L’INSTRUCTION GRAMMATICALE DANS L’ACQUISITION DE L2

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AUTORÉFLEXIONS À PARTIR DE NOS EXPÉRIENCES EN TANT QU’ENSEIGNANT DE L2

En prenant la perspective de l’enseignant de L2, nos expériences professionnelles nous ont fourni des indices sur la relation entre l’âge des apprenants et le développement de compétences métalinguistiques et métacognitives que véhicule l’apprentissage grammatical explicite.
Au cours de notre carrière d’enseignant de L2, nous avons été amené à enseigner trois langues : l’anglais et le français en Colombie ; l’espagnol (principalement) en France. Ayant travaillé auprès de jeunes adolescents et d’adultes dans chacun des cas, nous avons constaté des particularités liées à l’âge des apprenants, lesquelles suivent la logique des autoréflexions que nous avons réalisées sur notre propre processus d’apprentissage.
Dans les cas des enseignements dispensés aux adolescents, nos réflexions reposent sur deux constats. Le premier, se définit dans le fait que les jeunes apprenants, sans avoir besoin d’explications descriptives et selon leur stade d’apprentissage, communiquent facilement lors des activités de productions orales ou écrites en L2 et arrivent à produire des structures qui, n’étant pas « parfaites », correspondent plus ou moins au système grammatical de la langue cible, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Ces productions sont, néanmoins, conditionnées par l’utilisation de « structures modèle » apprises dans l’immédiat et leur réutilisation est généralement source d’erreurs : leurs connaissances ne sont pas stables. À la suite de ces observations, le second constat est que, lorsqu’une réflexion sur la construction de ces structures est proposée, celle-ci reste très limitée à cause de l’« immaturité » de leurs compétences en tant qu’ utilisateurs/apprenants. En effet, étant donné qu’ils possèdent peu de connaissances antérieures, la réflexion sur les structures de la langue cible reste, pour ainsi dire, inachevée.
leur tour, d’après notre expérience, les apprenants adultes montrent un énorme intérêt pour connaitre les règles régissant le système de la langue et leurs productions semblent être conditionnées par un support d’ordre grammatical (la règle de grammaire).
titre anecdotique, dans nos cours de FLE dispensés aux hispanophones, si une règle de grammaire n’est pas donnée, même avec un input prolongé et abondant, les apprenants adultes se lancent moins facilement à produire un discours, qu’il soit à l’oral ou à l’écrit. Le même constat s’applique aux adultes francophones apprenant l’ELE qui non seulement manifestent un besoin de ce support pour produire des structures « grammaticalement correctes », mais aussi recourent au métalangage (dans la plupart des cas, celui du français) pour expliquer l’organisation de la langue cible et ses différences avec la L13.
Ces constats sur l’apprentissage de L2 chez les adultes s’accordent avec la conception de la règle de grammaire comme un précepte édicté pour bien parler et bien écrire (Besse, 1991). Or, ce qui retient toute notre attention ici est que la connaissance de ces préceptes, d’après notre vécu, est efficace pour la réutilisation des structures abordées en cours et, par conséquent, pour le développement de compétences linguistiques. Ceci suggère, à l’instar de Doughty (2003) et de Gaonac’h (2006) que, pour les adultes, l’explication de règles de grammaire est nécessaire pour donner une organisation à leurs connaissances et ainsi pouvoir les fixer. Pour appuyer cette idée, Nassaji et Fotos (2004) et Ellis et al. (2005) soulignent les effets bénéfiques de l’apprentissage de la grammaire en L2 ; il permettrait aux apprenants non seulement d’atteindre un degré supérieur de précision linguistique, mais aussi d’accélérer leur apprentissage.
Les observations de nos tâches d’enseignement se résument donc dans le fait que, à la différence des apprenants adolescents, les adultes ont besoin de connaitre et de comprendre les principales règles régissant la langue objet de l’enseignement, et de la même façon, ils se réfèrent à des supports grammaticaux bien définis qui leur servent de référence pour reproduire les structures abordées en cours. Nous observons également que nos apprenants, notamment les francophones, se servent de connaissances explicites de leur L1 ou d’autres langues apprises pour analyser la langue cible et comprendre la façon dont ses principes sont organisés.
