Formes et morphogen`eses urbaines en Europe et aux Etats-Unis

Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études

La fin de l’exceptionnalisme en g´eographie

Si la g´eographie toute enti`ere fait depuis longtemps avancer son socle de connaissances par application de m´ethodes quantitatives (la mesure a minima), les d´ecennies 1950 et 1960 ont jou´e un rˆole singulier dans l’histoire de la discipline, en ´etant le th´eˆatre d’une v´eritable r´evolution. Le passage est celui d’une d´emarche d’´etude des ph´enom`enes dans leur singularit´e, au cas par cas (d´emarche qualifi´ee d’idiographique) `a une d´emarche o`u l’accent est mis sur la recherche de similarit´es entre les ph´enom`enes et sur la recherche de « lois spatiales » (d´emarche qualifi´ee de nomoth´etique) [Rob95, Ora09]. La volont´e de rupture est telle que les tenants de ce changement paradigmatique n’h´esitent pas alors `a parler, pour se distinguer d’une g´eographie qu’ils qualifient de « classique », de Nouvelle G´eographie. Cette r´evolution epist´emologique « th´eorique et quan-titative » est aussi une r´evolution « spatiale » par laquelle la question de l’espace se substitue, selon les diverses ´ecoles pr´eexistantes, `a la question de la « r´egion » ou `a celle du « milieu ».
Cette rupture va bouleverser les modes de faire de la g´eographie. Pour [RCVMD09], c’est `a ce moment que :
(. . .) le recours explicite aux concepts et aux raisonnements th´eoriques s’impose dans le cadre d’un examen critique de la discipline qui connaˆıt une mutation radicale. L’accent est mis sur l’analyse spatiale, d´emarche hypoth´etico-d´eductive, et sur la mise en ´evidence des processus et des formes d’organisation spatiale qui en r´esultent (Avant-propos, p.5).
Cette m´etamorphose fut initi´ee par des g´eographes travaillant aux Etats-Unis, puis s’est diffus´ee en Europe, d’abord en Grande-Bretagne et en Su`ede au d´ebut des ann´ees soixante, puis en France au d´ebut des ann´ees soixante-dix, et dans les autres pays. Ces auteurs renouvellent l’´etude de questions classiques par la mod´elisation, et le transfert de formalismes math´ematiques et de m´ethodes issues des sciences de la mati`ere. Ce programme d´efinit a` la fois de nouvelles probl´ematiques pour les g´eographes et de nouvelles m´ethodes pour s’y attaquer.
Pour citer quelques moments marquants de la chronologie de cette r´evolution, l’article de Fred Schaefer, Exceptionalism in geography [Sch53], un brˆulot contre R. Hartshorne2 et ce qu’il appelait l’« orthodoxie hartshornienne », fut ´egalement un plaidoyer pour la fin de l’´etude de cas consid´er´es comme uniques. Pour que la g´eographie ait une consistance et une place distincte parmi les sciences dit-il, il faut en faire la discipline de l’espace. L’ouvrage de William Bunge en 1962, Theoretical geography [Bun62], mit en forme ce projet et posa les fondations th´eoriques, d´elimita les objets et offrit les outils (en tˆete desquels la topologie). Un des grands formalisateurs de cette r´evolution fut David Harvey, avec son Explanation in geography [Har69], dans lequel il effectua une importante r´eflexion epist´emologique. Enfin le manuel de Peter Haggett, Locational analysis3[Hag65], en proposant une histoire, une grammaire formelle de l’espace et un retravail sur des exemples, finit d’´etablir la « normalit´e » des nouvelles pratiques, qu’il fallait d´esormais traiter comme une branche a` part enti`ere de la g´eographie.
Parmi les sujets qui ont et´ les plus mobilis´es au d´epart de cette r´evolution scientifique figurent les transports et la ville. Ainsi, Edward Ullman, l’un des initiateurs du mouvement, qui a propos´e au d´ebut des ann´ees 1950 que la g´eographie soit reconnue comme « la science de l’interaction spatiale », a travaill´e avec pr´edilection sur la g´eographie urbaine et sur la g´eographie de la circulation. Avec le g´eographe allemand Walter Christaller [Chr33], Ullman [Ull41] a con¸cu une th´eorie de la ville comme lieu central et a encourag´ le d´eveloppement de la mod´elisation. Le symposium international de g´eographie urbaine de Lund en 1960 a marqu´e la cons´ecration internationale de cette approche th´eorique et quantifi´ee de la ville. En cette mˆeme p´eriode, on observe un tel renouvellement des ´etudes urbaines que, selon Denise Pumain, on pourrait presque penser a posteriori que le champ est n´e a` cette ´epoque, tant les travaux se sont multipli´es et diversifi´es depuis [PPK06].

Collecter, quantifier, classer et cartographier l’information spatiale

La premi`ere ´etape d’une mod´elisation formelle correspond toujours a` un choix d’observables et a` la description du syst`eme au moyen de ces observables. Ce choix se fait en fonction de la question d’int´erˆet. Il ne s’agit pas encore a` cette ´etape de relier les observables dans des formules, mais uniquement de simplifier en vue de repr´esenter, de dessiner le syst`eme en y faisant apparaˆıtre ces observables.
La g´eographie ´etudie les ph´enom`enes dans leur dimension spatiale, et cette premi`ere ´etape de repr´esentation peut correspondre `a cartographier le ph´enom`ene. L’histoire de la cartographie et de ses usages [Pal96] est tr`es ancienne et tr`es riche. D`es l’Antiquit´e, les hommes ont cherch´ `a repr´esenter leurs territoires et `a m´emoriser leurs itin´eraires. La carte a eu, et continue `a avoir, de nombreux usages : exploratoire et commerciale, politique et militaire, en permettant la d´elimitation et le contrˆole des territoires, heuristique et p´edagogique, . . . Les cartes d’inventaire (simple localisation, sur des fonds de cartes topographiques ou des plans) sont tr`es anciennes. Les premi`eres cartes quantitatives et statistiques, de l’ing´enieur Minard, remontent au milieu du si`ecle [Pal96]. Une de ses cartes est repr´esent´ee sur la figure 2.1.
Bien sˆur l’histoire de la carte4 n’est pas r´esumable au seul usage qui en a et´ fait en mod´e-lisation. La cartographie est bien plus ancienne que la mod´elisation quantitative en g´eographie. Et mˆeme en mod´elisation ses usages ont et´ multiples. En plus de son usage le plus classique, qui consiste a` partir d’une r´ealit´ empirique complexe et de la simplifier pour la dessiner, la carte a dans le mˆeme temps servi comme support de repr´esentation d’autres mod`eles (cartographie de flux pr´evus par le mod`ele gravitaire par exemple, cf. section 1.3), et elle a surtout aussi et´ source d’inspiration et mat´eriau de d´epart pour une d´emarche de plus haut degr´ de sch´ematisation, la chor´ematique [Bru80], qui tente de d´egager a` partir des raisonnements qu’exprime la carte, des formes spatiales el´ementaires, les chor`emes5 [DD01].
Bien conscients de ces r´eserves, il n’est pas interdit de voir ´egalement dans la carte-sch´ema la premi`ere ´etape de la compr´ehension d’un processus spatial. Avant de pouvoir capturer toute une gamme de ph´enom`enes dans une formule, et avant de pouvoir proposer un sch´ema « m´ecaniste » permettant de les reconstruire, il faut d’abord ˆetre en mesure de bien d´ecrire ce ph´enom`ene spatial. C’est ´egalement le cas en astronomie, o`u les cartes du ciel ont exist´ bien avant la proposition par Kepler de son syst`eme h´eliocentrique et des lois du mouvement des plan`etes [Bra99].
La num´erisation des cartes, la prolif´eration des capteurs et la multiplication r´ecente des outils de visualisation ont modifi´e la relation des chercheurs `a la carte, qui en quelques ann´ees est pass´ee du statut de repr´esentation synth´etique difficile `a construire, coˆuteuse et rare, `a celui d’instrument de recherche manipulable `a volont´e. Mais tout comme un dessin peut ˆetre plus informatif qu’une photographie (le dessinateur mettant en ´evidence ce qui doit ˆetre remarqu´e), la carte n’a pas pour unique but d’ˆetre fid`ele `a la r´ealit´ (« `a l’´echelle »), son objectif ´etant avant tout de mettre en ´evidence des faits g´eographiques `a travers des relations diagrammatiques (contigu¨ıt´e, connexit´e, surface, obstruction, flux, . . .).
Les cartes mentales (mental maps) sont un mode d’utilisation illustrant ce dernier point. Apparu dans les ann´ees 1960 avec Peter Gould, le proc´ed´ consiste `a faire dessiner de m´emoire `a un individu une carte subjective d’un espace v´ecu. On demande au dessinateur d’y indiquer les localisations des lieux importants : art`eres principales, gare, mairie, commerces, etc. Ces cartes
per¸cues », lorsqu’elles sont confront´ees a` des cartes physiques ou inter-subjectives, permettent la mise en ´evidence des d´eformations induites par le r´eseau de transports, les pˆoles commerciaux, etc. [CR86] (cf. figure 2.2).

