Organisation et communication internes
Le bureau pédagogique de l’AFB est composé du directeur pédagogique et de son assistante, la coordinatrice pédagogique. Le bureau pédagogique a en charge l’offre et l’organisation des cours de français. Il est responsable du recrutement de nouveaux professeurs, de l’animation et de la formation de l’équipe des enseignants. Il s’occupe aussi de la communication externe de la partie pédagogique de l’AFB. Il rend compte de l’avancement de son travail à sa hiérarchie, le directeur de l’Alliance Française, qui supervise l’ensemble des activités de l’AFB (organisation d’événements culturels, gestion de la bibliothèque, partenariat avec des organisations culturelles, etc.). Le bureau pédagogique dispose d’une grande autonomie pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés.
Les sessions de cours sont généralement organisées sur une durée de 80 heures qui s’étalent sur huit semaines. Á chaque session, les professeurs sont invités à faire part de leur disponibilité au bureau pédagogique pour l’attribution des cours. Les professeurs ont tout-àfait la possibilité de refuser de prendre des heures de cours pendant une session, n’étant pas sous contrat permanent avec l’AFB. La communication entre le bureau pédagogique et les professeurs s’effectue le plus souvent par courriel. Des réunions avec les professeurs sont organisées ponctuellement, environ tous les trois mois, par le bureau pédagogique pour faire le point sur les cours, aborder et tenter de résoudre les difficultés éventuelles rencontrées par les enseignants et discuter de nouveaux projets pédagogiques pour l’AFB. La plupart des décisions concernant les orientations pédagogiques et les divers projets de l’institution sur le plan de l’enseignement/apprentissage du français sont prises après concertation avec les professeurs.
Le public d’apprenants
Le public d’apprenants à l’AFB est composé essentiellement de jeunes professionnels travaillant dans le secteur tertiaire. Ils souhaitent acquérir des compétences en français pour enrichir leur curriculum vitae. La grande majorité des étudiants de l’AFB sont inscrits en niveaux A1 et A2. La demande pour les cours de français est en croissance depuis quelques années. En 2009, l’AFB a enregistré une augmentation de 18% des inscriptions par rapport à l’année précédente. Le nombre d’inscription au premier semestre 2010 est en hausse de 34% par rapport au premier semestre 2009. La méthode utilisée pour l’enseignement/ apprentissage du français est le manuel Alter Ego (Hachette, 2006) pour les niveaux A1 à B1, Edito (Didier, 2006) pour le niveau B2, du matériel ad hoc pour le niveau C1. La majorité des professeurs qui enseignent aux niveaux A1 et A2 suivent la méthode et très peu d’entre eux introduisent du matériel différent pendant les cours.
En parallèle, l’AFB propose des cours aux entreprises. Bangalore est une ville très dynamique sur le plan économique et de nombreuses entreprises d’envergure internationale y sont installées. L’AFB répond le plus souvent à une demande de cours de français général, et non de FOS, car la langue de travail des employés est l’anglais, même lors des échanges avec leurs homologues en France. En revanche, les entreprises intéressées par les cours de français souhaitent que leurs employés soient capables de se débrouiller en France, connaissent le pays et disposent de compétences leur permettant de mieux travailler avec des collègues français.
En conséquence la demande s’oriente davantage vers des cours comportant une part importante d’enseignement des aspects socioculturels et également pour des cours de sensibilisation à l’interculturel. Le manuel utilisé pour les cours en entreprise est Objectif Express (Hachette, 2006). L’AFB a enregistré une augmentation significative de la demande pour les cours en entreprise ces dernières années. A titre d’illustration, le nombre de cours en entreprise est passé de 210 cours vendus en 2008 à 380 en 2009, soit une hausse de 80%.