En guise de conclusion, en nous questionnant sur notre propre expérience dans l’apprentissage de L2, plus précisément sur la façon dont nous-mêmes avons appris les langues et les comportements observés chez nos apprenants quant à l’enseignement grammatical, nous en sommes venu à constater que, s’il existe en effet une influence de l’âge dans le développement des compétences d’apprentissage de langues étrangères, celle-ci semble obéir davantage aux mécanismes mis en œuvre pour s’approprier les langues : alors que les plus jeunes apprennent par des mécanismes implicites (inconscients, immédiats), les adultes mènent un apprentissage conscient et explicite de la langue-objet facilité par la mise en pratique de stratégies d’apprentissage. Cette différence majeure est au cœur des études qui abordent l’acquisition de L2.

L’INSTRUCTION GRAMMATICALE DANS L’ACQUISITION DE L2

Dans l’histoire de la didactique de L2, le rôle joué par la grammaire ainsi que la place qu’on lui a accordée jusqu’à présent dans l’apprentissage formel de langues (donc, en contexte scolaire) sont des plus controversés. On peut constater ceci dans l’ambigüité du concept de « grammaire » et dans les différentes pratiques qui affectent son enseignement. En effet, depuis plusieurs décennies, la place de l’enseignement grammatical au cœur de la classe de langue est l’objet de longs débats en relation aux postures sur la présentation de l’outil linguistique : qu’est-ce que la grammaire exactement ? Est -elle nécessaire dans l’apprentissage de L2 ? Si c’est le cas, quel type de grammaire doit être enseignée ? Combien en faut-il pour que ce soit utile à la communication ? Comment l’aborder ?
Les questions que suscite l’instruction grammaticale en L2 sont pertinentes à l’heure où les compétences socioculturelles et pragmatiques ont pris de dessus sur les compétences linguistiques (le CECRL en témoigne). En guise de réponses à ces questions, nous abordons dans ce point, d’une part, le concept de grammaire ; de l’autre, la place qu’on accorde à son enseignement à l’heure actuelle ; et enfin, son expression la plus courante en cours de L2, c’est-à-dire le métalangage.

« GRAMMAIRE », UN CONCEPT POLYSÉMIQUE

Le système d’une langue est, traditionnellement, étudié et décrit du point de vue de trois disciplines qui se complètent : la sémantique (lexique et sens des mots), la phonétique (sons) et enfin la grammaire (morphologie et syntaxe).
La grammaire occidentale trouve ses origines en Grèce où la notion de grammatikè (origine du mot) renvoyait à l’art de lire et tracer correctement les lettres (Kroubo Dagnini, 2008 ; Médioni, 2011). Cette origine explique le lien existant entre l’orthographe et la grammaire et permet de comprendre pourquoi, dans son acception la plus courante, la grammaire fait référence à une activité scolaire. Ce sens est ressenti lorsque l’on entend des phrases comme « je fais de la grammaire », « je suis nul en grammaire », « un cours de grammaire » ou lorsqu’on lit des noms de textes de référence tels que « Manuel de grammaire française », « Grammaire progressive », entre autres (Riegel, Pellat et Rioul, 1994 : 21-22).
Décrire les multiples conceptions de la notion de « grammaire » n’est pas une tâche aisée. Celle-ci est encore plus compliquée si l’on tient compte que l’acception du terme a vécu des évolutions importantes depuis que l’étude du langage vit le jour. Anthropologie, philosophie, éthique, histoire, politique sont autant de disciplines qui ont servi à expliquer le fonctionnement et l’usage des langues. Il convient donc, dans le cadre de notre étude, de délimiter ce que signifie pour nous enseigner/apprendre la grammaire d’une langue, en la plaçant dans les domaines qui encadrent notre étude : celui de la linguistique et celui de la didactique.