Capturer des configurations spatiales instantan´ees dans des formules math´ematiques

Dans notre lecture en trois temps de la mod´elisation quantitative, le deuxi`eme correspond a` la r´eification formelle de la transition vers une d´emarche nomoth´etique, evoqu´ee dans le premier point de cette section. La recherche de g´en´eralisations, de lois spatiales, conduit a` chercher a` inscrire de multiples configurations observ´ees dans un sch´ema g´en´erique. Celui-ci est d’autant plus puissant qu’il « capture » d’autant plus de configurations existantes. Cela correspond a` relier les observables choisies pour d´ecrire et dessiner le syst`eme (1ER temps) dans des formules math´ematiques. Ces mod`eles sont ph´enom´enologiques, sans pour autant ˆetre dynamiques. Leur but est de comprimer les observations dans une ou plusieurs formules qui doivent permettre de reproduire les donn´ees, mais aussi de les pr´evoir sans passer par l’observation directe. Un tel mod`ele peut enfin permettre d’expliquer des r´egularit´es observ´ees. Donnons trois exemples. Les premi`eres th´eories de la localisation. Elles cherchent `a expliquer et pr´edire qui se localise o`u et pourquoi. En 1826 Von Th¨unen proposa un mod`ele (atemporel) de r´epartition des sp´ecialisations agricoles autour d’une ville, en fonction de la distance au march´e [VT26] (cf. figure 2.3(a)). Les mod`eles g´eom´etriques dessin´es par W. Christaller dans l’expos´ de sa th´eorie des lieux centraux [Chr33] (cf. figure 2.3(b)) sont un autre exemple de cette cat´egorie de mod`eles spatiaux mais statiques.
Par comparaison `a la carte, analogique, le mod`ele de Christaller est logique : il encode avec des pertes en une seule carte l’information contenue dans une multitude de cartes. Cependant, si Christaller articule ses sch´emas, dans l’expos´ de sa th´eorie, avec des causes explicatives de l’apparition de ces r´epartitions, son mod`ele en lui-mˆeme est statique, et n’int`egre donc pas les processus qui engendrent dynamiquement ces structures spatiales r´eguli`eres. En r´esum´e, le mod`ele trace un cadre o`u inscrire une multitude d’organisations spatiales existantes, mais ne dit rien de leur gen`ese et de leur d´eveloppement.
Le mod`ele gravitaire. Inspir´e de la m´ecanique classique, il donne une pr´evision quantitative de l’intensit´ Ii,j des ´echanges entre deux lieux i et j en fonction de leurs masses Pi et Pj (taille de la population ou autre) et de la distance di,j qui les s´epare : Ii,j = k × Pi × Pj
La formule est a` la fois causale, pr´evisionnelle et normative. Elle donne un instantan´e des ´echanges entre deux unit´es spatiales, sans expliquer ce qui se passe dans le temps. Elle capture les donn´ees de terrain, et peut ´egalement pr´evoir une carte de flux. C’est une loi spatiale tir´ee de photos statiques, et qui permet de g´en´erer de nouvelles donn´ees `a un instant pr´ecis. Faisons un rapide apart´e : F. Durand-Dast`es rappelle qu’en g´eographie les mod`eles ont souvent et´ utilis´es comme des filtres [DD01]. Un mod`ele est utile autant par ce qu’il permet de reproduire et d’expliquer que par ses r´esidus, i.e. les ph´enom`enes qu’il ne permet pas de rendre compte et les ´ecarts entre pr´evisions et observations. Il illustre son propos en prenant comme exemple ce mod`ele gravitaire. Lorsque l’on compare la valeur pr´evue par le mod`ele avec la valeur observ´ee du flux, la valeur pr´evue sert de norme. Si le flux observ´ est plus important que la norme, cela t´emoigne d’un effet privil´egi´e, probablement li´e `a des infrastructures de transports, ou `a une relation pr´ef´erentielle historique entre ces deux lieux. Au contraire si la valeur est plus faible que la norme, cela t´emoigne d’un effet barri`ere, li´e `a une contrainte spatiale, humaine (une fronti`ere par ex.) ou naturelle (une chaˆıne de montagnes par ex.).
Le mod`ele en lui-mˆeme n’explique pas pourquoi les ´echanges seraient inversement propor-tionnels a` la distance entre les villes (ou a` son carr´e, ou a` une autre puissance), et proportionnels a` la taille de leurs populations. Il le constate, et il a donc une valeur descriptive : la formule encode et condense des faits relev´es sur le terrain. Cette formule a valeur de loi, on s’attend a` ce que les nouveaux flux suivent la mˆeme loi, et si ce n’est pas le cas (si on n’est pas dans la norme), il y a une raison sp´ecifique a` trouver. Mais la valeur explicative est absente. On peut certes dire que le mod`ele est causal en disant que les variables dans une formule sont la cause du r´esultat (de la valeur calcul´ee) : on retrouve la « causalit´e formelle » d’Aristote. Cette consid´eration nous am`ene aux questions sur la nature de la preuve en g´eographie : « Qu’est-ce qu’une explication g´eographique ? » ou « Est-ce que expliquer c’est pr´edire ? », ´evidemment ´epineuses et sujettes a` d´ebat. Le mod`ele gravitaire a et´ utilis´e comme un composant inclus dans d’autres mod`eles de plus grande envergure, comme celui de Lowry.
Le mod`ele de Ira Lowry. En 1964, Ira Lowry proposa le premier mod`ele « int´egr´ » de l’organisation spatiale des activit´es humaines a` l’int´erieur d’une ville [Low64]. Il prenait en compte les m´enages, les logements, les emplois de type industriel et de service. Il a et´ appliqu´e a` la ville de Pittsburg aux Etats-Unis. Lowry essaya de pr´evoir la r´epartition des m´enages et des bassins d’emploi dans une ville en fonction des ´evolutions ´economique et d´emographique, consid´er´ees comme exog`enes et ext´erieures a` celle-ci. D. Pumain explique dans [PPK06] que :
(. . .) le mod`ele calculait, sous des contraintes d’effectif donn´ees, quelle r´epartition de la population parmi un ensemble de zones s’ajusterait a` une distribution donn´ee d’emplois de base, compte tenu ´egalement des emplois suppl´ementaires induits par cette population.
Il servit tr`es longtemps aux am´enageurs, puis comme r´ef´erence pour la g´en´eration suivante de mod`eles. Ce mod`ele est souvent pr´esent´ [PSJS89, BT04] comme la derni`ere marche avant les mod`eles dynamiques, que nous consid´erons comme le 3`EME temps de notre lecture. En fait si ce mod`ele de Lowry est th´ematiquement statique (il cherche des m´ecanismes permettant de produire de fa¸con r´ealiste une distribution spatiale pour une distribution ´economique `a une date donn´ee), il est d´ej`a techniquement dynamique : le mod`ele converge vers un ´equilibre, atteint par des it´erations successives, chacune correspondant `a ajuster les r´epartitions spatiales des emplois de services et celles des m´enages6.
Ainsi c’est `a partir des ann´ees 1960 que l’informatique se d´eveloppe en g´eographie comme langage et support de mod´elisation. D´esireux d’aller plus loin, les g´eographes vont « donner vie » `a leurs mod`eles en y mimant le passage du temps.

