Potentiel de la peau en vaccination et mécanismes immunitaires
Avec une surface allant jusqu’à 2 m² et un poids moyen de 5 kg chez l’homme, la peau représente l’organe le plus étendu et le plus lourd du corps humain. Elle assure de nombreuses fonctions essentielles telles que la protection contre les agressions externes, la thermorégulation, l’excrétion, la synthèse de la vitamine D ou encore un rôle sensoriel (mécanique, douleur, température). Pour assurer son rôle protecteur de l’organisme, la peau a développé un environnement immunitaire particulier et spécialisé, initialement décrit sous le nom de « Skin-Associated Lymphoid Tissues » ou SALT (Streilein, 1983). Cet environnement est peuplé de nombreux acteurs, chargés à la fois de tolérer les cellules du soi et les organismes commensaux de l’épiderme, tout en étant capables de répondre aux menaces biologiques extérieures. Ils s’intègrent dans un réseau dense et structuré de vaisseaux lymphatiques et sanguins, établissant une connexion avec les organes lymphoïdes ainsi qu’avec le reste de l’organisme. La vaccination cutanée regroupe un ensemble de techniques à la fois anciennes (scarification) ou récemment développées (vaccination transcutané, etc.) qui ont toutes pour but de cibler l’antigène aux populations de cellules présentatrices d’antigène de la peau. Afin de mieux comprendre le potentiel que représente la vaccination par la peau dans le développement de futurs vaccins, il est nécessaire d’étudier en profondeur les particularités structurelles et biologiques du réseau cutané, ainsi que les processus de mise en place de la réponse immunitaire après vaccination par la peau.
Structure de la peau humaine et murine
Chez l’homme et la souris, la peau est organisée en couches de compositions et d’épaisseurs différentes : l’épiderme, la jonction dermo-épidermique, le derme, et l’hypoderme (Figure 1).
L’épiderme forme la couche superficielle de la peau. Il est peuplé à 90 % par des kératinocytes, dont les différentes positions et morphologies permettent de diviser l’épiderme en 4 strates, qui sont, en partant de l’extérieur : (1) La couche cornée, qui est composée de kératinocytes morts mais biochimiquement actifs, anucléés et remplis de kératine nommées cornéocytes. Ils constituent la principale barrière physique entre l’organisme et l’extérieur (Proksch et al., 2008). (2) La couche granuleuse, composée de keratinocytes dont le noyau est en voie de dégénérescence, qui contribuent au remplissage des espaces intercellulaires. (3) La couche épineuse, ou couche de Malpighi, contenant des kératinocytes ainsi que des mélanocytes et des cellules immunocompétentes (cellules de Langerhans et lymphocytes T). (4) La couche basale, ou couche germinative, siège du renouvellement de l’épiderme. Les kératinocytes y forment une seule assise de cellules en division, d’où la cellule fille migre vers les couches extérieures pour atteindre la partie terminale de l’épiderme en environ 28 jours chez l’homme (Kolarsick et al., 2011).
La membrane basale (ou jonction dermo-épidermique) sépare l’épiderme du derme et est constituée d’une fine couche poreuse constituée de fibres (protéoglycane, collagène IV et glycoprotéines de structure). Cette interface est dynamique et permet des échanges chimiques et cellulaires entre le derme et l’épiderme. Ce dernier n’étant pas vascularisé, l’apport en nutriments est dépendant du derme et se fait à la membrane basale (Breitkreutz et al., 2013).
Le derme est un tissu de type conjonctif formé principalement de fibres élastiques et de collagène, conférant à la peau sa souplesse et son assise. Les principales cellules qui le composent sont des fibroblastes (participant à la synthèse de la matrice extracellulaire) (Kolarsick et al., 2011). Contrairement à l’épiderme, de nombreuses populations de cellules immunitaires peuplent le derme, telles que différentes populations de DCs, ainsi que des macrophages, lymphocytes T CD4+ et CD8+, lymphocytes B, etc., (Heath and Carbone, 2013). Le derme est vascularisé par de nombreux vaisseaux sanguins et lymphatiques permettant notamment le recrutement de cellules inflammatoires du sang et la migration des cellules de la peau vers le ganglion drainant. Le derme contient également de nombreuses fibres sensorielles dont le rôle dans l’immunité inné a été démontré récemment (RiolBlanco et al., 2014; Kashem et al., 2015).
L’hypoderme, ou tissu sous-cutané est, comme son nom l’indique, une couche située sous le derme. C’est un tissu adipeux richement irrigué, peuplé principalement d’adipocytes assurant des fonctions de réserve énergétique et des fonctions endocrines (sécrétion de leptine et d’aromatase) (Kolarsick et al., 2011). Malgré sa faible teneur en cellules immunitaires résidentes (principalement des macrophages), le tissu sous-cutané reste l’une des voies de vaccination les plus utilisées avec la voie intramusculaire.