Du point de vue de la linguistique, trois conceptions techniques se correspondent avec le terme grammaire, entendu ici comme l’ensemble de composantes de la langue (Besse et Porquier, 1991 ; Cuq, 1996 ; Riegel, Pellat et Rioul, 2009). La grammaire est alors considérée comme un système (grammaire imminente) ; une compétence (grammaire intériorisée) ; ou une théorie (grammaire-description ou théorique).
En tant que système , la grammaire est conçue comme l’ensemble de principes d’organisation de la langue qui permettent la communication au sein d’une communauté linguistique (Riegel, Pellat et Rioul, 2005). D’après Besse et Porquier (1991), la connaissance explicite de ces principes résulte de l’apprentissage scolaire et comprend des descriptions et des simulations. Les auteurs définissent les descriptions comme les « résultats d’une démarche de catégorisation des unités de la langue et de mise en relation de ces catégories » ; et les simulations comme « la construction abstraite et hypothétique par laquelle on essaie de reproduire, de simuler, le mécanisme d’engendrement des phrases bien formées qu’on postule au sein d’une grammaire intériorisée donnée » (Besse et Porquier, 1991 : 16).
Les automobilistes pourraient comparer ce concept à une voiture : le conducteur de base (dans notre cas, l’usager) sait ce qu’elle est et à quoi elle sert, et s’en sert régulièrement ; or, il est peu probable qu’il connaisse la totalité des éléments dont elle est composée, à moins bien évidemment, qu’il soit un mordu d’automobilisme ou un professionnel dans ce domaine. À cet égard, Besse et Porquier (1991) soulignent que la connaissance explicite du système ne serait vraiment acquise que par des personnes dont la profession est en rapport avec le langage (enseignants, grammairiens, didacticiens, philologues, et bien d’autres experts dans des disciplines linguistiques).
L’acception de grammaire en tant que compétence fait référence à la connaissance inconsciente du locuteur lambda sur les principes d’organisation de la langue. Cette grammaire intériorisée (i.e. compétence grammaticale) est définie comme un phénomène humain observable uniquement à travers des manifestations externes telles que les productions verbales (qu’elles soient orales ou écrites) ou les jugements de grammaticalité et d’acceptabilité portés sur la formation et l’adéquation de ces productions (Besse et Porquier, 1991).
En reprenant notre parallèle avec le monde automobile, la conception de la grammaire comme une compétence reviendrait à la capacité du conducteur de manœuvrer une voiture, d’adapter sa conduite selon les aléas de la route et de juger la conduite des autres en se basant sur des comportements acceptés et acceptables par son entourage. C’est à partir de l’observation et de l’analyse de ces manifestations externes (i.e. pratiques langagières de locuteurs) que se synthétise une théorie, une référence sur l’ensemble d’usages que l’on pourrait comparer à un manuel d’utilisation ou à une notice de règles de jeu.
C’est à la conception de la grammaire-théorie que fait référence l’usage courant qu’on fait aujourd’hui du terme grammaire, lequel vient s’encadrer dans le domaine de la didactique. La grammaire est ainsi envisagée en tant que méthode d’explication, non seulement du fonctionnement de la langue, mais aussi de la façon dont les catégories logiques qui organisent le discours se manifestent. Sous cette perspective, quatre types de modèles théoriques sont distingués : la grammaire descriptive (synchronique), la grammaire historique (diachronique), la grammaire comparée et la grammaire générale. Ces différentes approches de la grammaire se distinguent les unes des autres par leurs objectifs, par les règles qu’elles établissent et surtout par leurs domaines d’applications.
D’une part, la grammaire descriptive étudie généralement les composantes d’une même langue à un moment établi de son existence, qu’il s’agisse d’un état contemporain ou ancien. On distingue en conséquence les sons et leur prononciation (la phonétique, l’orthophonie, la phonologie), les mots (la morphologie, l’orthographe, l’orthoépie), ainsi que les phrases et les propositions (la syntaxe).
son tour, sous une optique diachronique, la grammaire historique explique la façon dont une même langue a évolué depuis son origine (c’est-à-dire, depuis sa « langue mère »). Elle s’intéresse donc aux changements opérés dans les différents aspects de la langue à partir de la langue mère (disparue, dans la plupart des cas) jusqu’à leur état actuel. Sous cette approche, l’étymologie est le mot-clé puisqu’elle permet de reconstituer l’histoire de la langue et de comprendre les tendances et les modifications qu’elle a eues au fil du temps.