Reconstruire des structures spatiales en d´eveloppement avec des mod`eles

Ce troisi`eme temps correspond au passage a` des mod`eles dynamiques, plus explicatifs car m´ecanistes » : leur ambition est justement de comprendre la m´ecanique des choses dans le temps, et de la reconstuire en simulant le d´eveloppement. Cela correspond aux mod`eles qui cherchent a` reconstruire des villes virtuelles qui pr´esenteront des caract´eristiques structurelles semblables a` celles observ´ees dans la r´ealit´e, ou bien a` interpoler ou extrapoler le d´eveloppement de villes r´eelles.
Historiquement, il est difficile d’isoler un mod`ele g´eographique pionnier dans cette cat´egorie qui fasse consensus, car certains sp´ecialistes consid`erent que, bien qu’a-temporel dans la forme, le mod`ele gravitaire est par exemple un mod`ele expliquant l’apparition d’une structure. Selon ce point de vue, le mod`ele gravitaire ne fait pas apparaˆıtre le temps parce que le facteur explicatif, g´en´eratif des flux, est la distance absolue entre deux lieux, et que celle-ci reste inchang´ee au cours du temps. Mais lorsque la distance est exprim´ee en temps ou en coˆut, elle devient fonction du temps (c.-a`-d. des ´evolutions technologiques et de l’am´enagement), et le mod`ele peut servir a` analyser une ´evolution, un d´eveloppement. De plus il y a eu au moins deux orientations de justification th´eorique du mod`ele : l’une par l’application du principe de maximisation de l’entropie (Alan Wilson) l’autre par simple raisonnement probabiliste et g´eom´etrie (voir Stouffer, intervening op-portunities).
Toutefois il ne s’agit pas d’un mod`ele de croissance d’une structure urbaine. Si l’on ne consid`ere pas le mod`ele gravitaire comme un mod`ele dynamique, alors on peut dire que Torsten H¨agerstrand, g´eographe su´edois aux pratiques innovantes pour son ´epoque, fut pionnier dans ce domaine. D`es le d´ebut des ann´ees 1950, il proposa un mod`ele dynamique et individu-centr´e, de diffusion spatiale d’innovations [H¨ag53]. Nous reviendrons plus en d´etails sur ce mod`ele, ainsi que sur plusieurs autres, dans la section 3.
Dans le domaine de la sociologie urbaine, les mod`eles bien connus de Schelling et de Sakoda sont des exemples de mod`eles dynamiques et g´en´eratifs. Au d´ebut des ann´ees 70, Schelling montra qu’il ´etait possible de reconstruire des configurations socio-spatiales tr`es s´egr´eg´ees, qui mimaient de fa¸con stylis´ee celles observ´ees dans les villes am´ericaines, sans supposer un comportement majoritairement s´egr´egationniste des habitants. Comportant une unique r`egle, tr`es simple et `a un seul param`etre K (un individu d´em´enage si plus de K% de ses voisins ne sont pas issus du mˆeme groupe social/ethnique que lui, sinon il reste), appliqu´ee en parall`ele `a un grand nombre d’entit´es figurant des m´enages ou des individus, son mod`ele permet de g´en´erer des clusters socialement/ethniquement homog`enes `a un plus haut niveau d’organisation spatiale.

Vers un nouveau temps de la simulation g´eographique ?

Apr`es ces trois grands temps de la mod´elisation des villes, il nous semble d´eceler l’amorce d’une nouvelle ´etape importante. En effet, certains auteurs voient dans les nouveaux outils (SIG, geolocalisation, cartographie web et 3D) et dans l’acc`es nouveau aux donn´ees spatiales qu’ils permettent, les d´eclencheurs d’une g´en´eration de mod`eles r´evolutionnaires car beaucoup plus fins, plus r´ealistes et plus op´erationnels [BT04, Ben07, Axt07]. Nous partageons ce constat, mais nous pensons que les mod`eles cibl´es par cette « nouvelle r´evolution » sont les mod`eles ciblant des dynamiques rapides, quotidiennes, etc. et cela du fait de la disponibilit´e de ces donn´ees fines uniquement pour des p´eriodes tr`es r´ecentes. En revanche pour ce qui est des mod`eles explicatifs de l’´evolution des territoires sur le long-terme, l’apport de ces technologies paraˆıt pour l’heure beaucoup moins d´eterminante.
Il semble pourtant que, pour ces mod`eles long-terme ´egalement, un nouveau temps est en train de se faire jour. Il correspond a` la construction de mod`eles qui, comme ceux de la « troisi`eme g´en´eration », poss`edent comme propri´et´es d’ˆetre dynamiques, g´en´eratifs, qui peuvent ˆetre poten-tiellement entit´-centr´es, a` base d’agents (mais pas n´ecessairement), et qui dans le mˆeme temps cherchent a` structurer et articuler de la connaissance a` plusieurs niveaux d’organisation spatiale simultan´ement, o`u chacun des niveaux peut ˆetre mod´elis´ comme une population d’entit´es inter-ragissantes, et a` relier ces niveaux pour les rendre inter-d´ependants. Ces mod`eles multi-niveaux sont motiv´es par le d´esir de d´epasser le cloisonnement des descriptions des ph´enom`enes sociaux en termes de dynamiques a` deux niveaux, micro et macro. Cette dualit´e micro-macro est ap-pauvrissante, et particuli`erement en sciences sociales, o`u un travail de d´efinition des cat´egories existe depuis tr`es longtemps (cf. l’histoire de la statistique [Des10]), bien plus ancien encore que les travaux de Durkheim et a fortiori que l’´emergence de la pratique de la simulation. D’innombrables travaux ont depuis montr´e l’existence et le poids du rˆole des nombreuses struc-tures sociales dans les trajectoires des individus et donc dans celles des populations, ainsi que les effets des ´echelles d’observation et d’analyse et sur les variations de processus et de cat´egories as-soci´ees. Ces constats am`enent n´ecessairement au d´eveloppement de la simulation multi-niveaux. Le d´eveloppement de tels mod`eles, complexes, doit imp´erativement ˆetre accompagn´e par le d´eveloppement d’environnements de simulation intelligents, qui permettent de raisonner sur ces multiples niveaux d’abstraction et d’´evaluer ces mod`eles.
Ce nouveau temps de la mod´elisation nous semble ˆetre un prolongement permis par le croi-sement de multiples avanc´ees, en particulier :
la disponibilit´e a` bas coˆut de moyens de calcul ;
la diss´emination de m´ethodes formelles et l’acc`es plus simple a` la programmation et a` la simulation informatique, r´esultat de plus de cinquante ans d’acculturation et d’appropria-tion des concepts et des outils informatiques ;
l’acc`es a` de nouveaux styles de simulation, de nouvelles approches de calcul.
Dans cette th`ese les besoins multi-niveaux s’expriment dans la probl´ematique g´eographique des liens entre le d´eveloppement spatial interne d’une ville et sa trajectoire au sein du syst`eme des villes sur le long-terme. Nous reviendrons sur cette articulation dans le chapitre suivant et le chapitre 6.

