Introduction
Malgré les progrès engendrés par la médecine, l’amélioration significative de la prévention et des techniques de soins, l’édentement complet ne disparaîtra pas. Dans les pays industrialisés, la prévalence de l’édenté complet tend à diminuer compte tenu des soins dispensés. La taille de la population est en augmentation et son vieillissement est constant. De ce fait, le nombre de patients édentés ou en voie d’édentement augmente constamment. L’édentement total, résultat de la perte de toutes les dents, constitue un handicap. La réhabilitation prothétique de l’édenté complet rétablit non seulement les fonctions masticatoire, esthétique et phonétique mais améliore aussi la qualité de vie de ces patients. Chez l’édenté complet la demande de réhabilitation par des implants est grandissante. L’efficacité des thérapeutiques implantaires est très documentée dans la littérature et n’est plus à prouver. De plus en plus, nous allons vers une simplification des protocoles. Le concept de mise en charge immédiate (MCI) en est un exemple car il permet de réhabiliter un patient édenté complet en une seule procédure avec de très bons taux de survie sur le long terme. Le nombre d’études sur la MCI a été en constante augmentation à partir de l’année 2000. L’arrivée de l’ère numérique a révolutionné complètement l’implantologie. Initialement réservée à la mandibule édentée, la MCI s’étend désormais à toutes les situations cliniques d’édentement. Les taux de succès implantaires de MCI sont actuellement semblables à ceux obtenus par les méthodes conventionnelles de mise en charge différée (MCD). Malgré un taux de réussite important, la MCI reste un traitement complexe à mettre en œuvre. Il nécessite de nombreux prérequis comme la sélection du patient, l’analyse en amont du cas clinique avec beaucoup de précautions, un suivi minutieux du protocole de réalisation… ce qui en fait un traitement réservé aux praticiens expérimentés. A ce titre, en termes de chirurgie implantaire, ce n’est que face à certaines indications bien précises et en accord avec des patients motivés et informés des aléas thérapeutiques que la MCI pourra être mise en œuvre. Ce travail porte sur l’étude des critères de choix de MCI et MCD des grandes reconstructions implanto-portées chez l’édenté complet en évaluant le taux de réussite, l’analyse des critères de succès thérapeutiques ainsi que des facteurs de risques et des précautions.
Os maxillaire / mandibulaire
L’os alvéolaire apparaît et disparaît avec les organes dentaires. Dès l’extraction d’une dent, la résorption osseuse commence. Au maxillaire, la résorption est centripète, l’arc se réduit dans toutes ses dimensions. D’une part, la pneumatisation du sinus maxillaire se développe en direction coronaire. D’autre part, la résorption consécutive à l’extraction déplace la crête alvéolaire en direction apicale et palatine. A la mandibule, la résorption est centripète pour les secteurs prémolaire et incisivocanin et centrifuge pour le secteur molaire, d’où un élargissement de l’arc mandibulaire. La résorption osseuse augmente avec la perte des dents, les pathologies générales ou encore le port de prothèses inadaptées…(1)
Définition
– Mise en charge immédiate (MCI) : Les implants dentaires sont connectés aux prothèses dans les 48-72 heures suivant leur pose (8,9). Ce protocole ne nécessite qu’une seule intervention chirurgicale.
– Mise en charge différée (MCD) (précoce/conventionnelle) : Les implants dentaires sont connectés aux prothèses dans un délai d’une semaine à deux mois après leur pose (précoce) ou après une période de cicatrisation de plus de deux mois (conventionnelle) (8,9). L’indication majeure de la MCD avec temporisation par prothèse adjointe est l’absence de stabilité primaire suffisante des implants pour permettre une MCI. Dans ce cas-là, dès la phase de cicatrisation osseuse terminée, c’est à dire lors de la phase d’activation des implants, une temporisation fixe sera idéalement réalisée. Quel que soit le protocole de MCI ou MCD, la stabilité primaire des implants joue un rôle important dans le pronostic de l’intégration des implants. Cependant, l’exigence de stabilité primaire est encore plus fondamentale quand les implants subissent une mise en charge immédiate. Les implants sont soumis à des contraintes biomécaniques dès la pose et toutes les conditions doivent être réunies pour maintenir l’amplitude des micromouvements à l’interface en dessous du seuil de tolérance (<100 microns) (10).