D’autre part, la grammaire comparée étudie les ressemblances et les différences que possèdent les systèmes de deux ou plusieurs langues. Dans une telle étude, on s’intéressera notamment aux ressemblances des langues dites « sœurs  » et aux caractéristiques qu’elles partagent et qui les rapprochent de leur origine commune ; c’est le cas, en l’occurrence, des langues romaines (le français, l’espagnol, le portugais, l’italien, le roumain, le catalan, le galicien, l’occitan) dans lesquelles on observe des caractéristiques propres à leur langue mère, le latin.
Enfin, en réunissant les informations recueillies par les autres méthodes de description, la grammaire générale propose de règles générales propres au langage humain. Elle vise ainsi à établir des principes sur lesquels toutes les langues s’entendent en étudiant les règles générales du langage — elle constitue l’appellation ancienne de la linguistique générale. Cette étude se base principalement sur quelques normes, notamment la loi de la physique, de la physiologie, de la psychologie et de la sociologie.
Chacun de ces modèles théoriques se propose d’expliquer le système de la langue dans un but qui est avant tout d’ordre normatif. Dans un souci de prescription, ils rendent compte donc des aspects réguliers au sein de la communication entre les locuteurs. Ces aspects vont constituer des règles d’usage « correct » de la langue, qui seront enseignées et apprises (i.e. grammaires normatives ou prescriptives) ; certaines structures seront privilégiées et d’autres méprisées, soit dans une contrainte d’extension, soit en suivant des valeurs sociales implicites liées à telle ou telle idéologie – ce qui équivaudrait, dans notre parallèle automobiliste, à un code de la route. Dans cette optique, la grammaire est une description de la langue soutenue par un point de vue qui n’est jamais neutre (Suso, 2004 ; Médioni, 2011).
Dans une perspective didactique, la définition de la grammaire en tant que discipline d’enseignement (grammaire-théorie) reste incomplète tant qu’elle ne prend en compte ni les personnes impliquées dans l’échange didactique ni les réalités du fonctionnement de la langue en situation de communication. Sous cette perspective, en empruntant à chacune des définitions traditionnelles de grammaire ce qui est pertinent pour le didacticien, Cuq (1996 : 41) apporte deux acceptions de la notion de grammaire, tout en se gardant de porter des jugements de valeur sur ce qui est propre au bon usage de la langue. Compte tenu des personnes impliquées dans la situation d’enseignement/apprentissage de L2, l’auteur définit la grammaire :
[d’une part, comme] le résultat de l’activité euristique qui permet à l’apprenant de se construire une représentation métalinguistique organisée de la langue qu’il étudie (…) [;]
[et de l’autre, comme] le guidage par l’enseignant de cette activité en fonction de la représentation métalinguistique organisée qu’il se fait de la langue qu’il enseigne.
Dans cette définition, la grammaire de la L2 constitue une image abstraite que l’apprenant cherche à reproduire à travers l’interprétation qu’en fait l’enseignant.
Nous situant du point de vue de l’apprenant, cette image se développe progressivement au fil du temps à chacune des différentes étapes de l’apprentissage ; de ce fait, le contenu linguistique est non seulement individuel, mais aussi évolutif et plus ou moins perméable à tout aspect théorique (donc plus ou moins conscient). Du point de vue de l’enseignant, cette image — qui, en principe, est déjà construite (surtout s’il est natif)
— constitue une description métalinguistique basée, dans la plupart des cas, sur les théories linguistiques qu’il adopte. Dans cette optique, l’outil grammatical est considéré donc comme une compétence de l’apprenant créée à partir des choix théoriques de l’enseignant (qui possède, lui aussi, une compétence dans la langue cible, mise à point ou en cours de développement selon le cas).