Les objectifs de l’AFB
Aujourd’hui l’Alliance Française de Bangalore est confrontée à un double défi. D’une part,il s’agit de répondre à la demande croissante pour les cours de français général ouverts au public et à la demande en hausse, plus spécifique, des cours en entreprise. D’autre part, l’institution doit motiver et fidéliser l’équipe des enseignants afin d’avoir un nombre suffisant de professeurs pour faire face à l’augmentation de l’activité, et améliorer le niveau de l’équipe pédagogique dans le but de répondre à ces nouvelles demandes.
L’objectif de l’AFB en 2010 est donc de mettre en place un plan de formation pour les enseignants, afin d’améliorer leurs compétences sur les plans linguistique, pédagogique et socioculturel. C’est la commande de stage qui m’a été proposée.
Le cadre de la mission et les contraintes identifiées
L’organisation de la mission
Ma mission consiste à proposer et à mettre en œuvre un programme de formation pour les enseignants afin de répondre aux objectifs de l’institution. Le plan de formation doit être finalisé fin mai 2010, pour une durée de deux ans, et être mis en œuvre dés l’été 2010. Ma mission a été définie par la direction de l’établissement. Elle doit être menée en lien étroit avec le bureau pédagogique, qui a en charge la formation des professeurs. Elle requiert cependant un travail en autonomie. L’organisation attendue de mon travail doit me conduire à faire des propositions argumentées, qui sont ensuite discutées avec le directeur pédagogique.
Les décisions sont prises conjointement, puis exposées au comité de pilotage pour une décision finale.
La mise en place de ce comité de pilotage, qui s’est réuni régulièrement pour suivre la progression de mon travail, a été un élément essentiel pour la conduite du projet. Le comité de pilotage était composé du directeur de l’établissement, de son adjoint et de quatre professeurs de l’AFB, choisis en raison de leur disponibilité et de leur implication dans l’établissement.
Ce comité de pilotage avait pour objectif d’optimiser la communication entre la stagiaire et la direction de l’établissement tout au long de la mission, et de valider au niveau institutionnel les étapes clés du projet.
La nécessité d’impliquer l’équipe pédagogique
Un des éléments incontournables à considérer en amont pour mener un projet comme celui-là est l’implication des destinataires finaux de la formation, les enseignants. En effet, le contexte humain décrit précédemment rend complexe toute tentative d’imposer un programme de formation aux enseignants étant donné leur statut de « prestataires ».
Aujourd’hui l’institution n’a pas les moyens d’obliger les enseignants à se former, sauf à décider que ceux qui ne participent pas aux sessions de formation ne peuvent plus enseigner à l’AFB. Cette décision est difficile à prendre étant donné la pénurie de professeurs de français à laquelle est confrontée l’établissement. La participation des enseignants au programme de formation repose essentiellement sur leurs motivations personnelles et l’adéquation de la formation à leurs attentes, et non pas sur l’injonction de la hiérarchie.
Il est donc essentiel d’impliquer les enseignants dés le démarrage du projet pour qu’ils se sentent concernés. Ils doivent avoir le sentiment d’avoir participé à l’élaboration du programme de formation et d’avoir pu donner leur avis. Au-delà de la nécessaire concertation en amont pour mettre en place le programme, il est indispensable de travailler ensemble sur leurs souhaits en matière de formation, et aussi de mieux comprendre leurs besoins et leurs difficultés. Ainsi, impliquer en amont l’équipe enseignante répond à un double objectif : d’une part motiver les professeurs, d’autre part pouvoir répondre à leurs attentes.
La participation de l’équipe des enseignants à l’élaboration du projet passe par une démarche rigoureuse et volontaire. Il est inutile dans le contexte culturel local d’espérer que lors d’une réunion en groupe, les professeurs fassent des critiques ou énoncent clairement leurs désaccords à un projet. En effet, le sentiment de respect envers la hiérarchie est très fort ici, et ma qualité de Française me place d’emblée dans une position hiérarchique supérieure, bien que je sois stagiaire. Il y a donc un travail approfondi à mener pour espérer obtenir des points de vue et des attentes qui soient sincères et constructifs.