Les follicules pileux produisent les poils, contribuent à la sécrétion de sébum, et constituent un réservoir pour plusieurs cellules souches de l’épiderme. Leur nombre est constant et invariable dans l’espèce humaine, les différences inter-individus résultent des variations de type de poil. Longtemps pensé comme étant dénué de rôle immunologique, il a été montré que les follicules pileux servent de porte d’entrée aux progéniteurs des cellules de Langerhans, via la sécrétion de chimiokines par les kératinocytes (Nagao et al., 2012).
Ganglions drainants de la peau
Le ganglion lymphatique est un composant essentiel de l’immunité adaptative en permettant la rencontre des CPAs avec les lymphocytes T et B naïfs (Willard-Mack, 2006). Il est relié à la peau par des vaisseaux lymphatiques afférents, qui transportent l’antigène et les cellules des tissus vers le ganglion. Il est également relié au sang, par les veinules à endothélium épais (HEV), qui permettent l’entrée des lymphocytes naïfs et des précurseurs de DCs résidentes. Enfin, il est relié à d’autres ganglions avec lesquels il forme une chaine, connectée par des vaisseaux lymphatiques efférents, dont la lymphe fini par rejoindre le conduit thoracique (Förster et al., 2012; Girard et al., 2012). Le ganglion lymphatique est un organe complexe et structuré, entouré d’une capsule fibreuse riche en collagène, et divisé en trois parties distinctes : Le cortex, le paracortex, et la médulla. La lymphe récoltée par les vaisseaux lymphatiques afférents se déverse dans le sinus sous-capsulaire, un espace situé sous la capsule, composé de cellules endothéliales lymphatiques (LYVE1+) et de macrophages (CD169+, F4/80-). La lymphe traverse ensuite les différentes zones du ganglion en empruntant les sinus corticaux avant de se jeter dans les sinus médullaires puis de quitter le ganglion par les vaisseaux lymphatiques efférents (Figure 2).
Le cortex est situé sous le sinus sous-capsulaire et contient principalement des follicules B primaires (« zones B ») constitués de cellules B et de cellules dendritiques folliculaires. Les follicules secondaires formés lors de la reconnaissance de l’antigène par les cellules B sont appelés centres germinatifs, et permettent la génération et la sélection des lymphocytes B sécrétant des anticorps de haute affinité (Victora and Nussenzweig, 2012). L’espace situé entre les follicules B est appelé zone interfolliculaire.
Le paracortex constitue la « zone T » du ganglion. Il est principalement composé de lymphocytes T et de cellules dendritiques et constitue le site de la présentation antigénique. On y trouve également les HEV permettant un apport constant en lymphocytes T naïfs.
La médulla est un labyrinthe constitué de sinus drainant la lymphe et de cordons médullaires contenant des cellules B différenciées et des macrophages (CD169-, F4/80+). De la médulla part le vaisseau lymphatique efférent, rejoignant d’autres ganglions ou directement le conduit thoracique.
Caractérisation et fonctions des cellules présentatrices d’antigène de la peau
La peau est un organe très riche en cellules présentatrices d’antigène (CPAs). Ces cellules forment le lien entre l’immunité innée et adaptative, en permettant la capture des pathogènes, la présentation de l’antigène aux lymphocytes T, et la spécialisation de l’immunité adaptative. La diversité des populations et des fonctions des CPAs présentes dans la peau traduit un besoin du système immunitaire à être capable de répondre à tout type d’infection. Cette partie décrit de manière détaillée le phénotype et les fonctions attribuées aux différentes populations de CPAs de la peau (Figure 3).
Epiderme
Les cellules de Langerhans (LCs) sont les seules CPAs présentes dans l’épiderme humain et murin et représentent 1 à 5 % des cellules épidermiques. Elles sont principalement localisées dans la couche épineuse de l’épiderme, où elles forment un réseau autour des kératinocytes, mais se retrouvent également dans le derme et les ganglions drainants la peau. Leurs caractéristiques principales sont leur radiorésistance, leur origine développementale, leur longévité, et leur rôle d’immuno surveillance de la peau (Merad et al., 2008). Les LCs sont identifiables par leur expression constitutive de la langérine (CD207) et la présence d’organelles intracytoplasmiques uniques appelés granules de Birbeck, jouant un rôle dans la prise en charge de l’antigène. La langérine est un récepteur appartenant à la famille des lectines transmembranaire de type II exprimé de façon homogène à la surface des LCs humains et murins qui, après activation par son ligand, est internalisée dans les granules de Birbeck. Cette internalisation de la langérine est caractéristique de l’activation des LCs (Valladeau et al., 2000, 2003). Comme la langérine est également exprimée par une sous population de DC du derme, elle ne représente pas à elle seule un marqueur fiable pour l’identification des LC dans d’autres tissus que l’épiderme (Valladeau et al., 2002). Les LCs humaines et murines expriment également les molécules cadhérine-E, permettant l’adhésion aux kératinocytes, EpCAM, CD205, et des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe II (Tableau 1). De plus, les LCs humaines mais pas murines expriment fortement la molécule CD1a, permettant la présentation d’antigènes non peptidiques aux cellules T (Hunger et al., 2004), ainsi que les molécules CD1c, DC-SIGN (CD209) et HLA-DR.