La ville dans le champ des sciences

Une ville est un objet excessivement multidimensionnel et complexe, central pour de nom-breuses disciplines, et a` ce titre le champ des ´etudes urbaines est extrˆemement large et diversifi´. Recenser ces savoirs et ces questionnements sur la ville et l’urbain rel`eve d’une d´emarche en-cyclop´edique [PLBGB00, PPK06]. D. Pumain synth´etise a` grands traits les angles d’attaques disciplinaires sur l’objet-ville :
Pour les historiens, les juristes, ou les sp´ecialistes de sciences politiques, comme pour les premiers chroniqueurs urbains, la ville d´esigne une forme d’organisation po-litique des soci´et´es qui correspond a` diverses formes de statut des personnes ou de l’appropriation d’un territoire. Du point de vue de la sociologie, la ville est aussi une forme d’organisation sociale qui privil´egie l’innovation, grˆace a` l’interaction accrue par la proximit´e, autorisant une complexit´ croissante de la division sociale du tra-vail. L’´economie insiste sur le rˆole de la ville comme productrice de richesse en ce qu’elle aide a` r´ealiser des ´economies d’agglom´eration (profits li´es a` l’utilisation indi-vise d’´equipements publics). Pour les g´eographes, la ville est un « syst`eme a` l’int´erieur d’un syst`eme de villes » (Berry, 1964) et repr´esente l’organisation hi´erarchis´ee du peu-plement des soci´et´es a` deux ´echelles, celle du territoire de la vie quotidienne (la ville) et celle du territoire du contrˆole politique et ´economique (les r´eseaux de villes). Pour la d´emographie, la ville est un groupement permanent de population sur un espace restreint, c’est un contexte qui modifie les biographies individuelles et les comporte-ments. » (entr´ee Ville dans [PPK06])
Cette diversit´ se retrouve bien sˆur dans les mod`eles. Dans cette th`ese, nous n’aborderons que des mod`eles de villes qui viennent de la g´eographie (et un peu de l’´economie).
Mais avant de pr´esenter des mod`eles, et afin de donner un aper¸cu de la probl´ematisation sur la ville en g´eographie, nous nous arrˆetons sur les deux probl`emes cruciaux de (a) la d´elimitation d’une ville dans l’espace, ´etape pr´ealable indispensable `a (b) la comparaison des villes et de leurs ´evolutions dans le temps et la compr´ehension de leur fonctionnement en syst`eme.

Les villes des g´eographes

Des d´elimitations successives pour d´efinir la ville

Pour ´etudier les villes, plusieurs d´efinitions g´eographiques des villes ont et´ successivement propos´ees. D’abord morphologiques puis fonctionnelles, ces d´efinitions viennent se substituer aux d´elimitations communales, h´eriti`eres de l’histoire propre de chaque pays. Elles sont construites sur des crit`eres statistiques et norm´es qui permettent de comparer les ´evolutions des villes dans l’espace et dans le temps de fa¸con plus significative [BPP02]. Ces d´efinitions elles-mˆemes ont une histoire : elles se sont succ´ed´ees, chacune a des manques et en appelle des nouvelles.
La ville-commune. La premi`ere d´efinition est administrative : fait partie de la ville ce qui est inclus dans la d´elimitation communale. Cette d´efinition est arbitraire, dans le sens o`u elle d´epend pour beaucoup de l’histoire du pays, du choix ou non de red´efinir les limites communales au fur et a` mesure de l’urbanisation et du d´eveloppement des banlieues de la ville-centre. En France par exemple, il n’y a pas de r`egles pour faire ´evoluer les communes, et la plupart n’ont pas evolu´ depuis 1792, mˆeme si des agr´egations politiques comme les inter-communalit´es, les communaut´es d’agglom´eration, les communaut´es urbaines ont et´ cr´e´ees pour se donner les moyens de d´ecider et d’agir a` des ´echelles territoriales ´elargies. Ces d´elimitations arbitraires ne permettent pas de raisonner et de comparer les villes. Il faut inclure dans la ville-centre l’ensemble des territoires sous son influence. A Marne-la-Vall´ee ou a` Evry par exemple, des communes de plusieurs dizaines de milliers d’habitants, la polarisation parisienne domine encore largement. L’agglom´eration urbaine. Pour s’affranchir de cet arbitraire des d´ecoupages administratifs, une premi`ere d´efinition, morphologique et statistique, est celle des agglom´erations urbaines. Une agglom´eration urbaine est un groupement de constructions bˆaties en continuit´e (en France s´epar´ees par moins de 200 m`etres libres en terrain constructible) et abritant une quantit´e de population sup´erieure au seuil statistique qui d´efinit le peuplement urbain (en France, 2000 habitants depuis 1856). Une agglom´eration urbaine est donc dans la majorit´e des cas pluri-communale. A l’entr´ee Agglom´eration de [PPK06], il est rappel´ que (. . .) d`es 1897, Paul Meuriot soulignait que l’agglom´eration constitue un cadre g´eographique plus pertinent que la commune pour mesurer et comparer l’importance des villes d’apr`es la population et les activit´es qu’elles rassemblent, la diversit´ et le niveau des fonctions urbaines, le degr´ de complexit´ atteint par leur ´economie et leur soci´et´. »
Dans la pratique, plusieurs pays avaient de fait ent´erin´ la croissance morphologique des villes. En 1860, on a agrandi Paris en lui int´egrant les communes adjacentes (Montmartre et Belleville notamment, en mordant sur un bout de Montrouge, etc.). Mais en Allemagne et en Italie par exemple, o`u la reconnaissance des pr´erogatives politiques aux ´echelons locaux est plus forte qu’en France, cette extension des limites communales s’est pratiqu´ee plus fr´equemment et depuis plus longtemps [PPK06]. Le souci de rattraper le progr`es spatial, morphologique de l’agglom´eration existe depuis tr`es longtemps, mais en France la d´efinition statistique officielle et normative n’est venue qu’en 1954, mˆeme si des ´etudes pr´ealables avaient et´ entam´ees depuis 1942.
La faiblesse de ces d´efinitions morphologiques r´eside dans le fait qu’elles ne rendent compte qu’imparfaitement du fonctionnement de la ville, et notamment des comportements spatiaux en-gendr´es par l’am´elioration des transports et l’augmentation des distances parcourables `a budget-temps constant. Cela engendre des d´eveloppements territoriaux qui, sans s’inscrire en continuit´e morphologique avec l’existant, ne sont pas autonomes, mais li´es a` la proximit´e d’une ville-centre, polarisante, et qui se traduisent notamment par des navettes domicile-travail. La continuit´e du bˆati n’est alors plus un crit`ere suffisant.
L’aire urbaine. Une d´efinition fonctionnelle doit permettre de mieux appr´ehender spatiale-ment la ville dans son fonctionnement, sa dynamique humaine. Une des id´ees envisageables est de prendre en compte les migrations entre la ville et ses p´eriph´eries, donc les mobilit´es des po-pulations p´eriph´eriques. C’est d’ailleurs le crit`ere des navettes domicile-travail qui a et´ retenu par l’INSEE pour d´efinir le p´erim`etre des zonages en aires urbaines (ZAU).
Les Etats-Unis furent probablement le premier pays `a mettre en œuvre les aires fonctionnelles, avec les SMSA (Standard Metropolitan Statistical Areas) [PPK06, BGM08]. En France il a fallu attendre 1996 pour voir ent´erin´ee une d´efinition officielle et statistique des aires fonctionnelles, mˆeme s’il y avait d´ej`a eu une tentative pr´ealable avec les zones de peuplement industriel ou urbain (ZPIU), d´efinies par l’INSEE en 1962 et qui essay`erent aussi d’´elargir la d´efinition de la ville par rapport `a celle des agglom´erations. En effet, les seuils statistiques ´etablissant la d´efinition morphologique de l’agglom´eration urbaine int´egraient mal la banlieue de la plupart des grandes villes fran¸caises (exception faite de Paris, pour laquelle la diff´erence de taille entre agglom´eration et aire urbaine est moins significative que pour d’autres villes fran¸caises).
A titre d’exemple, le tableau 1 donne les populations de Paris, Nˆımes et Montpellier7 selon chacune de ces d´efinitions (les chiffres sont issus du dernier recensement INSEE (2007)).
Ces diff´erentes d´efinitions sont formelles : elles proposent une d´elimitation spatiale sur la base d’une combinaison de crit`eres morphologiques et statistiques norm´es. Ces d´elimitations elles-mˆemes dessinent des mod`eles de villes. Elles ont et´ `a la fois le r´esultat de travaux initi´es par des laboratoires de recherches, et par des commandes politiques d´esireuses de mieux maˆıtriser leurs politiques d’am´enagement, notamment de transports. Elles ont une vocation op´erationnelle : pour pouvoir intervenir l´egalement il faut une r´ef´erence, et c’est sur la base de ces d´elimitations que sont ventil´es les investissements, qu’est choisie la l´egislation `a appliquer, etc.
Toutefois, les seuillages statistiques utilis´es sont discutables, et les crit`eres d´emographiques, morphologiques et fonctionnels ne sont sans doute pas les seuls pertinents pour d´efinir une ville. Mais, au contraire des entit´es « atomiques » ´egalement objets de la discipline (l’individu, le bˆati, etc.), imm´ediatement identifiables et dont la d´elimitation fait universellement consensus, les villes, mˆeme ainsi d´efinies, sont des entit´es « composites ». Nous verrons les questions que cela soul`eve lorsque l’on souhaite les prendre comme entit´es dans une mod´elisation comparative.