La question des moyens
En amont de la réflexion pour définir un programme de formation s’est posée la question des moyens. Sur le plan financier, la direction a clairement exprimé dés le départ que l’AFB n’avait pas la possibilité de dégager un budget spécifique pour ce projet. Il s’agira donc de travailler sur des modules de formation requérant peu de ressources financières. Dés le départ cette contrainte exclut la possibilité de faire travailler des intervenants extérieurs au réseau.
Les moyens humains seront à rechercher essentiellement en interne.
Sur le plan des moyens technologiques, l’AFB dispose de ressources limitées.
L’enseignement du français à l’AFB est assuré de façon classique avec un tableau et des feutres, les TICs ne sont pas rentrés dans les pratiques en classe. Début 2010 une salle de cours a été équipée d’un ordinateur, d’un lecteur de DVD, d’un grand écran et d’un accès à Internet, afin d’inciter les enseignants à utiliser Internet et la vidéo dans la classe. Après plusieurs mois, il s’avère que très peu d’enseignants ont fait la démarche de réserver la salle pour organiser des activités avec leurs classes. Quand elle a été réservée, la salle a surtout servi à montrer aux apprenants une vidéo, le plus souvent un film de fiction. D’autre part, le bureau pédagogique a lancé en 2010 un réseau sur Internet des étudiants de l’AFB. L’idée est d’animer la communauté des apprenants, avec plusieurs activités proposées sur le forum (jeux, concours, débats, etc.). Une enseignante, très motivée par ce projet, a animé ce forum avec succès jusqu’en juin 2010, date de son départ de l’AFB. La direction de l’établissement n’a pas trouvé de professeur pour prendre la suite et l’animation est maintenant à la charge du bureau pédagogique. Le bilan de l’activité au bout de quelques mois a montré que les étudiants étaient globalement satisfaits du forum. En revanche, la participation des professeurs est quasi-nulle : seulement six professeurs se sont inscrits, et parmi eux seulement trois ont posté un message sur le forum. Ne disposant pas de moyens technologiques, l’AFB n’a pas investi dans des formations pédagogiques pour les enseignants intégrant l’utilisation des TICs en classe. En conséquence, le peu de proximité qu’ont les enseignants de l’AFB avec les outils technologiques favorisant l’échange en groupe ne permet pas d’envisager pour l’instant de mettre en place des outils de formation utilisant les nouvelles technologies. Ce point n’est pas sans incidence sur le projet de formation à envisager.
Le cadre théorique de référence
Le statut de l’enseignement des éléments culturels en classe de langue
Le lien langue-culture
On peut commencer par s’interroger sur la place de l’enseignement des aspects socioculturels en classe de langue. L’enseignement/apprentissage de la langue conduit-il de façon évidente à l’enseignement/apprentissage de la culture ? Dans quelle mesure, l’enseignement d’une langue inclut-il l’enseignement des aspects socioculturels ? Le Cadre
Européen de Référence pour les Langues (2001) apporte des éléments de réponse en exposant explicitement qu’il est nécessaire de prendre en compte d’autres dimensions que la dimension purement linguistique pour définir la compétence à communiquer, et parmi celles-ci le Cadre cite la sensibilisation aux aspects socioculturels (p. 12). Cependant, dans le détail des compétences décrites un peu plus loin par le Cadre, la « compétence socioculturelle », si est mentionnée comme faisant partie de la « compétence sociolinguistique », ne fait pas l’objet d’une définition. Le « savoir socioculturel » est inclus dans la description des compétences générales, c’est-à-dire les compétences distinctes des compétences communicatives langagières (p.82). Le Cadre décrit le « savoir socioculturel » comme « les traits distinctifs caractéristiques d’une société européenne donnée et de sa culture » (p.82), et décline ces traits en une liste allant des éléments de la « vie quotidienne » aux « croyances, valeurs et comportements» (p.82-83).