Ce qui est intéressant dans les acceptions didactiques proposées par Cuq et Gruca (2005) est que, dans leur conception, l’instruction grammaticale ne constitue pas d’obstacle pour l’interaction communicative qui a lieu dans la classe de langue ; bien au contraire, elle contribue à la construction de l’activité métalinguistique réalisée sur la langue cible. On peut alors se demander naïvement ce qui cloche dans l’enseignement de la grammaire et pourquoi elle suscite encore tant de débats. À ce sujet, les conclusions de Cuq (1996), Cuq et Gruca (2005), Médioni (2011), Llopis-García (2012), entre autres, suggèrent que le débat sur l’instruction grammaticale ne devrait pas se centrer sur le fait d’aborder la grammaire en classe de langue, mais plutôt sur les modalités dont l’information grammaticale y est apportée ; nous les expliquons dans le point suivant.

COURANTS MÉTHODOLOGIQUES DE L2 ET INSTRUCTION GRAMMATICALE EXPLICITE ET IMPLICITE

La réflexion sur les formes grammaticales et leur apprentissage connut ses origines avec Platon et, dès ce moment-là, elle a poursuivi son évolution jusqu’à aujourd’hui compte tenu des pratiques et des conceptions méthodologiques et théoriques qui, selon l’époque, ont guidé l’enseignement de langues.
Pendant longtemps, l’instruction grammaticale (aussi bien en L1 qu’en L2) fut dispensée aux apprenants exclusivement par le biais de « règles » issues de grammaires normatives. Se basant sur des méthodes d’enseignement de langues mortes (le latin et le grec ancien), le but essentiel de cette méthode dite « classique » était la lecture et la traduction de textes littéraires en langue étrangère ; le langage oral était, par conséquent, placé au second plan du fait que seul l’écrit était abordé en classe de langue.
Au vingtième siècle, la communication orale commence à gagner de l’importance dans la classe de L2 et l’enseignement de la grammaire est bouleversé par deux conceptions théoriques qui marquent son histoire : le béhaviorisme et l’innéisme . Sous l’influence de ces mouvements, le rôle de la grammaire dans l’apprentissage de L2 est remis en question, au point de suggérer qu’une telle instruction, non seulement s’avère inutile, mais aussi risque de nuire à l’apprentissage. Sans nous engager dans une description complète de ces théories, nous nous limiterons ici, à l’instar de Bailly (1997 : 15), à souligner que, « pour des raisons différentes […], béhavioristes et [innéistes] considèrent tous deux l’appropriation de L1 et de L2 d’une manière fondamentalement unique ». Sachant que l’appropriation de la L1 ne nécessite pas la connaissance explicite de règles de grammaire, les courants méthodologiques qui s’inspirent de chaque théorie abordent l’instruction grammaticale de façon implicite, c’est-à-dire en cherchant à « inculquer à un élève des règles sans recourir à l’explication théorique et en utilisant uniquement des exercices structuraux » (Robert, 2002 : 84). Malgré cela, certaines différences peuvent être soulignées.
Dans le courant béhavioriste, on distingue principalement trois méthodes : la méthode situationnelle (pratiquée en Grande-Bretagne), la méthode directe (utilisée en particulier en Allemagne et en France) et la méthode audioorale (développée aux États-Unis).
Ces procédés s’encadrent dans une approche naturelle de l’apprentissage d’une langue étrangère fondée sur l’observation de l’acquisition de la langue maternelle par l’enfant. L’apprentissage d’une L2 est ainsi considéré comme l’acquisition d’automatismes cherchant à ce que l’apprenant parvienne à répondre en L2 sans penser aux structures apprises. Sous cette perspective, même si les structures grammaticales sont soigneusement sélectionnées par l’enseignant en fonction de la difficulté qu’elles présentent pour l’apprenant, leur enseignement reste implicite dans la mesure où c’est à l’apprenant de découvrir la règle avant de la mettre en pratique dans les exercices.