La ville, « un syst`eme `a l’int´erieur d’un syst`eme de villes » (Brian Berry, 1964)

L’id´ee qui s’exprime dans cette c´el`ebre formule de Berry est qu’on ne peut comprendre l’´evolution d’une ville sur le long terme si on la consid`ere isol´ement de l’ensemble des villes avec lesquelles elle interagit, formant donc un syst`eme des villes. Les acteurs locaux jouent bien sˆur un rˆole dans la trajectoire prise par une ville, mais leurs actions sont contraintes par un enchainement historique (une path dependency [BAEK87]), i.e. par le poids de l’histoire pass´ee de la ville et de sa situation relative par rapport aux autres villes.
Nˆımes et Montpellier. Le g´eographe et urbaniste Raymond Dugrand avait mis en balance ces poids relatifs de la dynamique pass´ee et les « commandes » impuls´ees par la gouvernance d’une ville, en comparant les trajectoires de deux villes voisines du sud de la France, Nˆımes et Montpellier. Les trajectoires crois´ees de Montpellier, sujette `a une croissance exceptionnelle depuis les ann´ees 1960, et de Nˆımes, ayant perdu sa supr´ematie r´egionale au profit de sa voisine depuis lors, ne sont pas explicables par les seules diff´erences de politiques des ´equipes municipales qui se sont succ´ed´ees. Nˆımes et Montpellier avaient la mˆeme taille de population au d´ebut des ann´ees 1950. Toutes les deux ont b´en´efici´ de l’arriv´ee, lors de la d´ecennie suivante, des rapatri´es d’Afrique du Nord, qui se sont beaucoup concentr´es dans le Languedoc. Mais `a cette ´epoque-l`a Montpellier a « d´ecoll´ » et transform´e sa structure d’activit´es beaucoup plus vite que Nˆımes.
Pour comprendre cette diff´erenciation, il faut voir que Nˆımes ´etait une ville ouvri`ere, tandis que le profil de composition sociale de Montpellier, qui s’observe dans d’autres villes (par exemple `a Rennes et Metz), est (et ´etait) d´ej`a aussi peu ouvrier que l’agglom´eration parisienne, sans pour autant avoir les fonctions propres aux tr`es grandes villes8. En revanche, les cat´egories comme celles des petits commer¸cants, des patrons de l’industrie et du commerce, de l’administration, y ´etaient sur-repr´esent´ees par rapport `a la moyenne des villes fran¸caises. Legrand rappelle que Montpellier ´etait une ville de propri´etaires terriens, des rentiers du sol qui selon lui n’avaient pas fait l’effort d’investir dans l’industrie au moment de la r´evolution industrielle (ce qu’il montre dans sa th`ese, en fustigeant cette incapacit´e `a adopter l’innovation).
Nˆımes avait un pass´e prestigieux dans l’Antiquit´e, mais s’est moins d´evelopp´ee a` l’ˆage clas-sique que Montpellier. Elle n’avait par exemple pas d’universit´e, alors que Montpellier ´etait d´ej`a aux 16`EME et 17`EME si`ecles le si`ege d’une universit´ de m´edecine de renomm´ee internationale. La pr´esence de services comme l’universit´ a favoris´e le red´emarrage de la ville autour des nouvelles activit´es a` fort contenu informationnel, et la formation d’un capital travail de haute qualifica-tion dans les ann´ees 1960-70, avec l’implantation d’IBM et d’autres instituts de recherches. A l’inverse Nˆımes, orient´ee sur la production textile9, avait conserv´ dans sa composition une forte propension d’ouvriers, ce qui a pu contribu´e a` dissuader l’installation d’investisseurs au cours des trente glorieuses. Les entreprises qui se d´eveloppaient alors ´etaient moins d´ependantes des ressources naturelles, ne recherchaient pas les savoir-faires ouvriers, et tentaient d’´eviter les villes avec une forte tradition ouvri`ere (influence des syndicats). Enfin Nˆımes offrait des conditions de vie moins attractives pour les cadres que son voisin montpellierain (ressources ´educatives pour les enfants, etc.).

Grille d’analyse et de classification des mod`eles dynamiques pr´esent´es

Nous allons pr´esenter des mod`eles qui repr´esentent une ville comme un syst`eme dyna-mique. La notion de syst`eme dynamique (SD) permet de formaliser la notion de processus de d´eveloppement. Un syst`eme dynamique est caract´eris´ par des observations qui ´evoluent dans le temps. Ces observations sont les variables du syst`eme et sont reli´ees par certaines relations. Ces variables rendent compte des propri´et´es pertinentes du syst`eme (qu’elles soient g´eographiques, physiques, chimiques, biologiques, sociologiques, . . .). A un instant donn´e, elles prennent une valeur et l’ensemble de ces valeurs constitue l’´etat du syst`eme. L’ensemble de tous les ´etats possibles d’un syst`eme constitue son espace d’´etats (ou espace des configurations).
Par exemple, une pierre qui tombe est un syst`eme caract´eris´ par les variables position et vitesse de la pierre. Ces deux variables ne sont pas ind´ependantes : si on con¸coit la position de la pierre comme une fonction du temps, la vitesse est la d´eriv´ee de cette fonction.
La s´equence temporelle des ´etats du syst`eme est appel´ee une trajectoire. Un SD est un moyen formel pour sp´ecifier comment on passe d’un point dans l’espace des configurations (un ´etat) `a un autre (l’´etat suivant). Ceci peut se faire directement par une fonction (la fonction d’´evolution du syst`eme) ou indirectement en donnant des contraintes (´equations) sur l’´etat futur possible (qui n’est pas n´ecessairement unique si le syst`eme n’est pas d´eterministe). Divers for-malismes math´ematiques correspondent `a cette notion tr`es g´en´erale de syst`eme dynamique. Par exemple les variables peuvent prendre des valeurs continues ou discr`etes. De la mˆeme mani`ere, l’avancement du temps peut progresser par pas de temps discrets ou bien se faire continuement. Dans les cas simples, la trajectoire d’un syst`eme dynamique peut s’exprimer explicitement par une fonction analytique du temps t. Par exemple, dans le cas de la pierre qui tombe, les ´equations diff´erentielles dx/dt = v et dv/dt = g peuvent s’int´egrer explicitement pour donner la distance parcourue par la pierre en fonction du temps : x(t) = gt2.
Dans les cas un peu plus complexes, une formule analytique donnant la trajectoire n’existe pas et la simulation par ordinateur est alors une approche privil´egi´ee pour ´etudier les trajectoires du syst`eme. Par ailleurs, on peut s’int´eresser non pas `a une trajectoire particuli`ere mais aux propri´et´es qualitatives v´erifi´ees par toutes les trajectoires possibles, comme par exemple : « si on attend assez longtemps, le syst`eme finira par prendre un ´etat bien d´etermin´ qu’il ne quittera plus » ou encore « si on passe par ces ´etats, on n’y repassera jamais ». On parle de propri´et´es ´emergentes quand il n’existe aucun moyen plus rapide pour les pr´edire que de les observer ou de les simuler. Notons que des SD dont la sp´ecification est tr`es simple peuvent donner des trajectoires extrˆemement complexes (on parle parfois de comportement chaotique) ; d’autre part, le calcul de la trajectoire du syst`eme peut ˆetre coˆuteux en temps d’ordinateur et exiger beaucoup de m´emoire.
Pour chacun des mod`eles pr´esent´es dans la suite, nous mentionnons la question pos´ee, l’ap-proche de calcul mise en œuvre, la repr´esentation de l’espace, du temps et de l’´etat, les propri´et´es des processus mod´elis´es (lin´eaires ou non lin´eaires ? simples ou compliqu´es ?), les terrains d’ap-plication et les r´esultats obtenus, et enfin la « valeur ajout´ee » du mod`ele par rapport aux pr´ec´edents ainsi que ses limites.
Nous concluons cette section par un tableau r´ecapitulatif indiquant la nature discr`ete ou continue du traitement de l’espace, du temps et de l’´etat du syst`eme pour chacun des mod`eles.

