INTRODUCTION
La pandémie à SARS-CoV-2 qui a frappé la population mondiale au cours de l’année 2020 aura constitué un évènement de santé publique d’une ampleur inédite, imposant des mesures sanitaires d’exception à l’échelle mondiale, et s’inscrivant d’ores et déjà dans la durée. Dans les pays occidentaux et notamment en France, outre la gestion sanitaire directement liée au virus et les remaniements des structures de santé qui en ont découlé, les différentes périodes de confinement auront eu des répercussions socio-économiques sans précédent. Isolement, fermeture des écoles et des commerces, télétravail, voire perte d’emploi pour certains, sont autant de bouleversements auxquels la population aura dû s’adapter, de surcroit sans y avoir été préparée. L’infection à SARS-CoV-2 se manifeste principalement par une atteinte respiratoire plus ou moins sévère mais peut également engendrer des symptômes touchant tous les appareils, digestifs et ORL notamment. Particulièrement virulente voire létale pour les personnes dites vulnérables (âgées ou polypathologiques par exemple), elle peut cependant se manifester dans sa forme la plus sévère chez les plus jeunes. Son évolution est souvent brutale et imprévisible, et sa contagiosité bien plus importante que la plupart des viroses respiratoires communes connues jusqu’à présent (VRS, Influenzae etc…) Mise pour emploi au sein de l’antenne médicale du Porte-Avions Nucléaire Charles de Gaulle de novembre 2019 à mai 2020, j’ai eu l’occasion de pleinement participer à la mission FOCH 2020 qui s’est déroulée du 21 janvier au 13 avril 2020. Après un peu plus de deux mois de navigation, une épidémie de COVID-19 s’est répandue à bord et a présenté une évolution exponentielle lors des trois dernières semaines de mission. J’ai ainsi pu travailler au sein du dispositif médical mis en place à bord au cours de la crise. A notre retour, j’ai également participéaux visites de reprise de l’ensemble de l’équipage, deux semaines après avoir remis le pied à terre. Outre l’aspect somatique inhérent à la COVID-19 auquel il a fallu faire face en mer, les médecins du bord ont également pris une grande part à la gestion organisationnelle et matérielle d’une crise sanitaire qui a touché 1688 marins au sein d’un dispositif restreint non dimensionné pour faire face à de telles circonstances. A une époque où les connaissances sur la maladie en termes de pronostic comme de prise en charge étaient encore limitées et incertaines, lesfamilles de nos marins vivaient parallèlement en métropole le premier confinement national. Au terme de trois mois et demi d’une mission exigeante, les derniers instants ont été particulièrement éreintants et marquants pour l’équipage, dans un climat d’inquiétude, non seulement pour leur propre santé, mais aussi pour celle de leurs proches. Les discussions que j’ai pu avoir avec certains marins au cours de la crise mais également lors de leurs visites de reprise m’ont permis de constater un indéniable contre-coup psychique. Nombre d’entre eux présentaient des symptômes tels qu’une tristesse de l’humeur persistante, des troubles du sommeil, une anxiété anticipatoire du retour à bord pouvant, pour certains, faire craindre une évolution ultérieure versla maladie psychique. Interpellée par une telle sémiologie, j’ai jugé licite de tenir compte de ces points d’appel cliniques et de surveiller leur évolutivité.
Recontextualisation de la mission FOCH 2020 en contexte pandémique
Le virus SARS-COV2 n’est isolé et identifié en Chine qu’en tout début d’année 2020 et la France n’est à ce moment-là pas encore directement affectée. L’état d’urgence sanitaire est déclaré à la fin du mois de janvier par l’OMS et le qualificatif de « Pandémie Mondiale » n’est employé par les autorités internationales compétentes que le 15 mars 2020. Le premier décès imputé à la COVID-19 en France est déclaré le 15 février 2020, la menace et la dangerosité sanitaire ne sont alors pas ressenties par la population et la plupart des membres de la communauté scientifique restent sceptiques. Le premier confinement national entre en vigueur le 15 mars 2020 au moment où les capacités hospitalières commencent à atteindre leurs limites avec une augmentation exponentielle des cas positifs. Cette première vague est aussi vécue comme une expérience sanitaire et sociale inédite ; elle prendra fin le 11 mai 2020 après la levée progressive des mesures sanitaires.