La démarche de ces méthodes constitue, au niveau général, un mélange entre la psychologie béhavioriste et le structuralisme linguistique, ce dernier ayant largement influencé l’enseignement de la grammaire grâce aux exercices structuraux. S’effectuant par des échanges entre enseignant et apprenant de type « question-réponse », la plupart des exercices qui y sont proposés consistent à effectuer des manipulations de base sur les structures introduites en classe : la substitution des unités les plus petites de la phrase, la modification de ces unités, l’insertion de nouvelles unités, ou la transformation d’une structure à une autre. Il s’agit donc d’exercices de répétition ou d’exercices d’imitation à partir desquels les apprenants doivent être capables de réemployer la structure en proposant de nouvelles variations paradigmatiques.
En prenant en considération les théories innéistes (qui donneraient lieu plus tard au cognitivisme), Chomsky explique que l’être humain est doté d’une disposition naturelle (voire génétique) pour l’utilisation du langage, laquelle est préprogrammée par la Grammaire universelle (désormais GU). Ce « dispositif d’acquisition du langage » (dorénavant DAL) servirait principalement à l’appropriation de la L1 et serait également impliqué dans l’apprentissage de langues supplémentaires.
C’est dans l’axe de la théorie de Chomsky que Krashen établit une différence notable entre la notion d’acquisition (relative à l’appropriation de la L1) et celle d’apprentissage (relevant de la L2)8. Dans la conception classique de ces termes, souvent évoqués et présents dans beaucoup de conceptions pédagogiques et de courants méthodologiques (cf. Cuq et Gruca, 2005), l’acquisition fait référence à un processus d’appropriation naturelle qui serait fondé essentiellement sur une simple exposition à la langue cible. Se réalisant sans l’intervention d’une réflexion consciente, ce processus conduirait à l’appropriation d’une série de savoirs implicites sur le fonctionnement de L2 (connaissances procédurales), comparables à ceux que l’on possède sur son L1. À l’inverse, l’apprentissage relève d’un type d’appropriation artificielle et explicite focalisée sur la forme. Basé sur une réflexion consciente sur la langue cible, ce processus mènerait l’apprenant à l’appropriation de savoirs explicites concernant les caractéristiques et les règles de la L2, dont fait partie le métalangage.
McLaughlin (1978 ; 1990) et Bialystok (1978 ; 1992) identifient le processus d’acquisition avec la création d’automatismes qui, basés sur des connaissances procédurales stockées dans la mémoire à long terme, permettent au locuteur d’utiliser la langue suivant des règles de production adaptées aux contextes et aux objectifs de communication. Chez les locuteurs natifs, ce sont les connaissances procédurales qui leur permettent de déterminer si une expression est « correcte » ou « acceptable » d’un point de vue grammatical, sémantique ou pragmatique. L’apprentissage, au contraire, relève de processus non automatiques qui supposent la connaissance explicite (donc déclarative) des composantes de la langue et des règles auxquelles elles sont soumises. Les connaissances déclaratives du locuteur découlent, dans la plupart des cas, de l’instruction formelle dispensée dans le milieu scolaire.
La proposition de Krashen (connue sous le nom d’hypothèse acquisitionniste), conduit à une vraie appréhension sur l’utilité de l’instruction grammaticale explicite en L2. En effet, d’après l’auteur, étant donné que chaque processus déclenche respectivement des connaissances de différente nature (ce qui est appris de manière consciente ne peut devenir acquis), l’enseignement formel de la grammaire mènerait à des connaissances strictement déclaratives, sans développer les savoirs procéduraux nécessaires à l’usage de la L2. Cette idée contribuerait à l’exclusion quasi totale de l’instruction grammaticale en classe de L2, en favorisant ainsi une approche d’enseignement (l’approche naturelle) qui serait employée dans les classes d’immersion.
Certains voient dans l’approche naturelle l’une des premières versions de ce que l’on appellerait à la fin des années 70 « approches communicatives », qui proposaient des apprentissages implicites s’inspirant de la façon dont les enfants s’approprient la L1.