Jay Forrester et les stocks and flows

En 1969 l’ing´enieur J. Forrester, apr`es avoir mod´elis´ les dynamiques de l’´evolution indus-trielle [FW61], et avant de s’attaquer `a celles du monde [F+71], d´ecide de s’int´eresser aux villes, et en particulier `a celle de Boston [For69]. Forrester compte parmi les initiateurs du global modeling movement, un collectif de mod´elisation qui s’est attaqu´e `a des probl´ematiques d´emographiques et ´economiques `a l’´echelle du monde.
Forrester s’int´eressait aux causes du d´eclin des centres anciens des villes am´ericaines, et aux politiques publiques qui permettraient d’y rem´edier. Il chercha donc `a concevoir un mod`ele qui permette de simuler des sc´enarios concurrents de politiques d’investissement, et ´evaluer leurs cons´equences en termes de (re-)d´eveloppement d’une zone urbaine sur le long terme. Son objectif ´etait clairement op´erationnel.
Pour r´epondre a` ces questions, Forrester retient trois sous-syst`emes, trois grands « acteurs » ur-bains : les employ´es, les logements et les entreprises. Il discr´etise chacun de ces trois acteurs en trois cat´egories : les employ´es en cadres professions lib´erales, travailleurs et sous-employ´es ; les logements en grand standing, ouvriers et tr`es bas standing ; et enfin les entreprises en nouvelles, anciennes et en r´ecession. Il d´ecrit la dynamique urbaine en termes de stocks et de flows (flux). Un stock repr´esente l’accumulation pass´ee de flux entr´es et sortis. Chacune des neuf cat´egories mentionn´ees pr´ec´edemment est ainsi repr´esent´ee par une variable de type stock, qui repr´esente l’effectif de cette cat´egorie a` un instant donn´e.
Le mod`ele n’est pas spatial, le temps est repr´esent´ de fa¸con continue, et l’´etat du syst`eme `a un instant donn´e est d´ecrit par un vecteur de neuf variables enti`eres. L’´evolution des stocks est dict´ee par des ´equations diff´erentielles coupl´ees qui combinent plusieurs variables de flux, et qui repr´esentent les entr´ees-sorties des effectifs dans le syst`eme ainsi que les transferts d’effectifs d’un stock `a un autre.
Forrester exposa son mod`ele `a l’aide de repr´esentations graphiques inspir´ees des sch´emas de montage de syst`emes hydrauliques. Cela renfor¸cait l’id´ee d’une perception m´ecaniste de la dynamique d’une ville, ce qui faisait largement d´ebat en g´eographie `a cette ´epoque ([PPK06], entr´ee Mod`ele). La sp´ecification compl`ete du mod`ele est tr`es volumineuse : en plus des neuf variables d’´etat, celui-ci int`egre environ 300 variables secondaires et param`etres. Cela rend tr`es difficile l’´etude des propri´et´es du mod`ele et am`ene `a l’´etudier par la simulation. Les simulations reproduisent l’´evolution de la ville pendant une p´eriode de 250 ans. Mˆeme s’il n’utilise la machine que pour it´erer un calcul qui r´esiste a` l’analyse, Forrester fut avec Lowry un des premiers a` instaurer l’id´ee qu’un simulateur informatique pouvait constituer un outil de recherche urbaine.
En calculant divers sc´enarios de r´enovation urbaine prˆon´es a` l’´epoque (construction massive de logements sociaux pour les m´enages a` faibles revenus notamment), Forrester arriva a` des courbes d’´evolutions des effectifs plutˆot pessimistes : elles montraient que ces politiques d’inves-tissement ´etaient, au sens de son mod`ele, vou´ees a` l’´echec et ne feraient qu’accentuer le d´eclin ´economique de la ville. Apr`es une p´eriode de croissance d’une centaine d’ann´ees la ville subissait un d´eclin s´ev`ere pendant 40 ans, avant de croˆıtre a` nouveau et de tendre vers un ´etat d’´equilibre (les diff´erents stocks n’´evoluent plus). Plusieurs ´etudes du mod`ele, r´ealis´ees apr`es la publication de l’ouvrage par d’autres chercheurs montr`erent que le mod`ele n’´etait pas robuste : il est possible, en jouant sur les valeurs de ses tr`es nombreux param`etres, de produire des r´egimes dynamiques structurellement diff´erents de la convergence vers un point fixe calcul´ee par Forrester.
Selon [PSJS89], ce mod`ele avait l’´enorme int´erˆet d’ˆetre « un excellent moyen de formulation sch´ematique », et « de permettre de repr´esenter et de structurer l’information que l’on a sur un syst`eme ». Il permettait aussi bien sˆur de mettre l’accent sur les effets contre-intuitifs engendr´es par les ph´enom`enes de r´etroaction.
Dans le contexte historique de la mod´elisation urbaine, le mod`ele de Forrester ´etait donc r´evolutionnaire `a plus d’un titre. Il s’agissait d’un mod`ele dynamique, et ce fut le premier `a avoir eu un tel ´echo. Ensuite, avec son syst`eme d’´equations aux diff´erences coupl´ees, Forrester formalise explicitement l’id´ee que des boucles de r´etroactions (feedback ) impulsent les dynamiques intra-urbaines.
Mais le mod`ele de Forrester est ´egalement remarquable dans la vague de critiques n´egatives qu’il suscita parmi ses contemporains. Il fut notamment reproch´ a` l’auteur sa m´econnaissance des fondamentaux de th´eorie g´eographique. Par exemple, le mod`ele n’a pas de dimension spatiale, la ville n’y est repr´esent´ee que fonctionnellement. De plus il est ferm´ causalement (bien qu’il int`egre des flux entrants et sortant qui repr´esentent la communication avec l’environnement). C’est donc la structure interne de la ville mod´elis´ee qui commande sa dynamique. Au vu de ce que nous avons dit pr´ec´edemment sur le rˆole d´eterminant du contexte d’une ville sur sa trajectoire au sein du syst`eme, nous comprenons facilement qu’il lui a bien sˆur et´ reproch´ d’isoler la ville du syst`eme des villes. Enfin d’apr`es [BT04], l’assurance de Forrester dans le caract`ere quasi-proph´etique de ses calculs fut pr´ejudiciable au d´eveloppement des mod`eles dynamiques lors des ann´ees qui suivirent. De plus, Forrester ayant et´ largement conseill´ par les responsables municipaux, on suspecta son mod`ele de servir de faire-valoir aux politiques lib´erales, lesquelles allaient `a l’encontre des programmes volontaristes de r´enovation urbaine des ann´ees 1960. . .
La r´eaction des mod´elisateurs `a ces critiques fut le d´eveloppement de mod`eles proposant une vision enrichie de la ville, regard´ee non plus comme un syst`eme ferm´ mais comme un syst`eme ouvert, auto-organis´e, et pouvant ´evoluer entre des r´egimes qualitativement diff´erents.