La liste des descripteurs disponibles pour évaluer la compétence en communication ne prévoit pas l’évaluation des aspects socioculturels. Les auteurs du Cadre reconnaissent que « parmi les catégories supprimées de la batterie originale de descripteurs se trouvaient […] ceux des descripteurs qui décrivent explicitement la compétence socioculturelle et la compétence sociolinguistique. » (p.156). L’absence de description suppose que la compétence socioculturelle se confond avec la compétence langagière dans un grand ensemble, la compétence en communication.
On pourrait déduire de cette première lecture du Cadre qu’apprendre la langue signifie de façon implicite apprendre la culture. Or, ce postulat est largement remis en question. Géneviève Zarate (1993) affirme que « la relation indissociable entre l’enseignement de la langue et celui de la culture n’est en rien une évidence » (p.11). Byram soulève également la question en faisant remarquer : « on estime trop hâtivement que l’enseignement de la langue conduira naturellement à l’apprentissage d’éléments culturels » (1992 : 34). Considérer qu’enseigner/apprendre une langue revient à enseigner/apprendre la culture, en mettant la langue comme objectif prioritaire de l’enseignement/apprentissage, conduit à affirmer l’existence d’une « hiérarchie langue/culture » en classe de langue (Beacco, 2000 : 64). Les professeurs de français langue étrangère sont avant tout des professeurs de langue, ils ont pour mission d’enseigner la langue et ils ont été formés pour cela. « Étant préoccupés en premier lieu par la langue, ils considèrent que tout le reste constitue “ l’arrière-plan” ou le “contexte” qui n’est pas prioritaire dans leur travail. » (Byram, 1992 : 17). L’essentiel de l’effort d’enseignement est donc mis sur la langue tandis que « la culture constitue une annexe sympathique et ludique » (Beacco, 2000 : 64). Nous verrons lors de l’analyse approfondie du contexte que la pratique en classe des enseignants de Bangalore en est l’illustration.
Il est donc plus que jamais nécessaire de remettre l’enseignement des aspects socioculturels au cœur des objectifs de l’enseignement, de façon explicite, comme le souligne G. Zarate : « il est donc postulé que, dans la classe de langue, la compétence culturelle relève de démarches spécifiques d’enseignement qui ne peuvent être confondues avec l’apprentissage de la langue » (1993 : 72)
Mais une fois ce constat effectué, la question essentielle des contenus et des méthodes se pose : qu’est-ce que l’enseignement de la culture ? Quels contenus enseigner et avec quelles méthodes ?
Les difficultés à théoriser l’enseignement de la culture
Essayer de décrire les contenus les plus pertinents à enseigner présuppose que le terme même de culture puisse être défini de façon consensuelle. Or, et c’est bien là que se situe la difficulté, l’objet culture, à la différence de l’objet langue, n’a pas fait l’objet d’une théorisation de son contenu qui pourrait servir ensuite de base en didactique. C. Develotte, dans son cours, Approches discursives de l’interculturel , le souligne : « aussi étrange que cela puisse paraître, il n’existe pas de théorie générale de la culture au sens où par exemple, on peut en trouver concernant le langage, dans les travaux de Chomsky ou de Benveniste par exemple. » (p.65). La raison essentielle est qu’il s’agit d’un domaine ouvert et fluctuant : « si d’aucuns admettent qu’une culture se définit comme un ensemble d’éléments, il est quasiment Cours de master 2 FLE, Université Stendhal Grenoble 3, 2009-2010 impossible d’établir un recensement systématique et exhaustif. » (Abdallah-Pretceille, 1996 :18).
Les fondements théoriques de la démarche interculturelle
La culture transmise au moyen du discours
Commençons par examiner les caractéristiques de l’objet « culture ». Un des caractères saillants de la culture, dont, rappelons-le, il est fort malaisé de donner une définition consensuelle et satisfaisante, reste que son contenu est transmis par le discours. « La culture est essentiellement un phénomène socio-psychologique. Elle est véhiculée par les entendements individuels et ne peut s’exprimer que par l’intermédiaire des individus ». (Linton, 1968 : 321, cité par Abdallah-Pretceille, 1996 : 25).
