LES POLITIQUES DE TRANSPORT ET LEUR EVALUTION
Le transport a la particularité d´être fortement dépendant des pouvoirs publics qui comptent avec une série d´outils, efficaces selon les contextes et les responsables, pour agir sur l´offre, en développant des réseaux de transport public et privé, en régulant l´exploitation, mais aussi sur la demande, en particulier en agissant sur les coûts et en imposant des limitations à l´utilisation des divers modes pour l´utilisateur, responsable de la décision de se déplacer. Les politiques liées au transport ne sont pas indépendantes et présentent une forte interaction avec d´autres secteurs. Ces politiques sont de plus en plus intégrées aux politiques d´occupation des sols et de développement urbain, ainsi qu´à celles liées au développement économique territorial. Le transport est perçu comme un outil de développement du territoire; dans les dernières décennies il devient un élément articulateur des villes-régions, nouveau modèle de développement, indispensable pour améliorer la productivité et la croissance économique. D´autre part, les politiques de transport sont inévitablement concernées par les politiques fiscales et macroéconomiques, puisque les ressources de l´Etat continuent à être fondamentales pour leur expansion et leur exploitation. Les politiques énergétiques et environnementales ont aussi leur mot à dire sur le transport, puisque celui-ci est un des principaux consommateurs/pollueurs. Cette intervention publique est souvent complexe, puisq’elle intègre plusieurs acteurs institutionnels avec des perspectives et ambitions souvent contradictoires. Diverses institutions du niveau national, régional et local, provenant de partis politiques opposés, avec des priorités et des intérêts différents doivent intervenir conjointement dans la mise en place de ces politiques. Il est donc légitime de s´intéresser à cette organisation institutionnelle qui en elle-même influe sur les politiques de mobilité. Les pouvoirs publics ont désormais connaissance d’orientations au-delà du niveau national, censées regrouper les « best practices » et faisant état de consensus. En Europe, les politiques communautaires sont un cadre que les gouvernements nationaux s´engagent à respecter dans certains délais. En Amérique Latine ces « best practices » sont issues des groupes techniques de la Banque Mondiale et autres institutions finançant les grands projets d´infrastructure.
Les politiques publiques
Les interventions publiques liées au transport sont de nature diverse, il convient donc d’essayer de caractériser ce qu´est une politique et d´établir des différences notamment face à ce que l´on peut cataloguer comme des mesures. Une définition de politique n´est pas universelle. Il est d´ailleurs intéressant de remarquer que ce concept est séparé par les anglo-saxons en politics et policy. Une politique publique serait un programme d´action, à développer dans un territoire ou/et un domaine spécifique, destiné à garantir qu´une vision sociale d´un problème déterminé soit accomplie. Pour Muller P., 1990, la politique publique serait aussi un processus de médiation sociale qui viserait à prendre en charge les désajustements qui peuvent intervenir. Muller ajoute que la politique publique n´aurait pas comme finalité celle de résoudre ce problème. « Faire une politique publique, ce n’est donc pas “résoudre ” un problème, mais construire une nouvelle représentation des problèmes qui met en place les conditions socio-politiques de leur traitement par la société, et structure par là-même l’action de l’État. » (Muller, 1990) .
Cette définition englobe finalement les deux concepts anglo-saxons : le concept de public policy, se référant au plan d´action à entreprendre, ce qui inclut la définition de principes de base, d´objectifs, le rôle de l´Etat et les relations avec les différents acteurs sociaux. Mais aussi celui de politics, lié aux choix collectifs.