Des villes ouvertes et auto-organis´ees : les mod`eles de l’´ecole de Bruxelles et de l’´ecole de Leeds

A la fin des ann´ees 1970 se d´evelopp`erent au mˆeme moment, a` Bruxelles et a` Leeds, deux mod`eles qui franchirent un palier dans la repr´esentation de la ville qu’ils calculaient. Ces mod`eles furent :
celui de l’´equipe de Peter Allen a` Bruxelles ;
celui de l’´equipe d’Alan Wilson a` Leeds.
Ces deux mod`eles sont souvent pr´esent´es comme les premiers mod`eles `a ˆetre `a la fois dy-namiques et spatiaux12. Le mod`ele de Lowry [Low64], evoqu´ en section 1.3, ´etait spatial mais seulement pseudo-dynamique, tandis que celui de Forrester ´etait dynamique mais non spatial.
Ces deux mod`eles se r´eclamaient de deux « ´ecoles syst´emiques » distinctes. Le mod`ele d’Allen venait de la physique et ´etait con¸cu en r´ef´erence directe aux travaux d’Ilya Prigogine sur les structures dissipatives. Il reprit `a ce dernier les ´equations d´ecrivant les processus menant `a des structures auto-organis´ees loin de l’´equilibre. Le mod`ele de Wilson ´etait quant `a lui plutˆot une dynamisation de mod`eles classiques d’interactions spatiales, du type de celui de Lowry. Mais en plus d’introduire une dynamique, Wilson mobilisa les outils math´ematiques d´evelopp´es par Ren´ Thom avec sa th´eorie des catastrophes pour ´etudier analytiquement les points d’´equilibre de son mod`ele.
Les deux sont intra-urbains (ils s’int´eressent a` l’´evolution de l’« int´erieur » d’une ville), g´en´eriques (ils cherchent a` repr´esenter n’importe quelle ville), et enfin pr´esentent beaucoup de similitudes dans les objets et processus qu’ils int`egrent. Ils ne pr´etendent pas renouveler la th´eorie urbaine, mais int`egrent au contraire les processus qui font consensus et qui ont le mieux r´esist´ a` la confrontation aux donn´ees [PSJS89]. Dans les deux, le temps mod´elis´ est continu, la structure spatiale de la ville est statique et discr`ete : c’est un ensemble fini de « zones »13 loca-lis´ees dans l’espace, qui ne sont pas n´ecessairement ni homog`enes ni isotropes. Ces deux mod`eles n’int`egrent pas de processus de d´eveloppement morphologique (g´eom´etrique) de la ville. Les fonc-tions d’´evolution de ces diff´erentes variables sont donn´ees sous la forme d’´equations diff´erentielles non lin´eaires, et sont trop compliqu´ees pour ˆetre int´egr´ees analytiquement. Il n’existe pas de forme close donnant la trajectoire de la ville en fonction du temps, et la trajectoire doit donc ˆetre simul´ee (it´er´ee).
Des interactions spatiales fondamentales sont int´egr´ees dans les deux cas [PSJS89] :
l’induction entre les effectifs des diff´erents types d’activit´es, telle qu’elle est d´ecrite par la th´eorie de la base ´economique ;
l’effet dissuasif de la distance ;
la comp´etition pour l’espace et l’inertie des localisations ;
la dynamique s´egr´egative des populations.
Dans le mod`ele d’Allen, l’´etat de chaque zone est un vecteur de variables, qui inclut :
les quantit´es d’emplois des quatre types d’activit´es pris en compte ;
les quantit´es de population r´esidente (r´epartie en « cols blancs » et « cols bleus ») ;
les variables encodant la localisation dans l’espace ;
l’accessibilit´ aux r´eseaux.
Ces deux mod`eles montr`erent qu’il ´etait possible de reconstruire formellement un mod`ele de ville distribu´e, s’auto-organisant dynamiquement, et pouvant exhiber des r´egimes structurelle-ment diff´erents suivant les valeurs donn´ees a` ses param`etres [PSJS89]. Ils allaient donc plus loin que le mod`ele de Forrester.
Allen et Wilson ont chacun appliqu´e leurs mod`eles a` leurs villes respectives, Bruxelles et Leeds. Rabino et ses coll`egues ont ´egalement appliqu´e le mod`ele de Wilson a` Rome et Turin. A notre connaissance, l’application la plus pouss´ee a et´ faite par les g´eographes Pumain, Saint-Julien et Sanders pour le mod`ele d’Allen. Elles ont compar´e les trajectoires de quatre villes fran¸caises (Rouen, Nantes, Strasbourg et Bordeaux) sur la p´eriode 1954-197514.
Ces deux mod`eles sont repr´esentatifs d’un courant de mod´elisation urbaine dynamique d´e-nomm´e integrative regional modeling dans la litt´erature anglophone, pour la double raison que la ville est repr´esent´ee comme un ensemble de r´egions, chacune d´ecrite par des variables d’effectifs (en emplois, logements, m´enages, individus, etc.), et (b) qu’ils int`egrent les processus d’interaction et de localisation qui tendent a` mod´eliser la ville dans son int´egralit´. Parmi toutes les interactions existant en milieu urbain au niveau microscopique (individus/m´enages, entre-prises), ils retiennent seulement celles qui sont susceptibles d’engendrer au niveau macroscopique une diff´erenciation des r´egions. Le choix de variables et de processus refl`ete leur probl´ematique, qui est l’´etude dynamique de la diff´erenciation de la structure spatiale intra-urbaine. En ce sens, ils sont a` rapprocher des probl´ematiques de l’´economie spatiale, dont l’objectif est justement d’apporter une r´eponse a` la question « qui (ou quoi) se localise o`u ? », « qui » (ou « quoi ») se r´ef´erant aux agents (ou ´equipements) ´economiques, tels qu’entreprises et m´enages (ou les infra-structures publiques), « o`u » se r´ef´erant a` des zones g´eographiques vari´ees allant de la ville au march´e regroupant plusieurs pays, en passant par les collectivit´es territoriales et les r´egions » [FT97].
Mod`eles « boˆıtes noires ». Nous faisons une incartade a` notre progression « d´esagr´egati-ve » pour indiquer qu’`a la mˆeme ´epoque, prenant un parti inverse de ce courant « int´egratif », ont et´ d´evelopp´es des mod`eles tr`es agr´eg´es parfois etiquet´es « boˆıtes noires ». Ils sont influenc´es par les ´equations coupl´ees non-lin´eaires de l’´ecologie des populations (mod`ele de Lotka et Vol-terra), puis de la popularisation des d´ecouvertes sur le comportement chaotique de syst`emes d´eterministes simples (l’´equation logistique discr`ete de May (1976) et les mod`eles de Lorenz en m´et´eorologie). Les mod`eles sont beaucoup plus « petits » : ils contiennent tr`es peu de variables et les processus repr´esent´es restent aussi simples que possible a` ´ecrire, de fa¸con a` pouvoir ˆetre analys´es math´ematiquement. Pour autant ils peuvent donner naissance a` des comportements dynamiques vari´es, et qui ressemblent a` des ph´enom`enes spatiaux r´eellement observ´es. Ces mod`eles plus agr´eg´es s’inscrivent plutˆot dans une approche heuristique et explicative de grands prin-cipes qu’op´erationnelle et pr´edictive. A l’inverse les mod`eles d’Allen et Wilson recherchaient une plus grande vraisemblance g´eographique dans la description. [San84, PSJS89, BT04] proposent des descriptions de mod`eles r´eutilisant les ´equations diff´erentielles coupl´ees de mod`eles proies-pr´edateurs de Lotka et Volterra pour exprimer des dynamiques de comp´etition spatiale entre cat´egories sociales, ou encore de concurrence entre firmes pour l’acquisition d’aires de march´e.