Manifestations cliniques
L’infection par le SARS-Cov-2 touche principalement le poumon sous la forme de pneumonies et dans les cas graves, de SDRA (3). Elle est aussi à l’origine d’une augmentation du risque de thromboses artérielles et veineuses, notamment d’embolies pulmonaires (4). Selon les séries publiées, un SDRA peut survenir respectivement dans 29%, 17.6 et 19 % des cas (5-6). Selon l’étude du Center for Disease Control and Prevention chinois, plus large échantillon d’étude disponible à ce jour, le délai moyen de survenue d’un SDRA par rapport au début des signes est de neuf jours (7). Le SARS-CoV-2 peut entrainer des syndromes coronariens aigus, des arythmies ou des insuffisances cardiaques (8) avec une indéniable surmortalité en cas de présence de l’un de ces syndromes. La possibilité d’un caractère neuroinvasif du SARS-CoV-2 et ses conséquences cérébrales sont encore débattues. L’anosmie, qui concerne jusqu’à 85% des patients (9) est en rapport avec une atteinte du tractus olfactif. Un schéma d’invasion du parenchyme cérébral via les bulbes olfactifs a également été décrit. (10) L’infection à COVID-19 produit un tableau clinique souvent aspécifique mais parfois bruyant sur le plan de la symptomatologie ORL avec notamment une importante part de dysgueusie. La récupération des cas rapportéssemble favorable sous quinzaine pour 44% des patients mais pourrait durer jusqu’à plusieurs mois (11). L’infection par le COVID-19 peut être associée à des manifestations cutanées à type de manifestations acrales, vésiculeuses ou pustuleuses, d’urticaires, d’exanthèmes ou encore de livédos (12). Ces manifestations peuvent survenir avant, pendant ou après les autres manifestations de l’infection. Certains terrains, intrinsèques ou acquis prédisposent au développement de formes graves. Ces critères de vulnérabilité sont les suivants (10): être âgé de 65 ans ou plus, souffrir d’obésité (IMC>30²), de troubles psychiques, être atteint de certaines maladies chroniques (diabète non équilibré ou compliqué, maladies cardiovasculaires, respiratoires, insuffisance rénale chronique dialysée, cancer, cirrhose, immunodéficience, drépanocytose, etc.). Le troisième trimestre de la grossesse et la précarité sociale sont également considérés comme situations à risque.
Diagnostic et dépistage
Différents examens complémentaires (13) peuvent être utilisés pour diagnostiquer ou dépister une infection par COVID-19 : Les tests virologiques (RT-PCR) permettent de déterminer si une personne est porteuse du virus au moment du test grâce à un prélèvement par voie nasale ou salivaire. Leur sensibilité peut être estimée entre 56 et 83 % et varie en fonction de la qualité du prélèvement. Leur spécificité est excellente, autour de 99%. Les tests antigéniques rapides constituent un outil supplémentaire en complément de la RT-PCR qui reste la technique de référence pour la détection de l’infection à la Covid-19. Ce test antigénique détermine si la personne est infectée au moment du test ; il est prioritairement réservé aux personnes symptomatiques avec une sensibilité de 74 % à 82% selon les études (14) Il présente l’avantage d’être plus rapidement disponible (surtout depuis la mise sur le marché d’auto-tests) et moins couteux. Ce test n’était cependant pas encore disponible au moment du retour de la mission FOCH-2020. Les tests sérologiques permettent de rechercher si une personne a développé une réaction immunitaire après avoir été en contact avec le virus. Il constitue une technique de dépistage a posteriori. Le scanner thoracique non injecté, pouvant montrer en cas d’atteinte respiratoire une atteinte parenchymateuse typique de la maladie sous la forme de plages de verre dépoli bilatérales multifocales, à prédominance sous-pleurale et postérieure Ces examens permettent ainsi de classer les patients de la façon suivante : (15) – COVID possible : Toute personne présentant une infection respiratoire aiguë avec une fièvre ou une sensation de fièvre, ou survenue brutale d’une asthénie inexpliquée, myalgies inexpliquées, céphalées en dehors d’une pathologie migraineuse connue, anosmie ou hyposmie sans rhinite associée, agueusie ou dysgueusie.
– COVID probable : Toute personne présentant des signes cliniques et des signes visibles en tomodensitométrie thoracique évocateurs de COVID-19
– COVID confirmé : Toute personne, symptomatique ou non, avec un résultat biologique confirmant l’infection par le SARS-CoV-2, par RT-PCR, par test antigénique ou sérologie
Facteurs liés à la maladie elle-même
L’évolution clinique la plus classique et médiatisée du COVID-19 est sa forme respiratoire avec des symptômes rapportés par certains patients comme très anxiogènes : douleur thoracique, sensation d’étouffement et de mort imminente. Bien que certains terrains à risque soient retenus par la Haute Autorités de Santé (Cf paragraphe I-B-3), la menace reste ubiquitaire avec des cas graves, voire de décès rapportés chez des personnes pourtant considérées comme non-vulnérables. Certaines prédispositions aux formes sévères semblent encore méconnues, avec par exemple une étude en cours suggérant que le fait d’avoir un groupe sanguin A ou AB constituerait un facteur de risque à part entière. (10) Ainsi, le COVID-19 n’est finalement pas « qu’une simple grippe », avec laquelle la comparaison est souvent faite, menant à minimiser la dangerosité de la maladie (21-23). Pour le variant Delta, le taux de létalité est plus élevé (0,5% versus 0,1% pour la grippe), ainsi que le taux de contagiosité (en moyenne 3 à 4 personnes contaminées par porteur du virus contre 1 à 2 pour la grippe). La notion de COVID-long (inexistante pour la grippe) est de plus en plus médiatisée avec le témoignage de nombreux jeunes actifs rapportant un réel impact négatif sur leur qualité de vie.
Trouble de Stress Post Traumatique
Généralités : Le Grand dictionnaire terminologique définit la notion de « traumatisme psychique » comme un « ensemble de perturbations psychiques ou psychosomatiques causées par un choc psychique généralement violent, et se manifestant notamment par de l’angoisse, de la confusion et des problèmes touchant l’expression, l’alimentation et le sommeil ». (49) Le trouble de stress post-traumatique (anciennement état de stress post-traumatique) désigne quant à lui une pathologie reconnue par le DSM, répondant à un certain nombre de critères diagnostics et faisant suite à une expérience dite « traumatique » dont l’intensité vient excéder les capacités d’intégration du sujet. Freud parlait, en termes psychanalytiques, « d’effraction psychique » (50) pour rendre compte du processus par lequel le souvenir de cette expérience devient un véritable corps étranger au sein de l’appareil psychique de l’individu. C’est une entité clinique décrite et évoquée depuis l’antiquité. Hippocrate rapportera à cette période des rêves traumatiques chez les combattants. (51) Au cours des époques, ces troubles ont porté plusieurs noms tels que « le syndrome du vent du boulet » au cours des guerres napoléoniennes ou encore « obusite » au décours des conflits armés du début du XXème siècle. C’est notamment ces grands conflits mondiaux qui obligeront autorités et médecins à s’intéresser de plus près à ces troubles et à leur prise en charge. Le Professeur et psychiatre militaire P.Clervoy rapporte au travers de son article « Surprises psychiatriques de la Grande Guerre » (52) la description, la considération et la prise en charge des symptômes traumatiques, pour l’époque singuliers, au décours de la guerre de 14-18. Le métier de psychiatre n’existait alors pas encore et c’étaient les neurologues, tel que Babinsky, qui étudiaient ces troubles qui étaient considérées par la majorité des médecins comme des crises d’hystéries ou à des simulations pour échapper au front et à la réalité des combats. Les patients étaient qualifiés entre autres de « crisards », « persévérateurs » ou « inertes psychiques ». La dénomination d’état de stress post-traumatique (TSPT) apparaît pour la première fois en 1980 dans le DSM-III après le retour des vétérans de la guerre du Viêtnam. Bien que la nature même des conflits et leurs modalités aient évolué