Selon Muller, il est possible de distinguer 5 étapes dans la vie d´une politique publique : Premièrement, l´identification du problème. Cette identification est liée à ce que la société perçoit comme décalage entre une situation actuelle et une image objectif qui fait qu´une intervention publique soit nécessaire. A l´origine des politiques se sont souvent les acteurs sociaux (associations, syndicats, élus) et les acteurs économiques qui interviennent et qui définissent ces problèmes. Bien sur, l´opinion publique joue un rôle important dans cette première phase. Deuxièmement, la mise sur agenda politique. Le choix des priorités d´intervention et la volonté d´agir sur un problème. Troisièmement, la formulation politique. Selon Muller cette formulation aurait deux aspects principaux. D´abord, la construction d´ une image de la réalité, ´une référence qui permettra de justifier les interventions proposées, puis celle d´un programme. Quatrièmement, la phase de mise en œuvre qui inclut la définition des responsables institutionnels, la construction d´instruments, la régulation des acteurs privés, la définition des objectifs et les interventions dans le temps. Cinquièmement, ´étape d´évaluation, qui devrait commencer lors de la conception même de la politique. Elle devrait permettre d´évaluer les changements que la politique publique génère et ceux qui n´y sont pas attachés. Ce processus d´évaluation réalisé, ex ante, au cours et ex post c´est ce qui permet d´ajuster les interventions dans le temps et d´éventuellement modifier certains aspects Dans cette recherche, les politiques publiques liées à la mobilité, en particulier celles liées à la restriction de l’utilisation de la voiture et l´amélioration des TC, seront analysées dans leurs diverses étapes. Le contexte qui est à l´origine de diverses approches, le rôle des différents acteurs dans la définition des politiques, le rôle des élus et des institutions dans la genèse des politiques, la description des actions et approches proposées et l’évaluation de certaines de ces politiques seront développés. L´analyse des politiques publiques peut être abordée sous différentes perspectives, soit en s’intéressant à la genèse des politiques, soit en abordant la mise en œuvre ou finalement en évaluant ses résultats. Cette recherche se concentrera sur l´évaluation des politiques de transport mises en place, les outils utilisés seront essentiellement ceux de l´évaluation économique.
Mobilité durable, nuisances, territoire et développement économique
Les relations entre territoire, mobilité, environnement et développement économique constituent un champ d´étude vaste. Elles sont désormais analysées dans une perspective de développement durable, qui gouverne les politiques de mobilité. Le concept de développement durable pourrait être perçu, dans le cas urbain, comme un compromis entre ces différents éléments, une recherche d´équilibre entre croissance économique et l´impact sur l´environnement, entre mobilité, vitesse et étalement. Il convient d’analyser les principales discussions et problématiques autour de ces sujets.
Mobilité durable
Le développement durable, ce concept flou, aux définitions variables, est systématiquement adopté comme objectif des politiques de transport urbain. Sa définition la plus universelle serait « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent en répartissant équitablement les fruits de la croissance, sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». (Comission Bruntland, 1987) .
A partir de cette définition qui inclut trois éléments fondamentaux, celui de développement (sous entendu économique), celui d´équité et celui de préservation de l´environnement et de l’utilisation rationnelle des ressources existantes, viennent diverses appropriations du concept. Ainsi par exemple l´OCDE propose comme définition « Sentier de développement autorisant la maximisation du bien-être des générations présentes sans qu’il en résulte une diminution de celui des générations futures ». La CE définit le développement de manière plus explicite : « Une politique et une stratégie visant à assurer la continuité dans le temps du développement économique et social, dans le respect de l´environnement et sans compromettre les ressources naturelles indispensables à l´activité humaine ». Dans le cas de la mobilité, la notion de « durabilité » est complexe. Cette définition implique nécessairement un compromis, un équilibre. Ainsi par exemple, plus de déplacements, réalisés plus rapidement seraient un facteur et une conséquence de la croissance économique et probablement d´équité. Du point de vue environnemental, cependant, certaines externalités générées seraient plus importantes, la consommation d´espace et d´énergie plus grandes. Certaines des politiques qui seront étudiées ont un souci plus environnemental qu´économique, d’autres un intérêt d´équité plus marqué. Comment établir des différences avec un sous-développement durable ou un développement non durable ? Dans le cas de la mobilité urbaine, le développement et l´équité sont liés à l´accessibilité et la mobilité individuelle. Une agglomération avec une mobilité frénétique, aurait plus de chances de bien se porter économiquement qu´une ville peu mobile. Cependant, une ville avec des déplacements trop longs en temps et en distance serait nécessairement moins efficace, donc probablement moins productive et certainement plus consommatrice d´espace, d´énergie et éventuellement plus génératrice d’externalités et nuisances à l´environnement. Comme il a été dit auparavant, dans cette quête de la mobilité durable, tout semble aboutir au besoin de modifier la distribution modale. Une politique dite durable serait celle qui parvient à diminuer l´utilisation de la voiture en augmentant celle des TC et des modes non motorisés. Nous verrons que dans le cas de Paris et de Bogota, les objectifs publics visent spécialement le report modal. La diminution de l´utilisation de la voiture est une fin en soi. Dans le cas de Santiago et Londres, le but est d´augmenter son efficacité, ce qui finalement aura aussi des conséquences positives sur les externalités liées à l´environnement par exemple.
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Table des matières
INTRODUCTION
I.1 Les objectifs de la recherche
I.2 Les agglomérations analysées
I.3 Le contenu du document
1. LES POLITIQUES DE TRANSPORT ET LEUR EVALUTION
1.1 Les politiques publiques
1.2 Mobilité durable, nuisances, territoire et développement économique
1.2.1 Mobilité durable
1.2.2 L´étalement urbain et la voiture
1.2.3 Transport et développement économique
1.3 Une externalité économique : La congestion
1.4 La mobilité et la pollution environnementale
1.5 Evolution des politiques de transport
2. CADRE LEGAL ET INSTITUTIONNEL – INSTRUMENTS DES POLITIQUES
2.1. Contexte légal et institutionnel à Londres
2.1.1 Les principales lois-Londres
2.1.2 Les institutions, leurs responsabilités et leurs instruments – Londres
2.1.3 Les exploitants des transports – Londres
2.1.4 Les instruments
2.2 Contexte légal et institutionnel à Paris
2.2.1 Les principales lois – Paris
2.2.2 Les institutions, leurs responsabilités et leurs instruments-Paris
2.2.3 Les exploitants des transports-Paris
2.2.4 Les instruments
2.3 Contexte légal et institutionnel à Bogota
2.3.1 Les principales lois – Bogota
2.3.2 Les institutions, leurs responsabilités, leurs instruments- Bogota
2.3.3 Les exploitants des transports – Bogota
2.3.4 Les instruments-Bogotá
2.4 Le cadre légal et institutionnel – Santiago
2.4.1 Les principales lois – Santiago
2.4.2 Les institutions, leurs responsabilités et leurs instruments- Santiago
2.4.3 Les exploitants des transports – Santiago
2.4.4 Les Instruments – Santiago
2.5 Comparaison et éléments clés du cadre institutionnel
3. DESCRIPTION DE LA MOBILITE DES 4 AGGLOMERATIONS
3.1 Définition des territoires à étudier
3.1.1 Londres
3.1.2 Paris
3.1.3 Bogota
3.1.4 Santiago
3.2 Evolution de la mobilité dans la dernière décennie
3.2.1 Report modal à Londres ?
3.2.2 Diversification des déplacements en Ile-de-France
3.2.3 Amélioration des conditions de mobilité à Bogota
3.2.4 Explosion des déplacements et de l’utilisation de la voiture à Santiago
3.2.5 Comparaison de certaines caractéristiques de la mobilité
4. LES POLITIQUES DE MOBILITÉ MISES EN PLACE
4.1 Le péage de congestion dans le centre de Londres
4.4.1 Adoption du péage
4.1.2 Le péage mis en place
4.1.3 Conséquences du péage de congestion
4.2 Redistribution de l´espace destiné à la voiture à Paris
4.2.1 Mise en place
4.2.2 Les différents acteurs institutionnels
4.2.3 Impact sur le trafic et diminution de la circulation
4.2.4 Impact sur les TC
4.2.5 Impact sur les émissions et la qualité de l´air
4.2.6 Les rapports région – centre
4.3 Priorité aux modes de transport durables et interdiction de circulation à Bogota
4.3.1 Histoire récente de politiques de transport à Bogota
4.3.2 Description des principales transformations
4.3.3 Conséquences des politiques de transport à Bogota
4.4 Intégration du système de TC et amélioration de la circulation à Santiago
4.4.1 Processus de mise en place du Plan
4.4.2 Description des principales interventions à Santiago
CONCLUSION