H¨agerstrand, la diffusion spatiale des innovations et les d´ebuts de la mi-crosimulation

Au tout d´ebut des ann´ees 1950 en Su`ede, presque vingt ans avant Forrester et trente avant Allen et Wilson, Torsten H¨agerstrand avait pos´e les bases de ce qui allait devenir un courant important de mod´elisation en sciences sociales : la simulation micro-analytique ou microsimula-tion.
L’id´ee directrice d’H¨agerstrand ´etait que pour reproduire et comprendre l’´evolution d’un ph´enom`ene social a` un niveau macro (jusqu’`a un pays entier), il fallait n´ecessairement poser le probl`eme au niveau de ses composantes « atomiques », donc au niveau des individus. Avec une telle approche, un mod`ele consiste alors a` d´erouler des biographies individuelles en parall`ele, et a` effectuer des mesures collectives sur l’ensemble de la population simul´ee : du comptage (par exemple pour mesurer la taille de la population), de la classification (pour mesurer l’´evolution des structures familiales, ´economiques, etc.). C’est donc l’id´ee d’individualisme m´ethodologique appliqu´ee a` la mod´elisation dynamique, qu’Orcutt d´eveloppa sur des questions ´economiques (CORSIM, [Orc57]). Ce courant fut par la suite relay´ et amplifi´e grˆace aux d´eveloppements mat´eriels et logiciels (langages de plus haut niveau) et des approches de calcul pour concevoir des mod`eles entit´-centr´es (parmi lesquelles les syst`emes multi-agents).
H¨agerstrand s’int´eressait `a la diffusion spatiale d’innovations dans une population humaine, en l’occurrence la rotation des cultures. Dans son mod`ele, il suppose que cette diffusion se fait de deux fa¸cons compl´ementaires : une diffusion priv´ee, d’individu `a individu, et une diffusion publique, de la soci´et´ `a l’individu.
L’espace est discr´etis´ en une grille 9 × 9 de cellules identiques, chacune peupl´ee par 30 individus. Chacun d’entre eux est repr´esent´ par une variable d’´etat dont la valeur correspond a` son niveau de connaissance de l’innovation. Le temps est ´egalement discr´etis´ et la transmission de l’innovation se fait de fa¸con atomique. Les processus repr´esent´es sont essentiellement des interactions « horizontales », d’individu a` individu.
Selon la pr´esentation qui en est faite dans [BT04], trois versions principales du mod`ele sont mises au point. Dans une version de base, l’acquisition de l’innovation par un individu se fait de fa¸con al´eatoire, dans l’espace et dans le temps. Ce processus al´eatoire et les configurations qu’il engendre servent de point de comparaison aux versions am´elior´ees du mod`ele. Dans une seconde version sont int´egr´ees des interactions stochastiques d’individu `a individu. Seuls ceux qui maˆıtrisent d´ej`a l’innovation peuvent la transmettre aux autres individus, qui peuvent l’accepter ou la refuser. D`es qu’un individu a re¸cu l’innovation, il peut `a son tour et sans d´elai la diffuser aux autres. Ces processus g´en`erent des trajectoires plus conformes aux donn´ees. Mais les meilleurs r´esultats sont obtenus pour une troisi`eme version qui int`egre un raffinement suppl´ementaire : un individu ne peut acqu´erir et transmettre `a son tour une innovation qu’apr`es un certain d´elai, en fait qu’apr`es avoir et´ expos´ un certain nombre de fois `a l’innovation.
En 1952 H¨agerstrand ne pouvait pas avoir facilement acc`es a` une plate-forme de calcul suffisamment puissante pour automatiser l’ex´ecution de son mod`ele. Dans [San06], L. Sanders rappelle qu’il d´eroula dans un premier temps ses simulations « a` la main », avec une paire de d´es comme g´en´erateur de nombres al´eatoires. Son travail ´etait v´eritablement pionnier pour l’´epoque, et on peut regretter qu’il ne b´en´eficia pas alors de mat´eriels et logiciels adapt´es. D’apr`es [BT04], ce mod`ele d’H¨agerstrand resta d’abord assez confidentiel, avant de paraˆıtre au grand jour `a la fin des ann´ees 1960, suite `a la traduction anglaise de son livre publi´e quinze ans plus tˆot en Su`ede.
Parmi les « disciples » d’H¨agerstrand, R. Morrill proposa un mod`ele de diffusion spatiale d’un ghetto dans la ville de Seattle (1963-65) ainsi que des mod`eles de migrations en Su`ede, tous individus-centr´es et utilisant la m´ethode de Monte-Carlo utilis´ee par H¨agerstrand.

Mod`eles raster des ann´ees 1960

Au d´ebut des ann´ees 1960, alors que les explorations individus-centr´ees d’H¨agerstrand n’´etai-ent pas encore aussi diffus´ees qu’elles l’ont et´ depuis, les am´ericains Donnelly, Chapin et Weiss mettent au point un mod`ele novateur en termes de d´esagr´egation spatiale, pour ´etudier le d´eveloppement r´esidentiel `a l’´echelle d’une ville enti`ere [DCW64, Cha65, CW68].
Ce mod`ele propose une discr´etisation uniforme de l’espace intra-urbain en une grille de cellules de 300m×300m (9ha.). Comme ces dimensions sont trop grandes pour leur associer de fa¸con vraisemblable une utilisation du sol uniforme, chacune est re-d´ecoup´ee en une grille 3×3 de neuf petites cellules. Chacune de ces petites cellules repr´esente une surface d’un hectare. Son ´etat est d´ecrit par :
une variable bool´eenne indiquant si la cellule est d´evelopp´ee ou non (i.e. si elle contient ou non des r´esidences) ;
un indicateur d’accessibilit´ aux r´eseaux de transports ;
un prix.
L’´etat d’une grande cellule correspond `a une valeur enti`ere dans l’intervalle [0 . . . 9], qui correspond au nombre de petites cellules d´evelopp´ees.
Le mod`ele repr´esente l’´etalement r´esidentiel comme un processus `a la fois :
non-r´eversible : les cellules vierges de toute occupation peuvent devenir r´esidentielles, mais l’inverse n’est pas possible ;
d´ependant de caract´eristiques a` la fois locales (un potentiel est calcul´e au niveau de chaque cellule) et globales (le volume de nouvelles r´esidences a` localiser dans l’espace est calcul´e globalement).

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela clepfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

1 Motivations et contributions 
1 Introduction
2 Organisation du manuscrit
3 Contributions
4 Une collaboration interdisciplinaire
2 Simulation informatique et g´eographie urbaine 
1 R´evolution th´eorique de la g´eographie et grands courants de mod`eles
2 Syst`eme-ville et syst`emes de villes
3 Simulation urbaine dynamique et sans agents
4 Simulation urbaine dynamique, spatiale et `a base d’agents
5 Illustration : Accessim
3 Formes et morphogen`eses urbaines en Europe et aux Etats-Unis 
1 Des formes urbaines
2 Formes urbaines en Europe et aux Etats-Unis : constats
3 Morphogen`eses urbaines en Europe et aux Etats-Unis : hypoth`eses
4 Questions abord´ees par simulation
5 M´ethodologie
4 Simuler les morphogen`eses des syst`emes de villes 
1 Pr´eambule : entr´ee dans Simpop2 et calendrier des r´ealisations
2 Aspects informatiques de Simpop2
3 Exp´erimentations avec l’application Europe
4 M´ecanismes sp´ecifiques pour l’application Etats-Unis
5 Exp´erimentations avec l’application Etats-Unis, et g´en´eralisation
6 Outils d’exploitation existants
7 Nouveaux outils d’exploitation
8 Conclusions du chapitre
5 Simuler les morphogen`eses des villes 
1 Des questions de mod´elisation
2 simpopNano, un mod`ele long-terme de ville en d´eveloppement
3 R´ealisation
4 Instanciation des r`egles
5 D´emarche et outils pour l’exp´erimentation
6 Exp´erimentations
7 Conclusions du chapitre
6 Aspects multi-niveaux dans les simulations `a base d’agents 
1 Des questions en suspens.
2 Multi-´echelles ou multi-niveaux ?
3 Deux exemples de simulation multi-ni-veaux `a la loupe
4 Simpop3 : simuler les morphogen`eses urbaines aux niveaux inter- et intra-urbain simultan´ement
5 Vers des organisations multi-agents multi-niveaux
6 Conclusions du chapitre
7 Conclusion g´en´erale 205
1 Bilan de la contribution
2 Limites et poursuites
3 Perspectives

Télécharger le rapport complet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *