bon parent, rappelle à son fils le respect de la tradition et l’enracinement dans sa culture d’origine, le tout inscrit dans une lettre : « mon fils je ne sais pas si tu as reçu mes précédentes lettres puis que je n’ai toujours pas de réponse […], tu dois travailler économiser et revenir au pays. »129. Le vieux rappelle à son fils les vieilles réminiscences qui font le goût, l’harmonie des traditions ancestrales mais raison suffisante pour faire éviter à leurs enfants émigrés quelque soit le domaine sur lequel ils s’activent de ne pas être un renégat.
Les objets narrateurs organisent une assemblée de souvenirs dans Kétala présidée par Masque qui fait appel à l’oralité. Le premier récit dans lequel on raconte l’histoire des objets est assuré par un narrateur anonyme. Cependant dans le second récit, Fatou Diome nous plonge dans l’univers du conte en utilisant des objets qui nous relate la vie de leur défunte propriétaire.
De ce fait ; le narrateur anonyme porte une voix singulière mais dans le sens pluriel dans la mesure où il nous retrace l’histoire des différents objets de Mémoria. C’est pour cela que la voix de l’oreiller fait écho dans le prologue « j’ai peur, j’ai peur. » Cet objet manifeste son angoisse par rapport aux phénomènes naturels (vent, pluie ; tonnerre). Cette crainte s’impose après la mort de Mémoria. N’ayant plus la protection de leur propriétaire ; les objets s’avèrent être dans une situation d’insécurité et de manque d’affection.
Cette ainsi que la voix de Matelas intervient pour dire : « je suis là, rassure toi. »En ce sens, cet objet incarne le comportement protecteur de Mémoria. Par ailleurs, muette depuis le début de la conversation.
Porte incarnant l’image d’une sentinelle, se réclame être le garant de oreiller. De ce fait, le narrateur anonyme nous fait part de la position qu’occupe Porte : « Oreiller, calme toi , ce n’est que moi qui repousse le vent. » C’est pour dire que le narrateur anonyme nous montre que c’est Porte qui empêche le vent d’emporter Oreiller. De ce fait, Porte devient robuste devant le vent mais impuissant face aux hommes. Le narrateur laisse entendre Porte qui soutient « contre le vent ; je vous garantis ma protection, c’est contre les humains que je peux rien. »
En outre les chaises, les fauteuils, le grille-pain, la table et l’ordinateur grognent leur mécontentement à leur façon. Ne pouvant plus s’échapper au sort tragique qui les guette, ces objets révèlent leur amertume, la seule arme dont ils disposent.
C’est dans cet ordre d’idées que le narrateur nous peint le sentiment de tristesse et de détresse de ces meubles orphelins tel est le cas de l’ordinateur « l’ordinateur ne fut plus qu’un oeil figé, à l’écoute. »
Bref, il ne serait donc une exagération de préciser que le narrateur anonyme n’a pas relaté l’histoire de tous les objets, il ne fait que prendre certains ; et le reste des objets constitue des objets narrateurs qui témoignent la vie de la défunte Mémoria. C’est n’est qu’à l’approche du kétala que ces objets narrateurs font leur intervention testimoniale avant de se disperser.
Il est aussi intéressant de signaler que Fatou Diome a utilisé le narrateur anonyme pour qu’il narre l’histoire de certains objets sans doute animés par une faiblesse, contrairement aux objets qui préfèrent faire la narration du second récit en faisant un témoignage direct sur la vie de Mémoria. La multitude des voix narrateurs dans Kétala se manifeste par les différences d’âge, d’espèces et de statuts qui existent entre les narrateurs. Cette technique typique à Fatou Diome se lit plus clairement lors des interventions parfois successives, parfois interlacées des objets narrateurs qui parcourent le récit. Cette assemblée s’ouvre par le discours de Masque qui incarne le statut de fédérateur et de leader lorsqu’il affirme : « Au nom du respect de la mémoire de notre défunte maitresse et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je déclare ouverte la séance de reconstitution de la vie de Mémoria. » Le caractère successif des différents objets narrateurs révèle l’oralité dans la mesure où chacun de ces narrateurs objets en temps de parole ouvre un large espace dialogique.
En tant que fédérateur, Masque éteint toutes les polémiques que font les autres objets narrateurs et les appelle à la fidélité, au sérieux dans ce qu’ils témoignent. C’est ainsi qu’il affirme : « Que chacun de nous s’engage, solennellement, devant ses pairs et surtout à sa conscience, à ne rapporter que ce dont il a été témoin ». Après que le vieux Masque ouvre le bal. Assiette pris la parole. Elle fait un discours testimonial sur la vie de la défunte Mémoria ; sur la gourmandise, sa capacité de contenance mais aussi sur l’aspect esthétique de la nappe sur laquelle elle était posée. Ainsi elle déclare : « Moi je ne suis qu’une Assiette mais, avec mes pairs j’étais au service de la gourmandise de Mémoria ».
L’enchâssement du récit fait que les interventions de certains objets sont interrompues par leur cohabitation. Tel est le cas de canapé qui avait sévèrement attaqué la statue Chasseur qui, à son tour, a été méchamment démenti par Montre. Cette dernière révèle être le compagnon de première heure de Mémoria. Suite aux attaques verbales de la statue Chasseur et de Montre, Canapé reprend son monologue testimonial. La répétition et l’enchâssement des récits de certains narrateurs dans leur intervention sont des éléments tonitruants de l’oralité. Kétala, comme son nom l’indique, laisse connaitre à la vue de tout le monde, une assemblée ; et qui dit assemblée révèle la présence massive des narrateurs objets qui couvrent largement le récit. Fatou Diome utilise des narrateurs objets qui gravitent autour du récit et qu’elle personnifie tout au long du roman. Elle nous décline les éléments constitutifs du conte. Chaque objet narrateur, dès sa prise de parole, traduit de manière fidèle comme le souhaitait le président de séance. Baignoire n’échappe pas à cette règle car dès son retour, elle nous parle des heures que Mémoria passait avec elle et sur elle.
L’oralité dans Kétala est clairement mise à nu par la présence extrême des narrateurs objets. Leur discours testimonial imbriqué justifie sans doute l’interpellation répétée et répétitive des différents objets narrateurs du récit. Chaque objet narrateur profite de la parole qu’on lui a donné pour, non seulement témoigner à quoi il servait à Mémoria mais, également de faire sa propre présentation socio-ethnique.
A l’instar de beaucoup d’autres objets narrateurs, la statue de chasseur loue avec magnificence la généalogie de Mémoria. Elle fait connaitre au public la personne de Mémoria en relatant sa bonne naissance et en mettant en exergue les vertus qui auréolent la famille d’où appartient Mémoria : « Moi j’ai connu la famille de Mémoria j’ai veillé sur elle de génération en génération. » Mentionne la statue de Mémoria.
Les interventions musclées entre les narrateurs objets font réagir le président de séance et d’autres narrateurs tel que Mouchoir, fatigué d’entendre les discours incommensurables de la statue Chasseur. Il canalise le débat en faisant savoir à la statue qu’elle n’a pas besoin de remonter très loin dans le passé pour témoigner sur la vie de leur tendre propriétaire. Elle prône l’idée selon laquelle le témoignage doit se faire juste au moment de l’arrivée de Mémoria dans cet appartement jusqu’à sa mort .La figure de Masque incarne la sagesse et la statue de chasseur reflète l’image du griot africain de la famille de Mémoria. De ce fait, le statut de la statue de chasseur nous rappelle le personnage lustre de Diely Mamadou Kouyaté dans Soundiata ou l’épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane. Ce griot, comme le veut la tradition, fait la généalogie du roi, sauveur de la dynastie des mandingues d’une manière spéciale, juste pour galvaniser le roi mais aussi pour montrer les capacités et les compétences qu’il regorge.
Les objets inanimés comme narrateurs sont une innovation dans la littérature féminine notée et notable que la romancière sénégalaise des îles du Saloum a fait apparaitre dans le monde littéraire.
LA RE-UTULISATION DES GENRES DE L’ORALITE
La littérature orale est incontestablement la plus ancienne, la plus endogène, la plus diversifié dans les masses africaines d’hier et comme dans celles d’aujourd’hui. A côté de cette littérature, s’est développée les formes orales telles que le mythe, la légende, l’épopée, les proverbes et devinettes etc.
De ce fait, plusieurs écrivains demeurent authentiques. Loin de se contenter des règles structurant le roman, ils réactualisent le discours pour célébrer la civilisation africaine en restituant le prestige de l’oralité.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA NARRATION
CHAPITRE I : LES PROCEDES NARRATIFS
SECTION I : L’instance narrative
I.1.Dans Le Ventre de l’Atlantique
I.2.Dans Kétala
SECTION II : Les analepses et les prolepses
II.1. Les analepses
II.2. Les prolepses
CHAPITRE II : LA PAROLE MISE EN SCENE
SECTION I : La pluralité des voix narratives
I.1. Dans Le Ventre de l’Atlantique
I.2.Dans Kétala
SECTION II : Les fonctions des narrateurs
II.1. Dans Le Ventre de l’Atlantique
II.2. Dans Kétala
DEUXIEME PARTIE : LES INDICES DE L’ORALITE
CHAPITRE III : DIALOGISME ET RECIT
SECTION I : Les traces de l’oralité
I.1. Dans Le Ventre de l’Atlantique
I.2. Dans Kétala
CHAPITRE IV : LA REUTILISATION DES GENRES DE L’ORALITE
SECTION I : Les formes orales
I.1 Dans Le Ventre de l’Atlantique
I.2 Dans Kétala
TROISIEME PARTIE : LE CADRE SPATIAL
CHAPITRE V : LA STRUCTURATION SPATIALE
SECTION I : Les différents espaces
SECTION II : les narrations de l’espace
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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