Avantages de MCI par rapport à la MCD
– Un seul temps chirurgical :
– La durée totale du traitement diminue (pas de phase 2, phase d’activation des implants) ;
– Stabiliser et solidariser les implants entre eux de façon tridimensionnelle ;
– Eviter la sollicitation des implants isolés, par une prothèse amovible transitoire ;
– Eviter une adaptation (souvent complexe) de la prothèse complète provisoire après l’intervention chirurgicale jusqu’à la réalisation de la prothèse définitive, particulièrement chez le patient qui avait encore des dents à extraire et qui n’a jamais porté de prothèse amovible ;
– Pas de risque d’exposition des implants due aux frottements de la prothèse amovible complète (PAC) sur la muqueuse ;
– Valider le projet prothétique définitif ;
– La gestion de la temporisation est plus simple avec une prothèse fixe qu’avec une prothèse amovible ;
– Pas de rendez-vous de « rebasage » du provisoire amovible avec un conditionneur tissulaire, ce qui implique une diminution du temps au fauteuil ;
– Gestion des tissus mous avec la cicatrisation guidée par le profil d’émergence ;
– Apporter le confort et la fonction immédiate au patient (esthétique, masticatoire, phonétique) pendant les 3-4 mois de cicatrisation. Le résultat fonctionnel est bien supérieur à celui d’une prothèse amovible instable et inconfortable ;
– Impact psychologique positif (la réhabilitation fixe par le protocole de MCI permet une réinsertion sociale rapide du patient et évite l’angoisse de l’amovibilité de la prothèse).
Pour la Prothèse Amovible Complète Supra-Implantaire (PACSI)
La MCD présente des avantages par rapport à la MCI. Une fois le temps d’ostéointégration respecté (3 mois à la mandibule, 4 à 6 mois au maxillaire), l’os et les tissus mous seront bien remodelés, les piliers vont être choisis avec beaucoup de considération et les empreintes pour réaliser la prothèse au laboratoire seront plus facilement contrôlées (13). La MCI d’une PACSI est une situation clinique très particulière durant laquelle il faudra être vigilant car la mobilité de la PACSI peut engendrer des micro-mouvements dépassant la capacité de tolérance des implants et pouvant rapidement endommager la qualité del’ostéointégration des implants (15,16). Comme pour les réhabilitations fixes, il est important de placer les implants dans une position qui ne sera pas laissée au hasard, permettant le respect des impératifs fonctionnels et esthétiques. De plus, ce positionnement pourra permettre, dans le futur, de réaliser une prothèse fixe dans le cas où le patient ne serait pas satisfait de la PACSI. Par exemple, à la mandibule, si 2 implants en canine pour une PACSI ont été posés, un implant médian antérieur et un implant en position de deuxième prémolaire de chaque côté peuvent être rajoutés pour faire un « All-on-Five ». Cette situation doit être calculée et discutée sérieusement avec le patient dès le début du traitement implantaire.