L’enseignant qui aborde en classe les aspects socioculturels de la culture-civilisation dont il enseigne la langue se trouve en situation de transmettre des faits culturels via la parole, et se fait donc le « représentant », garant des vérités qu’il énonce. De même le « natif » dans son discours se fera le porte-parole de sa culture de « natif ». Le discours descriptif apporte avec lui la fixation des faits culturels et le risque de figer des réalités par définition plurielles et mouvantes, comme nous l’avons vu précédemment. Mais est-il concevable d’envisager la transmission de la culture autrement que par la représentation qu’en font ceux qui produisent les discours ?
Le mode de présence le plus commun est donc celui d’une représentation de la culture autre au moyen de discours : discours que tient l’enseignant, discours de ce que disent eux-mêmes les membres de cette communauté, discours descriptifs, qui prennent cette culture comme objet. (Beacco, 2000 : 67).
Il semble difficile de concevoir une autre façon de faire se rencontrer les cultures, car « ce ne sont pas les cultures qui entrent en contact, ce sont les hommes ». (Abdallah-Pretceille,
1996 : 25). Cependant, « aucun individu n’est familier avec le tout de la culture à laquelle il participe ; encore moins en exprime-t-il tous les modèles dans son propre comportement. » (Linton, 1967 : 24, cité par Abdallah-Pretceille, 1996 : 19). Au caractère figé déjà évoqué s’ajoute le risque d’une vision partielle, voire partiale, des faits culturels transmise par le discours. Comme l’explique Martine Abadallah-Pretceille : « dynamiques, les notions de culture et d’identités culturelles sont aussi plurielles. » (1996 : 19). De cette pluralité découlent des images et des représentations contradictoires de la réalité (Zarate, 1992 : 74).
C’est ici que se trouvent les limites du discours, car « c’est finalement le point de vue qui crée l’objet » (Abadallah-Pretceille, 1996 : 26). Les discours sur la culture reflètent la perception subjective des individus et sont porteurs de représentations, c’est-à-dire d’une interprétation des auteurs du discours.
Les représentations
Toute réalité sociale est en grande partie représentation (Bourdieu, 1987 : 69, cité par Abdallah-Pretceille, 1996 : 29). La représentation est à la fois le processus et le produit du processus par lequel l’individu appréhende son environnement social.
La prise en compte des représentations constitue un des aspects fondamentaux de l’approche interculturelle. En effet elle permet d’aborder les aspects socioculturels dans leur diversité, et situe donc la démarche interculturelle à l’opposé d’une transmission simplificatrice et réductrice d’une supposée réalité culturelle :
Alors que la description traditionnelle cherche à dessiner les contours des pratiques culturelles « moyennes », recourt dans ce cas au procédé du natif moyen et se donne un projet de simplification entendue comme uniformisation, la prise en compte des représentations est solidaire d’une ouverture maximale à la variété des contextes culturels et sociaux. (Zarate, 1993 : 43)
L’approche interculturelle se propose donc de travailler sur les représentations, quelles qu’elles soient, et surtout sur les formes caricaturales des représentations sociales, les stéréotypes.
Nous n’allons pas ici développer les fondements théoriques qui conduisent à la production de stéréotypes, mais il est important de comprendre que le stéréotype est inhérent à la rencontre avec une autre culture et qu’il participe à la construction de la réalité sociale :
Les stéréotypes font partie de la réalité sociale, et il est impératif de ne pas les passer sous silence. Mais il faut absolument les situer comme stéréotypes, c’est à dire comme une vue partielle d’une réalité culturelle globale et complexe. Un stéréotype est un produit social et culturel. (Porcher, 1986)
Dés lors, l’approche interculturelle met les apprenants en situation de produire des stéréotypes, puis de prendre conscience du caractère idéologique et partial de ces représentations.
Le travail à partir des représentations des apprenants se met en place par l’échange et la parole. En effet, « c’est par la verbalisation, et non par une méthodologie d’enseignement définie suivant les critères habituels que l’on se propose d’intervenir sur les représentations des apprenants. » (Beacco, 2000 : 123).