L’origine développementale des LCs a été sujette à de nombreuses études, motivées par l’observation initiale que le repeuplement de cette population n’est pas dépendante des cellules de la moelle osseuse après irradiation létale chez la souris (Merad et al., 2002). Cette étude a également révélée que chez des animaux parabiotiques, dont la circulation sanguine est reliée chirurgicalement, les LCs des deux animaux ne se mélangent pas, contrairement aux autres cellules myéloïdes. Ainsi, cette première étude suggère qu’à l’état basal, les LCs se maintiennent dans la peau de façon indépendante de la circulation à partir de progéniteurs locaux. De façon similaire, les LCs d’un patient ayant reçu une allogreffe de peau gardent l’origine du donneur, même 10 ans après chirurgie (Kanitakis et al., 2011). L’utilisation de modèle murins de « fate mapping » a récemment permit d’élucider l’origine des progéniteurs locaux des LCs, des monocytes dérivés du foie fœtal en grande majorité, avec une contribution mineure de macrophages dérivés du sac vitellin (Hoeffel et al., 2012) (Figure 4).
De façon intéressante, il a été montré qu’en conditions inflammatoires, après exposition de la peau avec de la lumière UV, une autre population de LCs appelée « LCs à courte durée de vie » se différencie à partir de monocytes inflammatoires et repeuple l’épiderme. Ces cellules sont ensuite remplacées par des « LCs à longue durée de vie » dont l’origine et le phénotype sont plus proche des LCs résidents de l’épiderme au niveau basal (Ginhoux et al., 2006; Seré et al., 2012) (Figure 4). Nagao et al. ont élégamment démontré que le recrutement de ces monocytes précurseurs de LCs s’effectue via les follicules pileux, sources de facteurs chimioattractants, tel que la chimiokine CCL2, sécrétés par les kératinocytes (Nagao et al., 2012). Chez l’homme, les monocytes CD14+ du sang peuvent se différencier en « DCs de type LCs » lorsqu’ils sont cultivés in vitro avec du GM-CSF et du TFG β1. Ces « mo-LCs » sont phénotypiquement proches des LCs de l’épiderme et possèdent des granules de Birbeck (Picarda et al., 2016).
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Table des matières
Introduction
Etat de l’art
1. Potentiel de la peau en vaccination et mécanismes immunitaires
1.1 Structure de la peau humaine et murine
1.2 Ganglions drainants de la peau
1.3 Caractérisation et fonctions des cellules présentatrices d’antigène de la peau
1.3.1 Epiderme
1.3.2 Derme
1.4 Caractérisation et fonctions des cellules présentatrices d’antigène du ganglion
1.5 Modification de l’environnement cutané au cours de l’inflammation
1.5.1 Acquisition et présentation de l’antigène par les cellules dendritiques résidentes du ganglion
1.5.2 Recrutement des cellules inflammatoires du sang
1.5.3 Activation des cellules dendritiques de la peau et migration vers le ganglion lymphatique
1.6 Cibler les cellules dendritiques en vaccination cutanée
1.6.1 Ciblage spatial
1.6.2 Ciblage physique
1.6.3 Ciblage spécifique
2. Cellules TFH, acteur clé de la réponse immunitaire adaptative
2.1 Définition
2.1.1 Identification des TFH
2.1.2 Facteurs de transcription et molécules associés
2.2 Modèle séquentiel de différentiation des TFH
2.2.1 Du lymphocyte T CD4+ naïf au pré-TFH
2.2.2 Migration à la bordure T/B et interaction avec le lymphocyte B
2.2.3 Phase germinative
2.2.4 TFH mémoire
2.3 Cellules dendritiques impliquées dans la différentiation des TFH
2.3.1 Cellules dendritiques pro-TFH
2.3.2 Cellules dendritiques anti-TFH
2.4 Cellules TFH et réponse humorale
2.4.1 Molécules impliquées
2.4.2 Sélection des lymphocytes B de haute affinité dans le centre germinatif
2.4.3 Sortie du centre germinatif : Plasmocytes ou lymphocytes B mémoire
2.4.4 Régulation du centre germinatif et des TFH
2.5 Optimiser la réponse TFH et humorale en vaccination
2.5.1 Paramètres physiques de l’antigène et adjuvants non immunomodulateurs
2.5.2 Immunomodulateurs et cellules dendritiques pro-TFH
2.5.3 Molécules de costimulation et cytokines
2.5.4 Diminution de la suppression du centre germinatif
Projets de recherche
Résultats
Article 1 : « Critical role for skin-derived migratory DCs and Langerhans cells in TFH and GC
responses after intradermal immunization »
Contexte de l’étude
Article
Résumé des résultats et discussion
Article 2 : « IFA emulsion promotes sustained T follicular helper response for the generation
of mucosal and systemic neutralizing antibodies against the HIV-gp41 3S motif »
Contexte de l’étude
Article
Résumé des résultats et discussion
Revue Bibliographique : « Tailored immunity by skin antigen-presenting cells »
Conclusion
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