PACSI
– Maxillaire (4-6 implants reliés par une barre de conjonction ou 4-6 implants indépendants avec attachements axiaux) : Pendant longtemps les PACSI maxillaires ont été décrites avec de mauvais taux de survie car il était question de PACSI dites « d’urgences », c’est-à-dire de PACSI qui étaient non planifiées. A la base, 6 ou 8 implants étaient posés pour une prothèse fixe, puis lorsqu’un ou plusieurs implants échouaient, une PACSI était conçue sur les implants restants. De ce fait, ce traitement n’était pas planifié ni en terme de position des implants, ni en terme de longueur, donc de mauvais taux de survie ont été rapportés. Mais maintenant, pour les PACSI maxillaires planifiées, il y a de très bon taux de survie rapportés dans la littérature. MCD : D’après Wismeijer et al., le taux moyen de survie des implants est de 94,8% à 97,7% avec un recul moyen de 5 ans, et le taux de survie des prothèses de 91,4% (9). Selon Schimmel et al., la MCD de la PACSI sur quatre, cinq ou six implants reliés par une barre de conjonction a un taux de survie compris entre 97,4% et 99,3% avec une période d’observation de 12 à 108 mois. Sur un total de 699 implants posés, 12 ont échoué pendant la première année après la mise en charge (17) (Tableaux 2 et 3). Deux études portent sur la MCD de la PACSI maxillaire sur deux ou quatre implants avec les attachements télescopiques ou attachements boules. Après la première année, sur les 28 implants posés, quatre implants ont échoué. Ce protocole ne peut pas être retenu, le minimum requis pour une PACSI maxillaire est de 4 à 6 implants correctement positionnés avec une longueur minimale de 10 mm. La PACSI augmente la satisfaction et améliore la qualité de vie du patient par rapport à la prothèse amovible complète sur le maxillaire édenté. Le design de PACSI sur quatre à six implants, avec le recouvrement réduit au palais, est appliqué avec succès dans certaines études. Un taux d’échec plus élevé est constaté avec l’implant de surface lisse, en particulier avec des implants de longueur réduite (< 10 mm). Bien que les systèmes de rétention sur une barre de conjonction ou sur les attachements axiaux sont préconisés, la maintenance est plus élevée pour les attachements axiaux et l’inflammation est plus fréquente sous les barres de conjonction. Une maintenance à long terme est essentielle pour tous types de PACSI (18). MCI : il existe peu de preuves scientifiques à l’appui de ce protocole. Ce protocole ne peut donc pas être recommandé (9). Trois études ont porté sur la MCI de la PACSI maxillaire. La PACSI est mise en charge immédiatement sur une barre de conjonction sur quatre ou cinq implants. 312 implants posés ont été suivis sur une période de 12 à 24 mois. Les auteurs ont rapporté le taux de survie entre 97,1% et 98,7%. Sur les 312 implants posés, 6 avaient échoué à 1 an après l’intervention (17). Dans l’étude de Eccellente et al., la PACSI maxillaire est mise en charge immédiatement sur quatre implants avec des attachements télescopiques. Sur les 180 implants placés, 4 échouent pendant la première année après l’intervention. Les auteurs ont rapporté un taux de survie de 97,8% sur une période d’observation de 12 à 54 mois (19) (Tableau 3).
– Mandibule (2, 3 ou 4 implants isolés ou solidarisés par une barre) :
MCD : taux de survie des implants compris entre 97,1% et 100% selon Wismeijer et al., entre 96% et 100% (2-3-4 attachements liés par une barre de conjonction) ou entre 90,4% et 100% (1-2-3-4 attachements axiaux) avec un suivi moyen de 1 à 10 ans selon Schimmel et al. (9,17) (Tableaux 4 et 5).