En conséquence, l’approche interculturelle comporte une étape décisive de prise de distance par rapport au discours. C’est cet aspect que nous allons maintenant tenter d’expliquer.
La prise de distance
La prise de distance est nécessaire à la prise de conscience par l’individu que les représentations qu’il produit ne constituent pas la norme et la réalité, mais sont la conséquence de son vécu social et de son appartenance culturelle, c’est-à-dire qu’elles sont subjectives et reflètent l’identité culturelle de celui qui les énonce.
L’opération de distanciation consiste à se rendre compte combien les normes et représentations culturelles sont intériorisées et fonctionnent à l’insu de l’individu, c’est-à-dire lui paraissent évidentes et naturelles, alors qu’elles sont relatives et culturelles. (Gautheron-Boutchatsky & KokEscalle, 2004 : 72)
Le travail sur les représentations comporte une prise de parole qui permet tout à la fois de déconstruire les représentations simplifiées voire caricaturales, et de prendre conscience de « l’étrangeté » de sa propre culture. Ici, l’activité de comparaison prend tout son sens, comme l’explique Michaël Byram :
Il faut ensuite compléter ce travail [de production des représentations] par une étude comparative structurée des cultures maternelle et étrangère, en rendant explicite la connaissance intuitive chez les élèves des structures de leur culture maternelle […] La tolérance vis -à-vis d’autres cultures fleurira d’autant plus aisément que les élèves ressentiront leur propre culture, même de façon éphémère et fragmentaire, comme quelque chose « d’étrange », de « différent », et ne constituant pas forcément la « norme ». (1992 : 39)
L’activité de comparaison apporte des points de vue différents et c’est par elle que s’acquièrent de nouvelles perceptions de la culture : « le processus de comparaison entre deux points de vue permet d’avoir une prise sur les deux cultures et d’acquérir par là même de nouveaux schèmes et une compétence interculturelle. » (Byram, 1992 : 184)
Mais cette pratique doit s’accompagner d’une gestion attentive des discours tenus par les apprenants, sans quoi le risque de cristalliser des certitudes et des attitudes d’enfermement conduit à l’objectif inverse :
Si les comparaisons, dites abusivement interculturelles, telles qu’elles peuvent être pratiquées en classe de langue, ne dépassent pas le niveau de la juxtaposition de données et celui des jugements de valeur, alors elles manquent probablement leur objectif majeur. (Beacco, 2000 : 119)
Un autre danger potentiel de la démarche comparative vient de la nature même de ce qui est comparé, deux ensembles sociaux qui sont présupposés homogènes, le plus souvent deux États nationaux, avec le risque de voir surgir de nouveau des simplifications réductrices. Cet aspect est particulièrement important à garder en tête dans notre contexte où il y a une quasiimpossibilité à comparer simplement la France et l’Inde, les Indiens eux -mêmes ne reconnaissant aucune homogénéité à leur pays où les différences culturelles régionales sont très fortement ressenties.
Néanmoins, la comparaison conduit à remettre en perspective les cultures ou les faits culturels, et l’apprenant peut par ce moyen se décentrer par rapport à sa propre culture. On voit ici que la dimension réflexive est essentielle dans l’approche interculturelle. Elle permet à l’apprenant de relativiser ses propres conceptions et convictions, et surtout d’accepter que celles-ci ne soient pas l’expression de la normalité. La finalité éducative d’une telle démarche est assurément la tolérance envers l’Autre, mais aussi la perception que tout discours sur la culture est porteur d’interprétation et peut être regardé autrement. L’intérêt enfin est de percevoir l’expression de sa propre culture du point de vue d’un individu extérieur, ayant d’autres valeurs et comportements. (Byram et al., 2002).
La capacité d’interprétation
Il faut donc dépasser « la tentation de l’impression de réalité » (Porcher, 1997 : 26), en acceptant que la perception des traits identitaires et culturels de l’Autre que l’on exprime n’est pas la seule valable et surtout qu’elle est le produit d’une interprétation personnelle.
L’approche interculturelle a pour finalité « la remise en question de l’intuition qui amène à une interprétation immédiate, spontanée et triviale de la réalité. La démarche consiste à reconnaître la part du sujet et de son histoire sociale dans l’acte interprétatif » (Zarate, 1993 : 75).
Pour atteindre ces objectifs, une démarche active et adaptée est nécessaire : « le désir explicite de communiquer avec l’autre, la bonne volonté ne garantissent nullement la maîtrise du passage d’un système de valeur à l’autre ». (Zarate, 1993 : 99). Nous avons vu que la comparaison, la verbalisation et la dimension réflexive faisaient partie intégrante de la démarche. Elles donnent aux acteurs la capacité d’interprétation nécessaire au déroulement du processus de l’approche interculturelle : « le vécu direct ne conduit pas à la compréhension, et, sans explication et sans interprétation, un tel vécu peut être pris comme de simples données et assimilé à des schèmes de connaissance déjà en place. » (Byram, 1992 : 161).
La capacité d’interprétation est favorisée par l’interaction, aspect fondamental du processus. C’est par l’échange verbal, la confrontation entre points de vue exprimés et par la rencontre, que se construit la remise en question de sa propre perception de la culture de l’Autre.
Analyse détaillée du contexte
Présentation de la méthodologie du recueil des données
Une investigation a été menée sur le terrain en mai 2010. L’objectif était de recueillir des données sur les pratiques des enseignants de l’Alliance Française de Bangalore lorsqu’ils enseignent les aspects culturels en classe et les attentes par rapport à une formation pour améliorer leurs compétences socioculturelles. Les données ont été recueillies auprès d’un échantillon des professeurs de l’AFB, au moyen d’entretiens semi-directifs. Le guide d’entretien, d’une heure environ, a été discuté et validé par ma directrice de mémoire à l’université. Le contenu des entretiens portait sur le profil, l’expérience de la France et de la langue française, les contacts avec les médias français, la façon d’aborder et de travailler les aspects socioculturels en classe, la perception de ce qu’est l’interculturel . L’échantillon a été construit pour être aussi représentatif que possible de l’équipe des enseignants, sur différents critères : l’âge, l’expérience de l’enseignement, le nombre de séjours en France, les niveaux enseignés . Huit professeurs ont été interviewés entre le 5 et 13 mai 2010.
L’analyse des données présentée ci-dessous permet de cerner quels sont les pratiques, les ressentis, et les attentes des enseignants de l’AFB. Les données sont analysées en référence aux fondements théoriques, ce qui permet d’objectiver l’analyse et de la situer par rapport au cadre de référence.
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Table des matières
Introduction
1ère partie – Présentation du contexte et définition de la problématique
1.1 – L’institution : l’Alliance Française de Bangalore
1.2 – Le cadre de la mission et les contraintes identifiées
1.3 –La problématique
2 ème partie – Le cadre théorique de référence
2.1 –Le statut de l’enseignement des éléments culturels en classe de langue
2.2 – Les fondements théoriques de la démarche interculturelle
2.3 –L’approche par compétences
3 ème partie– Analyse détaillée du contexte
3.1 – Présentation de la méthodologie du recueil des données
3.2 – Comment est enseignée la culture dans la classe ?
3.3 – Les ressentis des professeurs par rapport à leur pratique
3.4 -Les attentes des enseignants
4 ème partie – L’élaboration du projet
4.1 –Une démarche itérative
4.2 – Quelques notions-clé du cadre théorique pour définir les contours du projet
4.3 – Un projet de formation en deux parties
4.4 –Le dispositif retenu
4.5 –L’organisation des rencontres
5 ème partie –Mise en œuvre du dispositif et bilan
5.1 – Le déroulement des ateliers de discussion
5.2 – Bilan
5.3 – Les pistes d’amélioration
6 ème partie – Perspectives
6.1- Travailler la notion d’interculturel
6.2- L’évaluation
Conclusion
Bibliographie
Annexes