depuis, le traumatisme psychique au sein desforces arméesreste une question d’actualité. Lesthéâtres d’opération les plus récents danslesquels la France a été engagée, à l’exemple de l’Afghanistan et du Mali, ont en effet été pourvoyeurs de nombreux blessés psychiques, pour lesquels le repérage, le soin et la réhabilitation sont des enjeux majeurs.Mais au-delà de la sphère militaire, ce sont les différentes vagues d’attentats perpétrés sur le sol Français et Européen qui ont réactualisé cette thématique en milieu civil. Plus récemment encore, le vécu de certains patients atteint de formes graves de la COVID-19 a pu être décrit comme traumatique. Le TSPT aurait une prévalence vie entière de 1.9 à 8.8% selon les études. (53) D’après certaines études, il serait associé à un risque accru de développer différents troubles somatiques cardiovasculaires, immunologiques et gastro-intestinaux notamment. (54) Il est également associé à un plus haut risque de trouble addictif, de suicide et peut avoir de lourdes conséquences socio-économiques à l’échelle de l’individu
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Table des matières
A- INTRODUCTION
B- LA PANDEMIE A COVID-19
1) Recontextualisation de la mission FOCH 2020 en contexte pandémique
2) Rappels épidémiologiques
3) Particularités virologiques
4) Manifestations cliniques
5) Diagnostic et dépistage
6) Evolutions et complications
a) En aigu
b) En chronique
7) La COVID-19 comme facteur de stress psychologique en population générale
a) Facteurs liés à la maladie elle-même
b) Facteurs liés à l’ambiance
c) Facteurs liés à l’isolement social
d) Facteurs liés aux retombées économiques
C- COVID-19 ET TROUBLES PSYCHIQUES
1) Définition des troubles psychiques d’intérêt
a) Le Trouble de stress post-traumatique
i- Généralités
ii- Physiopathologie
iii- De l’exposition à l’évènement traumatique au TSPT constitué
iv- Définition selon le DSM-5 et la CIM-10
v- Outils d’aide au diagnostic
vi- Facteurs de risque et de protection et prévention
vii- Evolutions et complications
viii- Traitements
b) L’Episode dépressif caractérisé
i- Généralités
ii- Physiopathologie
iii- Définition selon le DSM-5 et la CIM-10
iv- Outils d’aide au diagnostic
v- Evolutions et complications
vi- Traitements
c) Les Troubles Anxieux (les troubles panique, l’anxiété généralisée et la phobie spécifique)
i- Généralités
ii- Physiopathologie
iii- Définition selon le DSM-5 et la CIM-10
iv- Outils d’aide au diagnostic
v- Evolutions et complications
vi- Traitements
2) Les troubles psychiques en situation épidémique : retours d’expériences passées
a) L’épidémie de SARS-COV1
b) L’épidémie de MERS
c) L’épidémie d’EBOLA
3) Les troubles psychiques en situation de pandémie à COVID-19 en population générale
D- L’EPIDEMIE DE COVID-19 A BORD DU PAN-CDG
1) Le Service de Santé des Armées
2) La Marine Nationale
3) Une population de marins sélectionnés
4) Le PAN-CDG
5) La mission FOCH-2020
6) Mesures prises à bord au déclenchement de l’épidémie de COVID-19
7) Mesures prises au retour de mission
8) Identification de facteurs de Stress Potentiels
E- L’ETUDE COV-PA
1) Introduction
2) Patients et Méthode
a) Schéma d’étude
b) Population
i- Modalités de recrutement
ii- Critères d’inclusion
iii- Critères de non-inclusion
iv- Critères d’exclusion
c) Mesures
i- Données médicales et sociodémographiques
ii- Vécu de la crise
iii- Echelles de dépistage
d) Critères d’évaluation
i- Critère d’évaluation principal
ii- Critères d’évaluation secondaires
e) Déroulement de l’étude
i- Visite d’inclusion
ii- Questionnaire à six mois
f) Recueil et traitement des données
i- Description des données recueillies
ii- Analyses statistiques
3) Résultats
4) Discussion
a) Rappels des résultats et comparaison à la littérature
b) Forces et faiblesses de l’étude
c) L’échelle PCL-5 : une utilisation pertinente ?
d) Des résultats étonnement élevés
a) Hypothèses explicatives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
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