MCI : le taux de survie des implants compris entre 94,4% et 100% (2 ou 4 attachements liés par une barre de conjonction) et entre 81,6% et 100% (1-2-4 attachement axiaux) selon Schimmel et al. Cependant, les preuves se basent sur un petit nombre d’essais cliniques et il serait utile de poursuivre les recherches avec un plus grand nombre de patients pour valider cette procédure (9,16,17). Des auteurs relèvent que le taux de réussite des MCI est comparable à celui de MCD (>95%) (16,20,21). Selon certains auteurs, il semblerait qu’il n’y ait pas de différence de taux de réussite entre les implants solidarisés (barre de conjonction) et les implants non-solidarisés (attachements axiaux) (13). Pour d’autres auteurs, la MCI sur 2 implants mandibulaires non reliés par une barre est reportée avec un plus faible taux de réussite à cause des mouvements de rotation incontrôlables de la PACSI (17). Les auteurs recommandent de poser un maximum d’implants et de les solidariser par une barre de conjonction pour diminuer les micromouvements de chaque implant, contrôler les mouvements de rotation de la prothèse et améliorer le taux de survie à long terme de ce traitement (20). Peu de travaux portent sur les complications mécaniques de MCI d’une PACSI comme les fractures de prothèse, les rebasages de prothèse, l’usure des parties femelles d’attachement, occlusion non équilibrée… La maintenance précoce des PACSI doit être prévue quand la MCI a été choisie (13). Bien que les protocoles MCI et MCD des PACSI fournissent des taux de survie élevés, les protocoles MCD sont toujours mieux documentés que les MCI et semblent engendrer moins d’échecs implantaires au cours de la première année. Peu d’études prospectives de la MCI de PACSI maxillaire sont disponibles. Il n’y a donc pas assez de preuve pour conclure que celle-ci est un traitement fiable (8,17).
Les complications avec la prothèse provisoire mise en charge = immédiatement sont
Suarez Feito et al. évaluent l’incidence des complications mécaniques sur 242 patients avec les provisoires fixés sur 1011 implants pendant 2-3 mois post-opératoire. Au total, 8,3% des patients ont au moins une fracture de provisoire. Plus de la moitié des nouvelles fractures sont survenues au cours des 4 premières semaines. Les provisoires à la mandibule, sans cantilever, avec des dents naturelles en antagonistes ont un meilleur taux de survie. Si l’antagoniste est une prothèse implanto-portée, le risque de fracture est multiplié par 4,7. Faute de proprioception autour des implants, le provisoire subit une force masticatoire plus importante dans ces cas. Le cantilever surtout au maxillaire multiplie le risque de fracture par 3,4-3,5 (34). Un autre auteur confirme que les implants et les prothèses définitives ont un taux de survie de 100% mais le taux de fracture du provisoire de 16,6% quand les antagonistes sont les prothèses implanto-portées (35). Un fil métallique est utilisé pour renforcer le provisoire. Cependant, les autres auteurs considèrent que ce fil enfoui dans le provisoire se révèle inefficace contre la fracture (13).
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Table des matières
Introduction
I. Généralités
1. Os maxillaire / mandibulaire
1.1 Quantité osseuse
1.2 Qualité osseuse
2. Les différentes mises en charge immédiate, différée (précoce / conventionnelle) chez l’édenté complet
2.1 Définition
2.2 Avantages / Inconvénients
2.2.1 Pour la prothèse complète fixée sur les implants
2.2.2 Pour la Prothèse Amovible Complète Supra-Implantaire (PACSI)
2.2.3 Niveau de difficulté du traitement prothétique
II. Revue littérature : comparaison du protocole de MCI avec la MCD
1. Taux de survie implantaire / prothétique
1.1 PACSI
1.2 Prothèse fixée sur les implants (bridges complets fixes ostéo-ancrés ou prothèse complète fixe ostéo-ancrée)
2. Apport pour le patient
III. Discussion
1. Critères de succès dans la littérature MCI versus MCD
1.1 Lors de la préparation
1.2 Lors de la planification
1.2.1 Analyse osseuse
1.2.2 Choix d’implant
1.2.3 Position des implants
1.3 Lors de la chirurgie et MCI
1.3.1 Stratégie de forage
1.3.2 Stabilité primaire
1.3.3 Micromouvements et occlusion
1.4 Expérience du praticien/ transformation au laboratoire / durée d’exécution
1.4.1 Expérience du praticien
1.4.2 Transformation au laboratoire
1.4.3 Durée d’exécution
1.5 Coopération du patient
2. Patients à risque et précautions
2.1 Patient diabétique
2.2 Fumeur
2.3 Parafonctions
Conclusion
Bibliographie
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