En s’inscrivant dans les travaux de Chomsky et de Hymes sur la compétence linguistique et communicative, les approches communicatives accordent une place majeure au sens, qui a une priorité sur la forme tout en tenant compte des paramètres de la situation de communication — i.e. les participants, le lieu, le moment et le but de communication ; l’intention de l’émetteur et l’interprétation du destinataire (Tagliante, 2006). Dans les versions radicales de ces approches, le contenu grammatical explicite est abordé de façon très éthérée (presque clandestine), sans référence spécifique au métalangage — ce dernier étant considéré comme un élément perturbateur de l’apprentissage (Defays, 2003 : 254). La composante linguistique de la classe de L2 (phonétique, vocabulaire et grammaire) est ainsi reléguée à un second rang au profit de la communication.
Nous constatons donc qu’il y a eu comme un vide, particulièrement entre les années 40 et 80, dans lequel l’instruction grammaticale explicite est chassée de la classe de L2, sous prétexte que la L2 s’apprend à la façon dont on s’approprie la L1.
Depuis quelques années, en revanche, de plus en plus de chercheurs soulignent l’importance d’une intervention sur la forme dans l’enseignement d’une L2 (Bialystok, 1981-1994 ; Ellis, 1993 ; 2005 ; Gaonac’h, 2006 ; Ruiz Campillo, 1998-2008 ; Llopis-García, 2012 ; entre autres). En effet, à l’heure actuelle, les chercheurs sont de plus en plus favorables à l’idée de réconcilier la grammaire avec la communication en L2 et recommandent aux enseignants d’apporter aux apprenants des outils facilitant la réflexion sur les structures grammaticales apprises.
Cette prise de conscience est née de plusieurs constats tirés, d’un côté, de travaux consacrés à l’efficacité des apprentissages explicites et implicites et, de l’autre, de recherches concernant les liens entre les connaissances des règles d’une langue et leur utilisation dans une situation de communication. En observant des situations d’apprentissage contrôlées avec des apprenants adultes, l’ensemble de ces études rendent compte des répercussions positives de l’instruction grammaticale explicite sur la précision linguistique et sur le développement à long terme des compétences linguistiques, surtout dans les tâches d’écriture (cf. Cadierno, 1995 ; Lightbown et Spada, 1990 ; 2000 ; entre autres9 ). Par exemple :
Les études de Lapkin, Hart et Swain (1991) montrent que les performances des apprenants issus de classes d’immersion (notamment au Canada), en dépit de posséder une bonne aisance lors des échanges communicatifs, présentaient d’importantes lacunes dans leur précision linguistique.
Dans la même optique, Germain et Séguin (1995) argumentent que le risque de fossilisation est plus élevé pour les apprenants issus de contextes d’apprentissage où la correction grammaticale est négligée au profit de la communication en L2.
Norris et Ortega (2001) analysent 49 travaux qui abordent l’efficacité de l’enseignement formel. À l’issue de leur étude, les auteurs émettent l’hypothèse que les avantages de l’enseignement explicite seraient plus nombreux que ceux de l’enseignement implicite et qu’ils seraient, en plus, plus durables lorsqu’il s’agit d’apprentissages en milieu hétéroglotte.
À son tour, Ellis (2002a), ayant réalisé une analyse sur 11 études consacrées à évaluer l’influence de l’enseignement grammatical sur les productions libres des apprenants de L2, conclut qu’un enseignement sur la forme facilite la création d’automatismes. Son étude de 2003 montrerait que si l’utilisation d’un input implicite conduit à un apprentissage rapide, il n’est pas efficace car le contenu abordé en cours n’est guère généralisable à d’autres types d’énoncés ; il en conclut ainsi que la pratique des deux types d’apprentissage (explication + application) assurerait une réussite, peut-être moins rapide, mais plus efficace.

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Table des matières

INTRODUCTION
CONTEXTE DE L’ÉTUDE
1.1. ÂGE ET APPRENTISSAGE DE LA GRAMMAIRE EN L2
1.2. DIFFICULTÉS GRAMMATICALES DES ADULTES FRANCOPHONES APPRENANT L’ELE
1.3. JUSTIFICATION DE L’ÉTUDE
CONCLUSION INTERMÉDIAIRE
CADRE THÉORIQUE
2.1. L’INSTRUCTION GRAMMATICALE DANS L’ACQUISITION DE L2
2.2. COMPÉTENCE GRAMMATICALE ET COMPÉTENCE COMMUNICATIVE
2.3. COMPÉTENCES LANGAGIÈRES ET JUGEMENTS DE GRAMMATICALITÉ
2.4. APPORTS DES SCIENCES COGNITIVES À L’ÉTUDE DE L’ACQUISITION DE LA GRAMMAIRE EN L2
2.5. ÉVALUATION DE L’ACTIVITÉ MÉTALINGUISTIQUE DANS L’ACQUISITION DE L2
CONCLUSION INTERMÉDIAIRE
DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE
3.1. QUESTIONS ET APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE
3.2. SUJETS PARTICIPANTS DE L’ÉTUDE
3.3. ÉLABORATION DU MATÉRIEL LINGUISTIQUE
3.4. INSTRUMENTS DE COLLECTE DE DONNÉES ET DÉROULEMENT DES TÂCHES D’EXPÉRIMENTATION
3.5. DONNÉES RECUEILLIES ET TRAITEMENT
CONCLUSION INTERMÉDIAIRE
RÉSULTATS
4.1. LES ÉTUDIANTS FRANCOPHONES D’ELE SONT-ILS EN MESURE D’ANALYSER UNE PHRASE, ET DANS
L’AFFIRMATIVE, SONT-ILS EN MESURE DE LE FAIRE CORRECTEMENT ? (Q1)
ÉVALUATION DE LA COMPÉTENCE GRAMMATICALE CHEZ DES ADULTES FRANCOPHONES APPRENANT L’ESPAGNOL LANGUE ÉTRANGÈRE
4.2. LES ÉTUDIANTS FRANCOPHONES PEUVENT-ILS LOCALISER ET EXPLIQUER L’ERREUR DANS UNE PHRASE
JUGÉE INCORRECTE ? (Q2)
4.3. QUEL TYPE DE DISCOURS L’ÉTUDIANT FRANCOPHONE UTILISE-T-IL POUR EXPLIQUER UNE ERREUR DANS
UNE PHRASE ? (Q3)
4.4. UN ÉTUDIANT DE NIVEAU B1 ACQUIS (CONSEIL DE L’EUROPE, 2001) EST-IL EN MESURE DE PRODUIRE À
L’ORAL SPONTANÉMENT DES PHRASES GRAMMATICALEMENT CORRECTES ? (Q4)
CONCLUSION INTERMÉDIAIRE
ANALYSE DES RÉSULTATS ET DISCUSSION
5.1. QUESTION DE RECHERCHE 1 : CAPACITÉ DES ADULTES FRANCOPHONES APPRENANT L’ELE À ANALYSER
UNE PHRASE CORRECTEMENT EN ESPAGNOL
5.2. QUESTION DE RECHERCHE 2 : CAPACITÉ DES ADULTES FRANCOPHONES APPRENANT L’ELE À REPÉRER ET
À EXPLIQUER UNE ERREUR SUR UNE PHRASE JUGÉE INCORRECTE
5.3. QUESTION DE RECHERCHE 3 : DISCOURS DES ADULTES FRANCOPHONES APPRENANT L’ELE POUR
EXPLIQUER UNE ERREUR REPÉRÉE
5.4. QUESTION DE RECHERCHE 4 : CAPACITÉ DES ADULTES FRANCOPHONES APPRENANT L’ELE À EXPRIMER
DES PHRASES GRAMMATICALEMENT CORRECTES EN LANGUE CIBLE
CONCLUSION INTERMÉDIAIRE
CONCLUSION GÉNÉRALE
6.1. RÉSUMÉ
6.2. LIMITES
6.3. OUVERTURE
BIBLIOGRAPHIE

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